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Full text of "Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle : table analytique et synthétique, avec table alphabétique des noms de lieux par départements, pour la France et pars contrés, pour l'etranger"

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é  13 


DICTIONNAIRE  RAISONNÉ 


DE 


L'ARCHITECTURE 


FRANÇAISE 


DU    Xl«    AU    XVr    SIÈCLE 


VII 


Droilt  de  traduetion  et  de  reprodueUoo  rèiervét* 


TARIS.    —  IMPR.     E.     MARTINET,     RUE     MIONON,   2. 


DICTIOMMAIRE  RAISONNÉ 

DE 

L'ARCHITECTURE 

FRANÇAISE 
DU  Xr  AU  XVI'  SIÈCLE 

M.  VIOLLET-LE-DUC 


IHsriCtEUI  GÉKtlitL  DES   tOIFlCES   DlOCfail^S 


TOME    SEPTIÈME 


PARIS 
A.  MOREL,  ÉDlTËUf 

RUE    BONAPARTE.    1  3 


APRt948 


DICTIONNAIRE  RAISONNÉ 


DB 


L'ARCHITECTURE 


FRANÇAISE 


DU  xr  AU  xvr  siècle 


PALAIS,  s.  m.  C'est  la  maison  royale  ou  suzeraine,  le  lieu  où  le  suze- 
rain rend  la  justice.  Aussi  ce  qui  distingue  particulièrement  le  palais, 
c'est  la  basilique,  la  grand'salle  qui  toujours  en  fait  la  partie  principale. 
Le  Palais,  au  moyen  âge,  est,  à  dater  des  Garlovingiens,  placé  dans  la 
capitale  du  suzerain,  c'est  sa  résidence  jusque  vers  le  xiv°  siècle.  Ce- 
pendant les  rois  mérovingiens  ont  possédé  des  palais  dans  les  campa- 
gnes ou  à  proximité  des  villes.  Ces  premiers  palais  étaient  à  peu  près 
élevés  sur  le  modèle  des  villœ  gallo-romaines,  quelquefois  même  dans 
les  restes  de  ces  établissements.  Les  palais  de  Verberie,  de  Compiègne, 
de  Chelles,  de  Noisy,  de  Braisne,  d'Attigny,  n'étaient  que  de  véritables 
villœ, 

«  L'habitation  royale  n'avait  rien  de  l'aspect  militaire  des  châteaux  du 
«  moyen  âge  :  c'était  un  vaste  bâtiment  entouré  de  portiques  d'architec- 
«  ture  romaine,  quelquefois  construit  en  bois  poli  avec  Soin  et  orné  de 
a  sculptures  qui  ne  manquaient  pas  d'élégance.  Autour  du  principal  corps 
«  de  logis  se  trouvaient  disposés,  par  ordre,  les  logements  des  officiers 
«  du  palais,  soit  barbares,  soit  romains  d'origine,  et  ceux  des  chefs  de 
«  bande  qui,  selon  la  coutume  germanique,  s'étaient  mis  avec  leurs 
«  guerriers  dans  la  truste  du  roi,  c'est-à-dire  sous  un  engagement  spécial 
«  de  vasselage  et  de  fidélité.  D'autres  maisons  de  moindre  apparence 
«  étaient  occupées  par  un  grand  nombre  de  familles  qui  exerçaient, 

«  hommes  et  femmes,  toutes  sortes  de  métiers La  plupart  de  ces  fa- 

«  milles  étaient  gauloises,  nées  sur  la  portion  du  sol  que  le  roi  s'était 
«  adjugé  comme  part  de  conquête,  ou  transportées  violemment  de  quel* 

VIL   —  1 


[   PALAIS   ]  —    2    — 

«  ques  villes  voisines  pour  coloniser  le  domaine  royal  ;  mais  si  Ton  en 
((juge  par  la  physionomie  des  noms  propres,  il  y  avait  aussi  parmi  elles 
«  des  Germains  et  d'autres  barbares  dont  les  pères  étaient  venus  en  Gaule, 
«  comme  ouvriers  ou  gens  de  service,  à  la  suite  des  bandes  conquérantes, 
a  D'ailleurs,  quelle  que  fût  leur  origine,  ou  leur  genre  d'industrie,  ces 
((  familles  étaient  placées  au  même  rang  et  désignées  par  le  même  nom, 
a  par  celui  de  lues  en  langue  tudesque,  et  en  langue  latine  par  celui  de 
(f  fiscalins,  c'est-à-dire  attachées  au  fisc.  Des  bâtiments  d'exploitation 
«  agricole,  des  haras,  des  étables,  des  bergeries  et  des  granges,  les  ma- 
((  sures  des  cultivateurs  et  les  cabanes  des  serfs  du  domaine  complétaient 
«  le  village  royal,  qui  ressemblait  parfaitement,  quoique  sur  une  plus 
«grande  échelle,  aux  villages  de  l'ancienne  Germanie'....  »  Des  haies 
vives,  des  murs  de  pierres  sèches,  des  fossés,  entouraient  cet  ensemble  de 
bâtiments,  et  formaient  quelquefois  plusieurs  enceintes,  suivant  l'usage 
des  peuples  du  Nord.  L'architecture  des  bâtiments  participait  des  diverses 
influences  sous  lesquelles  on  les  avait  élevés  ;  c'était  un  mélange  de  tra- 
ditions gallo-romaines  et  de  constructions  de  bois  élevées  avec  un  certain 
art,  peintes  de  couleurs  brillantes.  Des  granges,  des  hangars,  des  celliers 
énormes,  contenaient  des  provisions  amassées  pendant  plusieurs  mois,  et 
que  les  princes  barbares  venaient  consommer  avec  leurs  leudes.  Lorsque 
tout  était  vide,  ils  se  transportaient  dans  un  autre  domaine.  Ces  palais, 
bâtis  sur  la  lisière  des  grandes  forêts,  retentissaient  des  cris  des  chas- 
seurs et  du  fracas  d'orgies  qui  se  prolongeaient  souvent  pendant  plusieurs 
jours.  Les  Garlovingiens  conservèrent  encore  cet  usage  de  vivre  dans  les 
palais  de  campagne,  et  Gharlemagne  en  possédait  un  grand  nombre^ 
Mais  alors  la  vie  en  commun  était  remplacée  par  une  sorte  d'étiquette  ; 
les  palais  ressemblaient  davantage  à  une  cour  ;  de  beaux  jardins  les 
entouraient,  cultivés  avec  soin  ;  les  enceintes  étaient  mieux  marquées. 
Toutefois  la  grande  salle,  la  basilique,  formait  toujours  la  partie  princi- 
pale du  domaine.  Voici  (ûg.  1)  un  aperçu  de  l'ensemble  de  ces  palais 
carlovingiens.  Gharlemagne  avait  fait  entièrement  rebâtir  le  palais  de 
Verberie,  près  de  Gompiègne.  11  en  restait  encore  de  nombreux  fragments 
dans  le  dernier  siècle,  si  l'on  en  croit  le  P.  Garlier'.  D'après  cet  auteur, 
Gharlemagne  aurait  bâti  la  tour  du  Prœdium^  c'est-à-dire  le  donjon  do- 
minant le  domaine,  tour  dont  les  soubassements  étaient  encore  visibles 
de  son  temps.  Il  aurait  fait  construire  le  principal  corps  de  logis,  a  édi- 


*  Récit  des  temps  mérovingiens,  par  Augustin  Thierry,  récit  !•'. 
^  Gharlemagne  avait  aussi  des  palais  dans  des  villes,  celui  d*Aix  entre  autres,  qui 
passait  pour  très-heau. 

<  Kwlfls  ne  toma  pas  à  Saint-PoUe  martir 

(  N'an  son  palais  plenier,  qi  fu  de  marbre  bis.  • 

(La  Chanson  its  Saxons,  cb.  l.) 

S  Hist.du  duché  de  Vcdoiij  par  le  P.  Garlier,  prieur  d'Andrexy,  176&,  1. 1,  liv.  il,  p.  169. 


—   3   —  [    PALAIS  ] 

fice  immeose  n  ,  ainsi  que  la  chapelle  du  palais,  qui  n  conservait  encore 
le  nom  de  cbapelle  Gharlemagne  au  xiv*  siècle  u . 


^: -■;;^  "--^ 


«  Ce  palais,  dit  le  P.  Carlier,  tenait  h  plusieurs  dépendances,  qui  Tor- 
(I  maieat  comme  autant  de  châteaux  particuliers^  dont  chacun  avait  sa 
«  destination...  Le  palais  de  Verberie  avait  son  aspect  au  midi;  les  édî- 
«  Bces  qui  le  composaient  s'étendaient  de  l'occident  à  l'orient,  sur  une 
Il  ligne  de  240  toises.  Un  corps  de  logis  très-vaste,  où  se  tenaient  les 
(I  assemblées  générales,  les  parlements,  les  conseils,  etc.,  mallobergiam*, 
a  terminait  à  l'occident  cette  étendue  de  bâtiments,  de  même  que  la 
a  chapelle  à  l'orient.  La  cbapelle  et  la  salle  d'assemblée  formaient  comme 
«  deux  ailes,  qui  accompagnaient  une  longue  suite  d'édifices  dedifTé- 
u  rentes  formes  et  de  différentes  grandeurs.  Au  centre  de  toute  cette 
a  étendue  paraissait  un  magnifique  corps  de  logis,  d'une  hauteur  exces- 
€  sive,  composé  de  deux  grands  étages...  J'ai  tiré  ces  notices,  ajoute 

■  Mallobergiitm,  malbergium,  roaiwii  des  pltida,  lieu  où  l'on  rendait  la  juiUce.  (Vorei 
dn  Ctnge,  Glatsaire.) 


[    PALAIS   ]  —  4    — 

«  Garlier,  de  quelques  restes  de  l'ancien  palais  et  d'un  titre  du  règne  de 
«  François  I*',  qui  perraetladéraolition  des  différentes  parties  de  ce  palais, 
a  Ces  parties  de  bâtiment  avaient  été  incendiées  sous  le  règne  infortuné 
((  de  Charles  VI,  un  siècle  auparavant,  p 

Ce  ne  fut  qu'après  les  invasions  des  Normands  que  ces  résidences  se 
convertirent  en  forteresses,  et  constituèrent  les  premiers  châteaux  féo- 
daux. (Voy.  Château.) 

La  résidence  des  rois  de  France,  dans  l'île  de  la  Cité,  à  Paris,  était 
désignée  sous  le  nom  du  Palais  par  excellence,  tandis  qu'on  disait  le 
château  du  Louvre,  le  château  de  Vincennes.  Tous  les  seigneurs  suze- 
rains possédaient  un  palais  dans  la  capitale  de  leur  seigneurie.  A  Troyes 
était  le  palais  des  comtes  de  Champagne,  à  Poitiers  celui  des  comtes  de 
Poitiers,  à  Dijon  celui  des  ducs  de  Bourgogne.  Cependant,  à  dater  du 
XI*  siècle,  conformément  aux  habitudes  des  seigneurs  du  moyen  âge,  le 
palais  était  ou  fortifié  ou  entouré  d'une  enceinte  fortifiée  ;  mais  généra- 
lement il  occupait  une  surface  plus  étendue  que  les  châteaux  de  cam~ 
pagne,  se  composait  de  services  plus  variés,  et  laissait  quelques-unes  de 
ses  dépendances  accessibles  au  public.  Il  en  était  de  même  pour  les  rési- 
dences urbaines  des  évoques,  qui  prenaient  aussi  le  nom  de  palais,  et 
qui  n'étaient  pas  absolument  fermées  au  public  comme  le  château  féodal. 
Plusieurs  de  nos  anciens  palais  épiscopaux  de  France  conservent  ainsi 
des  servitudes  qui  datent  de  plusieurs  siècles.  Les  cours,  plaids,  parle- 
ments, les  tribunaux  de  l'offîcialité,  se  tenaient  dans  les  palais  du  suze- 
rain ou  de  l'évoque  ;  il  était  donc  nécessaire  de  permettre  au  public  de 
s'y  rendre  en  maintes  occasions.  La  partie  essentielle  du  palais  est  tou- 
jours la  grand'salle,  vaste  espace  couvert  qui  servait  à  tenir  les  cours  plé- 
nières,  dans  laquelle  on  convoquait  les  vassaux,  on  donnait  des  banquets 
et  des  fêtes. De  longues  galeries  accompagnaient  toujours  la  grand'salle; 
elles  servaient  de  promenoirs.  Puis  venait  la  chapelle,  assez  vaste  pour 
contenir  une  nombreuse  assistance  ;  puis  les  appartements  du  seigneur, 
les  logements  des  familiers,  le  trésor,  le  dépôt  des  chartes  ;  puis  enfin  les 
bâtiments  pour  les  hommes  d'armes,  des  cuisines,  des  celliers,  des  ma- 
gasins, des  prisons,  des  écuries,  des  préaux,  et  presque  toujours  un  jar- 
din. Une  tour  principale  ou  donjon  couronnait  cette  réunion  de  bâtiments, 
disposés  d'ailleurs  irrégulièrement  et  suivant  les  besoins. 

La  plupart  de  ces  palais  n'avaient  pas  été  bâtis  d'un  seul  jet,  mais 
s'étaient  accrus  peu  à  peu,  en  raison  de  la  richesse  ou  de  l'importance 
des  seigneurs  auxquels  ils  servaient  de  résidence. 

Le  palais  des  rois  à  Paris,  dans  lequel  ces  souverains  tinrent  leur  cour 
depuis  les  Capétiens  jusqu'à  Charles  V,  présentait  ainsi,  au  commence- 
ment du  xiv**  siècle,  une  réunion  de  bâtiments  dont  les  plus  anciens 
remontaient  à  l'époque  de  saint  Louis,  et  les  derniers  dataient  du  règne 
de  Philippe  le  Bel.  Des  fouilles  récemment  faites  dans  l'enceinte  du  palais 
dç  Paris  ont  n^is  au  jour  quelques  restes  de  constructions  gallo-romaines, 


—  5   —  [  PALAIS   ] 

notamment  du  côté  de  la  rue  de  là  Barillerie  ;  mais  dans  l'ensemble  des 
b&timents  il  ne  reste  rien  d'apparent  qui  soit  antérieur  au  règne  de 
Louis  IX.  Depuis  Charles  V,  le  Palais  fut  exclusivement  affecté  au  service 
de  la  justice,  et  les  rois  ne  l'habitèrent  plus.  Ce  souverain  y  fit  faire  quel- 
ques travaux  intérieurs,  ainsi  que  Louis  XI  ;  mais  Louis  XII  l'augmenta 
en  construisant  le  bâtiment  destiné  à  la  chambre  des  comptes,  et  qui  se 
trouvait  occuper,  place  de  la  Sainte-Chapelle,  l'emplacement  affecté 
aujourd'hui  à  l'hôtel  du  préfet  de  police.  Nous  donnons  (fig.  2)  le  plan 
du  Palais  de  Paris  à  rez-de-chaussée,  tel  qu'il  existait  au  commencement 
du  XVI*  siècle. 

Des  constructions  de  saint  Louis,  il  ne  restait  plus  alors,  comme 
aujourd'hui  encore,  que  la  sainte  Chapelle  A,  le  corps  de  bâtiment  B 
compris  entre  les  deux  tours  du  quai  de  l'Horloge,  et  la  tour  carrée 
du  coin  G,  dont  les  substructions  paraissent  même  appartenir  à  une 
époque  plus  ancienne.  Le  bâtiment  D,  affecté  aux  cuisines,  est  un  peu 
postérieur  au  règne  de  saint  Louis.  Peut-être  l'enceinte  E,  avec  les 
portes  F,  qui  existaient  sur  la  rue  de  la  Barillerie,  et  qui,  au  xiv*  siècle, 
donnaient  encore  sur  un  fossé,  avaient-elles  été  élevées  par  Louis  IX, 
ainsi  que  le  donjon  G,  dit  tour  de  Montgomery ',  et  qui  subsista  jusque 
vers  le  milieu  du  dernier  siècle^. 

Philippe  le  Bel  fit  construire  les  galeries  H,  la  grand'salle  I,  les  por- 
tiques K  et  le  logis  L,  a  tressumpteux  et  magnifiques  ouvrages»,  dit 
Corrozet^,  qui  les  a  encore  vus  tout  entiers,  bâtis  sous  la  direction  de 
o  messire  Ënguerrand  de  Marigny,  comte  de  Longueville  et  général  des 
(c  finances,  et  voyez  (ajoute  le  même  auteur)  quels  hommes  on  employoit 
<t  jadis  à  tels  états  plustost  que  des  affamez,  et  des  hommes  qui  ne  deman- 
tt  dent  que  piller  l'argent  du  prince.  »  Ënguerrand  de  Marigny  n'en  fut 
pas  moins  pendu,  comme  chacun  sait,  ce  qui  enlève  quelque  chose  au 
sens  moral  de  la  remarque  du  bon  Parisien  Corrozet. 

Les  bâtiments  de  la  chambre  des  comptes,  commencés  par  Louis  XI 
et  achevés  par  Louis  XII,  étaient  en  M.  En  N,  était  une  poterne  avec 
tournelles,  dont  nous  avons  encore  vu  les  restes  intéressants  il  y  a  quatre 
ans.  Cette  poterne  et  l'enceinte  0,  avec  quais,  dataient  du  xiv"  siècle. 
Quant  à  l'enceinte  Ë\  ses  traces  étaient  visibles  dans  des  maisons  parti- 
culières avant  la  construction  du  bâtiment  actuel  de  la  police  correc- 
tionnelle, ainsi  que  le  constate  un  plan  relevé  avec  le  plus  grand  soin 

'  Ce  fut  dans  celte  toar  que  Montgomery  fut  enfermé  après  le  tournoi  qui  fut  si  fatal 
à  Henri  II. 

'  Ainsi  que  le  constatent  deux  dessins  fort  curieux,  représentant  les  démolitions  du 
Palais  avant  la  construction  de  la  façade  actuelle  sur  la  cour  du  May.  Ces  dessins,  qui 
appartenaient  à  M.  Lassus,  ont  été  lithographies  pour  faire  partie  d'une  monographie  du 
Palais,  qui  n*a  pas  été  publiée. 

•  Antiquités  de  Paru. 


[    PALAIS  ]  —  6    — 

par  M.  Bertf,  et  accompagné  de  renseignements  bien  précieux*.  En  P 


'  Voj.  VHisl.  topûgr.et  arrhéol,  de  l'onc.  Paris,  p»r  HU,  A,  Lenoiret  A.  Berty  (feuille  X). 


—  7   —  [  PALAIS  ] 

était  une  chapelle  placée  sous  le  vocable  de  saint  Michel^  en  R  le  pont 
aux  Changeurs,  et  en  S  le  pont  aux  Meuniers^  ou  le  Grand- Pont.  En  T, 
le  jardin,  les  treilles  du  roi,  séparé  d'une  petite  tle  (lie  aux  Vaches)  par 
un  bras  de  la  Seine.  Là  était  le  bâtiment  des  étuves.  De  ce  vaste  ensemble 
de  logis  et  monuments,  il  reste  encore  aujourd'hui  :  la  sainte  Chapelle, 
privée  seulement  de  son  annexe  Y  à  trois  étages,  servant  de  sacristie  et  de 
trésor  des  chartes;  le  rez-de-chaussée  de  la  grand'salle,  tel  que  le  donne 
notre  plan  ;  une  partie  notable  des  portiques  K  ;  la  partie  intérieure  du 
bâtiment  des  cuisines  et  de  la  salle  B,  ainsi  que  les  quatre  tours  sur  le  quai 
de  l'Horloge  ;  le  logis  L  dans  toute  sa  hauteur.  C'était  dans  la  cour  X  qu'était 
planté  le  may.  Cette  réunion  de  monuments,  tous  d'une  bonne  architec- 
ture, présentait  au  centre  de  la  Cité  l'aspect  le  plus  saisissant.  Nous  avons 
essayé  d'en  donner  une  idée  dans  la  vue  cavalière  (fîg.  3}  prise  de  la  pointe 
de  nie  en  aval  ^  Les  étrangers  qui  visitaient  la  capitale  s'émerveillaient 
fort  de  la  beauté  des  bâtiments  du  Palais,  principalement  de  l'effet  de  la 
cour  du  May,  qui,  en  entrant  par  la  porte  donnant  sur  la  rue  de  la  Baril- 
lerie,  présentait  une  réunion  d'édifices  plantés  de  la  manière  la  plus 
pittoresque.  Le  grand  perron,  qui  donnait  au  premier  étage  de  la  galerie 
d'Enguerrand  ;  celui  de  droite,  qui  montait  sur  la  terrasse  communiquant 
à  la  grand'salle;  les  parois  de  celle-ci  avec  ses  fenêtres  à  meneaux  ;  le 
gros  donjon  de  Montgomery,  dont  la  toiture  paraissait  au-dessus  des 
combles  de  la  grande  galerie  ;  la  sainte  Chapelle,  avec  son  trésor,  for- 
maient réellement  un  bel  ensemble,  quoique  peu  symétrique.  Si  l'on 
tournait  à  gauche  vers  la  chapelle  Saint-Michel,  on  découvrait  la  façade 
élégante  de  la  chambre  des  comptes  avec  son  gracieux  escalier  couvert, 
puis  l'escalier  de  la  sainte  Chapelle  bâti  par  Louis  XII,  puis  le  gros  don- 
jon relégué  au  fond  de  la  cour.  En  longeant  la  chambre  des  comptes,  on 
passait  dans  les  jardins  du  Palais,  et  l'on  voyait  se  développer  la  façade 
mouvementée  du  logis,  dont  il  reste  encore  aujourd'hui  toute  une  por- 
tion. A  chaque  pas,  c'était  un  aspect  nouveau,  une  surprise,  et  la  variété 
de  toutes  ces  constructions  contribuait  à  augmenter  leur  étendue.  Il  y  a 
bien  loin  de  ce  palais  aux  bâtisses  glaciales  et  ennuyeuses  par  leur  mo- 
notonie, auxquelles  nous  sommes  habitués  depuis  le  grand  siècle. 

C'est  dans  ce  palais  que  Charles  Y  reçut  et  logea  l'empereur  Charles  lY, 
probablement  dans  des  bâtiments  qui  occupaient  l'emplacement  affecté 
plus  tard  à  la  chambre  des  comptes...  et  Lors,  ûst  le  roy  lever  l'empereur, 
tt  à  tout  sa  chayere,  et,  contremont  les  degrez  porter  en  sa  chambre 
«  (l'empereur  était  goutteux),  et  aloit  le  roy,  d'un  costé,  et  menoit  le  roy 


'  Voyez  le  grand  plan  de  Paris  à  vol  d'oiseau,  par  Mérian,  et  la  tapisserie  de  l'Hôtel 
de  ville;  la  Topographie  de  la  Gaule,  par  Mérian  ;  Livre  troisième  de  la  Cosmogt*.  uni- 
verseile,  Sébastien  Munster  et  Belleforest,  1665  ;  le  Plan  de  Gomboust  ;  l'œuvre  d'Is- 
raël Sylvestre;  la  Topographie  de  la  France,  Bibl.  imp.;  l'œuvre  de  Pérelle  (vue  du 
pont  au  Change);  VHist.pitior.  du  Palais  de  justice ,  par  Sauvan  et  Schmit,  1825;  Vltiné- 
raire  arch.  de  Paris ^  par  M.  le  baron  de  Guilhermy. 


[  PALAIS  ]  —  8  — 

«  des  Rommains  à  sa  sénestre  main,  et  ainssy  le  convoya  en  sa  chambre 


(I  de  bois  d'Irlande,  qui  regarde  sus  les  jardins  et  vers  la  saincle  Cliap- 
«  pelle,  qu'il  avoit  fait  richemenl  appareiller,  èl  toutes  les  autres  cbam- 


—  9  —  [  PALAIS  ] 

ttbres  derrière  y  laissa  pour  Tempereur  et  son  filz;  et  il  fu  logiés  es 
«  chambres  et  gaiatois  que  son  père  le  roy  Jehan  fist  faire  ^  » 

Il  est  certain  que  ces  palais,  ces  grandes  résidences  seigneuriales,  au 
moyen  Age,  s'élevaient  successivement.  Suivant  une  habitude  que  nous 
voyons  encore  observée  en  Orient,  chaque  prince  ajoutait  aux  bâtiments 
qu'il  trouvait  debout,  un  logis,  une  salle,  suivant  les  goûts  ou  les  besoins 
du  moment.  Il  n'y  avait  pas  de  projet  d'ensemble  suivi  méthodiquement, 
exécuté  par  fractions,  et,loin  de  se  conformer  à  une  disposition  unique, 
les  seigneurs  qui  faisaient  ajouter  quelque  logis  à  la  demeure  de  leurs 
prédécesseurs,  prétendaient  donnera  l'œuvre  nouvelle  un  caractère  par- 
ticulier ;  ils  marquaient  ainsi  leur  passage,  laissaient  l'empreinte  de  leur 
époque  en  bâtissant  un  logis  tout  neuf,  suivant  le  goût  du  jour,  plutôt 
que  d'approprier  d'anciens  bâtiments.  Ces  résidences  présentent  donc  de 
la  variété  non-seulement  dans  les  parties  qui  les  composent,  mais  aussi 
entre  elles,  et  si  leur  programme  est  le  môme,  la  manière  dont  il  a  été 
interprété  diffère  dans  chaque  province.  Ici  la  chapelle  prend  une  impor- 
tance considérable,  là  elle  se  réduit  aux  proportions  d'un  oratoire.  Dans 
tel  palais,  le  donjon  est  un  ouvrage  de  défense  important  ;  dans  tel  autre, 
il  ne  consiste  qu'en  une  bâtisse  un  peu  plus  épaisse  et  un  peu  plus  élevée 
que  le  reste  du  logis.  Seule  la  grand'salle  occupe  toujours  une  vaste  sur- 
face, car  c'est  là  une  partie  essentielle,  c'est  le  signe  de  la  juridiction 
seigneuriale,  le  lieu  des  grandes  assemblées  ;  comme  dans  les  châteaux, 
elle  possède  un  large  perron  et  s'élève  sur  des  celliers  voûtés.  A  Troyes, 
par  exemple,  le  palais  des  comtes  de  Champagne,  accolé  à  l'église  Saint- 
Etienne,  qui  lui  servait  de  chapelle,  n'avait,  relativement  à  l'édifice  reli- 
giegji,  qu'une  étendue  assez  médiocre;  ses  logements  étaient  peu  nom- 
breux, mais  la  grand'salle  avait  52  mètres  de  longueur  sur  20  mètres 
environ  de  largeur.  Une  tour  carrée,  accolée  au  flanc  nord  de  l'église  et 
dépendant  de  celle-ci,  servait  de  trésor  et  de  donjon.  Les  pièces  desti- 
nées à  rhabitatioii,  renfermées  dans  un  premier  étage  sur  rez-de-chaus- 
sée voûté,  étaient  placées  en  enfilade  sur  l'un  des  flancs  de  la  grand'salle 
et  devant  Téglise  du  côté  ouest  ;  elles  donnaient  sur  un  bras  de  la  Seine. 
Un  jardin  du  côté  du  midi  et  une  place  du  côté  septentrional  bornaient 
le  palais  ;  c'était  sur  cette  place  que  s'étendait  le  large  perron  servant 
d'entrée  principale  à  la  grand'salle'.  Du  reste,  le  palais  de  Troyes  cessa 
d'être  la  demeure  des  comtes  de  Champagne  dès  1220;  ceux-ci  préfé- 
rèrent établir  leur  résidence  à  Provins. 

Le  palais  des  comtes  de  Poitiers  est  un  de  ceux  qui,  en  France,  ont 
conservé  peut-être  les  plus  beaux  restes.  Bâti  sur  des  ruines  romaines 
par  les  Carlovingiens,  puis  détruit  à  plusieurs  reprises^  il  fut  réédifié  par 

1  Christine  de  Pisao,  le  Livre  des  faicts  et  b(mnes  meurs  du  sage  roif  Charles, 
cbap.  xnvui. 

>  Voyez  le  plan  de  ce  palais  dans  le  Voyage  archéoL  dans  le  département  de  l'Aube^ 
par  A.  F.  Arnaud  (1837).  Ce  palais  est  entièrement  rasé. 

VII.  — 2 


[   PALAIS  ]  —  10   — 

Guillaume  le  Grand  au  commencement  du  \i°  siècle;  de  cette  recon- 
struction il  ne  reste  rien.  On  attribue  à  Guy  GeofTroy,  filsde  Guillaume,  la 
construction  de  la  grand'salle  que  nous  voyons  aujourd'hui  ;  mais  celte 
salle  présentant  tous  les  caractères  de  l'architecture  civile  de  la  tin  du 
xn'  siècle,  et  Guy  Geoffroy  étant  mort  en  i086,  il  faut  lui  trouver  un 
autre  fondateur.  Le  palais  de  Poitiers  fut  bt^lé  en  13£l6  par  les  Anglais, 
puis  réparé  en  1395  par  Jean,  duc  de  Berry  et  comte  du  Poitou.  Ce 
prince,  frère  du  roi  Charles  V,  fit  rebâtir  le  pignon  de  la  grand'salle, 
décoré  d'une  immense  cheminée  (voy.  CnsHiNËB,  flg.  9  et  10),  et  le  don- 
jon qui  existe  encore,  quoique  très-mutilé,  et  qui  sert  aujourd'hui  de 
cour  d'assises'.  Cette  magnifique  eonslruction  se  compose  d'un  gros 
corps  de  logis  barlong,  à  trois  étages  voûtés,  fianqué  de  quatre  tours 
rondes  aux  angles  et  couronné  de  mâchicoulis,  créneaux  et  combles. 
Nous  donnons  (fig.  U)  le  plan  des  parties  encore  existantes  du  palais 
de  Poitiers.  En  A  est  la  grand'salle, 
''  en  B  le  donjon.  D'autres  logis  exis- 
taient en  C,  mais  il  n'en  reste  plus 
que  quelques  traces.  La  muraille  de 
la  ville  gallo-romaine  passait  en  Rei 
servait  de  soubassement  i  la  grand'- 
salle, dont  l'entrée  était  en  D.  Une 
déviation  de  voie  publique,  ou  peut- 
être  l'orientation,  avait  dû  faire  plan- 
ter le  donjon  de  biais,  ainsi  que  l'in- 
dique le   plan.  Ce  donjon  de  palais 
affecte    une  disposition  particulière 
qui  u'est  point  celle  que  nous  obser- 
vons dans  les  donjons  de  châteaux, 
lesquels  ne  présentent  qu'une  tour 
ou  un  amas  de  logis  fortement  défen- 
dus  par   des  ouvrages   importants, 
comme  l'est,  par  exemple,  celui  du 
château  de  Pierrefonds.  Le  donjon 
du- palais  de  Poitiers  est  à  lui  seul 
un    petit  château ,    possédant  une 
'  grand'salle  k  chaque  étage  et    des 
chambres  dans  les  tours.  Il  affecte 
une  apparence  de  forteresse,  mais  il 
n'est    réellement    qu'un   gros  logis 
éclairé  par  de  larges  baies  et  n'était 
nullement  propre  à  la  défense  ;  il  se  rapproche  de  l'architecture  civile, 


>   ■  C'etl  là,  ditU.  Ch.  de  Cbergù,  dans  mu   Guidt  du  voyageur  àPoiliers,qve  m 
H  trouTe  1«  tour  historique  de  Hauberguoa  {Matkbenj,  Budienccs  en  lieux  couierta,  Mallo- 


—  11    —  [  PALAIS  ] 

elles  tours,  les  luÂchicouiis  ne  sont  là  qu'un  appareil  féodal  ^  Nous  don- 
nons (&g.  5)  une  élévation  du  donjon  du  palais  de  Poitiers,  faite  sur  l'un 
des  petits  côtes.  Aujourd'hui  les  constructions  des  tourssont  dérasées  au 
niveau  N  ;  cependant  les  seize  statues  ont  été  conservées  sur  leurs  culs- 
de-lampe,  quoique  fort  mutilées.  Ces  statues  sont  révolues  de  l'habit 
civil  du  commencement  du  xv*  siècle.  L'artiste  a-t-il  voulu  représenter 
les  comtes  du  Poitou?  C'est  ce  qu'il  est  difficile  de  savoir.  Quoi  qu'il  en 
soit,  elles  sont  d'un  beau  travail.  La  coupe  transversale  du  donjon,  faite 
sur  la  ligne  BC  du  plan  (fig.  6)^  montre  les  deux  salles  inférieures,  avec 
leurs  voûtes  reposant  sur  une  épine  de  trois  piliers,  puis  le  second  étage 
ne  formant  plus  qu'une  grand'salle  sans  piliers.  Au-dessus  se  trouvent 
le  galetas  et  les  chemins  de  ronde  desservant  les  mâchicoulis.  Un  escalier 
à  vis  compris  dans  une  tour  carrée,  autrefois  englobée  dans  les  logis 
bâtis  entre  ce  donjon  et*la  grand'salle,  permet  d'arriver  aux  trois  étages 
par  un  couloir  détourné,  ainsi  que  l'indique  le  plan. 

Les  palais  des  seigneurs  suzerains  laïques  forment  au  milieu  des  villes 
où  ils  sont  situés  une  sorte  d*oppîdum,  de  lieu  à  la  fois  fortifié  et  sacré, 
comme  était  l'acropole  des  villes  grecques.  C'est  dans  le  palais  suzerain 
que  sont  conservées  les  reliques  les  plus  précieuses  et  les  plus  vénérées 
par  le  peuple  ;  c'est  là  que  sont  déposés  les  chartes,  les  trésors  ;  c'est  là 
que  se  tiennent  les  cours  plénières,  que  siègent  les  parlements,  que  se 
passent  les  fêtes  à  l'occasion  du  mariage  des  princes,  des  traités.  Quant 
aux  palais  des  évoques,  ils  ont  un  autre  caractère  qui  mérite  de  fixer 
l'attention  des  archéologues.  Situés  dans  le  voisinage  des  cathédrales 
(ce  qui  est  naturel),  ils  sont  presque  toujours  bâtis  le  long  des  murailles 
ou  sur  les  murailles  mômes  de  la  cité,  et  peuvent  contribuer  à  leur 
défense  au  besoin.  Ce  fait  est  trop  général  pour  qu'il  n'ait  pas  une  ori- 
gine commune.  En  premier  lieu,  il  prouverait  ceci  :  c'est  que  lesévêchés 
se  sont  établis,  primitivement,  sur  quelque  castellum  tenant  aux  murs 
des  villes  gallo-romaines;  en  second  lieu,  que  la  construction  de  ces  palais 
a  dû  précéder  la  construction  des  cathédrales  et  déterminer  leur  empla- 
cement. En  effet,  on  ne  s'expliquerait  pas  comment  la  plupart  de  nos 


«  bergtum),  lieu  où,  dès  l'origine,  et  sous  Gliarleinagne,  Turent  tenues  les  audiences  pu- 
«  bliqnes  et  rendue  la  justice,  et  dont  relevèrent  depuis  tous  les  fiefs  capitaux  de  la  pro- 
«  Tînce.....  Ce  fut  dans  le  palais  de  Poitiers  que  le  dauphin,  fils  de  France,  fut  proclamé 
«  roi  sous  le  nom  de  Charles  VII  (oct.  1&22)  ;  ce  fut  là  encore  que  fut  interrogée,  par  les 
«  docteurs  les  plus  habiles,  Jeanne  d'Arc,  la  Pucelle  (mars  1A29);  ce  fut  là  que  s'assem- 
«  blèrent  les  parlements  de  Paris  et  de  Bordeaux,  au  moment  oh  la  France  presque 
«  entière  était  anglaise.. ••  »  Si  un  monument  est  historique,  c'est  bien  celui-là. 

I  En  effet,  les  saillies  des  ornements  entourant  les  fenêtres,  les  statues  décorant  les 
cylindres  des  tours,  auraient  gêné  beaucoup  le  service  des  mâchicoulis,  si  l'on  eût  voulu 
en  faire  usai^e  en  cas  d'attaque.  M.  de  Mérindol  a  bien  voulu  nous  communiquer  l'excel- 
lent travail  qu'il  a  fait  sur  le  palais  de  Poitiers,  et  c'est  d'après  ses  relevés  très-exacts  que 
nos  dessins  ont  été  réduits. 


(   PALAIS  ]  —   12   — 

plus  anciennes  cathédrales,  rebflties  plusieurs  fois,  loujours  sur  le  mfSTne 
emplacement,  depuis  les  vu"  et  viii*  siècles,  celles  de  Paris,  de  Meaux,  de 


Bourges,  d'Amiens,  de  Soissons,  de  Beauvais,  de  Laon,  de  genlis,  de 
Noyon,  de  Langres,  d'Auxerre,  du  Mans,  d'Évreux,  de  Narbonne,  d'Alby, 
d'AngouIême,  de  Poitiers,  de  Carcassonne,  de  Limoges,  et  tant  d'autres. 


—  IS   —  {   PALAIS   ] 

s'élèvent  plutôt  près  des  ancleos  remparts  qu'au  milieu  mftme  de  Von- 
eeinte  des  cités.  Les  villes  gallo-romaines  possédaient,  ou  un  capîtole. 


ou  an  moins  un  easteliwn,  le  long  d'un  des  fronts  des  remparts,  comme 
sont  encore  nos  citadelles  modernes  ;  c'est  au  milieu  de  ce  capitole 
gallo-romain,  ou  dans  un  de  ces  réduits  voisins  des  remparts,  que  s'im- 
plantent les  premiers  évéchés.  N'oublions  pas  qu'à  la  fin  du  vi'  siècle, 
«  les  évëques  étaient  les  cbefs  naturels  des  villes  ;  qu'ils  administraient 


[  PALAIS  ]  —  14   — 

le  peuple  dans  Tintérieur  de  chaque  cité  ;  qu'ils  le  représentaient  auprès 
des  barbares;  qu'ils  étaient  ses  magistrats  en  dedans,  ses  protecteurs  au 
dehors*.» 

Le  palais  épiscopal  bâti,  la  cathédrale  s'élève  à  côté  ;  et  chaque  fois 
que  la  cathédrale  se  rebâtit  à  neuf,  il  est  rare  que  le  palais  épiscopal  ne 
soit  point  reconstruit  en  même  temps.  Or  il  nous  reste  quelques  plans 
d'évêchés  du  xii"  siècle  et  même  du  xi*.  Ces  plans  présentent  une  dispo- 
sition à  peu  près  uniforme  :  une  grande  salle,  une  chapelle,  une  tour  ou 
donjon,  des  dépendances  mixtes  entre  le  palais  et  la  cathédrale,  et  des 
logis  qui,  probablement,  avaient  peu  d'importance,  puisqu'on  n'en  trouve 
pas  de  traces.  Le  signe  représentatif  du  pouvoir  épiscopal,  à  la  fois  reli- 
gieux et  civil  dans  les  premiers  siècles  du  moyen  âge,  c'est  la  grande 
salle,  curie  canonique  et  civile,  au  besoin  forteresse,  qui  devient  plus 
tard  l'offlcialité  et  la  salle  synodale.  L'évéché  de  Paris,  reconstruit  par 
l'évoque  Maurice  de  Sully,  vers  1160,  conservait  encore  ce  caractère;  il 
ne  faisait  d'ailleurs  que  remplacer  un  palais  plus  ancien  dont  les  fonda- 
tions, découvertes  par  nous  en  18/i5  et  1846,  peuvent  passer  pour  une 
structure  gallo-romaine.  C'était  la  résidence  dont  parle  Grégoire  de  Tours, 
et  qui  existait  de  son  temps.  Dans  la  chapelle  palatine  épiscopale,  dont 
nous  avons  vu  encore  les  restes  en  1830,  on  lisait  cette  inscription  rap- 
portée par  le  P.  Dubreul  *  :  «  Hœc  basilica  (la  chapelle)  consecrata  est  a 
Domino  Mauritio  Parisiensi  episcopo^  in  honore  beatœ  Mariœ^  beatofum  mar~ 
tyrum  Dionysii^  Vincentii^  Mauritii,  et  omnium  sanciorum,  »  Or,  ce  palais 
reconstruit  par  Maurice  de  Sully  se  composait  d'une  grande  salle,  avec 
bâtiments  tenant  au  chœur  de  la  cathédrale,  qu'il  réédifiait  en  même 
temps,  et  d'une  chapelle.  Des  logements  privés  du  prélat,  nulle  trace. 
Voici  (fig.  7)  le  plan  du  rez-de-chaussée  de  ce  palais  épiscopal  du 
XIV  siècle  : 

En  A  était  la  chapelle,  en  B  le  donjon,  en  G  la  grande  salle,  qui  alors 
ne  s'étendait  pas  au  delà  du  mur  pignon  D.  Le  chœur  de  la  cathédrale, 
rebâti  par  Maurice  de  Sully,  est  en  Ë  ;  la  salle  F  servait  de  trésor  au  pre- 
mier étage,  avec  escalier  de  communication  entre  le  palais  et  le  chœur, 
et  de  sacristie  au  rez-de-chaussée.  La  grande  salle  au  premier  étage  for- 
mait un  seul  vaisseau  voûté.  Ici  la  muraille  gallo-romaine  de  la  cité  passe 
en  M,  sous  la  cathédrale  et  au  delà  de  son  abside,  et  en  creusant  les  fon- 
dations de  la  nouvelle  sacristie,  nous  avons  retrouvé  une  substruction 
de  la  même  époque  en  G  et  en  P.  Il  semblerait  donc  que  les  évêques  de 
Paris  avaient  profité  d'un  saillant  formé  par  les  défenses  de  la  cité, 
d'une  sorte  de  castellum,  pour  y  enfermer  le  palais  épiscopal.  Le  mur 
méridional  de  la  grande  salle  était  môme  bâti  sur  les  fondements  de 
l'enceinte  gallo-romaine,  et  fut  encore  crénelé  par  Maurice  de  Sully. 


1  Guizot,  Hist.  de  la  civilisât,  en  France ,  viii*  leçon. 

2  Le  Théâtre  des  antiquités  de  Paris,  1612^  p.  A3. 


—  15   —  [  PALAIS  ] 

Alors,  dit  le  P.  Dubreul,  n  l'evesque  et  les  siens  alloicnt  de  la  grande 
«salle  à  la  grande  église  (la  cathédrale)  par  une  gallerie  (l'aile  P), 


■  laquelle  messieurs  les  Ponchers  successeurs  evesques  (du  xvi'  siècle) 
a  ODl  depuis  quittée  aux  chanoiues  qui  y  mettcut  les  reliques  et  les  plus 
•  beaux  oruemens.  Depuis  messire  Pierre  d'Urgcmont  (commencement 


[   PALAIS  ]  —   16   — 

«  du  xv^  siècle)  fit  bastir  le  second  corps  d'hostel,  qui  a  veuë  tant  sur  le 
«jardin  que  sur  le  lieu  dict  (c'est  le  bâtiment  H).  Longtems  après 
«  messire  Ëstienne  de  Poncher  (commencement  du  xvi*  siècle),  cent 
«deuxième  evesque  de  Paris,  fit  œdifier  le  bastiment  joignant  le  vieil, 
«  lequel  est  vis  à  vis  de  Téglise,  où  est  à  présent  la  geoUe  et  autres  de- 
«  meures  (c'est  le  corps  de  logis  doublé  en  K).  Messire  François  de  Pon- 
«cher,  son  neveu  et  successeur,  fit  bastir  le  troisième  corps  d'hostel,  qui 
«  est  derrière  la  chappelle  (c'est  le  logis  L).  En  ce  lieu  auparavant  estoient 
(des  écuries  et  quelques  maisonnettes  où  demeuroient  les  quatre  cha- 

«noines  de  la  basse  chappelle »   La  chapelle  avait  en  effet  deux 

étages,  comme  celle  de  Meaux,  et  plus  tard  celle  de  Reims.  Les  construc- 
tions 0  dataient  seulement  du  xvii*  siècle,  et  en  H  étaient  des  logis  qui 
furent  cédés  à  THÔtel-Dieu.  Le  pont  f^ux  Doubles  S  fut  élevé  plus  tard, 
après  tous  ces  bâtiments.  Les  évoques  de  Paris  n'avaient  pas  que 
ce  palais  ne  renfermant  pendant  plusieurs  siècles  qu'une  grande  salle. 
Hugues  de  Besançon,  en  1326,  avait  son  hôtel  rue  des  Amandiers. 
Guillaume  de  Chanac,  son  successeur,  logeait  dans  la  rue  de  Bièvre, 
et  donna  son  logis  pour  la  fondation  du  collège  de  Chanac  ou  de  Saint- 
Michel.  Pierre  d'Orgemont,  qui  bâtit  l'annexe  K  à  la  grande  salle  du 
palais  épiscopal,  hérita  de  Thôtel  des  Tournelles  qui  appartenait  au 
chancelier  d'Orgemont,  son  père,  et  le  vendit  au  duc  de  Berry,  dont  il 
était  le  chancelier.  Girard  de  Montagne  avait  une  maison  rue  des  Mar- 
mousets et  une  autre  rue  Saint-André-des-Ars  *.  Le  long  de  la  rivière  et 
derrière  l'abside  de  la  cathédrale  s'étendaient  des  jardins  qui  touchaient 
au  cloître  du  chapitre  bâti  vers  le  nord- est.  La  grande  salle  crénelée  du 
xii*  siècle,  avec  son  annexe  élevée  par  Pierre  d'Orgemont  au  commen- 
cement du  XV*  siècle,  son  donjon  et  sa  chapelle  à  deux  étages,  avait  fort 
grand  air  du  côté  de  la  rivière,  ainsi  que  le  fait  voir  la  perspective  (fig.  8) 
prise  du  point  Y  ^  avant  les  adjonctions  0  et  la  construction  du  pont 
aux  Doubles. 

Un  des  palais  épiscopaux  les  plus  anciens,  celui  d'Angers,  construit 
vers  la  fin  du  xi*  siècle,  conserve  encore  sa  grande  salle  romane  d'un 
beau  style  (voy.  Salle),  et  des  dépendances  assez  considérables  qui  da- 
tent de  la  môme  époque.  Des  travaux  récents,  dirigés  par  l'architecte 
diocésain,  M.  Joly  Leterme,  ont  fait  reparaître  une  partie  des  logements 
entourant  cette  grande  salle  ^,  qui  est  mise  en  communication  directe 


1  Sauvai,  Uv.  Vil. 

2  Voyes  la  tapisserie  de  l'Hôtel  de  ville  ;  le  Plan  de  Gomboust  ;  le  grand  Plan  de  Paris 
à  vol  d*oiseau,  de  Mérian;  les  vues  d'Israël  Sylvestre,  celle  de  Pérelle;  le  Plan  delà 
Cité,  de  l'abbé  Dclagrive;  les  plans  et  coupes  déposés  aux  Archives  de  l'empire,  et  dont 
M.  A.  Berty  a  eu  l'obligeance  de  nous  communiquer  des  calques;  une  gravure  du  parvis 
Notre-Dame,  par  L.  van  Merlen,  qui  montre  le  couronnement  du  bâtiment  H. 

'  Voy  es  dans  le  tome  II  de  V  Architecture  civile  et  domestique  de  MM.  Vcrdier  et 
Cattois,  page  201,  le  plan  du  palais  épiscopal. 


—   n   —  [  PALAIS    J 

aïec  le  bras  de  croix  nord  de  la  calhédrale.  On  remarque  méiiie  certaines 
portions  de  murs  de  ce  palais  qui  ont  tout  à  faîl  le  caractère  de  la  struc- 
turegallo-romaine  des  bas  temps,  et  qui  pourraient  bien  avoir  appartenu, 


ainsi  que  l'observe  H.  le  docteur  Cattois,  à  la  demeure  que  l'ancien 
maire  du  palais  de  Neustrie,  Hainfroy,  aurait  fait  construire  i  Angers, 
sur  l'emplacement  du  capitole.  A  l'évëché  de  Meaux,  il  existe  une  cha- 
pelle à  deux  étiiges,  de  la  seconde  moitié  du  xii"  siècle,  ayant  les  plus 


[    l'ALAIS  1  —   18   — 

grands  rapports  avec  celle  de  l'ancien  évôchc  de  Paris,  el  l'élage  infé- 
rieur de  la  graud'salle.  Ce  rez-de-cUaussée,  comme  celui  de  ia  grand'- 
saite  du  palais  épiscopal  de  Paris,  se  compose  de  deux  nefs  voûtées. 
Le  palais  de  Mcaux  est  également  bâti  à  proxiinilé  des  remparts  gallo- 
romains.  A  Soissons,  l'évCché  repose  sur  une  partie  de  lu  muraille  anti- 
que, mais  des  constructions  de  l'ancien  palais  il  ne  reste  qu'une  tourelle 
du  commencem^i  du  \ni*  siècle  et  quelques  substructions  de  la  même 
époque.  A  Beauvais,  le  palais  épiscopal  joignait  l'ancienne  fortiQcation 
romaine,  et  une  tourelle  datant  du  xir  siècle  Oauquait  même  le  vieux  mur 
romain  '.  A  Reims,  l'étage  inférieur  de  la  graud'salle  date  du  commen- 
cement du  XIII*  siècle,  et  iachapelle  à  deux  étages,  du  milieu  du  xiii'  siècle 
(voy.   Cuapelle).  A  Auxerrc, 
l'un  des  pignons  de  la  graud'- 
salle existe  encore,  et  date  du 
milieu  du  xiii'  siècle,  comme 
le  chœur  de  la  cathédrale  ; 
une  galerie  du  xii'  siècle  re- 
pose sur  l'ancien  mur  de  la 
ville  gallo-romaine.  A  Rouen, 
on     trouve    également    des 
restes  assez  considérables  da 
XIII'' siècle,  et  notamment  l'un 
des  pignons  de  la  grand'salle. 
A  Laon,  l'assemblage  des  bâ- 
timents de  l'évôché  (aujour- 
d'hui palais  de  justice)  est  des 
plus   intéressants  à  étudier. 
Ce  palais  fut  reconstruit  après 
l'incendie  de  1112,  qui  dé- 
truisit l'ancienne  cathédrale 
et  les  bâtiments  environnants. 
En  effet,  on  retrouve  dans 
l'évèobé  de  Laon  des  parties 
de  bâtiments  qui  appartien- 
nent au  style  de  la  première 
moitié  du  xii'  siècle,  notam- 
ment la  chapelle  A  (figure  9) 
et  les  corps  de  logis  B.  Quant 
,^  àlagrand'salleCélevéesurun 
■rez-de-chaussée  doublé  d'un 
portique  du  côté  de  la  cathé- 
drale, sa  construction  est  due 
à  1  évèque  Garnier  (12Û5).  La  grand'salle  s'éclaire  sur  la  cour  0  et  sur  la 

'  Celle  lourelle  eiisU  u.icoic.  [  Vuj.  l'.i.tftrf.eù .  cl  dom.  de  MM.  Verdier  cl  Callub,  1. 1.) 


—   19 [   PALAIS   ] 

campagne.  Le  portique  intérieur  fut  remanié  à  uneépoque  ancienne  déjà. 
Les  arcs  furent  reconstruits,  les  appuis  des  fenêtres  baissés  ;  on  a  la  preuve 
de  ce  remaniement  en  observant  l'arcade  unique  de  retour  E  dont  la  cour- 
bure et  Tornementation  primitives  sont  conservées.  L'aspect  de  ce  grand 
corps  de  logis,  sur  l'extérieur,  devait  être  fort  beau  avant  les  mutilations 
qui  en  ont  alléré  le  caractère.  Cette  façade  qui  domine  la  muraille  de  la 
ville  passant  parallèlement  à  quelques  mètres  de  sa  base,  est  flanquée  de 
trois  tourelles  portées  sur  des  contre-forts,  et  entre  lesquelles  s'ouvrent 
les  fenêtres  delà  grand'salle  au  premier  étage.  Le  couronnement,  autre- 
fois crénelé,  pouvait  au  besoin  servir  de  seconde  défense  par-dessus  les 
remparts  de  la  cité,  dominant  un  escarpement  abrupt.  Voici  (fig.  10)  une 
vue  de  cette  façade  extérieure  prise  du  point  P.  Au  xv*  siècle,  les  évoques 
de  Laon  (voy.  le  plan ,  fig.  9)  élevèrent  les  deux  corps  de  logis  F  et  G.  Une 
porte  fortifiée  était  ouverte  en  K. 

Le  portique  occupant  une  moitié  de  la  longueur  de  la  grand'salle  du 
côté  de  la  cour  donne  h  ce  palais  épiscopal  une  physionomie  particulière. 
Cette  galerie,  exposée  au  midi  sur  un  plateau  où  la  température  est  ha- 
bituellement froide,  servait  de  promenoir,  et  contribuait  à  l'agrément  de 
l'habitation.  Le  palais  épiscopal  de  Laon,  comme  ceux  que  nous  venons 
de  décrire  précédemment,  n'en  était  pas  moins  un  lieu  fortifié  très-bien 
situé,  facile  à  garder  et  à  défendre.  Nous  voyons  que  le  palais  archiépis- 
copal de  Narbonne,  dans  le  Languedoc,  bien  que  rebâti  à  la  fin  du 
xiii*  siècle  et  pendant  le  xiv«,  est  encore  une  véritable  place  forte  élevée 
probablement  sur  l'emplacement  du  capitole  de  la  ville  romaine.  C'est 
après  le  palais  des  papes,  en  France,  la  construction  la  plus  importante 
qui  nous  reste  des  nombreuses  résidences  occupées  par  les  princes  de 
l'Église. 

Le  palais  archiépiscopal  de  Narbonne  est  réuni  à  la  cathédrale  actuelle, 
fondée  en  1272,  par  un  cloître  bâti  par  l'archevêque  Pierre  de  la  Jugée, 
dans  la  seconde  moitié  du  xiv*  siècle.  Déjà,  en  1308,  la  grosse  tour  carrée 
du  palais,  servant  dedonjon,  avait  été  construite  par  l'archevêque  Gilles. 
Pierre  de  la  Jugée  éleva  entre  le  cloître  et  cette  tour  des  bâtiments  con- 
sidérables qui  subsistent  encore  en  grande  partie,  et  qui  comprennent 
plusieurs  tours  rondes,  des  logis,  une  grand'salle  et  une  autre  tour  car- 
rée formant  pendant  avec  le  donjon.  Cependant,  au  milieu  de  ces  con- 
structions du  XIV*  siècle,  on  retrouve  encore  une  tour  romane  fort  an- 
cienne, et  une  belle  porte  du  commencement  du  xii*  siècle. 

Les  archevêques  de  Narbonne  furent,  il  est  vrai,  pendant  une  partie  du 
moyen  âge,  des  seigneurs  puissants,  et  leur  palais  acquit,  dès  le  xi*  siècle, 
une  importance  en  rapport  avec  leur  fortune.  En  1096,  l'archevêque  Dal- 
matius  prit  le  titre  de  primat  des  Gaules.  La  ville  de  Narbonne  avait  d'ail- 
leurs conservé  en  partie,  comme  beaucoup  de  villes  du  Midi,  son  admi- 
nistration municipale  romaine. 

La  commune  possédait  jusqu'au  xii*  siècle  des  conseillers  qui  prenaient 
le  titre  de  nobiles  viri  ou  probi  hommes.  Alors  on  les  appela  consuls,  ou 


[    PALAIS    ]  —   20   — 

plutôt  cùsaouls.  Cotle  commune  fit  en  1106  un  Imité  de  commerce  avec 
la  république  de  Gi>nes,  el  plus  lartl  avec  Pise,  Marseille,  llhodes,  etc. 
En  1212.  Armand  Amalaric,  légat  du  pape  el  archevCque  de  Narbonne, 


se  déclara  duc,  et  le  vicomte  lui  rendit  hommage.  Alors  la  ville  étail  sous 
la  juridiction  de  trois  seigneurs,  l'archevCque,  le  vicomte  et  l'abbé  de 
Saint-Paul  \  en  1232,  ces  trois  personnages  confirmèrent  les  franchises 
et  coutumes  de  la  commune.  Cependant,  en  123A,  les  consuls  de  Nar- 


—   21    —  [  PALAIS   ] 

bonne  invoquent  le  secours  des  consuls  de  Nîmes  contre  l'archevêque^  et 
en  1255  les  magistrats  municipaux  ordonnent  que  les  coutumes  de  la  ville 
seront  traduites  du  latin  en  roman,  afin  de  les  mettre  à  la  portée  de  tous. 
Les  vicomtes,  moins  puissants  que  les  archevêques,  inclinent  à  protéger 
les  prérogatives  des  Narbonnais^  et  c'est  en  présence  de  cette  lutte  crois- 
sante contre  le  pouvoir  des  seigneurs  archevêques,  que  Gilles  Ascelin 
construit,  en  1318,  l'énorme  tour  encore  intacte  aujourd'hui,  et  que  ses 
successeurs  font,  de  leur  résidence,  un  véritable  château  fort,  se  reliant 
à  la  cathédrale  fortifiée  elle-même  *. 

Ce  mélange  d'architecture  militaire,  religieuse  et  civile,  fait  donc  du 
palais  archiépiscopal  de  Narbonne  un  édifice  des  plus  intéressants  à  con- 
naître. Disons  d'abord  qu'il  ne  faut  pas  chercher  là  des  influences  de  l'art 
italien  du  siV"  siècle  ;  cet  édifice  est  bien  français,  et  plutôt  français 
septentrional  que  languedocien.  Ses  combles  étaient  aigus,  ainsi  que  le 
prouvent  plusieurs  des  pignons  existants;  la  construction  des  voûtes,  les 
sections  des  piles,  le  cloître  et  ses  détails,  la  forme  des  fenêtres^  les  dis- 
positions défensives,  et  jusqu'à  l'appareil,  appartiennent  à  l'architecture 
du  domaine  royal  ;  et  le  palais  archiépiscopal  de  Narbonne  est  d'autant 
plus  curieux  à  étudier,  qu'il  dut  servir  de  point  de  départ  pour  construire 
le  palais  des  papes  à  Avignon,  dont  nous  nous  occuperons  tout  à  l'heure. 

Voici  (fig.  il)  le  plan  du  palais  des  archevêques  de  Narbonne,  à  rez- 
de-chaussée.  En  A,  est  la  cathédrale,  commencée,  comme  nous  l'avons 
dit,  en  1272,  sur  un  plan  français  (voy.  Cathédrale,  fig.  /i8).Une  place 
fort  ancienne  *,  et  qui,  très-vraisemblablement,  occupe  l'emplacement 
du  forum  de  la  ville  romaine,  est  en  6.  Les  fondations  du  capitole  antique 
commandèrent  la  disposition  des  bâtiments,  qui  se  contournent  en  par- 
tant de  l'angle  C  jusqu'à  la  cathédrale.  En  D,  est  une  tour  romane,  et  en 
E,  des  bâtiments  dont  quelques  parties  appartiennent  au  xii*  siècle.  La 
grosse  tour  carrée,  bâtie  par  Gilles  Ascelin  en  1318,  est  en  F.  Elle  est 
plantée  sur  la  place,  en  face  de  la  tour  du  vicomte,  beaucoup  plus  basse; 
elle  dominait  par  conséquent  la  tour  du  seigneur  laïque  et  le  canal  se 
reliant  au  port,  lequel  passe  à  10  mètres  environ  du  point  C.  De  la  place  6 
au  cloître  G,  le  terrain  s'élève  de  5  mètres  environ.  On  entrait  dans  la 
cour  H  du  palais,  en  passant  sons  un  arc  I,  en  prenant  une  rue  K  bordée 
de  bâtiments  fortifiés,  et  en  franchissant  le  grand  porche  voûté  L.  En  0, 
était  la  salle  des  gardes,  communiquant  au  rez-de-chaussée  de  la  tour  dite 
Saint-Martial,  U,  par  un  emmarchement  intérieur.  Toutes  ces  disposi- 
tions sont  à  peu  près  intactes.  En  passant  de  la  rue  K,  sous  une  arcade  P 
fortifiée,  on  arrive  à  un  degré  Q  qui  monte  au  cloître,  lequel  commu- 
nique à  la  cathédrale  par  une  porte  R. 

De  la  cour  H,  en  descendant  le  degré  S,  terminé  par  un  ciel  ouvert  S', 

>  Nous  devons  ces  renseignements  historiques  à  M.  Tournai,  conservateur  du  Musée 
de  Narbonne. 

^  Dite  aujourd'hui  l«i  place  aux  Herbes. 


[    PALAJS   ]  _   22   — 

et  prenniit  u  gauche  un  souterrain  passant  sous  le  grand  logis  V,  on  arri- 
vait à  une  poterne  T,  donnant  dans  un  fossé  qui  séparait  tout  le  front  ab 
d'un  jardin,  formant  ouvrage  avancé.  Le  grand  logis  V  est,  à  rez-de-chaus- 
sée, occupé  par  des  celliers  disposés  sous  la  (^rand'sallo.  De  la  cour  H, 


on  montait  aux  appartements  par  un  escalier  X,  détruit  aujourd'hui', 
En  d,  d',  étaient  des  portiques,  et  en  Z  un  bâtiment  en  retraite  qui  réu- 
nissait la  grosse  tour  à  la  tour  Saint-Martial. 
Cette  dernière  partie,  dont  on  ne  voyait  que  des  fragments  avant  18Û7, 

■  Cet  escalier  tut  délruil  vers  1620,  et  remplacé  pur  un  bel  escalier  placé  dans  la  tour  Y. 
C'est  de  1620  à  163A  que  turent  élevées  <lc  nouTellcs  façades  dant  In  cour,  cl  que  turenl 
arrangées  les  grands  appartements  acluellement  occupés  en  partie  par  le  musée  de  l»  Tille. 
Nous  arons  retrouvé  le;  traces  des  ToniIntioDs  de  l'escalier  X. 


—   23   —  [  PALAIS    ] 

enclavée  dans  des  constructions  beaucoup  plus  récenleS)  a  été  rasée  pour 
faire  place  au  nouveau  bâtiment  de  Thôtei  de  ville.  Mais  ayant  été  chargé 
de  diriger  cette  dernière  construction,  nous  avons  pu  constater  la  dispo- 
sition des  grands  contre-forts  avec  mâchicoulis  M,  et  du  petit  corps  de 
garde  N  avec  sa  poterne  n.  Les  bâtiments/?,  dits  de  la  Madeleine,  sont  les 
plus  anciens.  Ils  se  composent  d'un  rez-de-chaussée  voûté  et  d'une  grande 
salie  t^  également  voûtée,  sous  une  belle  chapelle  disposée  au  premier 
étage  ;  cette  salle  t  communiquait  avec  le  passage  dit  de  l'Ancre  *  par  deux 
portes  W.  Ces  portes  VV  devaient  permettre  au  public  d'entrer  dans 
la  salle  t^  qui  servait  de  chapelle  basse.  Une  cour  de  communs  était  dis- 
posée en  m  avec  un  petit  logis  e  fortifié.  L'enceinte  de  l'archevêché  allait 
rejoindre  celle  de  la  cathédrale  par  un  mur  /",  également  fortifié.  En  g, 
est  une  grande  salle  capitulaire.  L'abside  de  la  cathédrale  continuait  les 
défenses  de  ce  côté  /"par  une  suite  de  tourelles  crénelées  réunies  par  des 
arcs  surmontés  de  créneaux,  ainsi  que  les  couronnements  des  chapelles. 
Ce  palais  présentait  donc  un  ensemble  de  défenses  formidables  domi- 
nées par  l'énorme  tour  carrée  F,  formant  saillie. 

Examinons  maintenant  le  plan  du  premier  étage  de  ce  palais  (fig.  12). 
L'escalier  X  permettait  d'arriver  directement  de  la  cour  à  la  grande 
salle  V,  possédant  une  vaste  cheminée  dont  on  voit  encore  les  traces  à 
l'extérieur.  Cette  grande  salle  était  éclairée  par  de  hautes  fenêtres  termi- 
nées de  tiers-point,  et  couverte  au  moyen  d'arcs  plein  cintre,  portant  un 
solivage  au-dessus  duquel  était  un  étage  lambrissé  donnant  sur  le  créne- 
iage  extérieur.  De  la  grande  salle  on  pouvait  arriver  à  tous  les  apparte- 
ments. Des  escaliers  à  vis  permettaient  de  descendre  au  rez-de-chaussée 
sur  plusieurs  points,  ou  de  monter  aux  étages  supérieurs.  On  voit  qu'on 
ne  pouvait  entrer  dans  la  salle  octogonale  de  la  tour  carrée  que  par  un 
passage  détourné,  et  de  cette  salle  octogonale  on  descendait  par  une 
trappe  dans  la  salle  circulaire  du  rez-de-chaussée,  laquelle  servait  de 
charire  ou  de  cachot.  De  larges  mâchicoulis  s'ouvrant  au  second  étage,  à 
la  hauteur  du  crénelage,  défendaient  le  front  ab.  Ici  on  reconnaît  l'utilité 
des  passages  pratiqués  en  I  et  en  P,  sur  les  deux  arcades  franchissant  la 
rue  K  ;  ils  établissaient  une  comnlunication  entre  le  logis  L  et  celui  T  de 
la  Madeleine,  et  entre  la  tour  Saint-Martial  U  et  la  chapelle  M.  Le  cloî- 
tre, couvert  en  terrasse,  donnait  une  promenade  d'où  l'on  pouvait  jouir 
de  la  vue  étrangement  pittoresque  de  tous  ces  grands  bâtiments  se  dé- 
coupant les  uns  sur  les  autres,  surmontés  d'un  côté  par  la  grosse  tour 
carrée,  de  l'autre  par  l'abside  colossale  de  la  cathédrale.  , 

Ces  constructions  sont  élevées  en  belles  pierres  de  Sijean  et  de  Béziers; 
elles  couvrent  une  surface  de  4000  mètres  environ,  déduction  faite  des 
cours  :  et  malgré  les  nombreuses  mutilations  qu'elles  ont  subies,  bien 
que  des  couvertures  plates  modernes  et  sans  caractère  aient  remplacé 

'  On  désignait  ainsi  ce  pcutsnge,  parce  que  sous  l'arcade  1  était  suspendue  une  ancre, 
cofunie  signe  des  droits  que  les  archevêques  possédaient  sur  le  port  de  Narbonue. 


[   PALAIS    ]  —   2(1   — 

les  ancicimes  toitures  à  pentes  rapides,  bien  que  des  adjonctions  misé- 
rables ou  l'ubandon  aient  détruit  plusieurs  de  leurs  parties  les  plus  inté- 
ressantes, elles  ne  laissent  pas  d'eu  imposer  par  leur  grandeur  et  leur 
puissance. 


Nous  donnons  (lig.  13)  une  vue  cavalière  de  ce  palais,  prise  du  c6téde 
la  g^'osse  tour  carrée  (voy.  Cloitiie,  Salle,  Tour).  Mais  ce  palais  des 
archevêques  de  Narbonne  est  un  pauvre  logis,  si  on  le  compare  au  palais 
des  papes  à  Avignon.  Il  est  nécessaire,  pour  faire  comprendre  l'impor- 
tance de  cette  résidence  des  souverains  pontiTes,  de  donner  un  historique 
sommaire  de  leur  séjour  dans  le  comtat  Venaissîn. 

Au  xiu*  siècle,  le  rocher  d'Avignon,  sur  lequel  devait  s'élever  le  palais 
des  papes,  était  partie  en  pâturages,  partie  couvert  d'habitations  domi- 
nées par  l'ancien  château  ou  paluis  du  podestat,  non  loin  duquel  s'élevait 


—  25   —  [    PALAIS   1 

celui  de  l'évéque'.  De  ces  constructions  antérieures  au  séjour  des  pon- 


tifes, l'église  Notre-Dame  des  Doms,  servant  de  cathédrale,  existe  seule 
aujourd'hui. 


'   •  Item  cifitiB  (Aienloni»)  hab«t  patuum  qnod  eit  juili  cimclerium  Saacti  Beiiedicti 
•  UMjue  ad  rupem  cattrîcuni  iKrliueutiiii  nuit  uaque  ail  KhodaDuai  et  u>qu«  ad  ilotuua  i|u<i 

VII.  —  U 


[    PALAIS   ]  —  26   — 

Le  pape  Clément  V  vint  à  Avignon  en  1308,  et  habita  le  couvent  des 
Frères  prêcheurs  (Dominicains).  Clément  V  était  Bertrand  de  Grotte, 
archevêque  de  Bordeaux  ;  ce  prélat  passait  pour  être  Tennerai  du  roi  de 
France,  Philippe  le  Bel.  Ce  prince  eut  avec  lui  une  entrevue  ;  «  Arche- 
«  vôque,  lui  dit-il,  je  puis  te  faire  pape  si  je  veux,  pourvu  que  tu  pro- 
«  mettes  de  m'octroyer  six  grâces  que  je  te  demanderai.  »  Bertrand 
tomba  à  ses  genoux,  et  lui  répondit  :  «  Monseigneur,  c'est  à  présent  que 
«  je  vois  que  vous  m'aimez  plus  qu'homme  qui  vive,  et  que  vous  voulez 
«  me  rendre  le  bien  pour  le  mal.  Commandez  et  j'obéirai.  »  Bertrand  de 
Grotte  fut  élu,  et  vint  s'établir  en  France  à  Avignon. 

Jean  XXII  habita  le  palais,  alors  situé  sur  l'emplacement  du  palais 
actuel  des  papes  (1316). 

C'est  Armand  de  Via,  son  neveu,  évêque  d'Avignon,  qui,  n'ayant  point 
de  palais,  acheta  le  terrain  où  fut  bâti  l'archevêché,  aujourd'hui  occupé 
par  le  petit  séminaire.  Jean  XXII,  voulant  agrandir  le  palais  qu'il  habi- 
tait, fit  démolir  la  paroisse  de  Saint-Étienne,  qu'il  transféra  à  la  chapelle 
Sainte-Madeleine. 

Benoît  XII,  en  1336,  fit  démolir  du  palais  tout  ce  que  son  prédécesseur 
avait  fait  construire,  et  d'après  les  plans  de  l'architecte  Pierre  Obreri*, 
fit  bâtir  la  partie  septentrionale  du  palais  apostolique,  qu'il  termina  par 
la  tour  de  Trouillas.  Sous  ce  pontife,  la  chambre  apostolique  acheta  le 
palais  qu'avait  fait  bâtir  Armand  de  Via  pour  servir  d'habitation  aux 
évêques  d'Avignon.  Clément  VI  fit  construire  la  façade  méridionale  du 
palais  des  papes  et  les  enceintes  du  midi  qui,  dans  la  suite,  servirent  à 
contenir  l'arsenal. 

C'est  en  13^7  seulement  que  la  ville  d'Avignon  et  lecomtat  Venaissin 
devinrent  la  propriété  des  papes.  Avignon  appartenait  à  Jeanne  de  Naples, 
qui  était  comtesse  de  Provence  en  même  temps  que  reine  des  Deux- 
Siciles.  Chassée  de  Naples  comme  soupçonnée  de  complicité  avec  les 
assassins  de  son  mari,  André  de  Hongrie,  Jeanne  se  réfugia  en  Provence, 
et  vint  se  jeter  aux  pieds  de  Clément  VI.  Lorsqu'elle  quitta  Avignon 
pour  retourner  dans  ses  États  d'Italie,  elle  était  déclarée  innocente  du 
crime  dont  la  voix  publique  l'accusait;  elle  était  munie  d'une  dispense 
pour  épouser  son  cousin  Louis  de  Tarente,  le  principal  instigateur  de 
l'assassinat  d'André.  Avignon  et  le  comlat  Venaissin  appartenaient  au 
pape.  Cette  cession  avait  été  stipulée  au  prix  de  80  000  florins. 

Innocent  VI  acheva  la  partie  méridionale  et  la  grande  chapelle  supé- 
rieure. Urbain  V  fit  tailler  dans  le  roc  l'emplacement  de  la  cour  princi- 

(1  possidentur  pro  Hugone  Bcrtraudo  et  sicut  protenditur  usque  adstare  Bertrandi  Hu« 
«  gonis  et  usque  ad  cimetcriuni  ecclesie  Bcate  Marie  et  usque  ad  ecclesiam  béate  Marie 
«  de  Castro.  »  (Bibl.  d'Avignon^  fonds  Requien,  cartul.  des  statuts.  Invent  des  biens  de 
la  rcpubl.  d'Avignon  fait  en  1234  par  le  podestat  Parceval  de  Doria.)  -^  Gonimuniqué 
par  M.  Achard^  archiviste  de  la  préfecture  de  Vaucluse. 

1  Ou  Pierre  Obrier,  selon  les  Annales  d'Avignon,  t.  III.  —  Manuscrit  donné  au  musée 
d*Avignonpar  M.  Requien;  couim.  par  M.  Acbard,  archiviste  de  la  préfecture. 


—  27   —  [  PALAIS  ] 

pale  du  palais^  ety  fit  creuser  un  puit?;  il  fit  construire  Taile  crienlale 
donnant  sur  des  jardins,  et  ajouta  une  septième  tour,  dite  des  Anges,  aux 
six  déjà  bâties. 

Grégoire  XI  part  pour  Rome  en  1376,  et  meurt  en  1378.  Ainsi  le  palais 
d'Avignon  a  été  le  siège  de  la  papauté  de  1316  à  1376,  pendant  soixante 
ans,  sous  six  papes.  La  papauté  était  alors  française,  élue  principalement 
parmi  les  prélats  gascons  et  limousins.  Les  papes  français  installèrent 
des  candidats  de  leur  choix  au  sein  du  sacré  collège,  et  maintinrent  leur 
prédominance  pendant  la  durée'du  séjour  des  papes  à  Avignon.  Il  ne  faut 
pas  oublier  ce  fait,  qui  eut,  comme  nous  le  verrons  tout  à  l'heure,  une 
influence  sur  la  construction  du  palais  des  papes  d'Avignon. 

Les  antipapes,  Clément  VII  et  Benoît  XIIÏ,  occupèrent  le  palais  d'Avi- 
gnon de  1379  à  1408  (mars). 

Benoit  XIII  fut  assiégé  dans  le  palais  par  le  maréchal  Boucicaut,  le 
8  septembre  1398;  le  siège  fut  converti  en  blocus  jusqu'après  le  départ 
de  ce  pontife,  en  1403.  Hoderic  de  Luna,  neveu  de  Benoît  XIII,  iut  de 
nouveau  assiégé,  ou  plutôt  bloqué,  par  les  légats  du  pape  de  Rome  ei 
par  Charles  de  Poitiers,  envoyé  par  le  roi  de  France  en  1409.  Il  évacua 
le  palais,  ainsi  que  le  château  d'Oppède,  par  capitulation  en  date  du 
22  novembre  1411. 

Le  cardinal  légat  (cardinal  de  Clermont]  fit  bâtir  en  1513  l'apparte- 
ment appelé  la  Mirande,  regardant  le  midi,  et  la  galerie  couverte  qui 
mettait  en  communication  ces  appartements  avec  les  tours  donnant  sur 
le  jardin  :  c'était  là  que  les  vice-légats  recevaient  leurs  visites. 

On  a  tenu  dans  le  palais  d'Avignon  six  conclaves  : 

Celui  pour  l'élection  de  BenoH  XII,  en  1335  ;  de  Clément  VI^  en  1342  ; 
d'Innocent  VI,  en  1352;  d'Urbain  V,  en  1362  ;  de  Grégoire  XI,  en  1370, 
et  de  Benoit  Xin,  en  1394. 

A  la  suite  d'un  conflit  qui  eut  lieu  entre  les  gens  du  pape  et  ceux  du 
duc  de  Créquy,  ambassadeur  de  Louis  XIV  près  le  saint-siège,  les  satis- 
factions demandées  à  la  cour  de  Rome  paraissant  insuffisantes^  le  roi  de 
France  fit  occuper  Avignon  par  ses  troupes,  et  menaça  le  souverain  pon- 
tife d'envoyer  un  régiment  à  Rome  (1662).  Le  général  Bonaparte,  par 
le  traité  de  Tolentino,  obtint  la  cession  des  Romagnes  et  du  comtat 
d'Avignon. 

Ainsi,  en  soixante  années,  les  papes  firent  bâtir  non-seulement  cette 
résidence,  dont  la  masse  formidable  couvre  une  surface  de  6ù00  mètres 
environ,  mais  encore  toute  l'enceinte  de  la  ville,  dont  le  développement 
est  de  4800  mètres. 

En  1378,  un  incendie  détruisit  presque  tous  les  combles  du  palais  des 
papes^  En  1413,  la  grande  salle  du  Consistoire,  le  quartier  des  cuisines 

I  On  Yoit  encore  aujourd'hui  les  traces  de  ce  sinistre  dans  les  parties  supérieures  de 
rédifice.  «  L*an  1378,  h  l'heure  du  trépas  du  pape  Grégoire  XI  à  Rome,  selon  les  vieux 
«  documents  de  Provence,  le  palais  d'Avif^on  s'omhrnsn  par  telle  fureur,  qu'il  ne  fut  ja- 


[    PALAIS   ]  —   28    — 

et  celui  de  la  sommellerie  furenl-consiimés  malgré  la  diligence  de  Marc, 
neveu  du  pape  Jean  XXIII,  et  qui  commandait  alors  dans  cette  ville  ^ 

Les  documents  étendus  que  M.  Achard,  archiviste  de  la  préfecture  de 
Vaucluse,  a  bien  voulu  réunir  pour  nous,  avec  un  empressement  dont  nous 
ne  saurions  trop  le  remercier,  ne  donnent  que  le  nom  d'un  architecte 
dans  la  construction  de  celte  œuvre  colossale  :  c'est  un  certain  Pierre 
Obreri  ou  Pierre  Obrier.  Obreri  n'est  guère  un  nom  italien  ;  mais  ce  qui 
l'est  encore  moins,  c'est  le  monument  lui-môme.  L'architecture  italienne 
du  xiy*  siècle,  soit  que  nous  la  prenions  dans  le  sud  ou  dans  le  nord  de 
la  Péninsule,  ne  rappelle  en  rien  celle  du  palais  des  papes.  Depuis  la  tour  de 
Trouillas  jusqu'à  celle  des  Anges,  dans  toute  retendue  de  ces  bâtimenU^, 
du  nord  au  sud,  de  l'est  à  l'ouest,  la  construction,  les  profils,  les  sec- 
tions de  piles,  les  voûtes,  les  baies,  les  défenses,  appartiennent  à  l'archi- 
tecture française  du  Midi,  à  cette  architecture  gothique,  qui  se  débarrasse 
difficilement  de  certaines  traditions  romanes.  L'ornementation,  très- 
sobre  d'ailleurs,  rappelle  celle  de  lacathédrale  de  Narbonne  dans  ces  parties 
hautes,  qui  datent  du  commencement  du  xiv*  siècle.  Or,  la  cathédrale 
de  Narbonne  est  l'œuvre  d'un  architecte  français,  le  môme  peut-être 
qui  bâtit  celle  de  Glermont  en  Auvergne,  et  celle  de  Limoges,  ainsi 
que  peut  le  faire  supposer  la  parfaite  conformité  de  ces  trois  plans.  Les 
seuls  détails  du  palais  d'Avignon,  qui  sont  évidemment  de  provenance 
italienne,  ce  sont  les  peintures  attribuées  à  Giotlo  et  à  Simon  Memmi 
ou  à  ses  élèves  2.  N'oubhons  pas  d'ailleurs  que  Clément  V,  qui  le  premier 
établit  le  siège  apostolique  à  Avignon,  était  Bertrand  de  Grotte,  né  à 
Villandrau,  près  de  Bordeaux;  que  Jean  XXII,  son  successeur,  était 
Jacques  d'Ëuse,  né  à  Cahors;  que  Benoit  XII  était  Jacques  Fournier,  né 
à  Saverdun,  au  comté  de  Foix;  que  Clément  YI  était  Pierre  Roger,' né  au 
château  de  Maumont,  dans  le  diocèse  de  Limoges  ;  qu'Innocent  VI  était 
Etienne  d'Albert,  né  près  de  Pompadour,  au  diocèse  de  Limoges;  qu'Ur- 
bain Y  était  Guillaume  Grimoald,  né  à  Grisac,  dans  le  Gévaudan,  diocèse 
de  Mende,  et  que  Grégoire  XI,  neveu  du  pape  Clément  VI,  était,  comme 
son  oncle,  né  â  Maumont,  au  diocèse  de  Limoges.  Que  ces  papes,  qui 
firent  entrer  dans  le  sacré  collège  un  grand  nombre  de  prélats  français, 
et  particulièrement  des  Gascons  et  des  Limousins,  eussent  fait  venir  des 
architectes  italiens  pour  bâtir  leur  palais,  ceci  n'est  guère  vraisemblable; 

«  mais  au  pouvoir  des  hommes,  quel  secours  qui  de  toute  part  y  arrivât,  de  rétcindrc  ni 
«  arrêter,  que  la  plus  grande  partie  de  ce  grand  et  superbe  édifice  no  fut  arse  dévorée  et 
«  mise  en  consommation  par  les  flammes,  ainsi  que  j'en  ai  moi-même  encore  vu  les  mar- 
a  ques  et  vestiges  dans  cette  flère  et  hautaine  masse  de  pierres.  »  (Nostradamus,  Hùst.  de 
Provence,  p.  437.) 

*  Journal  d'un  habitant  d* Avignon ^  cité  par  Gaufridi  (Hist.  de  Provence), 
'  Il  est  bon  d'observer  ici  que  Giotto  était  mort  ù  l'époque  où  s'élevait  le  palais  des 
papes.  Les  seules  peintures  qu'on  pourrait  lui   attribuer  sont  celles  qu'on  voyait,  il  y 
a  quelques  années,  sous  le  porche  de  Notre-Dame  des  Doms.  Mais  quand  elles  furent 
faites,  les  papes  n'étaient  pas  à  Avignon. 


—    29   —  [  PALAIS   ] 

mais  les  eussent-ils  fait  venir,  qu'il  serait  impossible  toutefois  de  ne  point 
considérer  les  constructions  du  palais  des  papes  d'Avignon  comme 
appartenant  à  Tarchitecture  des.  provinces  méridionales  de  la  France. 
Nous  insistons  sur  ce  point,  parce  que  c'est  un  préjugé  communément 
établi  que  le  palais  des  papes  est  une  de  ces  constructions  grandioses 
appartenant  aux  arts  de  l'Italie.  A  cette  époque,  au  xiv*  siècle,  le  goût 
de  l'architecture  italienne  flotte  indécis  entre  les  traditions  antiques  et 
les  influences  de  France  et  d'Allemagne,  et  ce  n'est  pas  par  la  grandeur 
et  la  franchise  qu*ilse  distingue.  Les  papes  établis  en  France,  possesseurs 
d'un  riche  comtat,  réunissant  des  ressources  considérables,  vivant  rela- 
tivement dans  un  état  de  paix  profonde,  sortis  tous  de  ces  diocèses  du 
Midi,  alors  si  riches  en  monuments,  ont  fait  à  Avignon  une  œuvre  abso- 
lument française,  bien  supérieure  comme  conception  d'ensemble,  comme 
grandeur  et  comme  goût,  à  ce  qu'alors  on  élevait  en  Italie.  Examinons 
maintenant  ce  vaste  édifice  dans  toutes  ses  parties.  Nous  devons  prendre 
le  palais  des  papes  à  Avignon,  tel  qu'il  existait  à  la  fin  du  xi\^  siècle, 
c'est-à-dire  après  les  constructions  successives  faites  depuis  Clément  V 
jusqu'à  Grégoire  XI,  car  il  serait  difficile  de  donner  les  transformations 
des  divers  services  qui  le  composent,  et  de  montrer,  par  exemple,  le 
palais  bâti  par  Jean  XXII.  Ces  immenses  bâtiments  s'élèvent  sur  la  décli- 
vité méridionale  du  rocher  des  Doms,  à  l'opposile  du  Rhône  ;  de  telle 
sorte  que  le  rez-de-chaussée  de  la  partie  voisine  de  l'église  Notre-Dame, 
qui  est  la  plus  ancienne,  se  trouve  au  niveau  du  premier  étage  de  la  par- 
tie des  bâtiments  élevés  en  dernier  lieu,  du  côté  sud,  par  Urbain  V.  Si 
donc  nous  traçons  le  plan  durez-de-chaussée  du  palais  des  papes,  vers  sa 
partie  inférieure,  nous  tombons  en  pleine  roche,  en  nous  avançant  vers 
le  nord  (flg.  16). 

L'entrée  d'honneur  A  s'ouvre  sur  une  esplanade  dominant  tous  les 
alentours,  et  autrefois  divisée  en  plusieurs  bailles,  avec  courtines,  tour  et 
portes.  Cette  entrée  A  est  défendue  par  deux  herses^  des  vantaux  et  un 
double  mâchicoulis.  En  avant,  donnant  sur  l'esplanade,  l'ouvrage  avancé 
fut  remplacé  au  xvii*  siècle  par  un  mur  de  contre-garde  crénelé.  Sous  le 
vestibule  d'entrée,  à  droite,  est  la  porte  s'ouvrant  dans  un  vaste  corps  de 
garde  B,  voûté.  De  la  cour  d'honneur  C  on  peut  se  diriger  sur  tous  les 
points  du  palais.  Du  vestibule  D  on  monte  aux  étages  supérieurs  par  un 
large  et  bel  escalier  à  deux  rampes,  ou  bien  on  entre  dans  la  grande  salle 
basse  E  et  son  annexe  F,  ou  encore  dans  la  salle  G*  Par  le  passage  H, 
on  descend  à  l'esplanade  orientale  I,  où  l'on  pénètre  dans  les  salles  K, 
sous  la  grosse  tour  L  et  son  annexe  /.  Par  le  petit  passage  0  détourné,  on 
s'introduit  dans  la  grand' salle  M,  laquelle  servait  de  poste  et  communi- 
quait aux  défenses  supérieures  par  un  escalier  P.  En  R,  est  une  poterne 
défendue  par  un  mâchicoulis  intérieur,  une  herse  et  des  vantaux.  En  S,  est 
une  second  poterne  défendue  par  des  mâchicoulis  et  une  herse  ;  en  T, 
un  degré  qui  monte  au  rez-de-chaussée  de  la  partie  du  palais  bâtie  sur  le 
rocher  à  un  niveau  plus  élevé  que  le  sol  de  la  cour  d'honneur.  La  partie 


[    PALAIS    ] 


a  plus  ancienne  du  priais,  la  tour  de  Tronillas,  esl  en  V,  llanquant  le 


—  31   —  [   PALAIS  ] 

rocher  el  s'élevanl  au-dessus  de  toutes  les  autres  tours  du  palais  :  c'est  le 
donjon,  dont  nous  ne  voyons  ici  que  les  soubassements.  Un  escalier  X, 
desservant  cette  partie  des  bâtiments,  descend  jusqu'au  sol  de  l'espla- 
nade I,  et  donne  entrée  sur  le  mur  de  défense  Z  garni  de  mâchicoulis  et 
d'un  chemin  de  ronde.  En  N,  adossé  à  ce  mur,  est  un  fournil. 

Tout  ce  rez-de-chaussée  est  voûté  et  construit  de  manière  à  défier  le 
temps  et  la  main  des  hommes.  Du  corps  de  garde  B  on  monte  par  un 
escalier  à  vis  aux  défenses  supérieures  de  la  porte  principale  A.  Un  autre 
escalier  Q  monte  aux  appartements  donnant  sur  l'esplanade. 

Ainsi  qu'on  peut  le  reconnaître,  la  disposition  du  rez-de-chaussée  est 
bonne,  en  ce  que,  de  la  cour  d'honneur,  on  arrive  directement  à  tous  les 
points  du  palais.  Observons  aussi  que  les  deux  poternes R,  S,  sont  percées 
dans  des  rentrants,  bien  masquées  et  défendues  ;  que  les  fronts  sont 
flanqués,  et  que  les  architectes  ont  profité  de  la  disposition  naturelle  du 
rocher  pour  établir  leurs  bâtiments.  Des  jardins  s'étendaient  du  côté  du 
sud,  sur  une  sorte  de  promontoire  que  forme  la  colline.  D'un  côté  (vers 
le  nord),  le  rocher  des  Doms  est  à  pic  sur  le  Rhône,  et  était  de  plus  dé- 
fendu par  un  fort  (le  fort  Saint-Martin).  De  l'autre  (vers  le  sud),  il  s'im- 
plantait au  centre  de  la  ville,  et  la  coupait  pour  ainsi  dire  en  deux  parts. 
Vers  l'ouest,  les  bailles  s'étendaient  jusqu'au  palais  épiscopal,  étaient 
arrêtées  par  le  rempart  de  la  ville,  qui  descendait  jusqu'aux  bords  du 
Hhône  et  se  reliait  au  fort  Saint-Martin  ^  Des  rampes  ménagées  le  long 
de  ce  fort  descendaient  jusqu'à  la  porte  ouchâtelet  donnant  entrée  sur 
le  pont  Saint-Bénézet,  qui  traversait  le  Rhône  (voy.  Pont).  Vers  l'est, 
l'escarpement  est  abrupt  et  domine  les  rues  de  la  cité.  L'assiette  de  ce  pa- 
lais était  donc  merveilleusement  choisie  pour  tenir  la  ville  sous  sa  dépen- 
dance ou  protection,  pour  surveiller  les  rives  du  fleuve  précisément  au 
point  où  il  forme  un  coude  assez  brusque,  pour  être  en  communication 
avec  le  mur  d'enceinte,  et  pour  sortir,  au  besoin,  de  la  cité  sans  être  vu. 

Afin  de  ne  pas  multiplier  les  figures,  nous  présentons  le  plan  du  palais 
des  papes  à  rez-de-chaussée  pour  la  partie  la  plus  élevée,  et  au  premier 
étage  pour  la  partie  située  au-dessus  des  bâtiments  entourant  la  cour 
d'honneur.  Par  le  fait,  le  niveau  du  rez-de-chaussée  des  bâtiments  supé- 
rieurs correspond  au  niveau  d'un  étage  entresolé,  disposé  en  partie  sur  le 
plan  donné  dans  la  figure  i/!i. 

En  A  (flg.  15),  est  l'église  Notre-Dame  des  Doms,  rétablie  dans  sa  forme 
première  et  avant  l'adjonction  des  chapelles  qui  ont  altéré  le  plan  de  ce 
bel  édifice.  Élevée  pendant  le  xir  siècle,  l'église  Notre-Dame  des  Doms, 
aujourd'hui  encore  cathédrale  d'Avignon,  fut  conservée  parles  papes^  et 
c'est  dans  son  voisinage  que  les  pontifes  élevèrent  les  premières  construc- 
tions de  leur  palais,  entre  autres  les  tours  B  et  les  corps  de  logis  b,  S'avan- 
çant  peu  à  peu  vers  le  sud  et  suivant  la  déclivité  du  rocher,  les  papes 
fermèrent  d'abord  la  cour  G,  entourée  d'un  large  portique  avec  étage 

>  Ce  fort  fut  dttriiil,  cii  1650,  par  Texplusiuii  de  lu  poudrière  qu'il  couteiiait. 


au-dessus,  puis  la  cour  d'houiieur  D.  Il  est  à  remarquer  qu'en  élevant 


^^3»   —  [   PALAIS    ] 

chaque  tour  el  chaque  corps  de  logis,  on  les  fortifiait,  pour  mettre 
toujours  les  portions  terminées  du  palais  à  Tabri  d'une  attaque.  Ainsi, 
le  bâtiment  E,  par  exemple,  était  défendu  par  des  mâchicoulis  en  e, 
parce  qu'au  moment  de  sa  construction,  il  avait  vue  directe  sur  les  de- 
hors, la  cour  d'honneur  D  et  la  grande  salle  G  ayant  été  construites  en 
dernier  lieu,  ainsi  que  la  tour  H. 

Sous  Urbain  V,  les  appartements  du  pape  se  trouvaient  au  premier 
étage,  autour  de  la  cour  d'honneur.  Une  grande  salle  (la  salle  G)  entière- 
ment voûtée,  servait  de  chapelle.  Ces  voûtes  étaient  couvertes  de  belles 
peintures  dont  il  ne  reste  plus  que  des  fragments.  L'escalier  d'honneur  I 
donnait  entrée  dans  celte  chapelle  et  dans  les  appartements  des  corps  de 
logis  à  l'occident  et  au  levant.  Un  couloir  de  service  longe  les  pièces  de 
l'aile  occidentale,  est  desservi  par  l'escalier  K,  communique  à  la  porterie 
et  avec  défenses  supérieures  par  les  vis  L,  aboutit  au-dessus  de  la  poterne 
P,  et  met  l'aile  occidentale  en  communication  avec  le  logis  Ë.  Un  créne- 
lage  avec  larges  mâchicoulis  bordait  les  chambres  de  l'aile  occidentale, 
au  niveau  du  premier  étage,  sur  le  dehors.  En  F,  étaient  placées,  au  pre- 
mier étage,  les  grandes  cuisines*.  La  salle  des  festins  était  au-dessus  de 
la  salle  6,  et  se  trouvait  séparée  des  galeries  du  cloître  par  une  cour  très- 
étroite  et  très-longue;  on  observera  que  des  mâchicoulis  défendent  le 
pied  des  quatre  bâtiments  qui  entourent  ce  cloître.  Des  cloisons,  dont 
nous  n'avons  pas  tenu  compte  dans  ce  plan,  parce  qu'elles  ont  été  chan- 
gées plusieurs  fois  de  place,  divisaient  les  logis  qui  entourent  le  cloître 
et  laissaient  des  couloirs  de  service.  Ce  vaste  palais  était  donc  très-habi- 
table, toutes  les  pièces  étant  éclairées  au  moins  d'un  côté.  On  remarquera 
aussi  que  dans  l'épaisseur  des  murs  des  tours  notamment,  sont  pratiqués 
des  couloirs  de  service  et  des  escaliers  qui  mettaient  en  communication 
les  divers  étages  entre  eux,  et  pouvaient  au  besoin  faciliter  la  défense. 
Une  élévation  prise  sur  toute  l'étendue  de  la  face  occidentale  fait  saisir 
l'ensemble  de  ce  majestueux  palais  (flg.  16)  qui  domine  la  ville  d'Avi 
gnon,  le  cours  du  Rhône  et  les  campagnes  environnantes.  Il  était  autrefois 
richement  décoré  de  peintures  à  l'intérieur''*.  Mais  deux  incendies,  l'a- 
bandon et  le  vandalisme,  ont  détruit  la  plus  grande  partie  des  décora- 
tions. Quelques  plafonds  assez  richement  peints  datent  du  xvi"*  siècle. 
L'emmarchement  du  grand  escalier,  aujourd'hui  délabré  et  sordide,  était 
fait  de  marbre  ou  de  pierre  polie,  ses  voûtes  étaient  peintes.  La  chapelle 
était  des  plus  splendides  et  contenait  des  monuments  précieux  :  c'est  dans 
ce  vaisseau  que  furent  déposés  les  trophées  envoyés  au  pape  en  i3/iO,  par 
le  roi  de  Gastille,  à  la  suite  de  la  victoire  de  Tarifa. 
Les  deux  tourelles  qui  surmontent  la  porte  d'entrée  en  forme  d'échau- 

*  Ce  sont  ces  cuisines  qu'on  montre  comme  étant .  une  salle  d'exécution  à  huis  clos 
el  une  chambre  de  torlure. 

^  11  uc  reste  de  ces  peintures  que  des  traces  dans  la  grande  chapelle,  et  dans  deux  de» 
>jiUe«dc  la  tour  dite  aujourd'hui  de  la  Justice,  M. 

VU.  —  5 


giielle):  ne  Turent  tlémoiics  qu'en  17ùy,  pixrre  quc(iJil  un  rapport  du  sieui 


—   35  —  [   PALAIS    ] 

Thibaut,  ingénieur,  en  date  du  29  mars  de  la  môme  année)  elles  mena- 
çaient ruine;  un  tableau  déposé  dans  la  bibliothèque  d'Avignon  et  plu- 
sieurs gravures  nous  en  ont  conservé  la  forme.  Quant  aux  couronnements 
des  tours,  notamment  ceux  de  la  tour  de  Trouillas,  ils  ne  furent  complè- 
tement détruits  qu'au  commencement  de  ce  siècle,  et  sont  également 
représentés  dans  les  tableaux  et  gravures  du  xv!!"*  siècle.  Le  palais  des 
papes  possède  sept  tours,  qui  sont  :  i"^  la  lour  de  Trouillas,  2®  de  la  Gâ- 
che S  3"  de  Saint-Jean,  4'  de  Saint-Laurent,  5*  de  la  Cloche,  6«  des 
Anges*,  V  de  TEstrapade. 

Les  légats  habitèrent  le  palais  d'Avignon,  après  le  départ  de  Fantipape 
Benoit  XIII,  et  y  firent  quelques  travaux,  entre  autres  le  cardinal  d'Ar- 
magnac, en  1569;  mais  cette  vaste  habitation  était  fort  délabrée  et  «fort 
mal  logeable  D,  comme  le  dit  Ch.  de  Brosses,  pendant  le  dernier  siècle. 
Aujourd'hui,  c'est  à  grand'peîne  qu'on  peut  reconnaître  les  disposi- 
tions intérieures  à  travers  les  planchers  et  les  cloisons  qui  coupent  les 
étages,  pour  loger  de  la  troupe  ^. 

Ce  dernier  exemple  indique,  comme  les  précédents,  que  la  question 
de  symétrie  n'était  point  soulevée  lorsqu'il  s'agissait  de  bâtir  des  palais 
pendant  le  moyen  âge.  On  cherchait  à  placer  les  services  suivant  le  terrain 
ou  l'orientation  la  plus  favorable,  suivant  les  besoins,  et  l'on  donnait  à  cha- 
que corps  de  logis  la  forme,  l'apparence  qui  convenaient  à  sa  destination. 

Tous  les  palais  épiscopaux  n'avaient  pas  en  France  cet  aspect  de  for- 
teresse. Le  palais  archiépiscopal  de  Rouen,  le  palais  épiscopal  d'Ëvreux^ 
celui  de  Beauvais,  rebâtis  presque  entièrement  au  xv*  siècle,  ressem- 
blaient fort  à  des  hôtels  princiers  s'ouvrant  sur  les  dehors  par  de  larges 
fenêtres,  et  ne  possédant  plus  de  tours  de  défense.  Quant  aux  rois  de 
France,  à  dater  de  la  fin  du  xiv*  siècle,  lorsqu'ils  résidaient  dans  les  villes, 
ils  habitaient  des  hôtels.  A  Paris,  le  roi  possédait  plusieurs  hôtels,  et  dans 
la  plupart  des  bonnes  villes  on  avait  le  logis  du  roi,  qui  souvent  n'était 
qu'une  résidence  très-modeste.  Les  châteaux  furent  préférés,  on  y  jouis- 
sait d'une  plus  grande  liberté.  Les  troubles  qui  remplirent  la  capitale 
pendant  une  grande  partie  du  xv"  siècle  engagèrent  les  souverains  à  ne 
plus  se  fier  qu'à  de  bonnes  murailles  à  distance  de  la  ville. 

Les  châteaux  du  Louvre,  de  la  Bastille,  de  Vincennes,  ceux  des  bords 
de  la  Loire,  devinrent  la  résidence  habituelle  des  rois  de  France,  depuis 
les  guerres  de  l'indépendance  jusqu'au  règne  de  François  I•^  Les  grands 
vassaux  suivirent  en  cela  l'exemple  du  souverain,  et  préféraient  leurs 

>  Ce  nom  lai  venail  de  ce  qu'elle  servait  de  guette.  Du  haut  de  la  tour  de  la  Gâche 
(la  plus  voisine  de  la  façade  de  Notre-Dame  des  Doms  et  la  plus  élevée,  voyez  sur  la  façade) 
on  donnait^  à  son  de  trompe,  le  signal  du  couvre-feu,  on  avertissait  les  habitants  en  cas 
d'incendie  ou  d'alarme. 

^  C'est  la  tour  située  entre  la  porte  et  la  grande  chapelle  (voyez  la  façade). 

'  L'empereur  Napoléon  111  a  donné  l'ordre,  lors  de  son  passage  h  Avignon,  en  1860, 
de  bâtir  une  caserne  dans  la  ville,  afin  de  pouvoir  débarrasser  et  réparer  ce  magnifique 
palus. 


[    PALISSADE   ]  —   36   — 

châteaux  à  leurs  résidences  urbaines,  et  le  nom  de  palais  resta  aux  bâti- 
ments occupés  par  les  parlements. 

PALIER,  s.  m.  Repos  ménagé  entre  les  volées  d'un  escalier  (voy. 
Escalier). 

PALISSADE,  s.  f.  {palis,  plaseis,  pel,  peus,  picois).  Enceinte  formée  de 
pieux  fichés  en  terre  et  aiguisés  à  leur  partie  supérieure. 

Beaucoup  de  bourgades,  de  villages  et  d'habitations  rurales,  manoirs, 
granges,  etc.,  n'étaient,  pendant  le  moyen  âge,  fermés  que  de  palissades. 
Les  dépendances  des  châteaux,  basses-cours,  jardins,  garennes,  n'avaient 
souvent  d'autre  défense  qu'une  palissade  avec  haie  vive. 

«  Là  ù  li  Griu  rccuevrent  de  plaseis 

«  Fu  muU  Tors  li  estors  el  durs  li  fcreis  ^  ; 

tt 

«  Ne  Tpuct  garir  castiaus,  tant  soit  clos  de  palis, 
«  Fossés,  ne  murs  entor,  dognons,  ne  plaseis  ^.  » 

Il  était  d'usage  aussi  de  planter  des  palissades  au  pied  des  remparts  des 
villes,  de  manière  à  laisser  entre  la  muraille  et  l'enceinte  de  pieux  un 
espace  servant  de  chemin  de  ronde,  de  licCy  ainsi  qu'alors  pn  appelait  ces 
espaces.  C'était  un  naoyen  d'empôcher  les  assaillants  de  saper  le  pied 
des  remparts,  lorsqu'il  n'y  avait  pas  de  fossés,  de  prolonger  la  défense, 
et  de  permettre  aux  assiégés  de  faire  des  sorties.  Lorsqu'une  troupe  in- 
vestissait un  château  ou  une  ville  fortifiée,  il  y  avait  d'abord  de  furieux 
combats  livrés  pour  s'emparer  des  palissades  et  des  lices,  afin  de  pouvoir 
attacher  les  mineurs  aux  murs,  ou  faire  approcher  les  galeries  et  tours 
roulantes. 

tf  Aportex  mei  cet  pel  dont  cel  chastel  est  clos  ; 
«  Coin  ajnz  Tarez  tolli,  ainz  serez  à  repos  ^.  » 

(( 

«  Li  Dus  a  Herloin  mnlt  bien  asseuré, 

((  Monsteroil  a  bien  clos,  cnforchié  è  fermé. 

«  De  pel  à  hérichon,  de  mur  è  de  Tossc  *.  n 

«.' 

«  N'i  poent  pel  ne  mur  remclndre  ^  » 

Ces  ouvrages  de  bois  autour  des  places  avaient  souvent  une  grande 
importance;  ils  formaient  de  véritables  barbacanes^  ou  défendaient  de 

1  U  Romans  (TAiixandre  :  Combat  de  Perdkas  et  d'Akin,  Édit.  de  Stuttgard,  1846» 
p.  lAO. 
^  ihid,  :  Message  à  Darius,  p.  251, 
3  Le  Roman  de  Hou,  vers  1^600. 
*  Ibid.,  vers  2628, 
5  /6îV/.,  vers  7352. 


—  37   —  [   PAN  DE  BOIS   ] 

longues  caponnières.  Les  assiégés  faisaient  du  mieux  qu'ils  pouvaient 
pour  les  conserver,  car  ces  palissades  forçaient  les  assaillants  à  étendre 
leur  contrevallation,  permettaient  l'entrée  des  secours  et  des  provisions, 
et  rendaient  la  défense  du  haut  des  remparts  plus  efficace  en  ce  qu'elle 
découvrait  un  champ  plus  étendu.  (Voy.  Architecture  militaire,  Sikge.) 


PAN  DE  BOIS,  s.  m.  Ouvrage  de  charpenterie,  composé  de  sablières 
hautes  et  basses,  de  poteaux,  de  décharges  et  de  tournisses,  formant  de 
véritables  murs  de  bois,  soit  sur  la  face  des  habitations,  soit  dans  les  inté- 
rieurs, et  servant  alors  de  murs  de  refend.  Aujourd'hui,[en  France,  il  est 
interdit  de  placer  des  pans  de  bois  sur  la  voie  publique,  dans  les  grandes 
villes,  afin  d'éviter  la  communication  du  feu  d'un  côté  d'une  rue  à 
l'autre.  Par  la  même  raison,  il  n'est  pas  permis  d'élever  des  murs  mi- 
toyen en  pans  de  bois.  Mais  jusqu'au  dernier  siècle,  l'usage  des  pans  de 
bois,  dans  les  villes  du  Nord  particulièrement,  était  très-fréquent.  L'ar- 
ticle Maison  signale  un  certain  nombre  d'habitations  dont  les  murs  de 
face  sont  en  tout  ou  partie  des  pans  de  bois  très-heureusement  combi- 
nés. Ce  moyen  avait  l'avantage  de  permettre  des  superpositions  d'étages 
eu  encorbellement,  afin  de  laisser  un  passage  assez  large  sur  la  voie 
publique  et  de  gagner  de  la  place  dans  les  étages  supérieurs.  Il  était  éco- 
nomique et  sain,  car,  à  épaisseur  égale,  un  pan  de  bois  garantit  mieux 
les  habitants  d'une  maison  des  variations  de  la  température  extérieure 
qu'un  mur  de  brique  ou  de  pierra  II  n'est  pas  de  construction  à  la  fois 
plus  solide,  plus  durable  et  plus  légère.  Aussi  emploie-t-on  encore  habi- 
tuellement les  pans  de  bois  dans  les  intérieurs  des  cours  ;  seulement,  au 
lieu  de  les  laisser  apparents,  comme  cela  se  pratiquait  toujours  pendant 
le  moyen  âge,  on  les  couvre  d'un  enduit,  qui  ne  tarde  guère  à  échauffer 
les  bois  et  à  les  pourrir;  mais  on  simule  ainsi  une  construction  de  pierre 
ou  tout  au  moins  de  moellon  enduit. 

On  ne  saurait  donner  le  nom  de  pan  de  bois  aux  empilages  horizon- 
taux de  troncs  d'arbres  équarris  ;  cette  sorte  de  structure  n'appartient  pas 
h  l'art  du  charpentier  ;  on  ne  la  voit  employée  que  chez  certains  peuples, 
et  jamais  elle  ne  fut  admise  sur  le  territoire  de  la  France,  à  dater  de 
l'époque  gallo-romaine.  Les  Gaulois,  au  dire  de  César,  élevaient  quel- 
ques constructions,  notamment  des  murs  de  défense,  au  moyen  de  lon- 
grines  de  bois  alternées  avec  des  pierres  et  des  traverses  ;  mais  il  ne 
parait  pas  que  celte  méthode  ait  été  employée  pendant  le  moyen  âge,  et 
elle  n'a  aucun  rapport  avec  ce  que  nous  appelons  un  pan  de  bois. 

Le  pan  de  bois,  par  la  combinaison  de  ses  assemblages,  exige  en  effet 
des  connaissances  étendues  déjà  de  l'art  du  charpentier,  et  ne  se  ren- 
contre que  chez  les  populations  qui  ont  longtemps  pratiqué  cet  art  diffi- 
cile. Les  Romains  étaient  d'habiles  charpentiers,  et  savaient  en  peu  de 
temps  élever  des  ouvrages  de  bois  d'une  grande  importance.  Employant 
des  bois  courts  comme  plus  maniables,  il  les  assemblaient  solidement. 


[    PAN   DE   BOIS   ]  —  38    — 

et  pouvaient  au  besoin  s'élever  à  de  grandes  hauteurs  *.  Les  peuples 
du  Nord,  et  particulièrement  des  Normands,  excellents  charpentiers, 
mêlèrent  à  ces  traditions  antiques  de  nouveaux  éléments,  comme  par 
exemple  l'emploi  des  bois  de  grandes  longueurs  et  des  bois  courbes,  si 
fréquemment  usités  dans  la  charpenterie  navale  ;  ils  adoptèrent  certains 
assemblages  dont  les  coupes  ont  une  puissance  extraordinaire,  comme 
pour  résister  aux  chocs  et  aux  ébranlements  auxquels  sont  soumis  les 
navires,  et  jamais  ils  n'eurent  recours  au  fer  pour  relier  leurs  ouvrages 
de  bois. 

Prodigues  d'une  matière  qui  n'était  pas  rare  sur  le  sol  des  Gaules,  les 
architectes  romans,  lorsqu'ils  élevaient  des  pans  de  bois,  laissaient  peu 
de  place  aux  remplissages,  et  se  servaient  volontiers  de  pièces,  sinon 
très-épaisses,  au  moins  très-larges,  débitées  dans  des  troncs  énormes, 
et  formant  par  leur  assemblage  une  lourde  membrure;  n'ayant  guère 
d'espaces  vides  entre  elles  que  les  baies  nécessaires  pour  éclairer  les 
intérieurs. 

L'assemblage  à  mi-bois  fortement  chevillé  était  un  de  ceux  qu'on  em- 
ployait le  plus  souvent  à  ces  époques  reculées.  On  composait  ainsi  de 
véritables  panneaux  rigides  qui  entraient  en  rainure  dans  les  sablières 
hautes  et  basses.  Rarement,  à  cette  époque,  plaçait-on  des  poteaux  cor- 
niers  aux  angles,  et  les  pans  de  bois  étaient  pris  entre  les  deux  jambes- 
étrières  de  murs  de  maçonnerie  qui  formaient  pignons  latéralement  ;  en 
un  mot,  le  pan  de  bois  de  face  d'une  maison  n'était  qu'une  devanture 
rehaussée  de  couleurs  brillantes  cernées  de  larges  traits  noirs.  Bien 
entendu,  ces  constructions,  antérieures  au  xiii*  siècle,  ont  depuis  long- 
temps disparu,  et  c'est  à  peine  si,  dans  quelques  anciennes  villes  fran- 
çaises, on  en  trouvait  des  débris  il  y  a  une  trentaine  d'années  ;  encore 
fallait-il  les  chercher  sous  des  lattis  récents,  ou  les  recueillir  pendant 
des  démolitions.  C'est  ainsi  que  nous  avons  pu,  en  iS^U,  dessiner  à 
Dreux,  pendant  qu'on  la  jetait  bas,  les  fragments  d'une  maison  de  bois, 
qui  paraissait  dater  du  milieu  du  xii"  siècle.  Cette  maison,  exhaussée  au 
XV'  siècle,  ne  se  composait  primitivement  que  d'un  rez-de-chaussée,  d'un 
premier  étage  en  encorbellement  et  d'un  galetas.  L'ancien  comble,  dis- 
posé avec  égout  sur  la  rue,  n'existait  plus,  et  l'étage  du  galetas  avait  été 
surmonté  d'un  haut  pignon  de  bois  recouvert  de  bardeaux.  Des  fenêtres 
anciennes,  il  ne  restait  que  les  linteaux  avec  entailles  intérieures,  indi- 
quant le  passage,  à  mi-bois,  des  pieds-droits. 

Voici  (fig.  1)  une  vue  de  ce  curieux  pan  de  bois,  compris  entre  deux 
murs  formant  tète  avec  encorbellements.  Les  sablières  basses  et  hautes, 

1  Les  charpentiers  italiens,  notamment  à  Rome,  ont  conservé  les  traditions  antiques, 
et  élèvept  aujourd'hui,  en  quelques  heures,  des  échafauds  au  moyen  de  chevrons  courts 
et  d'un  faible  équarrissage.  U  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître  entre  ces  échafauds 
et  les  charpentes  fig^urées  sur  les  bas-reliefs  de  la  colonne  Trtgane  une  parfaite  identité  de 
moyens. 


[    l'A»   I(E   BOIS  ] 


les  poteaux,  étaient  des  bois  de  sept  pouees  environ  (19  centimètres)  ;  les 


[   PAN   DE   BOIS   ]  —   i|0    — 

jambages  des  fenêtres,  des  bois  de  15  -|-  18  centimètres.  Le  cintre  de  la 


porte  se  composuil  de  deux 


morceaux  de  charpente  assemblés  à 
mi-bois  entre  eux  et  avec  les  deux 
jambages.  Les  solives  des  planchers 
reposaient,  comme  les  sablièresbas- 
ses  des  pans  de  bois,  sur  tes  murs 
latéraux  et  sur  une  poutre  posée, 
parallèlement  à  ces  murs,  environ 
au  milieu  de  la  façade.  Toute  cette 
cbarpente  était  coupée  avec  soin, 
ornée  de  quelques  moulures  très- 
simples  et  de  gravures  d'un  faible 
creux.  On  voyait,  sous  les  appuis  des 
fenêtres  des  galetas,  des  restes  de 
panneaux  épais  également  décorés 
par  des  gravures.  La  ligure  2  pré- 
sente la  coupe  de  ce  pan  de  bois;  elle 
indique  le  poteau  intermédiaire  A, 
renforçant  la  face  du  rez-de-chaussée 
et  portant,  au  moyen  d'un  lien  B, 
la  poutre  transversale  C,  laquelle 
soulage  d'autant  la  portée  de  la  sa- 
blière basse  D  du  pan  de  bois  supé- 
rieur. Au-dessus  de  ce  lien  B  se 
dresse  le  poteau  E  jusque  dessous 
la  sablière  haute  F,  portant  une  au- 
tre poutre  G  transversale  sous  com- 
ble. L'about  de  cette  poutre  est  sou- 
lagé par  un  lien  L  Une  semelle  H 
reçoit  l'extrémité  des  chevrons  et 
les  blochets  K.  La  poutre  L  s'assem- 
ble par  un  tenon  dans  le  poteau  E, 
lequel,  sous  cet  assemblage,  possède 
un  repos  M  [voy.  le  détail  0).  Cette 
poutre  est  de  plus  portée  par  une 
décharge  P,  dont  le  pied  est  assemblé 
à  tenon  dans  la  première  solive  R  du 
plancher  du  premier  étage.  La  vue 
(Dg.  1)  fait  voir  comment  les  faces 
du  pan  de  bois  reportent  les  pesan- 
teurs sur  le  poteau  intermédiaire  et 
sur  les  murs  latéraux,  au  moyen  de  décharges  courbes,  lesqucllc!:  s'as- 
semblent sous  les  sablières  et  dans  les  extrémités  des  linteaux  évidés 
des  fenêtres. 


—  41    —  [    PAU   DB    BOIS  ] 

La  Bgure  Z  fera  saisir  les  assemblages  des  poteleU  formant  jambages 
des  fenêtres,  et  des  décharges  courbes.  Nous  moulrons  le  linteau  A 
d'une  de  ces  fenêtres  à  l'intérieur.  Les  potelets  intermédiaires  B,  formant 
meneaux,  s'assemblent  i  mi-bois  dans  ces  linteaux,  et  portent,  à  leur 


^ 


extrémité  supérieure  A,  un  tenon  qui  entre  dans  une  mortaise  c,  ménagée 
sons  la  sablière.  Une  petite  languette  e  a'embrëve  en  outre  dans  le  lin- 
teau, et  empêche  celui-ci  de  désaflleurer  le  poteau.  Les  linteaux  A  pos- 
sèdent eux-mêmes  des  languettes /qui  s'cmbrévent  sous  les  sablières 
en  g.  La  coupe  C  donne  le  gëométral  de  ces  assemblages,  l'intérieur  du 
pan  de  bois  étant  en  h.  Le  potelet  G,  formant  jambage,  s'assemble  de 
même  à  ni-bois  dans  l'extrémité  du  linteau,  et  porte  son  tenon  i  tombant 
dans  une  mortaise  j;  mais  la  décharge  B  porte  une  coupe  biaise  /,  qui 
bute  le  Jinteau,  et  un  tenon  m  qui  s'engage  dans  la  mortaise  n.  Ce 
tenon  forme  aussi  languette  s'embrevant  dans  l'extrémité  du  linteau 
en  p. 
Les  assemblages  de  cette  charpente  rappellent  ceux  employés  dans  la 

VII.  —  6 


[  PAN  DE  BOIS  ]  —  U2  — 

menuiserie,  et  ceQx  aussi  adoptés  pour  les  constructions  navales.  La 
main-d'œuvre  est  considérable,  comme  dans  toute  structure  primitive; 
mais  on  observera  que  les  ibrrements  ne  sont  admis  nulle  part.  D'ailleurs 
le  cube  de  bois  employé  est  énorme,  eu  égard  à  la  petite  diûiension  de 
ce  pan  de  bois  de  face;  les  remplissages  en  maçonnerie  ou  en  torchis  à 
peu  près  nuls.  Au  xiii*  siècle  déjà,  on  élevait  des  pans  de  bois  beaucoup 
plus  légers,  mieux  combinés,  dans  lesquels  la  main-d'œuvre  était  écono- 
misée, et  qui  présentaient  une  parfaite  solidité.  Souvent,  à  cette  époque, 
les  solives  des  planchers  portent  sur  les  pans  de  bois  de  face,  et  senent  à 
les  relier  avec  les  pans  de  bois  intérieurs  de  refend. 

Nous  traçons  (ûg.  U)  un  de  ces  pans  de  bois,  qui  appartient,  autant 
qu'on  peut  en  juger  parles  profils,à  la  fin  du  xiii*  siècle*.  Ici  pas  de  murs 
pignons  de  maçonnerie,  comme  dans  l'exemple  précédent  ;  la  construc- 
sion  est  entièrement  de  charpente,  et  les  mitoyennetés  sont  des  pans  de 
bois  composés  de  sablières,  de  poteaux,  de  décharges  et  de  tournisses. 
Les  deux  étages  de  pans  de  bois  de  face  sont  posés  en  encorbellement 
l'un  sur  l'autre,  ainsi  que  l'indique  le  profil  A.  Les  poteaux  d'angle  et 
d'axe  de  la  façade  B  ont  22  et  2U  centimètres  d'équarrissage  ;  tous  les 
autres,  ainsi  que  les  sablières  et  solives,  n'ont  que  17  à  19  centimètres. 
Les  solives  G  des  planchers  posant  sur  les  sablières  hautes  assemblées 
sur  la  tête  des  poteaux,  sont  soulagées  par  des  goussets  et  liens  D 
à  l'intérieur  et  à  l'extérieur,  et  peuvent  ainsi  recevoir  à  leur  extrémité  la 
sablière  basse  de  l'étage  au-dessus.  Ces  solives  étant  espacées  de  près 
d'un  mètre,  elles  reçoivent  de  plus  faibles  solives,  ou  plutôt  des  lam- 
bourdes, sur  lesquelles  sont  posés  les  bardeaux  avec  entrevous,  aire  et 
carrelage.  Le  roulement  du  pan  de  bois  est  maintenu  par  des  décharges 
E  assez  fortes,  et  des  croix  de  Saint-André  sous  les  appuis  des  fenêtres. 
Un  détail  (fig.  5)  explique  l'assemblage  des  sablières  a  sur  les  poteaux  b, 
des  goussets  et  liens  c,  soit  dans  ces  poteaux,  soit  dans  les  solives  e.  On 
voit  en  g  comment  s'embrèvent  les  sablières  basses  h  aux  abouts  des 
solives,  et  comment,  entre  chacune  de  ces  solives,  on  a  posé  des  entre- 
toises moulurées  t\  Le  tracé  perspectif  f  montre  l'une  des  solives  désas- 
semblée  avec  ses  mortaises;  le  tracé  perspectif/  figure  le  linteau  m  de  la 
porte  et  son  assemblage  avec  le  poteau  ;>,  formant  jambage.  Quant  au 
tracé  géométral  B,  il  explique  l'assemblage  marqué  d'un  ^  dans  la  fig.  li. 

Ce  pan  de  bois  est  bien  tracé  ;  les  bois  sont  parfaitement  équarris,  les 
moulures  nettement  coupées,  les  assemblages  faits  avec  soin.  Il  était,  bien 
entendu,  apparent  ;  les  remplissages  étaient  hourdés  en  mortier  et  petit 
moellon  enduits. 

Nous  avons  signalé  ailleurs  ^  l'habileté  des  charpentiers  du  moyen  âge, 
principalement  pendant  les  xiii*,  mv"*  et  xv*  siècles.  Il  ne  faudrait  pas 
croire  que  les  constructions  se  bornaient  alors  à  employer  les  pans  de 

1  D'une  maison  de  Ghâteaudun. 
'^  Voyez  Tarticle  Ghaveute* 


[   PAN    DE   BOIS    ] 


is  pour  les  mnisons  de  bourgeois  :  le  pan  de  bois  était,  au  contraire. 


(    PAN  BB   BOIS   ]  _  /,i    _ 

un  genre  de  conslriiclion  fréquemment  adopté,  m6me  dans  les  édifices 
publics,  les  palais  et  châteaux.  Dans  beaiiroup  de  résidences  seigneu- 
riales,Ies  logis  avaient  h  l'intérieur,  ou  en  guise  de  murs  de  refend,  des 
pans  de  bois.  Nous  avons  souvent  conslalé  la  présence  de  ces  ouvrages 


de  charpenterie,  détruits  par  des  incendies,  dans  des  chAteaux  d'une  cer- 
taine importance.  On  employait  aussi  les  pans  de  bois  comme  moyen 
provisoire  de  clore  des  édifices  qu'on  n'avait  pas  le  temps  d'achever, 
ou  dont  ia  contlruction  demeurait  stu|>eDdue.  C'est  ainsi  qu'on  voit,  au 


—   &5   —  [   FAN   DE   BOIR    ] 

sommet  du  mur  septentrional  de  la  cathédrale  d'Amiens,  un  pignon  eu 
pan  de  bois  qui  date  du  xiv*  siècle. 

Dans  certaines  contrées  où  le  bois  Était  abondant  et  la  pierre  rare,  on 
bdiissait  nifime  des  églises  tout  entières  de  bois.  On  voit  encore  dans  un 


^ 


H 


-I 


des  faubourgs  de  ta  ville  de  Troyes  '  une  chapelle,  placée  sous  le  Tocable 
de  saint  Gilles,  (|ui  est  bAtie  en  pans  de  bois  et  date  de  la  seconde  moitié 
duiiv<  siècle.  Cet  édifice,  auquel  des  adjonctions  plus  récentes  onten- 
Icïé  une  partie  de  son  caractère,  se  composait  d'une  seule  nef,  encore 
entière  aujourd'hui,  terminée  par  une  abside  à  quatre  pans.  Nous  don- 
nons (fig.  6)  en  A  le  plan,  et  en  B  la  coupe  transversale  de  la  chapelle  de 

'  FrabouiB  Croneeiu. 


[   PAN   DE   BOIS   J  —  Û6   — 

Saint-Gilles'.  Tout  le  syMème  consiste  en  une  suite  de  poteaux  [un  par 
travée  et  à  ehaque  angle)  reposant  sur  une  sablière  basse  et  porlant  des 
fermes  ;  une  sablière  haute  relie  le  sommet,  et  deux  coui-s  d'entretoises, 
avec  des  écharpes  et  polelets,  maintiennent  le  dévei-s.  Les  eniraits  et 
poinçons  de  la  charpente  sont  apparents;  celle-ci  est  lambrissée.  Une 
flfïche  dont  l'amorce  est  tracée  en  D  couronne  le  comble  sur  la  troi- 
sième travée,  plus  étroite  que  les  autres.  La  figure  7  donne  en  A  le  détail 


gcométral  de  l'assemblage  des  poleaux  dans  les  eniraits  avec  les  liens 
doubles  qui  les  soulagent,  et  en  B  le  tracé  perspectif  d'une  des  travées  à 
l'intérieur,  avec  la  fenfitre,  la  sablière  haute  el  l'entretoise  haute  mou- 
lupées.  On  voit  comme,  dans  cet  humble  édifice,  lacharpenleest  traitée 
avec  soin,  comment  la  décoration  n'est,  h  tout  prendre,  que  l'apparence 
de  la  structure.  Sur  ces  bois,  point  d'enduit  sur  lattis  simulant  une  con- 
struction de  pierre;  aussi  ces  charpentes  laissées  à  l'air  libre  sur  deux 
faces  se  sont  conservées  plus  de  quatre  siècles.  On  observera  que  les  liens 
G  (fig.  7)  sont  bien  moins  destinés  &  soulager  les  entraits  des  fermes  qu'à 

■  M.  Millet,  architerle  diocéMin  île  Trajet,  n  bien  voulu  nous  fournir  Ira  clcsains  de 
ce  polil  édiOcr. 


—   47    —  [  PAN   DE  BOIS  ] 

arrêter  le  dévers  des  pans  de  bois.  Ils  tiennent  lieu  d'cquerres,  de  gous- 
sets qui  empêchent  tout  le  système  de  se  coucher,  soit  d'un  côté,  soit  de 
l'autre. 

Les  bois  employés  dans  les  pans  de  bois,  à  dater  du  xiii*  siècle,  ne 
sont  jamais  d'un  fort  équarrissage;  ils  sont  sains  et  choisis  parmi  des 
arbres  qui  n'étaient  pas  trop  vieux.  Ce  sont  presque  toujours  des  bois  de 
brio,  c'est-à-dire  équarris  sur  un  seul  tronc,  d'un  assez  faible  diamètre 
par  conséquent.  Ces  bonnes  traditions  s'étaient  conservées  jusqu'au  com- 
mencement du  xvii*  siècle,  puisque  le  traité  de  Mathurin  Jousse  en  fait 
mention  *  ;  et  en  effet  il  existe  encore  quelques  pans  de  bois  de  cette 
époque  qui  sont  bien  taillés  et  façonnés  de  bois  choisis. 

C'est  principalement  dans  les  provinces  de  l'Est,  en  se  rapprochant  du 
Rbin,  qu'on  trouve  des  restes  de  constructions  en  pans  de  bois  d'une 
grande  dimension.  Strasbourg  a  conservé  jusque  dans  ces  derniers  temps 
des  maisons  de  bois  plus  grandes  d'échelle  que  la  plupart  de  celles  que 
l'on  voyait  dans  nos  villes  du  domaine  royal.  A  Constance,  il  existe  des 
édifices  publics  considérables  en  pans  de  bois.  Beaucoup  de  ces  maisons 
de  Strasbourg,  qui  dataient  de  la  fin  du  xiv'  siècle  et  du  xv*,  étaient  mu- 
niesde  bretèches  aux  angles  ;  elles  étaient  vastes  et  hautes.  Voici  comment 
sont  généralement  combinés  les  pans  de  bois  de  face  avec  bretèches  aux 
angles  (fig.  8).  La  face  de  la  bretè«*he  forme  avec  la  face  de  la  maison 
un  angle  de  U5^  (voy.  la  première  enrayure  A,  prise  au  niveau  a).  En  B, 
est  un  poteau  cornier  qui  monte  de  fond,  depuis  la  sablière  basse  S  jus- 
qu'à la  sablière  supérieure  S'.  A  ce  poteau  cornier  est  accolé  le  poteau  C, 
milieu  de  la  face  de  la  bretèche.  Les  polcaux  d'angle  £  de  la  bretèche 
sont  corniers,  et  reposent  sur  les  solives  bb'  dont  le  porte  à  faux  est  sou- 
lagé par  les  liens  e»  Au  niveau  de  chaque  plancher  la  bretèche  est  reliée 
à  la  construction  principale  par  le  solivage  (voy.  la  seconde  enrayure  D, 
prise  au  niveau  d').  Les  têtes  des  poteaux  corniers  de  bretèche  E  reçoivent 
les  deux  chapeaux  horizontaux  h  dans  lesquels  s'assemblent  les  sablières^ 
(voy.  le  plan  F  de  la  dernière  enrayure,  pris  au  niveau  /;.  Un  petit  ap- 
pentis de  madriers  recouverts  d'ardoise  ou  d'essente,  et  posés  sur  les 
royaux  i,  garantit  la  partie  inférieure  de  la  bretèche  et  sert  d'abri.  Cette 
sorte  de  construction  donnait  beaucoup  d'agrément  aux  maisons,  en  ce 
qu'elle  permettait  de  voir  à  couvert  dans  la  longueur  de  la  rue.  Les  pans 
de  bois  latéraux  portaient  les  poutres  transversales  sur  lesquelles  repo- 
saient les  solives  des  planchers.  Celles-ci  retenaient  ainsi  le  dévers  du  pan 
de  bois  de  face,  leurs  abouts  étant  engagés  entre  deux  sablières  ou  colom- 
Mle$,  comme  on  appelait  alors  ces  pièces  horizontales. 

L'assemblage  des  poteaux  C,  milieux  des  faces  des  bretèches  contre  les 
grands  poteaux  corniers  B,  mérite  d'être  détaillé.  Le  poteau  cornier  B 
montant  de  fond  (flg.  9)  est  largement  chanfreiné  sur  son  arête  formant 

'  Le  ThéAtre  de  i^ari  du  charpentier^  enrichi  de  diverses  figures  avec  t interprétation 
'^Keliesy  faict  et  dressé  par  Mathurin  Jousse  de  (a  Flèche,  1627, 


l'angle  externe,  comme  il  est  indiqué  en  0.  Un  repos  P  sur  cette  aréle  esl 


—  Ù9  -^  [  PAN   DB   B0I8   ] 

ménagé  dans  la  masse,  sous  le  chanrrein,  qui  a  comme  largeur  la  lar- 
geur de  l'une  des  faces  du  poteau  de  milieu  G  de  la  bretèche.  Sur  ce 
repos  P  est  posée  à  cul  la  chandelle  M  dont  les  deux  languettes  R  vienaent 


\ 


sasserabler  dans  les  deux  mortaises  du  poteau  cornier.  Sur  cette  chan- 
delle un  blochet  N  s'assemble  à  tenon  et  mortaise,  et  est  maintenu  en 
oulfe  par  un  tenon  n  tombant  dans  la  mortaise  n'.  Ce  blochet  N  reçoit, 
dans  une  mortaise  e,  le  tenon  e'  du  poteau  G,  et  dans  deux  mortaises  laté- 
rales les  tenons  des  entreloises  S.  Le  blochet  N  porlc  en  outre  la  petite 
'oolrs-flche  formant  appentis.  Des  prisonniers  G,  de  bois  dur,  chevillés 

?ii.  —  7 


[    PARVIS    ]  —   50   — 

dans  le  poicau  B  cornier  et  dans  le  poteau  C,  de  distance  en  distance, 
rendent  ces  deux  poteaux  solidaires.  Tous  les  autres  assemblages  du 
pan  de  bois  sont  fiiciles  à  comprendre  et  n'ont  pas  besoin  d'être  expli- 
qués. 

Vers  le  milieu  du  xv®  siècle,  on  adopta  un  système  de  pans  de  bois  qui 
présentait  une  grande  puissance,  mais  qui  exigeait  une  main-d'œuvre 
compliquée.  Il  consiste  en  un  treillis  de  pièces  assemblées  à  mi-bois,  de 
façon  à  former  une  série  de  losanges.  C'est  ainsi  que  sont  disposés  les 
quatre  pans  de  bois  qui,  après  l'incendie  des  charpentes  de  la  cathédrale 
de  Reims,  en  1481,  furent  destinés  à  porter  une  flèche  de  charpente 
qu'on  n'éleva  jamais.  Vers  le  milieu  du  xvi''  siècle  on  façonna  des  pans  de 
bois  de  face  d'habitations  privées,  d'après  ce  système  qui  fut  suivi  jusque 
sous  Louis  XIII.  On  construisait  alors  aussi  des  pans  de  bois  dits  en  brins 
de  fougère,  ainsi  que  l'indique  Mathurin  Jousse  dans  son  œuvre  publiée 
pour  la  première  fois  en  1627.  Plusieurs  maisons  de  Rouen  et  d'Orléans 
nous  montrent  encore  des  façades  en  pans  de  bois  ainsi  combinées,  et  qui 
présentent  une  grande  solidité  en  ce  qu'ils  acquièrent  une  rigidité  par- 
faite. Si  on  les  compare  à  ces  ouvrages,  nos  pans  de  bois  modernes  enduits 
sont  très-grossiers  et  n'ont  qu'une  durée  très-limitée. 

PANNE,  s.  f.  Pièce  de  charpente  posée  horizontalement  sur  les  arbalé- 
triers des  combles,  et  destinée  à  porter  les  chevrons.  La  plupart  des 
combles  taillés  pendant  le  moyen  âge  se  composent  d'une  suite  de  che- 
vrons portant  ferme,  dépourvus  de  pannes  par  conséquent  (voy.  Char- 
pente). Cependant  les  charpentiers  de  cette  époque  faisaient,  dans  cer- 
tains cas,  usage  des  pannes.  L'emploi  des  pannes  devint  fréquent  dès  que 
l'on  dut  économiser  les  bois  de  grande  longueur, 

PARPAING,  s.  m.  Se  dit  d'une  pierre  faisant  l'épaisseur  d'un  mur.  Pen- 
dant le  moyen  âge  on  employait  rare- 
ment les  parpaings.  Presque  tous  les 
murs  en  pierre  de  taille  se  composaient 
de  carreaux  et  de  boutisses.  Les  pierres  A 
(voy.  la  fig.)  sont  des  carreaux;  les  pier- 
res B,  des  boutisses;  les  pierres  C,  des  parimings.  (Voy.  Construction.) 

» 

PARVIS,  s.  m.  Nous  ne  discuterons  pas  les  étymologies  plus  ou  moins 
ingénieuses  qui  ont  pu  donner  naissance  à  ce  mot.  On  appelle  parvis,  un 
espace  enclos,  souvent  relevé  au-dessus  du  sol  environnîint,  une  sorte  de 
plate-forme  qui  précède  la  façade  de  quelques  églises  françaises. 

Notre-Dame  de  Paris,  Notre-Dame  de  Reims,  possédaient  leur  parvis. 
Quelques  églises  conventuelles  ont  parfois  devant  leur  façade  des  parvis, 
mais  ces  derniers  avaient  un  caractère  particulier. 

Le  parvis  est  évidemment  une  tradition  de  l'antiquité  :  les  temples  des 


E 


A 


C 


—    51     —  [    PARVIS    1 

Grecs  étaient  habituellement  précédés  d'une  enceinte  sacrée  dont  la  clô- 
ture n'était  qu'une  barrière  à  hauteur  d'appui. 

Les  Romains  suivirent  cet  exemple,  et  nous  voyons  sur  une  médaille 
frappée  à  l'occasion  de  l'érection  du  temple  d'Antonin  et  Faustine,  à 
Rome  S  la  façade  du  monument,  devant  laquelle  est  figurée  une  barrière 
avec  porte.  Ces  enceintes  ajoutaient  au  respect  qui  doit  entourer  tout 
édifice  religieux^  en  isolant  leur  entrée,  en  la  séparant  du  mouvement  de 
la  voie  publique.  Dn  des  plus  remarquables  parvis  de  l'époque  romaine 
est  celui  qu'Adrien  éleva  en  avant  du  temple  du  Soleil,  àBaalbek.  Ce  par- 
vis était  entouré  de  portiques  avec  exèdres  couverts,  et  était  précédé 
d'une  avant-cour  à  six  côtés,  avec  péristyle  et  large  emmarchement. 

Les  premières  basiliques  chrétiennes  possédaient  également  une  cour 
entourée  de  portiques,  en  avant  de  leur  façade,  et  au  milieu  de  cette 
cour  étaient  placés  quelques  monuments  consacrés,  tombeaux,  puits, 
fontaines,  statues. 

Le  parvis  de  nos  cathédrales  n'est  qu'un  vestige  doces  traditions  ;  mais 
la  cathédrale  française,  à  dater  de  la  fin  du  xii*  siècle,  se  manifeste  comme 
nn  monument  accessible,  fait  pour  la  cité,  ouvert  à  toute  réunion  :  aussi 
le  parvis  n'est  plus  qu'une  simple  délimitation,  il  ne  se  ferme  pas;  il  n'est, 
à  proprement  parler,  qu'une  plate-forme  bornée  par  des  ouvrages  à  claire- 
voie  peu  élevés,  nepouvantopposer  un  obstacle  à  la  foule.  C'est  un  espace 
résené  à  la  juridiction  épiscopale,  devant  l'église  mère. 

C'était  dans  l'enceinte  du  parvis  que  les  évoques  faisaient  dresser  ces 
échelles  sur  lesquelles  on  exposait  les  clercs  qui,  par  leur  conduite, 
avaient  scandalisé  la  cité  ;  c'était  aussi  sur  les  dalles  du  parvis  que  certains 
coupables  devaient  faire  amende  honorable.  C'était  encore  sur  le  parvis 
qu'on  apportait  les  reliques  à  certaines  occasions,  et  que  se  tenaient  les 
clercs  d*un  ordre  inférieur  pendant  que  le  chapitre  entonnait  le  Gloi'ia 
du  haut  des  galeries  extérieures  de  la  façade  de  l'église  cathédrale. 

Nous  n'avons  sur  la  forme  de  l'ancien  parvis  de  Notre-Dame  de  Paris 
que  des  données  assez  vagues.  Au  xvi*  siècle,  il  ne  consistait  qu'en  un 
petit  mur  d'appui  avec  trois  entrées,  l'une  en  face  du  portail,  donnant  à 
côté  de  la  chapelle  de  Saint-Christophe  ;  celle  de  gauche  s'ouvrant  près 
delà  fiiçade  de  Saint-Jean  le  Rond,  et  la  troisième  en  regard,  descendant 
»Ma  Seine  ^.  Ce  mur  d'appui  n'avait  pas  plus  de  quatre  pieds  de  haut.  Le 
sol  du  parvis  de  la  cathédrale  de  Paris  était  au  niveau  du  sol  intérieur  de 
l'église,  si  ce  n'est  du  côté  gauche,  au  droit  de  la  porte  de  la  Vierge,  où  il 
s'abaissait  de  30  à  ^0  centimètres  ^.  Du  parvis  on  descendait  sur  la  berge 
de  la  rivière,  avant  la  construction  du  pont,  par  un  degré  de  treize  mar- 

*  Diva  Faustixa.  Sur  le  revers,  Aeternitas.  Autour  de  l'image  du  temple,  S.  C. 

*  Voyeï  le  plan  de  Paris  gravé  sur  bois,  joint  aux  Recherches  de  Belleforest;  le  plan 
de  Mérian,  la  tapisserie  de  l'Hôtel  de  viUe,  et  la  gravure  de  la  façade  de  Notre-Dame 
de  Van  Iferlen. 

'  Cot  ancien  f»ol  a  été  découvert  en  1847. 


[  PARVIS  ]  —   52   — 

ches.  C'est  ce  qui  a  fait  supposer  que  devant  la  façade  de  l'église  s'éten- 
dait un  perron  de  Ireize  marches.  Il  est  îi  croire  que  du  côté  du  Marché- 
Neuf,  on  descendait  également  plusieurs  marches  pour  arriver  ù  la  voie 
publique  qui  passait  entre  l'Hôtel-Dieu  et  la  chapelle  Saint-Christophe  ; 
mais  ce  degré  dut  être  supprimé  dès  le  xiv*"  siècle,  puisque  alors  les  gens 
à  cheval  pouvaient  arriver  sur  le  sol  même  du  parvis.  L'enceinte  avait 
environ  35  mètres  de  large  sur  autant  de  longueur  *. 

Le  parvis  de  la  cathédrale  de  Reims,  beaucoup  moins  étendu  que  celui 
de  Notre-Dame  de  Paris,  demeura  entier  jusqu'au  sacre  de  Louis  XVI. 
C'était  une  charmante  clôture  dont  il  reste  une  amorce  le  long  du  contre- 
fort extérieur  à  la  gauche  de  la  façade.  Des  dessins  et  des  gravures  de 
cette  clôture  existent  encore,  et  nous  permettent  de  la  restituer.  Le  plan 
du  parvis  de  Notre-Dame  de  Reims  ne  présentait  pas  un  parallélogramme, 
mais  un  trapèze,  ainsi  que  le  fait  voir  le  plan,  figure  1 .  Il  n'était  point 
relevé  au-dessus  du  sol  de  la  voie  publique,  comme  l'était  le  parvis  de  la 
cathédrale  de  Paris,  et  le  grand  degré  montant  au  portail  était  posé  à 
l'intérieur  de  l'enceinte  ,  devant  le  contre-fort.  Le  pan  coupé  A  (voy.  le 
plan)  avait  été  ménagé  afin  de  faciliter  l'accès  vers  l'entrée  des  cloîtres, 
situés  sur  le  ilanc  nord  de  la  nef. 

L'enceinte  se  composait  de  pilettes  portant  un  appui  avec  pinacles  aux 
entrées  et  aux  angles,  c'est-à-dire  en  B.  Nous  donnons  en  C  le  détail  de 
cette  clôture  à  l'extérieur,  et  en  D  sa  coupe.  Les  deux  pinacles  B'  de  cha- 
que côté  de  l'entrée  principale  étaient  surmontés  de  supports  avec  écus- 
sons  ;  des  fleurons  G  amortissaient  les  autres  pinacles. 

Le  parvis  de  la  cathédrale  d'Amiens  est  relevé  ;  mais  sa  clôture,  si  ja- 
mais elle  a  été  faite,  n'existe  plus  depuis  longtemps'^. 

Les  parvis  des  églises  conventuelles  dont  les  façades  donnaient  sur  une 
place  publique  étaient  souvent  établis  en  contre-bas  du  sol  extérieur  :  tel 
était  le  parvis  de  l'église  abbatiale  de  Saint-Denis  ^.  L'église  abbatiale  de 
Sainte-Radegonde,  à  Poitiers,  a  conservé  encore  cett«  disposition  fort 
ancienne,  mais  rétablie  vers  la  fin  duxv*"  siècle.  La  figure  2  présente  une 
vue  à  vol  d'oiseau  de  la  moitié  de  ce  parvis,  l'axe  étant  en  A.  Deux  des- 
centes sont  ouvertes  sur  la  face.  Le  terrain  s'inclinait  vers  le  portail  de 
l'église  ;  deux  autres  entrées  sont  pratiquées  latéralement  de  plain-pied. 
Des  figures  d'anges  agenouillés,  tenant  des  écussons  armoyés,  surmon- 
tent les  bahuts  des  deux  entrées  de  face  vers  l'extérieur.  Des  animaux, 
chiens  et  lions,  amortissent  les  angles  des  entrées  latérales  et  le  revers 
des  bahuts  des  entrées  de  face.  Un  ressaut  avec  écusson  se  présente 

1  Nous  avons  pu,  sur  plusieurs  points,  retrouver  les  fondations  de  cette  enceinte.  Des 
restes  romains  existent  sous  toute  la  surface  de  la  place  actuelle,  immédiatement  sous  le 
pavé  :  ce  qui  prouve  que  le  sol  du  parvis  était  au  niveau  du  dallage  de  l'église. 

'^  Ce  parvis,  devenu  inabordable,  doit  être  prochainement  restauré. 

3  Nous  avons  trouvé  des  traces  du  dullagc  de  ce  parvis,  auquel  on  descendait  évident- 
ment  dès  une  époque  ancienne,  c'est-ànJirc  du  temps  de  Suger. 


[   PARVIS   ] 

Fi 


^ 


dans  l'axe.  Une  coupe  (Ag.  3)  f^ite  sur  l'un  des  degrés  de  Tace  donne 


[    PABVIS   1  —   oU    — 

le  détail  de  la  dispo^itiun  de  celle  clâliire.  Des  bnncs  garnissent  tout  le 


bahut  du  cAté  intérieur.  Le  lerre-plein  du  parvis  était  dallé,  les  i 
s'écoutant  par  les  issues  latérales. 


Il  n'est  pas  besoin  de  faire  ressortir  l'clTet  monumental  de  ces  aires 
clôturées  en  avant  des  églises.  Quelquefois,  comme  devant  le  portail  de 
l'église  abbatiale  de  Cluny,  une  croix  de  pierre  était  plantée  au  milieu  du 


—  55    —  [  PAVAGE    ] 

parvii>;  des  lombes  étaient  élevées  dans  l'enceinte.  Ces  dispositions,  comme 
la  plupart  de  celles  qui  tenaient  à  la  dignité  des  églises  cathédrales  ou 
abbatiales^  furent  bouleversées  par  les  abbés  et  les  chapitres  pendant  le 
dernier  siècle.  Ces  emplacements  furent  livrés,  moyennant  une  rede- 
vance, à  des  marchands,  les  jours  de  foire,  puis  bientôt  se  couvrirent 
d'échoppes  permanentes.  Pour  quelques  rentes,  le  clergé  des  cathédrales 
et  des  abbayes  aliénait  ainsi  les  dépendances  de  Téglise  ;  le  premier 
il  portait  le  marteau  sur  tout  ce  qui  devait  inspirer  le  respect  pour  les 
monuments  sacrés. 


PATIENCE,  s.  f.  [misMcorde).  Petit  siège  en  forme  de  cul-dc-lampe, 
placé  sous  la  tablette  mobile  des  stalles,  et  servant  de  point  d'appui  lors- 
que celle-ci  est  relevée.  (Voy.  Stallb.) 

PAVAGE,  s.  m.  Le  pavage  des  voies  publiques,  des  places,  des  cours 
des  palais,  est  un  travail  qu'on  ne  voit  entreprendre  que  dans  un  État 
civilisé.  Les  Romains  apportaient,  comme  chacun  sait,  une  grande  at- 
tention aux  pavages  des  rues  des  villes,  et  partout  où  ils  ont  séjourné, 
on  retrouve  de  ces  grandes  pierres  dures,  granit,  grès,  lave,  basalte,  po- 
sées irrégulièrement  au  moyen  d'une  sauterelle,  et  formant,  sur  une  cou- 
che de  béton,  une  surface  assez  unie  et  d'un  aspect  monumental.  Ces 
pavages,  établis  de  manière  à  durer  plusieurs  siècles,  servirent  en  effet  jus- 
que pendant  les  premiers  temps  du  moyen  âge.  Peu  à  peu,  n'étant  pas 
renouvelés  ni  môme  entretenus,  ils  se  dégradèrent,  furent  remblayés, 
afln  de  boucher  les  ornières  les  plus  profondes,  et  disparurent  sous  une 
épaisse  couche  de  boue  ou  de  poussière.  Les  grandes  voies  des  villes 
gallo-romaines,  pendant  la  période  cariovingienne,  conservèrent  tant 
bien  que  mal  les  pavages  antiques,  mais  les  égouts  s'obstruaient,  les  pavés 
s'écrasaient,  et  ces  voies  ne  formaient  plus  que  des  cloaques  immondes. 
Cependant,  déjà  au  xii*  siècle,  on  pavait 
certaines  places  ou  des  voies  fréquen- 
tées. 

Nous  avons  retrouvé  parfois  des  restes 
de  ces  pavages,  faits  habituellement  de 
petits  cubes  de  grès  ou  de  pierre  résis- 
tante» (fig.  1). 

Philippe-Auguste  passe  pour  avoir  fait 
paver  les  rues  de  Paris  au  moyen  de  gran- 
des pierres  de  grès*.  Guillaume  le  Breton 
prétend  que  ce  pavage  était  fait  de  pierres 
carrées  et  assez  grosses.  Il  n'existe  pas 
trace  de  ce  pavé.  Lorsque,  il  y  a  quelques  années,  on  découvrit  les  fonda- 

»  Dans  la  cité,  à  Paris  ;  à  Vczclay,  ù  Sentis,  à  Provins,  à  Coiicy-lc-Chàlcau. 
^  Guillaume  de  Naugis,  Chronicon,  1184,  édit.  de  la  Société  de  l'histoire  de  Fn^uce, 
*'  1,  p.  78. 


1 


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[  PEINTURE   ]  —   56    — 

lions  du  petit  Châtelet  pour  rebâtir  le  Petit-Pont,  on  enleva  une  assez 
grande  quantité  de  pavés  de  grès  posés  à  1  mètre  en  contre-bas  du  soi 
actuel.  Ces  pavés  avaient  environ  0",^0  carrés  et  0",20  d'épaisseur.  Très- 
usés  sur  leur  face  externe,  ils  avaient  dû  servir  pendant  un  assez  long 
temps,  et  dataient  probablement  de  l'époque  de  la  construction  du  Châ- 
telet  (fin  du  xiii*  siècle).  Pendant  les  xv*  et  xvi*  siècles  on  employait  fré- 
quemment les  cailloux  pour  paver  les  voies  publiques,  les  cours  et  les 
places.  Ces  cailloux  étaient  damés  sur  un  fond  de  sable,  ainsi  que  cela  se 
pratique  encore  dans  quelques  villes  du  midi  de  la  France,  notamment 
à  Toulouse.  A  Paris,  la  rue  de  la  Juiverie  avait  été  repavée  d'après  ce  sys- 
tème et  comme  essai,  pendant  la  Ligue. 

Quand  les  pentes  étaient  roides,  on  pavait  les  voies  au  moyen  de  pier- 
res dures  posées  de  champ.  Nous  avons  découvert  des  pjivésde  ce  genre, 
en  bon  état  de  conservation,  aux  alentours  du  château  de  Pierrefonds. 

Les  étages  inférieurs  des  habitations  étaient  souvent  pavés,  et  Ton  voyait 
encore  des  maisons  du  moyen  âge,  il  y  a  peu  d'années,  dont  le  sol  à  rez- 
de-chaussée  était  couvert  de  petits  cubes  de  pierre  de  0",10  de  côté  en- 
viron, posés  jointifs  sur  une  aire  de  mortier  ou  de  ciment. 

PEINTURE,  s.  f.  Plus  on  remonte  vers  les  temps  antiques,  plus  on  recon- 
naît qu'il  existait  une  alliance  intime  entre  Tarchitecture  et  la  peinture. 
Tous  les  édifices  de  l'Inde,  ceux  de  l'Asie  Mineure,  ceux  d'Egypte,  ceux 
de  la  Grèce,  étaient  couverts  de  peintures  en  dedans  et  au  dehors.  L'ar- 
chitecture des  Doriens,  celles  de  l'Attique,  de  la  Grande-Grèce  et  de 
l'Étrurie  étaient  peintes.  Les  Romains  paraissent  avoir  été  les  premiers 
qui  aient  élevé,  sous  l'empire,  des  monuments  de  marbre  blanc  ou  de 
pierre  sans  aucune  coloration  ;  quant  à  leurs  enduits  de  stuc,  ils  étaient 
colorés  à  l'extérieur  comme  à  l'intérieur.  Les  populations  barbares  de 
l'Europe  septentrionale  et  occidentale  peignaient  leurs  maisons  et  leurs 
temples  de  bois,  et  les  Scandinaves  prodiguaient  les  couleurs  brillantes 
et  les  dorures  dans  leurs  habitations. 

Nous  devons  seulement  ici  constater  ces  faits  bien  connus  aujourd'hui 
des  archéologues,  et  ne  nous  occuper  que  de  la  peinture  appliquée  à 
l'architecture  française  du  moyen  âge.  Alors,  comme  pendant  la  bonne 
antiquité,  la  peinture  ne  parait  pas  avoir  été  jamais  séparée  de  l'archi- 
tecture. Ces  deux  arts  se  prêtaient  mutuellement  secours,  et  ce  que  nous 
appelons  le  tableau  n'existait  pas,  ou  du  moins  n'avait  qu'une  importance 
très-secondaire.  Grégoire  de  Tours  signale,  à  plusieurs  reprises,  les  pein- 
tures qui  décoraient  les  édifices  religieux  et  les  palais  de  son  t«mps.  «ës- 
c(  tu  (disent,  à  Gondovald,  les  soldats  qui  assiègent  la  ville  de  Commin- 
a  ges),  es-tu  ce  peintre  qui,  au  temps  du  roi  Glotaire,  barbouillait  en  treillis 
a  les  murailles  et  les  voûtes  des  oratoires  *  ?  »  Quand  ce  prélat  répara 

1  «  Tune  es  pictor  ille,  qui,  lempore  Ghlotfaacharii  régis,  per  oratoria  parietes  atqu6 
«  caméras  caraxabas.  »  (Greg.  Turon.,  Hist,  Franc. ^  iib.  Vil,  cap.  xxxvi.) 


—    57    —  [   PEINTURE   ] 

les  basiliques  de  Saint-Perpétue,  à  Tours,  il  les  lit  «  peiudre  et  décorer 
par  les  ouvriers  du  pays  avec  tout  l'éclat  qu'elles  avaient  ancienne- 
ment' ».  Cet  usage  de  peindre  les  édifices  fut  continué  pendant  toute  la 
période  carlovingienne,  et  Frodoard  nous  apprend  que  TévêqucHincmar, 
reconstruisant  la  cathédrale  de  Reims,  a  orna  la  voûte  de  peintures, 
éclaira  le  temple  par  des  fenêtres  vitrées,  et  le  fit  paver  de  marbre  *  ». 
Les  recherches  faites  sur  l'architecture  dite  romane  constatent  que  la 
peinture  était  considérée  comme  l'achèvement  nécessaire  de  tout  édifice 
civil  et  religieux,  et  alors  s'appliquait-elle  de  préférence  à  la  sculpture 
d'ornement  ou  à  la  statuaire^  aux  moulures  et  profils,  comme  pour  en 
faire  ressortir  l'importance  et  la  valeur.  Toutefois,  dès  que  cette  archi- 
tecture prend  un  caractère  original,  qu'elle  se  dégage  des  traditions  gallo- 
romaines,  c'est-à-dire  vers  la  fin  du  xi**  siècle,  la  peinture  s'y  applique 
suivant  une  méthode  particulière,  comme  pour  en  faire  mieux  saisir  les 
proportions  et  les  formes.  Nous  ne  savons  pas  trop  comment,  suivant 
quel  principe,  la  peinture  couvrait  les  monuments  carlovingiens  en  Oc- 
cident, et  nous  n'avons  guère,  pour  nous  guider  dans  ces  recherches,  que 
certaines  églises  d'Italie,  comme  Saint-Vital  de  Ravenne,  par  exemple, 
quelques  mosaïques  existant  encore  dans  des  basiliques  de  Rome  ou  de 
Venise  ;  et  dans  ces  restes  l'effet  des  colorations  obtenues  au  moyen  de 
ces  millions  de  petits  cubes  de  verre  ou  de  pierre  dure  juxtaposés,  n'est 
pas  toujours  d'accord  avec  les  formes  de  l'architecture.  D'ailleurs  ce  mode 
de  coloration  donne  aux  parois,  aux  voûtes,  un  aspect  métallique  qui  ne 
s'harmonise  ni  avec  le  marbre,  ni,  à  plus  forte  raison,  avec  la  pierre  ou 
le  stuc  des  colonnes,  des  piliers,  des  bandeaux,  soubassements,  etc.  La 
mosaïque  dite  byzantine  a  toujours  quelque  chose  de  barbare  ;  on  est 
surpris,  préoccupé  ;  ces  tons  d'une  intensité  extraordinaire,  ces  reflets 
étranges  qui  modifient  les  formes,  qui  détruisent  les  lignes,  ne  peuvent 
convenir  à  des  populations  pour  lesquelles  l'architecture,  avant  tout,  est 
un  art  de  proportions  et  de  combinaisons  de  lignes.  Il  est  certain  que  les 
Grecs  de  l'antiquité,  qui  cependant  regards^ient  la  coloration  comme  né- 
cessaire à  l'architecture,  était  trop  amants  de  la  forme  pour  avoir  admis 
la  mosaïque  dite  byzantine  dans  leurs  monuments,  ils  ne  connaissaient 
la  peinture  que  comme  une  couverte  unie,  mate,  fine,  laissant  aux  lignes 
leur  pureté,  les  accentuant  même,  exprimant  les  détails  les  plus  délicats. 
La  peinture  appliquée  à  l'architecture  ne  peut  procéder  que  de  deux 
manières  :  ou  elle  est  soumise  aux  lignes,  aux  formes,  au  dessin  de  la 
structure;  ou  elle  n'en  lient  compte,  et  s'étend  indépendante  sur  les 
parois,  les  voûtes,  les  piles  et  les  profils. 

Dans  le  premier  cas,  elle  fait  essentiellement  partie  de  l'architecture; 

'  «  Basilicas  saiicli  Perpctui  adusias  iuceudio  reperi^  quas  in  illo  uilorc  vel  pin|;i,Vcl 
«  exornari,  ut  prius  fucraiit,  arlilicuiii  nustroniin  opère,  iinperavi.  »  [\aU.  X,  cap.  xxxi, 

*  Frodoard,  //i>/.  fie  f  église  ffe  Heimny  chap.  v. 

vu.   -    8 


[   PEINTURE   ]  —    58   — 

dans  le  second,  elle  devient  une  décoration  mobilière,  si  Ton  peut  ainsi 
s'exprimer,  qui  a  ses  lois  particulières  et  détruit  souvent  Teffet  architec- 
tonique  pour  lui  substituer  un  effet  appartenant  seulement  à  Tart  du 
peintre.  Que  les  peintres  considèrent  ce  dernier  genre  de  décoration  pic- 
turale comme  le  seul  bon,  cela  n'a  rien  qui  doive  surprendre;  mais  que 
l'art  y  gagne,  c'est  une  question  qui  mérite  discussion.  La  peinture  ne 
s'est  séparée  de  l'architecture  qu'à  une  époque  très-récente,  c'est-à-dire 
au  moment  de  la  renaissance.  Du  jour  que  le  tableau,  la  peinture  isolée, 
faite  dans  l'atelier  du  peintre,  s'est  substituée  à  la  peinture  appliquée  sur 
le  mur  qui  doit  la  conserver,  la  décoration  archi tectonique  peinte  a  été 
perdue.  L'architecte  et  le  peintre  ont  travaillé  chacun  de  leur  côté,  creu- 
sant chaque  jour  davantage  l'abîme  qui  les  séparait,  et  quand  par  hasard 
ils  ont  essayé  de  se  réunir  sur  un  terrain  commun,  il  s'est  trouvé  qu'ils 
ne  se  comprenaient  plus,  et  que  voulant  agir  de  concert,  il  n'existait  plus 
de  lien  qui  les  pût  réunir.  Le  peintre  accusait  l'architecte  de  ne  lui  avoir 
pas  ménagé  des  places  convenables,  et  l'architecte  se  croyait  en  droit  de 
déclarer  que  le  peintre  ne  tenait  aucun  compte  de  ses  dispositions  archi- 
tectoniques.  Cette  séparation  de  deux  arts  autrefois  frères  est  sensible, 
quand  on  jette  les  yeux  sur  les  essais  qui  ont  été  faits  de  nos  jours  pour 
les  accorder.  Il  est  clair  que  dans  ces  essais  l'architecte  n'a  pas  conçu, 
n'a  pas  vu  l'effet  que  devait  produire  la  peinture  appliquée  sur  les  sur- 
faces qu'il  préparait,  et  que  le  peintre  ne  considérait  ces  surfaces  que 
comme  une  toile  tendue  dans  un  atelicrmoins  commode  que  le  sien,  ne 
s'inquiétant  guère  d'ailleurs  de  ce  qu'il  y  aurait  autour  de  son  tableau. 
Ce  n'est  pas  ainsi  que  l'on  comprenait  la  peinture  décorative  pendant  le 
moyen  âge,  ni  môme  pendant  la  renaissance,  et  Michel-Ange,  en  pei- 
gnant la  voûte  de  la  chapelle  Sixtine,  ne  s'isolait  pas,  et  avait  bien  la 
conscience  du  lieu,  de  la  place  où  il  travaillait,  de  l'effet  d'ensemble  qu'il 
voulait  produire.   De  ce  qu'on  peint  sur  un  mur  au  lieu  de  peindre 
sur  une  toile,  il  ne  s'ensuit  pas  que  l'œuvre  soit  une  peinture  monumen- 
tale, et  presque  toutes  les  peintures  murales  produites  de  notre  temps  ne 
sont  toujours,  malgré  la  différence  du  procédé,  que  des  tableaux  ;  aussi 
voyons-nous  que  ces  peintures  cherchent  un  encadrement,  qu'elles  se 
groupent  en  scènes  ayant  chacune  un  point  de  vue,  une  perspective  par- 
ticulière, ou  qu'elles  se  développent  en  processions  entre  deux  lignes  ho- 
rizontales. Ce  n'est  pas  ainsi  non  plus  qu'ont  procédé  les  anciens  maîtres 
mosaïstes,  ni  les  peintres  occidentaux  du  moyen  âge.  Quant  à  la  pein- 
ture d'ornement,  le  hasard,  l'instinct,  l'imitation,  servent  seuls  aujourd'hui 
de  guides,  et  neuf  fois  sur  dix  il  serait  bien  difficile  de  dire  pourquoi  tel 
ornement  prend  cette  forme  plutôt  que  telle  autre,  pourquoi  il  est  rouge 
et  non  pas  bleu.  On  a  ce  qu'on  appelle  du  goût,  et  cela  suffit,  croit-on, 
pour  décorer  d'enluminures  l'intérieur  d'un  vaisseau  ;  ou  bien  on  recueille 
partout  des  fragments  de  peintures,  et  on  les  applique  indifféremment, 
celui-ci  qui  était  sur  une  colonne,  à  une  surface  plane,  cet  autre  qu'on 
voyait  sur  un  tympan,  à  un  soubassement.  Le  public,  eflarouché  par  ces 


—   59   —  [    PEINTURE   ] 

bariolages,  ne  trouve  pas  cola  d'im  bon  offel,  nnais  on  lui  démontre  que 
les  décorateurs  du  moyen  dge  ont  été  scrupuleusement  consultés,  et  ce 
nu*mc  public  en.conclut  que  les  décorateurs  du  moyen  âge  étaient  des 
barbares,  ce  que  d'ailleurs  on  lui  accorde  bien  volontiers. 

Dans  la  décoration  de  l'architecture,  il  faut  convenir,  il  est  vrai,  que 
la  peinture  est  la  partie  la  plus  difficile  peut-être  et  celle  qui  demande 
le  plus  de  calculs  et  d'expérience.  Alors  qu'on  peignait  tous  les  inté- 
rieurs des  édifices,  les  plus  riches  comme  les  plus  pauvres,  on  avait  né- 
cessairement des  données,  des  règles  qu'on  suivait  par  tradition  ;  les 
artistes  les  plus  ordinaires  ne  pouvaient  ainsi  s'égarer.  Mais  aujourd'hui 
ces  traditions  sont  absolument  perdues,  chacun  cherche  une  loi  incon- 
nue ;  il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si  la  plupart  des  essais  tentés  n'ont  pro- 
duit que  des  résultats  peu  satisfaisants. 

Le  XII*  siècle  atteint  l'apogée  de  l'art  de  la  peinture  architectonique 
pendant  le  moyen  âge  en  France;  les  vitraux,  les  vignettes  des  manu- 
scrits et  les  fragments  de  peintures  murales  de  cette  époque  accusent  un 
art  savant,  très-avancé,  une  singulière  entente  de  l'harmonie  des  tons,  la 
coïncidence  de  cette  harmonie  avec  les  formes  de  l'architecture.  Il  n'est 
pas  douteux  que  cet  art  s'était  développé  daiïs  les  cloîtres  et  procé- 
dait de  l'art  grec  byzantin.  Alors  les  étoffes  les  plus  belles,  les  meubles, 
les  ustensiles  colorés,  un  grand  nombre  de  manuscrits  môme,  rapportés 
d'Orient,  étaient  renfermés  dans  les  trésors  et  les  bibliothèques  des  cou- 
vents, et  servaient  de  modèles  aux  moines  adonnés  aux  travaux  d'art. 
Plus  tard,  vers  la  fin  du  xii*  siècle,  lorsque  l'architecture  sortit  des  mo- 
nastères et  fut  pratiquée  par  l'école  laïque,  il  se  fit  une  révolution  dans 
l'art  de  la  peinture,  qui,  sans  être  aussi  radicale  que  celle  opérée  dans 
l'architecture,  modifia  profondément  cependant  les  principes  posés  par 
l'école  monacale. 

Sans  parler  longuement  de  quelques  fragments  de  peinture  à  peine 
visibles,  de  linéaments  informes  qui  apparaissent  sur  certains  monu- 
ments avant  le  xi*"  siècle,  nous  constaterons  seulement  que  dès  l'époque 
gallo-romaine,  c'est-à-dire  vers  le  iv*  siècle,  tous  les  monuments  parais- 
sent avoir  été  peints  en  dedans  et  en  dehors.  Cette  peinture  était  appli- 
quée, soit  sur  la  pierre  même,  soit  sur  un  enduit  couvrant  des  murs 
de  maçonnerie,  et  elle  ne  consistait,  pour  les  parties  élevées  au-dessus  du 
sol,  qu'en  une  sorte  de  badigeon  blanc^  ou  blanc  jaunâtre,  sur  lequel 
étaient  tracés  des  dessins  très-déliés  en  noir  ou  en  ocre  rouge.  Près  du 
sol  apparaissent  des  tons  soutenus,  brun  rouge,  ou  même  noirs,  relevés 
de  quelques  filets  jaunes,  verdàtresou  blancs.  Les  sculptures  elles-mêmes 
étaient  couvertes  de  ce  badigeon  d'une  faible  épaisseur,  les  ornements 
se  détachant  sur  des  fonds  rouges  et  souvent  rehaussés  de  traits  noirs  et 
de  touches  jaunes  ^  Ce  genre  de  décoration  peinte  parait  avoir  étélong- 

1  Nous  avons  vu  beaucoup  de  traces  de  ces  sortes  de  peintures  sur  des  fragments  de 
monuments  gallo-romains  des  bas  temps;  malheureusement  ces  traces  disparaissent 
prompiciûeDt  au  contact  de  Tair. 


[    PEINTURE    J  —   60   — 

temps  pratiqué  dans  les  Gaules  et  jusqu'au  moment  où  Charlcmagne  fit 
venir  des  artistes  d'Italie  et  d'Orient.  Celle  dernière  influence  étrangère 
ne  fut  pas  la  seule  cependant  qui  dut  conduire  à  l'art  de  la  peinture 
monumentale,  tel  que  nous  le  voyons  se  développer  au  xii*^  siècle.  Les 
Saxons,  les  Normands,  couvraient  d  ornements  peints  leurs  maisons,  leurs 
ustensiles,  leurs  armes  et  leurs  barques;  et  il  existe  dans  la  bibliothèque 
du  Musée  Britannique  des  vignettes  de  manuscrits  saxons  du  xi*^  siècle  qui 
sont,  comme  dessin,  comme  finesse  d'exécution  et  comme  entente  de 
l'harmonie  des  tons,  d'une  beauté  surprenante  *.  Cet  art  venait  évidem- 
ment de  l'Inde  septentrionale,  de  ce  berceau  commun  à  tous  les  peuples 
qui  ont  su  harmoniser  les  couleurs.  La  facilité  avec  laquelle  les  Nor- 
mands, à  peine  établis  sur  le  sol  de  la  Gaule,  exercèrent  et  développèrent 
môme  l'art  de  l'architecture,  la  façon  de  vivre  déjà  raffinée  à  laquelle  les 
Saxons  étaient  arrivés  en  Angleterre  au  moment  de  l'invasion  de  Guil- 
laume le  Bâtard,  indiquent  assez  que  ces  peuples  avaient  en  eux  autre 
chose  que  des  instincts  de  pillards,  et  qu'ils  provenaient  de  fiimilles  pos- 
sédant depuis  longtemps  certaines  notions  d'art.  Mais  d'abord  il  est  né- 
cessaire de  bien  s'entendre  sur  ce  qu'est  l'art  de  la"  peinture  appliqué  à 
l'architecture.  De  notre  temps  on  a  mis  une  si  grande  confusion  en  toutes 
ces  questions  d'art,  qu'il  est  bon  de  poser  d'abord  les  principes.  Ce  qu'on 
entend  par  un  peuple  de  coloristes  (pour  me  servir  d'une  expression 
consacrée,  si  mauvaise  qu'elle  soit),  c'est-à-dire  les  Vénitiens,  les  Fla- 
mands par  exemple.,  ne  sont  pas  du  iouicolojnstes  à  la  façon  des  populations 
du  Tibet,  des  Hindous,  des  Chinois,  des  Japonais,  des  Persans  et  même 
des  Égyptiens  de  l'antiquité.  Obtenir  un  eff'et  saisissant  dans  un  tableau, 
par  le  moyen  de  sacrifices  habilement  faits,  d'une  exagération  de  certains 
tons  donnés  par  la  nature,  d'une  entente  très-délicate,  des  demi-teintes, 
comme  peuvent  le  faire,  ou  Titien,  ou  Rembrandt,  ou  Metzu,  et  faire 
un  châle  du  Tibet,  ce  sont  deux  opérations  très-distinctes  de  l'esprit.  11 
n'y  a  qu'un  Titien,  il  n'y  a  qu'un  Rembrandt- et  qu'un  Metzu,  et  tous  les 
tisserands  de  l'Inde  arrivent  à  faire  des  ccharpes  de  laine  qui,  sans 
exception  aucune,  donnent  des  assemblages  harmoniques  de  couleurs. 
Pour  qu'un  Titien  ou  qu'un  Rembrandt  se  développe,  il  faut  un  milieu 
social  extrêmement  civilisé  de  tous  points  ;  mais  le  Tibétain  le  plus  igno- 
rant, vivant  dans  une  cabane  de  bois,  au  milieu  d'une  famille  misé- 
rable comme  lui,  tissera  un  châle  dont  le  riche  assemblage  de  couleurs 
charmera  nos  yeux  et  ne  pourra  ôtre  qu'imparfaitement  imité  par  nos 
fabriques  les  mieux  dirigées.  L'état  plus  ou  moins  barbare  d'un  peuple, 
à  notre  point  de  vue,  n'est  donc  pas  un  obstacle  au  développement  d'une 
certaine  partie  de  l'art  de  la  peiniure  applicable  à  la  décoration  monu- 
mentale; mais  il  ne  faut  pas  conclure  cependant  de  ce  qu'un  peuple  est 
très-civilisé,  qu'il  ne  puisse  arriver  ou  revenir  à  cet  art  monumental; 
témoin  les  Maures  d'Espagne,  gens  très-civilisés,  qui  ont  produit  en  fait 

'  Voyez,  entre  autres,  le  manuscr.  de  la  bibliotli.  Golt.  Ncro,  D,  IV,  Évangr.  lat.  s«ax. 


—  61    —  [   PEINTURE    J 

de  peinture  appliquée  à  rurchiteclure  d'excellents  niodèles;  et  de  ce 
que  Tart  du  peintre,  comme  on  l'entend  depuis  le  xvi*  siècle,  arrive  à 
un  degré  trcs-élevé  de  perfection,  on  ne  puisse  en  môme  temps  posséder 
une  peinture  architectonique  :  témoin  les  Vénitiens  des  xv*  et  xvi''  siè- 
cles. Une  seule  conclusion  est  à  tirer  des  observations  précédentes  :  c'est 
que  l'art  du  peintre  de  tableaux  et  l'art  du  peintre  appliqué  à  l'architec- 
ture procèdent  différemment;  que  vouloir  mêler  ces  deux  arts,  c'est 
tenter  l'impossible.  Quelques  lignes  suffiront  pour  faire  ressortir  cette 
impossibilité.  Qu'est-ce  qu'un  tableau?  C'est  une  scène  qu'on  fait  voir 
au  spectateur  à  travers  un  cadre,  une  fenêtre  ouverte.  Unité  de  point 
de  vue,  unité  de  direction  de  la  lumière,  unité  d'effet.  Pour  bien  voir  un 
tableau,  il  n'est  qu'un  point,  un  seul,  placé  sur  la  perpendiculaire  élevée 
du  point  de  l'horizon  qu'on  nomme  point  visuel.  Pour  tout  œil  délicat, 
regarder  un  tableau  en  dehors  de  cette  condition  unique  est  une  souf- 
france, comme  c'est  une  torture  de  se  trouver  devant  une  décoration  de 
théâtre  au-dessus  ou  au-dessous  de  la  ligne  de  l'horizon.  Beaucoup  de 
gens  subissent  cette  torture  sans  s'en  douter,  nous  l'admettons;  mais  ce 
n'est  pas  sur  la  grossièreté  des  sens  du  plus  grand  nombre  que  nous  pou- 
vons établir  les  règles  de  l'art. 

Partant  donc  de  cette  condition  rigoureuse  imposée  au  tableau,  nous 
ne  comprenons  pas  un  tableau,  c'est-à-dire  une  scène  représentée  sui- 
vant les  règles  de  la  perspective,  de  la  lumière  et  de  l'effet,  placé  de 
telle  façon  que  le  spectateur  se  trouve  à  li  ou  5  mètres  au-dessous  de  son 
horizon,  et  bien  loin  du  point  de  vue  adroite  ou  à  gauche.  Les  époques 
brillantes  de  l'art  n'ont  pas  admis  ces  énormités  :  ou  bien  les  peintres 
(comme  pendant  le  moyen  ûge)  n'ont  tenu  compte,  dans  les  sujets  peints 
à  toutes  hauteurs  sur  les  murs,  ni  d'un  horizon,  ni  d'un  lieu  réel,  ni  de 
Feffel  perspectif,  ni  d'une  lumière  unique;  ou  bien  ces  peintres  (comme 
ceux  du  XVI*  et  duxvn' siècle)  ont  résolument  abordé  la  difficulté  en  tra- 
çant les  scènes  qu'ils  voulaient  représenter  sur  les  parois  ou  sous  le  pla- 
fond d'une  salle,  d'après  une  perspective  unique,  supposant  que  tous  les 
personnages  ou  objets  que  l'on  montrait  au  spectateur  se  trouvaient 
disposés  réellement  où  on  les  figurait,  et  se  présentaient  par  conséquent 
sous  un  aspect  déterminé  par  cette  place  même.  Ainsi  voit-on,  dans  des 
plafonds  de  cette  époque,  des  personnages  par  la  plante  des  pieds,  cer- 
taines ligures  dont  les  genoux  cachent  la  poitrine.  Naturellement  celte 
façon  de  tromper  l'œil  eut  im  grand  succès.  Il  est  clair  cependant  que 
si,  dans  cette  manière  de  décoration  monumentale,  l'horizon  est  sup- 
posé placé  à  2  mètres  du  sol,  à  la  hauteur  réelle  de  l'œil  du  spectateur, 
il  ne  peut  y  avoir  sur  toute  cette  surface  horizontale  supposée  à  2  mètres 
du  pavé,  qu'un  seul  point  de  vue.  Or,  du  moment  qu'on  sort  de  ce  point 
unique,  le  tracé  perspectif  de  toute  la  décoration  devient  faux,  toutes 
les  lignes  paraissent  danser  et  donnent  le  mal  de  mer  aux  gens  qui 
ont  pris  l'habitude  de  vouloir  se  rendre  compte  de  ce  que  leurs  yeux 
leur  font  percevoir.  Quand  l'art  en  vient  à  tomber  dans  ces  erreurs. 


[  PEINTURE   ]  —   62   — 

î\  vouloir  sortir  du  domaine  qui  lui  csl  assigné,  il  cesse  bientôt  d'exister; 
c'est  le  saut  périlleux  qui  remplace  Téloquêiice,  le  jongleur  qui  prend  la 
place  de  Torateur.  Mais  encore  les  cirtisles  qui  ont  adopté  ce  genre  de 
peinture  décorative  ont  pu  admettre  un  point,  un  seul  disons-nous,  d'où 
le  spectateur  pouvait,  pensaient-ils,  éprouver  une  satisfaction  complète  ; 
c'était  peu,  sur  toute  la  surface  d'une  salle,  de  donner  un  seul  point 
d'où  Ton  pût  en  saisir  parfaitement  la  décoration,  mais  enfin  c'était 
quelque  chose.  Les  scènes  représentées  se  trouvaient  d'ailleurs  enca- 
drées au  milieu  d'une  ornementation  qui  elle-même  affectait  la  réalité 
de  reliefs,  d'ombres  et  de  lumières  se  jouant  sur  des  corps  saillants. 
C'était  un  système  décoratif  possédant  son  unité  et  sa  raison,  tandis 
qu'on  ne  saurait  trouver  la  raison  de  ce  parti  de  peinture,  par  exemple, 
qui,  à  côté  de  scènes  affectant  la  réalité  des  effets,  des  ombres  et  des 
lumières,  delà  perspective,  place  des  ornements  plats  composés  de  tons 
juxtaposés.  Alors  les  scènes  qui  admettent  l'effet  réel  produit  par  le 
relief  et  les  différences  de  plans  sont  en  dissonance  complète  avec  cette 
ornementation  plate.  Ce  n'était  donc  pas  sans  raison  que  les  peintres  du 
moyen  âge  voyaient  dans  la  peinture,  soit  qu'elle  figurât  des  scènes,  soit 
qu'elle  ne  se  composât  que  d'ornements,  une  surface  qui  devait  tou- 
jours paraître  plane,  solide,  qui  était  destinée  non  à  produire  une  illusion, 
mais  une  harmonie.  Nous  admettons  qu'on  préfère  la  peinture  en 
trompe-l'œil  de  la  voûte  des  Grands  Jésuites  à  Rome  à  celle  de  la  voûte 
de  Saint-Savin,  près  de  Poitiers;  mais  ce  que  nous  ne  saurions  admettre, 
c'est  qu'on  prétende  concilier  ces  deux  principes  opposés.  Il  faut  opter 
pour  l'un  des  deux. 

Si  la  peinture  et  l'architecture  sont  unies  dans  une  entente  intime  de 
Yart  pendant  le  moyen  âge,  à  plus  forte  raison  la  peinture  de  figures  et 
celle  d'ornements  ne  font-elles  qu'une  seule  et  même  couverte  décorative. 
Le  même  esprit  concevait  la  composition  de  la  scène  et  celle  de  l'orne- 
mentation, la  même  main  dessinait  et  coloriait  Tune  et  l'autre,  et  les 
peintures  monumentales  ne  pouvaient  avoir  l'apparence  de  tableaux 
encadrés  de  papier  peint,  comme  cela  n'arrive  que  trop  souvent  aujour- 
d'hui, lorsqu'on  fait  ce  qu'on  veut  appeler  des  peintures  murales,  les- 
quelles ne  sont,  à  vrai  dire,  que  des  tableaux  collés  sur  un  mur,  entourés 
d'un  cadre  qui,  au  lieu  de  les  isoler  comme  le  fait  le  cadre  banal  de  bois 
doré,  leur  nuit,  les  éteint,  les  réduit  à  l'état  de  tache  obscure  ou  claire, 
dérange  l'effet,  occupe  trop  le  regard  et  gêne  le  spectateur.  Quand  la  pein- 
ture des  scènes,  sur  les  murs  d'un  édifice,  n'est  pas  traitée  comme  l'or- 
nementation elle-même,  elle  est  forcément  tuée  par  celle-ci;  il  faut, 
ou  que  l'ornementation  soit  traitée  en  trompe-l'œil,  si  le  sujet  entre  dans 
le  domaine  de  la  réalité,  ou  que  le  sujet  -soit  traité  comme  un  dessin 
enluminé,  si  l'ornementation  est  plate. 

Ces  principes  posés,  nous  nous  occuperons  d'abord  de  la  peinture  mo- 
numentale des  sujets.  Nous  avons  dit  que  l'art  grec  avait  été  la  pre- 
mière école  de  nos  peintres  occidentaux  au  point  de  vue  de  l'iconogra- 


—  63   —  [  PEINTURE  ] 

pbieet  au  point  de  vue  de  Texécution.  Cependant,  dès  le  xi'  siècle  en 
France  (et  il  ne  nous  reste  pas  de  peinture  monumentale  de  sujets  anté- 
rieurs à  cette  époque),  on  reconnaît,  dans  la  manière  dont  est  traité  le 
dessin,  une  indépendance,  une  vérité  d'expression  dans  le  geste  qu'on 
n'aperçoit  point  dans  les  peintures  dites  byzantines  de  la  même  époque. 
Pour  retrouver  cette  indépendance  dans  la  peinture  grecque,  il  faut 
feuilleter  les  manuscrits  byzantins  des  viii*  et  ix*  siècles';  plus  tard  cet 
art  grec  s'immobilise,  et  tombe  dans  une  routine  étroite  dont  il  ne  sort 
plus.  Non-seulement  nos  artistes  du  xi*  siècle  prennent  leurs  modèles 
dans  les  peintures  du  style  grec,  mais  ils  s'emparent  même  des  procédés 
matériels  adoptés  par  les  Byzantins  ;  nous  en  trouvons  la  preuve  évidente 
dans  le  traité  du  moine  Théophile  qui  vivait  au  xii*"  siècle.  L'ébauche  des 
peintures  de  l'église  de  Saint-Savin^  a  été  faite  au  pinceau;  elle  consiste 
en  des  traits  brun-rouge.  «  Les  couleurs  ont  été  appliquées  par  larges 
«  teintes  plates,  sans  marquer  les  ombres,  au  point  qu'il  est  impossible 
a  (le  déterminer  de  quel  côté  vient  la  lumière.  Cependant,  en  général, 
a  les  saillies  sont  indiquées  en  clair  et  les  contours  accusés  par  des  teintes 
«  foQcées  ;  mais  il  semble  que  l'artiste  n'ait  eu  en  vue  que  d'obtenir  ainsi 
«  une  espèce  de  modèle  de  convention,  à  peu  près  tel  que  celui  qu'on 
«  voit  dans  notre  peinture  d'arabesques.  Dans  les  draperies,  tous  les  plis 
«sont  marqués  par  des  traits  sombres  (brun-rouge),  quelle  que  soit  la 
«couleur  de  l'étoffe.  Les  saillies  sont  accusées  par  d'autres  traits  blancs 
«assez  mal  fondus  avec  la  teinte  générale.  »  (Ces  traits  ne  sont  pas 
fondus,  mais  indiqués  en  hachures  plus  ou  moins  larges  peintes  sur 
le  ton  de  l'étoffe.)  «  11  n'y  a  nulle  part  d'ombres  projetées,  et,  quant  à 
«la  perspective  aérienne,  ou  môme  à  la  perspective  linéaire,  il  est 
«  évident  que  les  artistes  de  Saint-Savin  ne  s'en  sont  nullement  préoc- 
«cupés*.» 

^  La  Bibliothèque  impériale  en  possède  quelques-uns  d'une  rare  beauté. 

'  Ces  peintures  datent  de  la  seconde  moitié  du  xi°  siècle  en  grande  partie. 

'  Vojei  la  Notice  sur  les  peintures  de  Véglise  de  Saint-Savin»  —  M.  Mérimée,  auquel 
nous  empruntons  ce  passage,  igouie  un  peu  plus  loin  ces  observations,  que  nous  devons 

signaler.  « Presque  toujours  les  figures  se  détachent  sur  une  couleur  claire  eltran- 

«  chante,  mais  il  est  difficile  de  deviner  ce  que  le  peintre  a  voulu  représenter.  Souvent 
«  une  suite  de  lignes  parallèles  de  teintes  différentes  offre  l'apparence  d'un  tapis  ;  mais 
«  cela  n'est,  je  pense,  qu'une  espèce  d'ornementation  capricieuse,  sans  aucune  préten- 
«  tien  à  la  vérité,  et  le  seul  but  de  l'artiste  semble  avoir  été  de  faire  ressortir  les  pcr- 
«  sonnages  et  les  accessoires  essentiels  à  son  sujet.  A  vrai  dire,  ces  acc/essoires  ne  sont 
«  que  des  espèces  d'hiéroglyphes  ou  des  images  purement  conventionnelles.  Ainsi  les 
«  nuages,  les  ai'bres,  les  rochers,  les  bâtiments,  ne  dénotent  pas  la  moindre  idée  d'imi- 
«  tation  ;  ce  sont  plutôt,  en  quelque  sorte,  des  explications  graphiques  ajoutées  aux 
«  groupes  de  figures  pour  l'intelligence  des  compositions. 

«  Blasés  aujourd'hui  par  la  recherche  de  la  vérité  dans  les  petits  détails  que  l'art  mo- 
«  cJeme  a  poussée  si  loin,  nous  avons  peine  à  comprendre  que  les  artistes  d'autrefois 
«  aient  trouvé  un  public  qui  admit  de  si  grossières  conventions.  Rien  cependant  de  plus 


[   PEINTURE   ]  —  èk 

Par  le  fait,  dans  ces  peintures  de  sujets,  chaque  ligure  présente  une 
silhouette  se  détachant  en  vigueur  sur  un  fond  clair,  ou  en  clair  sur  un 
fond  sombre,  et  rehaussée  seulement  de  traits  qui  indiquent  les  formes, 
les  plis  des  draperies,  les  linéaments  intérieurs.  Le  modelé  n'est  obtenu 
que  par  ces  traits  plus  ou  moins  accentués,  tous  du  môme  ton  brun,  et 
la  couleur  n'est  tiîutre  chose  qu'une  enluminure.  Les  peintures  des  vases 
dits  étrusques,  celles  qu'on  a  découvertes  dans  les  tombeaux  de  Gorneto, 
procèdent  absolument  de  la  m^^me  manière.  Alors  les  accessoires  sont 
traités  comme  des  hiéroglyphes,  la  figure  humaine  seule  se  développe 
d'après  sa  forme  réelle.  Un  palais  est  rendu  par  deux  colonnes  et  un 
fronton,  un  arbre  par  une  tige  surmontée  de  quelques  feuilles,  un  fleuve 
par  un  trait  serpentant,  etc.  Peut-on,  lorsqu'il  s'agit  de  peinture  monu- 
mentale, produire  sur  le  spectateur  autant  d'effet  par  ces  moyens  primi- 
tifs que  par  l'emploi  des  trompe-l'œil  ?  ou,  pour  parler  plus  vrai,  des 
hommes  nés  au  milieu  d'une  civilisation  chez  laquelle  on  s'est  habitué 
à  estimer  la  peinture  en  raison  du  plus  ou  moins  de  réalité  matérielle 
obtenue,  peuvent-ils  s'émouvoir  devant  des  sujets  traités  comme  le  sont 
ceux  des  tombeaux  de  Gorneto,  ceux  des  catacombes,  ou  ceux  de  l'église 
de  Saint-Savin  ?  C'est  là  toute  la  question,  qui  n'est  autre  qu'une  question 
d'éducation. 

Un  enfant  est  tout  autant  charmé,  sinon  plus,  devant  un  trait  enlu- 
miné que  devant  un  tableau  de  Rubens.  Il  n'est  pas  dit  que  ce  trait  soit 
barbare,  sans  valeur  comme  art.  Faites  au  contraire  que  ce  trait  ne 
reproduise  que  de  belles  formes,  qu'il  soit  pur  de  style  et  que  l'enlumi- 
nure soit  harmonieuse  :  si  le  spectateur  est  ému  devant  cette  interpréta- 
tion de  la  nature,  n'est-ce  pas  un  hommage  qu'il  rend  à  l'art?  et  l'art  ne 
prouve-t-il  pas  ainsi  qu'il  est  une  puissance  ?  Que  pour  la  peinture  de 
chevalet  on  en  soit  arrivé  peu  à  peu  à  une  imitation  fine  et  complète  de 
la  nature  choisie,  à  produire  des  effets  de  lumière  d'une  extrême  déli- 
catesse, à  concentrer  pour  ainsi  dire  l'attention  du  spectateur  sur  une 
scène  rendue  à  l'aide  d'une  observation  scrupuleuse,  avec  une  parfaite 
distinction,  certes  nous  ne  nous  en  plaindrons  pas,  puisque  c'est  à  ce 

({  facile  à  produire  que  l'illusion,  même  avec  cette  naïveté  de  moyens  qui  semblent  To- 
«  loigner.  Assurément  un  mur  de  scène  de  marbre,  avec  sa  décoration  immobile,  n'em- 
«  péchait  pas  les  Grecs  de  s'intéresser  à  une  action  qui  devait  se  passer  dans  une  forêt 
«  ou  parmi  les  rochers  du  Caucase  ;  et  le  parterre  de  Shakspeare,  en  voyont  deux  lances 
«  croisées  au  fond  de  la  grange  qui  servait  de  théâtre^  comprenait  qu'une  bataille  avait 
«  lieu  :  la  péripétie  l'agitait,  et  chacun  frémissait  aux  cris  de  Richard  offrant  tout  son 
a  royaume  pour  un  cheval. 

«  A  cùlé  de  cette  indiflcrence  pour  les  détails  accessoires,  ou,  si  l'on  veut,  de  cette 
u  ignorance  primitive,  on  remarque  parfois  une  imitation  très-juste  et  un  sentiment 
«  d'observation  très-fin  dans  les  altitudes  et  les  gestes  des  personnages.  Les  têtes,  bien 
«  que  dépourvues  d'expression,  se  distinguent  souvent  par  une  noblesse  singulière  et  une 
«  régularité  de  traits  qui  rappelle,  de  bien  loin,  il  est  vrai,  les  typej:  que  nous  aduiirouï' 
((  dans  l'art  antique......  n 


—  65   —  [  PEINTURE   ] 

progrès  que  nous  devons  les  chefs-d'œuvre  qui  garnissent  nos  galeries, 
et  qui  sont  une  des  gloires  de  la  civilisation  occidentale  depuis  le 
xvi**  siècle.  Mais  l'art  qui  convient  à  la  toile  encadrée,  au  tableau,  quelle 
que  soit  sa  dimension,  n'a  point  de  rapports  avec  celui  qui  est  destiné  à 
couvrir  les  murs  et  les  voûtes  d'une  salle.  Dans  le  tableau  nous  ne  voyons 
qu'une  expression  isolée  d'un  seul  art,  nous  nous  isolons  pour  le  regar- 
der; c'est,  encore  une  fois,  une  fenêtre  qu'on  nous  ouvre  sur  une  scène 
propre  à  nous  charmer  ou  nous  émouvoir.  En  est-il  de  môme  dans  une 
salle  que  l'on  couvre  de  peintures?  N'y  a-t-il  pas  là  le  mélange  de  plu- 
sieurs arts?  Doivent-ils  alors  procéder  isolément,  ou  produire  un  effet 
d'ensemble?  La  réponse  ne  saurait  être  douteuse. 

Si  nous  examinons  les  essais  qui  ont  été  tentés  pour  concilier  les  deux 
principes  opposés  de  la  peinture  prise  isolément  et  de  la  peinture  pure- 
ment monumentale,  n'apercevons-nous  pas  tout  de  suite  l'écueil  contre 
lequel  les  plus  grands  talents  ont  échoué?  Et  la  voûte  de  la  chapelle  Six- 
line  elle-même,  malgré  le  génie  prodigieux  de  l'artiste  qui  l'a  conçue  et 
exécutée,  n'est-elle  pas  un  hors-d'œuvre  qui  épouvante  plutôt  qu'il  ne 
charme?  Cependant  Michel-Ange,  architecte  et  peintre,  a  su,  autant  que 
le  programme  qu'il  s'était  imposé  le  lui  permettait,  si  bien  souder  ses 
sujets  et  ses  figures  à  l'ornementation,  à  la  place  occupée,  que  l'unité 
de  la  voûte  est  complète.  Mais  que  devient  la  salle?  Que  devient  même, 
au  point  de  vue  décoratif,  sous  cette  écrasante  conception,  la  peinture 
dw  Jugement  dernier? 

Dans  la  chapelle  Sixtine,  il  faut  s'isoler  pour  regarder  la  voûte,  s'isoler 
pour  regarder  le  Jugement  dernier^  oublier  la  salle.  On  se  souvient  de  la 
voûte,  on  se  souviendrait  très-imparfaitement  de  la  page  du  jugement, 
si  on  ne  la  connaissait  par  des  gravures;  quant  h  la  salle,  on  ne  sait  pas 
si  elle  existe.  Or,  les  arts  ne  sont  pas  faits  pour  s'entre-détruire,  mais  pour 
s'aider,  se  faire  valoir  ;  c'est  du  moins  ainsi  qu'ils  ont  été  compris  pen- 
dant les  belles  époques.  On  pardonne  bien  à  un  génie  comme  Michel- 
Ange  d'étouffer  ce  qui  l'entoure  et  de  se  nuire  au  besoin  à  lui-même, 
d'effacer  quelques-unes  de  ses  propres  pages  pour  en  faire  resplendir  une 
seule  :  celte  fantaisie  d'un  géant  n'est  que  ridicule  chez  des  hommes  de 
taille  ordinaire  ;  elle  a  cependant  tourné  la  tête  de  tous  les  peintres  de- 
puis le  XVI*  siècle,  tant  il  est  vrai  que  l'exemple  des  hommes  de  génie 
même  est  funeste  quand  ils  abandonnent  les  principes  vrais,  et  qu'il  ne 
faut  jamais  se  laisser  guider  que  par  les  principes.  De  Michel-Ange  aux 
Carrachesil  n'y  a  qu'un  pas;  et  que  sont  les  successeurs  des  Carraches? 
Les  peuples  artistes  n'ont  vu  dans  la  peinture  monumentale  qu'un 
dessin  enluminé  et  très-légèrement  modelé.  Que  le  dessin  soit  beau, 
l'cDluminure  harmonieuse,  la  peinture  monumentale  dit  tout  ce  qu'elle 
peut  dire;  la  difficulté  est  certes  assez  grande,  le  résultat  obtenu  consi- 
dérable, car  c'est  seulement  à  l'aide  de  ces  moyens  si  simples  en  appa- 
rence qu'on  peut  produire  de  ces  grands  effets  de  décoration  coloriée 
dont  l'impression  reste  profondément  gravée  dans  l'esprit. 

VII.   —  9 


[   PEINTURE  ]  —  66   — 

Nous  avons  dit  que  les  peintres  grecs  avaient  été  les  premiers  maîtres 
de  nos  artistes  occidentaux  ;  mais  en  Grèce  (nous  parlons  de  la  Grèce 
byzantine)  la  peinture  a  conservé  une  forme  hiératique  dont  chez  nous 
on  s'est  affranchi  rapidement.  Au  xiii'  siècle  déjà,  Guillaume  Durand, 
évéque  de  Mende,  écrivait  dans  son  Bationale  divinorum  officiorum  \  en 
citant  un  passage  d'Horace  :  «  Diversœ  histcrim  tam  Novi  quam  Veteris 
«  Testamenti  pro  voluntate  pictorum  depinguntur  ;  nam 

«M...  picloribus  atque  poetis, 
«  Quidlibet  audendi  semper  fuit  sequa  potestas.  » 

Cet  hommage  rendu  à  la  liberté  qui  doit  être  laissée  à  l'artiste  fait  un 
étrange  contraste  avec  la  rigueur  des  traditions  de  l'école  byzantine,  con- 
servées presque  intactes  jusqu'à  nos  jours*.  Dans  le  style  aussi  bien  que 
dans  le  faire  et  les  procédés  des  peintures  produites  en  France  pendant 
les  XI*  et  xii«  siècles,  on  reconnaît  exactement  les  enseignements  de 
Denis,  l'auteur  grec  du  Guide  de  la  peinture.  Nous  retrouvons  les  recettes 
de  ce  maître  grec  du  xi*  siècle  dans  le  traité  du  moine  Théophile  ' 
(xii*  siècle),  et  même  encore  dans  l'ouvrage  du  peintre  italien  Gennîno 
Gennini,  qui  vivait  au  xiv*  siècle  *  ;  mais  si  les  artistes  du  moyen  âge  con- 
servèrent longtemps  les  procédés  fournis  par  l'école  byzantine,  ils  s'af- 
franchirent très-promptement  des  traditions  hiératiques,  disons-nous,  et 
cherchèrent  leurs  inspirations  dans  l'observation  de  la  nature.  Toutefois 
(et  cela  est  à  remarquer),  en  donnant  au  style  de  leurs  œuvres  un  carac- 
tère de  moins  en  moins  traditionnel,  nos  artistes  occidentaux,  surtout  en 
France,  surent  laissera  leurs  peintures  une  harmonie  décorative  jusque 
vers  le  milieu  du  xv*  siècle,  en  maintenant  le  principe  du  dessin  enlu- 

1  LîT.  I,  chap.  III. 

2  Voyez  à  ce  sujet  le  Manuel  et  iconographie  chrétienne,  traduit  du  manuscrit  byzantin, 
itf  Guide  de  la  peinture,  par  le  docteur  Paul  Durand,  avec  une  introduction  et  des  notes 
de  M.  Didron.  L'auteur  de  ce  guide,  Denis,  vivait  au  xi^  siècle. 

«  Le  canon  suivant  »,  dit  M.  Didron  dans  une  de  ses  notes  (Introduction,  p.  viii), 
«  du  second  concile  de  Nicée,  comparé  au  passage  de  Tévêque  de  Mende,  exprime  à 
tt  merveille  la  condition  de  dépendance  où  vivaient  les  artistes  grecs....  «  Non  est  imngi- 
tt  num  structura  pictorum  inventio,  sed  Ecclesiœ  catholicœ  probata  legislatio  et  traditio. 
«  Nam  quod  vetustatc  exccllit  venerandum  est,  ut  inquit  divus  Basilius.  Testatur  hoc 
a  ipsa  rerum  antiquitas  et  patrum  nostrorum,  qui  Spiritu  sancto  fcruntur,  doctrina. 
tt  Etenim,  cum  bas  in  sacris  teinplls  conspicereut,  ipsi  quoque  animo  propenso  veneranda 
«  templa  exstruentes,  in  eis  quidem  gratas  orationes  suas  et  incrueuta  sacrificia  Dco  om- 
tt  nium  rerum  domino  ofTerunt.  Atqui  consilium  et  traditio  ista  non  est  pictoris  (ejus  enim 
«  sola  ars  est),  verum  ordinatio  et  dispositio  patrum  nostrorum,  quae  sedificavenint.  » 
(SS.  Concil.  Pbil.  Labbe,  t.  VU,  Synod,  Nicœna  II,  actio  vi,  col.  831  et  832.)  De  fait^ 
le  concile  de  Nicée  n'avait  pas  tout  à  fait  tort,  et  les  plus  belles  peintures  byzanUnes  con- 
nues sont  incomparablement  les  plus  anciennes. 

•  Diversarum  artium  Schedula,  publ.  par  M.  le  comte  de  l'Escalopier,  1843. 

*  Voyez  réditioude  cet  ouvrage  donnée  à  Rome,  en  1821,  par  le  chevalier  Giuseppe 
Tambroni. 


—  67   —  [   PEINTURE   1 

miné  et  légèrement  modelé.  Nos  artistes  en  France,  en  ce  qui  touche  au 
dessin,  à  l'observation  juste  du  geste,  de  la  composition,  de  l'expression 
même,  s'émancipèrent  avant  les  maîtres  de  Tltalie;  les  peintures  et  les 
vignettes  des  manuscrits  qui  nous  restent  du  xiii*  siècle  en  sont  la  preuve, 
et  cinquante  ans  avant  Giotto  nous  possédions  en  France  des.  peintures 
qui  avaient  déjà  fait  faire  à  l'art  les  progrès  qu'on  attribue  à  l'élève  Cima- 
bue*.  De  la  fin  du  xii*  au  xv*  siècle  le  dessin  se  modifie.  D'abord  rivé 
aux  traditions  byzantines,  bientôt  il  rejette  ces  données  conventionnelles 
d'école,  il  cherche  des  principes  dérivant  d'une  observation  de  la  nature, 
sans  toutefois  abandonner  le  style  ;  l'étude  du  geste  atteint  bientôt  une 
délicatesse  rare,  puis  vient  la  recherche  de  ce  qu'on  appelle  l'expres- 
sion. Le  modelé,  sans  atteindre  à  r^y/è^,  s'applique  à  marquer  les  plans. 
On  reconnaît  des  efforts  de  composition  remarquables  dès  la  seconde 
moitié  du  xiii''  siècle.  L'idée  dramatique  est  «admise,  les  scènes  pren- 
nent parfois  un  mouvement  d'une  énergie  puissante.  Vers  le  milieu 
du  xi\^  siècle,  de  fin^  de  délicat^  le  dessin  penche  déjà  vers  la  manière  ; 
les  types  admis  se  perdent  pour  être  remplacés  par  l'imitation  de  la 
nature  individuelle  :  l'exagération  de  ce  parti  est  sensible  au  commence- 
ment du  XV*  siècle,  à  ce  point  que  le  laid  s'introduit  dans  l'art  de  la  pein- 
ture, et  arrive  trop  souvent  à  s'emparer  de  toute  forme.  En  même  temps 
on  reconnaît  que  l'habileté  de  la  main  est  extrême^  que  les  artistes  pos- 
sèdent des  procédés  excellents,  et  qu'ils  poussent  à  l'excès  la  recherche 
du  détail,  la  minutie  dans  l'exécution,  dans  l'étude  des  accessoires. 

La  coloration  subit  des  transformations  moins  rapides  :  l'harmonie  de 
la  peinture  monumentale  est  toujours  soumise  à  un  principe  essentielle- 
ment décoratif;  cette  harmonie  change  de  tonalité,  il  est  vrai,  mais  c'est 
toujours  une  harmonie  applicable  aux  sujets  comme  aux  ornements. 
Ainsi,  par  exemple,  au  xn"*  siècle,  cette  harmonie  est  absolument  celle 
des  peintures  grecques,  toutes  très-claires  pour  les  fonds.  Pour  les  figures 
comme  pour  les  ornements,  ton  local,  qui  est  la  couleur  et  remplace 
ce  que  nous  appelons  la  demi-teinte  ;  rehauts  clairs,  presque  blancs,  sur 
toutes  les  saillies;  modelé  brun  égal  pour  toutes  les  nuances;  finesses  soit 
en  clair  sur  les  grandes  parties  sombres,  soit  en  brun  sur  les  grandes  par- 
ties claires,  afin  d'éviter,  dans  l'ensemble,  les  taches.  Couleurs  rompues, 
jamais  absolues  ^,  au  moins  dans  les  grandes  parties;  quelquefois  emploi 
du  noir  comme  rehauts.  L'or,  admis  comme  broderie,  comme  points  bril- 
lants, nimbes;  jamais,  ou  très-rarement,  comme  fond.  Couleurs  domi- 
nantes, l'ocre  jaune,  le  brun-rouge  clair,  le  vert  de  nuances  diverses  ; 
couleurs  secondaires,  le  rose  pourpre,  le  violet  pourpre  clair,  le  bleu  clair. 
Toujours  un  trait  brun  entre  chaque  couleur  juxtaposée.  Il  est  rare,  d'ail- 

^  Il  a  manqué  à  nos  artistes  un  Vasari,  un  apologiste  exclusif.  C'est  un  malheur,  mais 
cela  diminue*-t-il  leur  mérite  ?  et  est-ce  à  nous  de  leur  reprocher  l'oubli  où  nous  les  avons 
laissés. 

^  Cela  provient  des  procédés  employés,  ainsi  que  nous  l'indiquerons  tout  à  Theure. 


[   TEINTURE   j  —    68    — 

leurs,  dans  l'harmonie  des  peintures  du  xii''  siècle,  qu'on  trouve  deux 
couleurs  d'une  valeur  égale  posées  l'une  à  côté  de  l'autre,  sans  qu'il  y  ait 
entre  elles  une  couleur  d'une  valeur  inférieure.  Ainsi,  par  exemple,  entre 
un  brun  rouge  et  un  vert  de  valeur  égale,  il  y  aura  un  jaune  ou  un  bleu 
très-clair  ;  entre  un  bleu  et  un  vert  de  valeur  égale,  il  y  aura  un  rose 
pourpre  clair.  Aspect  général,  doux,  sans  heurl,  clair,  avec  des  fermetés 
très-vives  obtenues  par  le  trait  brun  ou  le  rehaut  blanc.  Vers  le  milieu 
du  xni*  siècle,  cette  tonalité  change.  Les  couleurs  franches  dominent, 
particulièrement  le  bleu  et  le  rouge.  Le  vert  ne  sert  plus  que  de  moyen 
de  transition  ;  les  fonds  deviennent  sombres,  brun  rouge,  bleu  intense, 
noirs  môme  quelquefois,  or,  mais  dans  ce  cas  toujours  gaufrés.  Le  blanc 
n'apparaît  plus  guère  que  comme  filets,  rehauts  délicats  ;  l'ocre  jaune 
n'est  employée  que  pour  des  accessoires  ;  le  modelé  se  fond  et  participe 
de  la  couleur  locale.  Les  tons  sont  toujours  séparés  par  un  trait  brun  très- 
foncé  ou  môme  noir.  L'or  apparaît  déjà  en  masse  sur  les  vêtements,  mais 
il  est,  ou  gaufré,  ou  accompagné  de  rehauts  bruns.  Les  chairs  sont  clai- 
res. Aspect  général  chaud,  brillant,  également  soutenu,  sombre  même, 
s'il  n'était  réveillé  par  l'or.  Vers  la  fin  du  xiii*  siècle,  la  tonalité  devient 
plus  heurtée;  les  fonds  noirs  apparaissent  souvent,  ou  bleu  très-intense, 
ou  brun  rouge,  rehaussés  de  noir  ;  les  vêtements,  en  revanche,  prennent 
des  tons  clairs,  rose,  vert  clair,  jaune  rosé,  bleu  très-clair  ;  l'emploi  de 
Tor  est  moins  fréquent  ;  le  blanc  et  surtout  le  blanc  gris,  le  blanc  verdâtre, 
couvrent  les  draperies.  Celles-ci  parfois  sont  polychromes,  blanches,  par 
exemple,  avec  des  bandes  transversales  rouges  brodées  de  blanc,  ou  de 
noir,  ou  d'or.  Les  chairs  sont  presque  blanches.  Au  xiv"  siècle,  les  tons 
gris,  gris  vert,  vert  clair,  rose  clair,  dominent  ;  le  bleu  est  toujours  mo- 
difié :  s'il  apparaît  pur,  c'est  seulement  dans  des  fonds,  et  il  est  tenu 
clair.  L'or  est  rare;  les  fonds  noirs  ou  brun  rouge,  ou  ocre  jaune,  per- 
sistent ;  le  dessin  brun  est  fortement  accusé  et  le  modelé  très-passé.  Les 
rehauts  blancs  n'existent  plus,  mais  les  rehauts  noirs  ou  bruns  sont  fré- 
quents ;  les  chairs  sont  très-claires.  L'aspect  général  est  froid.  Le  dessin 
l'emporte  sur  la  coloration,  et  il  semble  que  le  peintre  ait  craint  d'en 
diminuer  la  valeur  par  l'opposition  de  tons  brillants.  Vers  la  seconde 
moitié  du  xiv*  siècle,  les  fonds  se  chargent  de  couleurs  variées  comme 
une  mosaïque,  ou  présentent  des  damasquinages  ton  sur  ton.  Les  drape- 
ries et  les  chairs  restent  claires  ;  le  noir  disparaît  des  fonds,  il  ne  sert  plus 
que  pour  redessiner  les  formes;  l'or  se  môle  aux  mosaïques  des  fonds  ;  les 
accessoires  sont  clairs,  en  grisailles  rehaussées  de  tons  légers  ou  d'orne- 
ments d'or.  L'aspect  général  est  doux,  brillant  ;  les  couleurs  sont  très- 
divisées,  tandis  qu'au  commencement  du  xv®  siècle  elles  apparaissent  par 
plaques,  chaudes,  intenses.  Alors  le  modelé  est  très-passé,  bien  que  la 
direction  une  de  la  lumière  ne  soit  pas  encore  déterminée  nettement.  Les 
parties  saillantes  sont  les  plus  claires,  et  cela  tient  au  procédé  employé 
dans  la  peinture  décorative.  Mais  dans  les  fonds,  les  accessoires,  arbres, 
palais,  bâtiments,  etc.,  so^t  déjà  traités  d'une  manière  plus  réelle;  la 


—   69    —  l   PEINTURE    ] 

perspective  linéaire  est  quelquefois  cherchée  ;  quant  à  la  perspective 
aérieone,  on  n'y  songe  point  encore.  Les  étoffes  sont  rendues  avec  adresse, 
les  chairs  très-délicatement  modelées;  Tor  se  mêle  un  peu  partout,  aux 
vêtements,  aux  cheveux,  aux  détails  des  accessoires,  et  Ton  ne  voit  pas 
de  ces  sacrifices  considérés  comme  nécessaires,  avec  raison,  dans  la 
peinture  de  tableau.  L'accessoire  le  plus  insignifiant  est  peint  avec  autant 
lie  soins,  et  tout  autant  dans  la  lumière  que  le  personnage  principal.  C'est 
là  une  des  conditions  de  la  peinture  monumentale.  Sur  les  parois  d'une 
salle  vues  toujours  obliquement,  ce  que  l'œil  demande,  c'est  une  harmo- 
nie générale  soutenue,  une  surface  également  solide,  également  riche, 
non  point  des  percées  et  des  plans  dérobés  par  des  tons  sacrifiés  qui  dé- 
rangent les  proportions  et  les  parties  de  l'architecture.  Ces  données  géné- 
rales établies,  nous  passons  à  l'étude  des  styles  de  la  peinture  de  sujets 
et  à  celle  des  procédés  employés. 

Nous  l'avons  dit  plus  haut,  les  peintures  les  plus  anciennes  que  nous 
possédions  en  France,  présentant  un  ensemble  passablement  complet, 
sont  celles  de  l'église  de  Saint-Savin,  près  de  Poitiers.  Dans  ces  peintures, 
ainsi  que  nous  l'avons  encore  avancé,  bien  qu'on  retrouve  les  tradi- 
tions de  l'école  byzantine,  on  observe  cependant  une  certaine  liberté  de 
composition^  une  étude  vraie  du  geste,  une  tendance  dramatique,  qui 
n'existent  plus  dans  la  peinture  grecque  du  xi''  siècle,  rivée  alors  à  des 
types  invariables.  Dans  les  fresques  de  Saint-Savin,  à  côté  d'un  person- 
nage représenté  évidemment  suivant  une  tradition  hiératique,  l'artiste 
a  donné  à  des  groupes  de  figures  des  attitudes  étudiées  sur  la  nature. 
Quelques  scènes  ont  môme  un  mouvement  dramatique  très-énergique- 
ment  rendu,  malgré  l'imperfection  et  la  grossièreté  du  dessin.  Nous  cite- 
rons, entre  autres,  les  scènes  de  l'Apocalypse  peintes  sous  le  porche  ;  dans 
l'église,  sous  la  voûte,  l'offrande  de  Caïn  et  d'Abel,  la  fuite  en  Egypte, 
la  construction  de  la  tour  de  Babel,  l'ivres&e  de  Noé,  les  funérailles 
d'Abraham  (tig.  1);  Joseph  vendu  par  ses  frères;  Joseph  accusé  parla 
femme  de  Putiphar.  Dans  ces  compositions  on  remarque  de  la  grandeur, 
un  sentiment  vrai,  puissant,  des  hardiesses  même,  qui  fout  assez  voir  que 
cette  école  du  Poitou  ne  se  bornait  pas  à  la  reproduction  sèche  des  pein- 
tures byzantines.  Plus  tard  cependant,  au  xii*  siècle,  nous  retrouvons 
des  peintures  françaises  se  soumettant  scrupuleusement  aux  traditions 
grecques:  telles  sont  celles  de  la  chapelle  du  Liget',  dont  le  dessin,  les 
types,  les  compositions,  le  modelé,  se  rapprochent  exactement  de  l'école 
de  Byzance  ^  au  point  qu'on  les  pourrait  attribuer  à  un  artiste  de  cette 
école. 

Dans  les  peintures  de  la  chapelle  du  Liget,  si  l'art  est  soumis  à  une 
sorte  d'archaïsme,  on  sent  la  recherche  du  beau,  on  aperçoit  les  der- 

*  Département  d'Indre-et-Loire. 

^  Tojez  les  copies  de  ces  peintures,  faites  avec  un  soin  scrupuleux  par  M.  Savinien 
Petit  [Archives  tles  monument ^  ht'Horique.^), 


[    PEINTURE   1  —    70   — 

niëres  lueurs  de  l'anliquil6.  si  brillantes  encore  dans  les  catacombes  de  la 
Rome  chrétienne.  La  figure  2,  qui  donne  l'un  des  personnages  peints  sur 
les  parois  de  la  chapelle  du  Ligel,  suffit  pour  faire  rtîssortir  les  rapports 
existant  entre  cet  art  du  \ri'  siècle  et  celui  des  époques  primitives  de  la 
peinture  byzantine.  Les  tons  de  ces  peintures  sont  doux,  le  dessin  large 


et  ferme.  Les  couleurs  sont  :  le  jaune  clair  pour  la  chasuble,  avec  orne- 
ments bruns  ;  le  vert  pour  le  capuchon  rabattu,  le  blanc  pour  la  robe  ;  le 
brun  rouge  clair  pour  le  manipule  et  le  nimbe,  ainsi  que  pour  le  fond.  Le 
dessin  est  soutenu  par  un  trait  brun. 

Pendant  la  période  du  moyen  âge  comprise  entre  le  x*  siècle  et  la  fin 
du  XII',  il  y  avait  donc,  dans  l'art  de  la  peinture  plus  encore  que  dans 
l'architecture  en  France,  diversité  d'écoles,  tâtonnements:  ici  une  sou- 
mission entière  aux  maîtres  byzantins,  là  tentatives  d'émancipations, 
observation  de  la  nature,  étude  du  geste,  recherche  de  l'etfet  dramatique. 
En  Auvergne,  par  exemple,  au  xit'  siècle,  il  existait  une  puissante  école 
de  peinture,  serrée  dans  son  exécution,  belle  par  son  style,  autant  que 
des  fragments,  rares  aujourd'hui,  nous  permettent  de  l'apprécier.  Mais 
alors  (à  la  fin  du  xii°  siècle),  l'attention  des  populations  au  nord  de  la 
Loire  semblait  se  concentrer  sur  les  développements  d'une  architecture 
nouvelle.  On  abandonnait  les  sujets  peints  sur  les  murailles  pour  se  livrer 
&  l'exécution  de  la  peinture  translucide  des  vitraux.  D'ailleurs  l'architec- 
ture nouvellement  inaugurée  n'offrait  plus  aux  artistes  de  ces  grandes 
surfaces  nues  propres  à  la  peinture.  La  peinture  se  bornait  à  la  coloration 
de  la  sculpture  et  aux  décorations  obtenues  par  des  combinaisons  d'or- 
nements. Mais  dans  les  cartons  de  leurs  vitraux,  les  peintres  avaient  l'oc- 
casion de  développer  largement  leur  talent,  et  l'art  ne  restait  pas  station- 


[  PÏIIITORE   ] 


naire.  Lorsque  la  tièvre  d'architeelure  (jui  ;■ 'empara  des  populations  du 


[    PELNTCRE   ]  —   72   — 

domaine  royal  de  1160  à  1230  fut  un  peu  calmée,  on  vit  la  peinture  de 
sujets  reparaître  sur  les  surfaces  intérieures  des  édifices,  et  Ton  put  recon- 
naître les  pas  immenses  qu'elle  avait  faits  dans  l'observation  attentive  de 
la  nature,  dans  la  recherche  du  beau  et  dans  Texéculion.  Il  faut  bien  le 
reconnaître  toutefois,  elle  avait  perdu  beaucoup  au  point  de  vue  du  grand 
style,  tel  que  l'antiquité  Tavait  compris;  elle  penchait  déjà  vers  la  ma- 
nière, l'exagération  de  l'expression;  le  geste  était  toujours  vrai,  le  dessin 
s'était  épuré,  mais  la  grandeur  faisait  place  à  la  recherche  d'une  certaine 
grâce  déjà  coquette. 

Villard  deHonnecourt,  qui  vivait  alors  (de  1230  à  1270),  nous  a  laissé, 
sur  les  méthodes  des  peintres  de  son  temps,  des  renseignements  précieux  *. 

Les  vignettes  de  ce  manuscrit  repro- 
duites en  fac-similé  dans  les  plan- 
ta ches  XXXIV,  XXXV,   xxxvi  et  xxxvii, 

nous  donnent  certains  procédés 
pratiques  pour  obtenir  les  attitu- 
des et  les  gestes  des  figures,  au 
moyen  de  combinaisons  de  lignes 
droites  ou  d'arcs  de  cercle  et  de 
figures  géométriques;  nous  nous 
bornerons  à  présenter  ici  un  seul  des 
exemples  fournis,  afin  de  faire  saisir 
les  méthodes  sur  lesquelles  Villard 
s'appuie. 

Voici  (fig.  3)  deux  lutteurs  que  le 
dessinateur  paraît  vouloir  montrer 
comme  étant  de  forces  égales^.  Le  procédé  de  tracé  est  celui-ci  (fig.  6). 
Soit  un  triangle  équilatéral  ABC,  dont  la  base  AB,  divisée  en  deux  par- 
ties égales,  donne  deux  autres  triangles  équilatéraux  secondaires.  La  ligne 
d'axe  DG  étant  prolongée,  sur  ce  prolongement  en  E  nous  prenons  un 
point,  centre  des  ari  s  de  cercle,  FG,  HI.  Sur  l'arc  FG,  ayant  marqué 
deux  point  0,  0,  ces  points  sont  les  centres  des  arcs  KL.  Ainsi,  les 
côtés  du  grand  triangle  équilatéral  et  les  côtés  des  deux  petits  triangles 
nous  donnent  la  direction  des  jambes  des  lutteurs  ;  les  deux  arcs  FG,  HI, 
le  mouvement  des  genoux  et  des  torses  ;  les  arcs  KL,  la  ligne  des  dos 
des  deux  figures.  D'où  s'ensuit  la  stabilité  des  personnages  et  la  relation 
de  leur  attitude.  Villard,  qui  n'est  pas  un  peintre,  mais  un  architecte,  ne 
donne  qu'un  certain  nombre  de  ces  figures  obtenues  au  moyen  de  tracés 
géométriques,  et  principalement  de  triangles;  mais  il  nous  fait  suffisam- 
ment connaître  ainsi  quelles  étaient  les  méthodes  pratiques  employées 
par  les  imagiers  ;  méthodes  qui  obligeaient  les  artistes  les  plus  médiocres 

'  Voyez  VAibum  de  ViUavd  de  Honnecourf,  ins.  publ.  en  fac-siiiiile,  avec  notes    par 
I.assu0,  et  coinincolaires  par  A.  Darcel.  Paris^   1858,  chez  Dclion. 
*  Cette  figure  est  copiée  en  fac-similé. 


—  75  —  [  PiipiTnRB  ] 

*  **  renfermer  dans  l'observation  de  certaines  lois  très-simples,  d'une 
'jtVlication  facile,  à  l'aide  desquelles  ils  restaienldans  des  données  justes 
^J"  moins,  s'ils  n'avaient  un  mérite  assez  élevé  pour  produire  des  chefs- 


Dans  les  peintures  françaises  du  xiii*  siècle  qui  nous  restent,  l'art  ar- 
chaïque, encore  conservé  pendant  la  période  du  xu*  siècle,  est  abandonné  ; 
les  artistes  cherchent  non-seulement  la  vérité  dans  le  geste,  mais  une 
souplesse  dans  les  poses,  déjà  éloignée  de  la  rigidité  du  dessin  byzantin. 
Le  faire  devient  plus  libre,  l'observation  de  la  nature  plus  délicate.  L'exem- 
ple que  nous  donnons  ici  (flg.  5),  copié  sur  un  fragment  d'une  pein- 
ture de  la  Qn  du  xiii*  siècle  ',  explique  en  quoi  consiste  ce  changement 
ou  plulét  ce  progrès  dans  l'art.  Ici  le  Irois-quart  de  la  tête  de  la  Vierge 
est  finement  tracé.  La  pose  ne  manque  pas  de  souplesse,  les  draperies 
sont  dessinées  avec  une  liberté  et  une  largeur  remarquables  au  moyen 
(l'un  trait  brun  rouge*.  On  voit  que  le  peintre  a  dû  opérer  sur  un  décalque 
ne  donnant  qu'une  masse  générale,  une  silhouette  et  quelques  linéa- 
ments principaux,  et  que  les  détails  ont  été  rendus  au  bout  de  pinceau. 
Certains  repentirs  même  ont  été  laissés  apparents,  dans  le  bas  du  man- 

'  Du  lonibcsu  d'un  abbé  de  Saint- Philibert  de  Touraus-  Vojez   le»  copies  Tiiiteg  par 
■-  DïDuclli!  sur  i'cnsfmblc  de  cette  peinture  remarquable,  rcprcsciitunt  u 
■Ml  de  II  Vierge  {Arcliiaea  des  momttmnls  hâtoriqnea), 

UcoloruîQU  de  cette  |ieiiituri!  a  pretque  entièrement  disparu. 

¥11.   —  10 


[    PEISTUBB   ]  —   1^1    — 

leau  du  cùlé  gauche.  Souvent  ces  peintures  murales  sont  de  véritables 
improvisations  ;  ces  artistes  ne  fiiisaienl  des  cartons  que  pour  des  sujets 
étudiés  avec  un  soin  exceptionnel.  Or,  pour  tracer  comme  un  croquis  une 


figure  de  grandeur  naturelle,  ii  faut  posséder  des  méthodes  sûres,  très- 
arrêtées. 

Les  peintres  byzantins  ne  faisaient  pas,  cl  encore  aujourd'hui  ne  font 
pas  de  cartons;  ils  peignent  immédiatement  sur  le  mur.  PenUanl  le 
moyen  âge,  en  Occident,  on  procédaitde  la  même  manière  :  c'est  ce  qui 
explique  l'ulilité  absolue  de  ces  recettes  données  dans  le  Guide  de  la 


—    75    —  [   PEINTURE   ] 

peinture  cité  plus  haut,  dans  l'essai  du  moine  Théophile  et  dans  le  traité 
(le  Cennino  Cennini.  D'ailleurs  comment  des  artistes  qui  couvraient  en 
peu  de  temps  des  surfaces  très-étendues  auraient-ils  eu  le  temps  de  faire 
des  cartons;  tout  au  plus  pouvaient-ils  préparer  des  maquettes  à  une 
échelle  réduite.  Pendant  lesxii*  et  xiii*  siècles,  les  traits  gravés  dans  l'en- 
duit  frais  ne  se  voient  qu'exceptionnellement,  et  ces  traits  indiquent 
toujours  le  décalque  d'un  carton;  on  aperçoit  souvent  au  contraire  des 
traits  légers  faits  au  pinceau,  couverts  de  la  couche  colorante  sur  laquelle 
le  trait  définitif,  qui  est  une  façon  de  modelé,  vient  s'apposer.  Ce  trait 
définitif  corrige,  rectifie  l'esquisse  primitive,  la  modifie  même  parfois 
complètement,  et  nous  ne  connaissons  guère  de  peinture  des  xii%  xiii" 
et  XIV*  siècles  sans  repentirs. 

Les  peintres  du  xn*  siècle  employaient  plusieurs  sortes  de  peintures  : 
la  peinture  à  fresque,  la  peinture  à  la  colle,  à  l'œuf,  et  la  peinture  à  l'huile. 
Celte  dernière,  faute  d'un  siccatif,  n'était  toutefois  employée  que  pour 
de  petits  ouvrages,  des  tableaux  sur  panneaux  qu'on  pouvait  facilement 
exposer  au  soleil.  Pour  l'emploi  delà  peinture  h  fresque,  c'est-à-dire  sur 
enduit  de  mortier  frais,  l'artiste  commençait,  ainsi  que  nous  venons  de 
le  dire,  par  tracer  avec  de  l'ocre  rouge  délayée  dans  de  l'eau  pure  les 
masses  de  ces  personnages,  puis  il  posait  le  ton  local  qui  faisait  la  demi- 
teinte,  par  couches  successives,  mêlant  de  la  chaux  au  ton  ;  il  modelait 
les  parties  saillantes,  ajoutant  une  plus  grande  partie  de  chaux  à  mesure 
qu'il  arrivait  aux  dernières  couches  ;  puis,  avec  du  brun  rouge  mêlé  de 
noir,  il  redessinait  les  contours,  les  plis,  les  creux,  les  linéaments  inté- 
rieurs des  nus  ou  des  draperies. 

Celte  opération  devait  être  faite  rapidement,  afin  de  ne  pas  laisser 
sécher  complètement  l'enduit  et  les  premières  couches.  Cette  façon  de 
peindre  dans  la  pâte  donne  une  douceur  et  un  éclat  particuliers  à  ce  genre 
de  travail,  et  un  modelé  qui,  d'un  bleu  intense,  arrivant,  par  exemple  sur 
les  parties  saillantes  ou  claires,  au  blanc  presque  pur,  n'est  ni  sec  ni 
criard,  chaque  ton  superposé  s'embuvant  dans  le  ton  inférieur  et  y  parti- 
cipant. L'habileté  du  praticien  consiste  à  connaître  exactement  le  degré 
de  sîccité  qu'il  faut  laisser  prendre  à  chaque  couche  avant  d'en  apposer 
une  nouvelle.  Si  cette  couche  est  trop  humide,  le  ton  apposé  la  détrempe 
de  nouveau  et  fait  avec  elle  une  boue  tachée,  lourde,  sale  ;  si  elle  est  trop 
sèche,  le  ton  opposé  ne  tient  pas,  ne  s'emboit  pas,  et  forme  un  e^me  som- 
bre sur  son  contour.  Le  trait  noir  brun,  si  nécessaire,  et  qui  accuse  les  . 
silhouettes  et  les  formes  intérieures,  les  ombres,  les  plis,  etc.,  était  sou- 
vent placé  lorsque  le  modelé  par  couches  successives  était  sec,  afin  d'ob- 
tenir plus  de  vivacité  et  de  netteté.  Alors  on  le  collait  avec  de  l'œuf  ou 
de  la  colle  de  peau.  Aussi  voit-on  souvent,  dans  ces  anciennes  fresques, 
ce  trait  brun  se  détacher  par  écailles  et  ne  pas  faire  corps  avec  l'enduit. 

L'emploi  de  la  chaux  comme  assiette  et  même  comme  appoint  lumi- 
neux dans  chaque  ton,  ne  permettait  au  peintre  que  l'usage  de  certaines 
couleurs,  telles  que  les  terres,  le  cobalt  bleu  ou  vert.  Cette  obligation  de 


[   PEINTURE   ]  —  76  — 

n'employer  que  les  terres  et  un  très-petit  nombre  de  couleurs  minérales, 
contribuait  à  donner  à  ces  peintures  une  harmonie  très-douce  et  pour 
ainsi  dire  veloutée.  Au  xiii*  siècle,  cette  harmonie  paraissait  trop  pâle 
en  regard  des  vitraux  colorés,  qui  donnent  des  tons  d'une  intensité  pro- 
digieuse ;  on  dut  renoncer  à  la  peinture  à  fresque,  afln  de  pouvoir  em- 
ployer les  oxydes  de  plomb,  les  verts  de  cuivre  et  même  des  laques. 
D'ailleurs  rarchiteclure  adoptée  ne  permettant  pas  les  enduits,  il  fallait 
bien  trouver  un  procédé  de  peinture  qui  facilitât  l'apposition  directement 
sur  la  pierre.  En  effet,  divers  procédés  furent  employés.  Les  plus  com- 
muns sont  :  la  peinture  à  l'œuf,  sorte  de  détrempe  légère  et  solide  ;  la 
peinture  à  la  colle  de  peau  ou  à  la  colle  d'os,  également  très-durable 
lorsqu'elle  n'est  pas  soumise  à  l'humidité.  La  plus  solide  est  la  peinture 
à  la  résine  dissoute  dans  un  alcool;  mais  ce  procédé,  assez  dispendieux, 
n'était  employé  que  pour  des  travaux  délicats.  Quelquefois  aussi  on  se 
contentait  d'un  lait  de  chaux  appliqué  comme  assiette,  et  sur  lequel  on 
peignait  à  l'eau  avant  que  cette  couche  de  chaux,  mise  à  la  brosse, 
fût  sèche.  La  peinture  à  l'huile,  très-clairement  décrite  par  le  moine 
Théophile,  et  adoptée  avant  lui,  puisqu'il  ne  s'en  donne  pas  comme  l'in- 
venteur, ne  s'employait,  ainsi  que  nous  le  disions  plus  haut,  que  sur  des 
panneaux,  à  cause  du  temps  qu'il  fallait  laisser  à  chaque  couche  pour 
qu'elle  pût  sécher  au  soleil,  les  siccatifs  n'étant  pas  encore  en  usagée 

La  peinture  à  la  gomme,  employée  au  xfi*  siècle,  parait  avoir  été  fré- 
quemment pratiquée  parles  peintres  du  xiii'  pour  de  menus  objets,  tels 
que  retables,  boiseries^  etc.  a  Si  vous  voulez  accélérer  votre  travail,  dit 
«  Théophile*,  prenez  de  la  gomme  qui  découle  du  cerisier  ou  dupru- 
((  nier,  et  la  coupant  en  petites  parcelles,  placez-la  dans  un  vase  de  terre; 
((  versez  de  l'eau  abondamment,  puis  exposez  au  soleil,  ou  bien,  en  hiver, 
u  sur  un  feu  doux,  jusqu'à  ce  que  la  gomme  se  liquéfie.  Mêlez  soigneu- 
a  sèment  au  moyen  d'une  baguette,  passez  à  travers  un  linge  ;  broyez 
a  les  couleurs  (avec)  et  apppliquez-les.  Toutes  les  cotileurs  et  leurs  mé- 
a  langes  peuvent  être  broyés  et  posés  à  l'aide  de  cette  gomme,  excepté 
a  le  minium,  la  céruse  et  le  carmin,  qui  doivent  se  broyer  et  s'appli- 
a  quer  avec  du  blanc  d'œuf.. .  n  Ces  peintures  à  la  gomme,  ou  même 
à  l'huile,  étaient  habituellement  recouvertes  d'un  vernis  composé  de 
gomme  arabique  dissoute  à  chaud  dans  l'huile  de  lin  ^;  elles  avaient 
ainsi  un  éclat  extraordinaire. 

Les  artistes  du  xiii*  siècle,  en  peignant  des  sujets  dans  des  salles  gar« 


t  «  On  peut,  dit  Théophile,  broyer  les  couleurs  de  toute  espèce  avec  la  même  sorte 
c  d*huile  (l'huile  de  lin),  et  les  poser  sur  un  ouvragée  de  bois,  mais  seulement  pour  les 
«  objets  qui  peuvent  être  séchës  an  soleil  ;  car,  chaque  fois  qu'une  couleur  est  appliquée, 
«  vous  ne  pouvez  en  apposer  une  autre,  si  la  première  n*est  séchée  :  ce  qui,  dans  les  ima- 
«  ges  et  autres  peintures,  est  long  et  très-ennuyeux.  »  (Liv.  I,  chap.  xxvii.) 

*  Liv.  I,  chap.  xxvh. 

'  Théoph.,  chap.  xxi,   De  ylutine  vemiiion. 


—   77   —  [  PEINTURE  1 

nies  de  vitrau?^  colorés,  tenaient  à  leur  donner  un  brillant  et  une  solidité 
de  ton  supérieurs  à  la  peinture  d'ornement  et  qui  pussent  lutter  avec  Tor 
très-fréquemment  employé  alors.  Pour  obtenir  cet  éclat,  ils  devaient  faire 
usage  des  glacis,  et  en  effet  la  coloration  des  figures,  lorsqu'elles  sont 
peintes  avec  quelque  soin,  est  obtenue  principalement  par  des  appositions 
de  couleurs  transparentes  sur  une  préparation  en  camaïeux  très-modelés. 
Ces  artistes,  soit  par  tradition,  soit  d'instinct^  avaient  le  sentiment  de 
l'harmonie  (leurs  vitraux  en  sont  une  preuve  évidente  pour  tout  le  monde). 
Du  jour  que  l'or  entrait  dans  la  décoration  pour  une  forte  part,  il  fallait 
nécessairement  modifier  l'harmonie  douce  et  claire  admise  par  les  pein- 
tres du  XII''  siècle.  L'or  est  un  métal  et  non  une  couleur,  et  sa  présence 
en  larges  surfaces  dans  la  peinture  force  le  peintre  à  changer  toute  la 
gamme  de  ses  tons.  L'or  a  des  reflets  clairs  très-vifs,  très-éclalants,  des 
demi-teintes  et  des  ombres  d'une  intensité  et  d'une  chaleur  auprès  des- 
quelles toute  couleur  devient  grise,  si  elle  est  claire,  obscure  et  lourde,  si 
elle  est  sombre  K  Pour  pouvoir  lutter  avec  ces  clairs  si  brillants  et  ces 
demi-teintes  si  chaudes  de  l'or,  il  fallait  des  tons  très-colorés,  mais  qui, 
pour  ne  pas  paraître  noirs,  devaient  conserver  la  transparence  d'une 
aquarelle.  C'est  ainsi  que  les  petits  sujets  décorant  l'arcature  de  la 
sainte  Chapelle  haute  du  Palais  à  Paris  étaient  traités.  Ces  sujets,  qui  se 
détachent  alternativement  sur  un  fond  de  verre  damasquiné  de  dorures 
ou  d'or  gaufré,  avaient  été  peints  très-clairs,  puis  rehaussés  par  une  colo- 
ration transparente  très-vive  et  des  traits  bruns.  Cependant,  avec  l'or, 
tous  les  tons  n'étaient  pas  traités  de  la  même  manière  ;  les  bleus^  les 
verts  clairs  (verts  turquoise)  sont  empâtés ,  et  ainsi  posés^  prennent  une 
valeur  très-colorante  ;  tandis  que  les  rouges,  les  verts  sombres,  les  pour- 
pres, les  jaunes,  ont  besoin,  pour  conserver  un  éclat  pouvant  lutter  avec 
les  demi-teintes  de  l'or,  d'être  apposés  en  glacis.  Ces  glacis  semblent  avoir 
été  collés  au  moyen  d'un  gluten  résineux,  peut-êtrQ  seulement  à  l'aide 
de  ce  vernis  composé  d'huile  de  lia  et  de  gomme  arabique.  Quant  à  la 
peinture  des  dessous  ou  empâtée,  elle  est  fine,  et  est  posée  sur  une  as^ 
sielle  de  chaux  très*mince;  ce  n'est  cependant  pas  de  la  fresque,  car 
celte  peinture  s'écaille  et  forme  couverte. 

*  Noas  ATons  des  exemples  de  l'effet  que  produit  Tor  a  côté  de  tons  à  la  fresque,  à  In 
cire  on  même  i  l'huile  empâtée.  Des  vêtements  blancs  sur  un  fond  d'or  paraissent  sales, 
f(riset  temeS;  les  chairs  sont  lourdes.  Les  seuls  tons  qui  se  soutiennent  sur  des  fonds  d'or, 
sont  les  tons  transparents  qu^on  peut  obtenir  par  des  glacis.  Et  encore  faut-il  faire  sur 
l'or,  soit  un  travail  de  gaufrure,  soit  un  treillis  puissant,  une  mosaïque.  Les  voûtes  des 
Statae  peintes  par  Raphaël,  au  Vatican,  nous  fournissent  des  observations  d'un  grand 
iotérèt  à  cet  égard,  particulièrement  celle  de  la  salle  de  la  Dispute  du  saint  sacrement. 
I^s  fonds  d'or  sont  craquelés  comme  des  mosaïques,  et  les  sujets  à  fresque  sont  d'une 
vigueur  de  coloration  qui  n'a  pu  être  obtenue  que  par  des  retouches,  soit  à  l'œuf,  soit 
^  toute  autre  manière,  apposées  en  glacis.  I^  même  observation  peut  être  faite  dans  la 
Ubrairie  de  la  cathédrale  de  Sienne,  en  examinant  la  voûte  ah^idale  do  l'église  Santa- 
^wiadel  Popolo,  à  Kome,  attribuée  à  Pinturicchio. 


,  I     PEINTURE    1  —    78    — 

•^  Il  arrivait  même  souvent  aux  artistes  peignant  des  sujets  ou  des  orne- 

1  ments  sur  fond  d'or,  de  dorer  les  dessous  des  ornements  ou  draperies 

I  destinés  à  être  colorés  en  rouge,  en  pourpre  ou  en  jaune  mordoré.  Alors 

la  coloration  n'étai  t  qu'un  glacis  très- transparent  posé  sur  le  métal,  et,  avec 
des  tons  très-intenses,  on  évitait  les  lourdeurs.  Ces  tons  participaient  du 
fond  et  conservaient  quelque  chose  de  son  éclat  métallique. 

La  cherté  des  peintures  dans  lesquelles  l'or  jouait  un  rôle  important, 
les  difficultés,  conséquences  de  l'emploi  de  ce  métal,  qui  entravaient  le 
peintre  à  chaque  pas  pour  conserver  partout  une  harmonie  brillante,  très- 
soutenue,  sans  tomber  dans  la  lourdeur,  firent  que  vers  la  fin  du  xiii*  siè- 
cle, ainsi  que  nous  l'avons  dit,  on  adopta  souvent  le  parti  des  grisailles. 
On  avait  poussé  si  loin,  vers  le  milieu  du  xiii*  siècle,  la  coloration  des 
vitraux  ;  cette  coloration  écrasante  avait  entraîné  les  peintres  à  donner 
aux  tons  de  leurs  peintures  un  tel  éclat  et  une  telle  intensité,  qu'il  fallait 
revenir  en  arrière.  On  fit  alors  beaucoup  de  vitraux  en  grisailles,  ou  l'on 
éclaircit  la  coloration  translucide;  l'or  ne  joua  plus  dans  la  peinture 
qu'un  rôle  très-secondaire  et  les  sujets  furent  colorés  par  des  tons  doux, 
très-clairs,  et,  pour  éviter  l'effet  plat  et  fade  de  ces  camaïeux  à  peine 
enluminés,  on  les  soutint  par  des  fonds  très-violents ,  noirs,  brun-rouge, 
bleu  intense,  chargés  souvent  de  dessins  tons  sur  tons  ou  de  damasqui- 
nages  de  couleurs  variées,  mais  présentant  une  masse  très-vigoureuse. On 
rie  songeait  guère  alors  aux  fonds  de  perspective,  mais  on  commençait  à 
donner  aux  accessoires,  comme  les  sièges,  les  meubles,  une  apparence 
réelle.  Peu  à  peu  le  champ  de  l'imitation  s'étendit;  après  avoir  peint 
seulement  les  objets  touchant  immédiatement  aux  figures  suivant  leur 
forme  et  leur  dimension  vraie,  on  plaça  un  édifice,  une  porte,  un  arbre, 
sur  un  plan  secondaire  ;  puis  enfin  les  fonds  de  <;onvention  et  purement 
décoratifs  disparurent,  pour  faire  place  à  une  interprétation  réelle  du 
lieu  où  la  scène  se  passait.  Toutefois  il  faut  constater  que  si  les  peintres, 
avant  le  xvi"  siècle,  cherchaient  à  donner  une  représentation  réelle  du 
lieu,  ils  ne  songeaient,  comme  nous  l'avons  dit  déjà,  ni  à  la  perspective 
aérienne,  ni  à  l'effet,  c'est-à-dire  à  la  répartition  de  la  lumière  sur  un  point 
principal,  nia  produire  l'illusion,  et  que  leurs  peintures  conservaient 
toujours  l'aspect  d'une  surface  plane  décorée,  ce  qui  est,  croyons-nous, 
une  des  conditions  essentielles  de  la  peinture  monumentale. 

Nous  ne  pourrions  nous  étendre  davantage,  sans  sortir  du  cadre  de  cet 
article,  sur  la  peinture  des  sujets  dans  les  édifices.  D'ailleurs  nous  avons 
l'occasion  de  revenir  sur  quelques  points  touchant  la  peinture,  dans  les 
articles  Style  et  Vitrail.  Nous  passerons  maintenant  à  la  peinture  d'orne- 
ment, à  la  décoration  peinte  proprement  dite.  Il  y  a  lieu  de  croire  que 
sur  cette  partie  importante  de  l'art,  les  artistes  du  moyen  âge  n'avaient 
que  des  traditions,  une  expérience  journalière,  mais  peu  ou  point  de 
théories.  Les  traités  de  peinture  ne  s'occupent  que  des  moyens  matériels 
et  n'entrent  pas  dans  des  considérations  sur  l'art,  sur  les  méthodes  à 
employer  dans  tel  ou  tel  cas.  Pour  nous,  qui  avons  absolument  perdu  ces 


—  79. —  [  PEiwruiiE  ] 

traditions,  et  qui  ne  possédons  qu'une  expérience  très-bornée  de  l'effet 
décoratif  de  la  peinture,  nous  devons  nécessairement  nous  appuyer  sur 
l'observation  des  exemples  passés  pour  reconstituer  certaines  théories 
résultant  de  cette  expérience  et  de  ces  traditions.  Il  serait  assez  inutile 
à  nos  lecteurs  de  savoir  que  tel  ornement  est  jaune  ou  bleu,  si  nous 
n'expliquons  pas  pourquoi  il  est  jaune  ici  et  bleu  là,  et  comment  il  pro- 
duit un  certain  effet  dans  l'un  ou  l'autre  caç.  La  peinture  décorative  est 
avant  tout  une  question  d'harmonie,  et  il  n'y  a  pas  de  système  harmo- 
nique qui  ne  puisse  être  expliqué. 

La  peinture  décorative  est  d'ailleurs  une  des  parties  de  l'art  de  Tarchi- 
tecture  difficiles  à  appliquer,  précisément  parce  que  les  lois  sont  essen- 
tiellement variablesen  raison  du  lieu  et  de  l'objet.  La  peinture  décorative 
grandit  ou  rapetisse  un  édifice,  fe  rend  clair  ou  sombre,  en  altère  les 
proportions  ou  les  fait  valoir;  éloigne  ou  rapproche,  occupe  d'une  manière 
agréable  ou  fatigue,  divise  ou  rassemble,  dissimule  les  défauts  ou  les 
exagère.  C'est  une  fée  qui  prodigue  le  bien  ou  le  mal,  mais  qui  ne  de- 
meure jamais  indifférente.  A  son  gré^  elle  grossit  ou  amincit  des  colonnes, 
elle  allonge  ou  raccourcit  des  piliers,  élève  des  voûtes  ou  les  rapproche 
de  l'œil,  étend  des  surfaces  ou  les  amoindrit;  charme  ou  offense,  concen- 
tre la  pensée  en  une  impression  ou  distrait  et  préoccupe  sans  cause.  D'un 
coup  de  pinceau  elle  détruit  une  œuvre  savamment  conçue,  mais  aussi 
d'un  humble  édifice  elle  fait  une  œuvre  pleine  d'attraits,  d'une  salle  froide 
et  nue  un  lieu  plaisant  où  l'on  aime  à  rêver  et  dont  on  garde  un  souvenir 
ineffaçable. 

Lui  fallait-il,  au  moyen  âge,  pour  opérer  ces  prodiges,  des  maîtres  ex- 
cellents, de  ces  artistes  comme  chaque  siècle  en  fournit  un  ou  deux  ?  Non 
certes;  elle  ne  demandaitque  quelques  ouvriers  peintres  agissant  d'après 
des  principes  dérivés  d'une  longue  observation  des  effets  que  peuvent  pro- 
duire l'assemblage  des  couleurs  et  l'échelle  des  ornements.  Alors  la  plus 
pauvre  église  de  village  badigeonnée  à  la  chaux  avec  quelques  touches 
de  peinture  était  une  œuvre  d'art,  tout  comme  la  sainte  Chapelle,  et  l'on 
ne  voyait  pas,  au  milieu  de  la  môme  civilisation,  des  ouvrages  d'art  d'une 
grande  valeur  ou  au  moins  d'une  richesse  surprenante,  et  à  quelques  pas 
de  là  de  ces  désolantes  peintures  décoratives  qui  déshonorent  les  murailles 
qu'elles  couvrent  et  font  rougir  les  gens  de  goût  qui  les  regardent. 

Il  n'y  a,  comme  chacun  sait,  que  trois  couleurs,  le  jaune,  le  rouge  et  le 
bleu,  le  blanc  et  le  noir  étant  deux  négations  :  le  blanc  la  lumière  non 
colorée,  et  le  noir  l'absence  de  lumière.  De  ces  trois  couleurs  dérivent 
tous  les  tons,  c'est-à-dire  des  mélanges  infinis.  Le  jaune  et  le  bleu 
produisent  les  verts,  le  rouge  et  le  bleu  les  pourpres,  et  le  rouge  et  le 
jaune  les  orangés.  Au  milieu  de  ces  couleurs  et  de  leurs  divers  mélanges 
la  présence  du  blanc  et  du  noir  ajoute  à  la  lumière  ou  l'atténue.  Précisé- 
ment parce  que  le  blanc  et  le  noir  sont  deux  négations  et  sont  étrangers  « 
aux  couleurs,  ils  sont  destinés,  dans  la  décoration,  à  en  faire  ressortir 
la  valeur.  Le  blanc  rayonne,  le  noir  fait  ressortir  le  rayonnement  et  le 


[    PEINTURE   ]  —   80  — 

limite.  Les  peintres  décorateurs  du  moyen  âge,  soit  par  instinct,  soit  bien 
plutôt  par  tradition ,  n'ont  jamais  coloré  sans  un  appoint  blanc  ou  noir, 
souvent  avec  tous  les  deux.  Partant  du  simple  au  composé,  nous  allons 
expliquer  leurs  méthodes.  Nous  ne  parlons  que  de  la  peinture  des  inté- 
rieurs, de  celle  éclairée  par  une  lumière  diffuse  ;  nous  nous  occuperons  en 
dernier  lieu  de  la  peinture  extérieure,  c'est-à-dire  éclairée  par  la  lumière 
directe.  Pendant  la  période  du  moyen  âge^  où  la  peinture  monumentale 
joue  un  rôle  important^  nous  observons  que  l'artiste  adopte  d'abord  une 
tonalité  dont  il  ne  s'écarte  pas  dans  un  même  lieu.  Or,  ces  tonalités  sont 
peu  nombreuses,  elles  se  réduisent  à  trois  :  la  tonalité  obtenue  par  le 
jaune  et  le  rouge  avec  l'appoint  lumineux  et  obscur,  c'est-à-dire  le  blanc 
et  le  noir;  la  tonalité  obtenue  avec  le  jaune,  le  rouge  et  le  bleu,  qui  en- 
traine forcément  les  tons  intermédiaires,  c'est-à-dire  le  vert,  le  pourpre 
et  l'orangé,  toujours  avec  appoint  blanc  et  noir,  ou  noir  seul  ;  la  tonalité 
obtenue  à  l'aide  de  tous  les  tons  donnés  par  les  trois  couleurs,  mais  avec 
appoint  d'or  et  l'élément  obscur,  le  noir,  les  reflets  lumineux  de  l'or 
remplaçant  dans  ce  cas  le  blanc. 

En  supposant  que  le  jaune  vaille  1,  le  rouge  2,  le  bleu  3  :  mêlant  le 
jaune  et  le  rouge,  nous  obtenons  l'orangé,  valeur  3  ;  le  jaune  et  le  bleu, 
le  vert,  valeur  4;  le  rouge  et  le  bleu,  le  pourpre,  valeur  5.  Si  nous  met- 
tons des  couleurs  sur  une  surface,  pour  que  l'effet  harmonieux  ne  soit 
pas  dépassé,  posant  seulement  du  jaune  et  du  rouge,  il  faudra  que  la 
surface  occupée  par  le  jaune  soit  le  double  au  moins  de  la  surface  occu- 
pée par  le  rouge.  Mais  si  nous  ajoutons  du  bleu  à  l'instant,  Tharmonie 
devient  plus  compliquée;  la  présence  seule  du  bleu  nécessite,  ou  une 
augmentation  relative  considérable  des  surfaces  jaune  et  rouge,  ou  l'ap- 
point des  tons  verts  et  pourpres,  lesquels,  comme  le  vert,  ne  devront  pas 
être  au-dessous  du  quart  et  le  pourpre  du  cinquième  de  la  surface  totale. 
Ce  sont  là  des  règles  élémentaires  de  l'harmonie  de  la  peinture  décora- 
tive des  artistes  du  moyen  âge.  Aussi  ont-ils  rarement  admis  toutes  les 
couleurs  et  les  tons  qui  dérivent  de  leur  mélange,  à  cause  des  difficultés 
innombrables  qui  résultent  de  leur  juxtaposition  et  de  l'importance  rela- 
tive que  doit  prendre  chacun  de  ces  tons,  comme  surface.  Dans  le  cas  de 
l'adoption  des  trois  couleurs  et  de  leurs  dérivés,  l'or  devient  un  appoint 
indispensable  ;  c'est  lui  qui  est  chargé  de  compléter  ou  môme  de  rétablir 
l'harmonie.  Revenant  aux  principes  les  plus  simples,  on  peut  obtenir 
une  harmonie  parfaite  avec  le  jaune  et  le  rouge  (ocre  rouge),  surtout  à 
l'aide  de  l'appoint  blanc;  il  est  impossible  d'obtenir  une  harmonie  avec 
le  jaune  et  le  bleu,  ni  môme  avec  le  rouge  et  le  bleu,  sans  l'appoint  de  tons 
intermédiaires.  Voudriez-vous  décorer  une  salle  toute  blanche  comme 
fond,  avec  des  ornements  rouges  et  bleus  ou  jaunes  et  bleus,  môme  clair- 
semés, que  l'harmonie  serait  impossible  ;  le  rouge  (ocre  rouge)  et  le  jaune 
(ocre  jaune)  étant  les  deux  seules  couleurs  qui  puissent,  sans  l'appoint 
d'autres  tons,  se  trouver  ensemble. 

L'observation  d'autres  principes  aussi  élémentaires  n'était  pas  moins 


81    —  [  PEIRTCRE    ] 

fimilière  k  ces  artistes.  Ils  avaient  reconnu,  par  exemple,  qu'une  même 
tMme  d'ornement  blanc  ou  d'un  ton  clair  sur  un  fond  noir,  ou  noir  sur 
UDfoad  clair,  changeait  de  dimension.  Pour  nous  faire  bien  comprendre, 
soient  (Bg.  6),  en  A,  des  billeltes  brun  rouge  sur  fond  blanc,  ou  B,  blan- 


cba  sur  fond  brun  rouge  :  les  billetlesjbrunes  paraîtront,  plus  on  s'éloi- 
gnera de  la  surface  peinte,  plus  petites  que  les  billettes  blanches,  et  la 
face  occupée  par  le  fond  blanc  paraîtra  plus  étendue  que  celle  occupée 
par  le  fond  brun.  Soient  deux  pilastres  de  môme  largeur  et  de  mèmehau- 
VII. —  11 


[  PEINTURE   ]  —  82   — 

leur:  si  l'un  des  deux,  celui  G,  est  décoré  de  lignes  verticales,  il  paraîtra, 
à  distance,  plus  long  et  plus  étroit  que  celui  D  orné  de  bandes  horizon- 
tales. Et  pour  en  revenir  aux  observations  précédentes  sur  la  valeur  har- 
monique des  couleurs,  le  rouge  étant  supposé  2  et  le  bleu  3,  le  rouge  devant 
alors  occuper  une  surface  plus  grande  que  le  bleu  pour  obtenir  une  har- 
monie entre  ces  deux  couleurs,  si  (fig.  6)  lesbillettes  A  sont  bleues  sur 
un  fond  rouge,  il  sera  possible  d'avoir  une  surface  harmonique;  mais  si 
au  contraire  c'est  le  fond  qui  est  bleu  et  les  billeltes  qui  sont  rouges, 
l'œil  sera  tellement  offensé,  qu'il  ne  pourra  s'attacher  un  instant  sur  cette 
surface  :  l'assemblage  des  deux  couleurs,  dans  cette  dernière  condition, 
fera  vaciller  les  contours  au  point  de  causerie  vertige.  Chacun  peut  faire 
cette  expérience  en  employant  le  vermillon  pur  pour  le  rouge  et  un  bleu 
d'outremer  pour  le  bleu.  Non -seulement  les  couleurs  ont  une  valeur 
absolue,  mais  aussi  une  valeur  relative  quant  à  la  place  qu'elles  occu- 
pent et  à  l'étendue  qu'elles  couvrent;  de  plus  elles  modifient,  en  raison 
de  la  forme  de  l'ornement  qu'elles  colorent,  l'étendue  réelle  des  surfaces. 
Dans  la  tonalité  la  plus  simple,  celle  où  le  jaune  (ocre)  et  le  rouge  (ocre) 
sont  employés,  il  est  clair  que  l'une  des  deux  couleurs,  l'ocre  rouge, 
a  plus  d'intensité  que  le  jaune;  mais  si  à  ces  deux  couleurs  nous  ajou- 
tons le  bleu,  il  faut  que  la  valeur  du  rouge  et  du  bleu  soit  différente, 
que  le  rouge  le  cède  au  bleu,  ou,  ce  qui  est  plus  naturel,  que  le  bleu  le 
cède  au  rouge.  Alors  c'est  le  brun  rouge  qu'il  faut  admettre  et  le  bleu 
clair;  si  nous  ajoutons  (presque  forcément  d'ailleurs)  des  tons  dérivés  à 
ces  trois  couleurs,  comme  le  vert  et  le  pourpre,  il  faudra  également 
établir  ces  tons  et  ces  couleurs  suivant  une  valeur  différente,  c'est-à-dire 
n'avoir  jamais  deux  tons  de  valeur  égale.  Il  ne  s'agit  plus  ici  de  surface 
occupée,  mais  d'intensité;  or  cette  intensité  est  facultative.  Si,  quand 
nous  n'employons  que  les  trois  couleurs,  le  rouge  doit  être  brun  rouge 
et  prendre  la  plus  grande  intensité,  employant  avec  ces  trois  couleurs 
les  dérivés,  le  rouge  doit  redevenir  franc,  c'est-à-dire  vermillon,  parce 
que  le  brun  rouge  ne  pourrait  s'harmoniser  ni  avec  le  vert  ni  avec  le 
pourpre  ;  l'adjonction  des  tons  dérivés  exige  que  les  couleurs  soient  pures 
si  on  les  emploie.  Toutefois  il  est  bon  que  la  première  valeur  soit  laissée 
à  une  couleur  plutôt  qu'à  un  ton;  cette  première  valeur  ne  pouvait  être 
donnée  au  jaune,  ce  sera  le  ton  rouge  (vermillon)  ou  le  bleu  qui  la  pren- 
dra (habituellement  le  bleu).  Supposons  que  ce  soit  le  bleu  intense  qui 
soit  la  première  valeur  :  les  peintres  du  moyen  âge  se  sont  gardés  de 
donner  la  seconde  valeur  à  une  autre  couleur,  c'est-à-dire  au  rouge;  ils 
l'ont  accordée  à  un  ton,  le  plus  souvent  au  vert,  parfois  au  pourpre.  Vient 
alors  la  troisième  valeur,  qui  sera  le  rouge  (vermillon)  ;  puis  entre  cette 
couleur  et  le  jaune,  un  autre  ton,  habituellement  le  pourpre,  parfois  le 
vert.  Après  le  jaune  viennent  les  valeurs  inférieures,  les  pourpres  très- 
clairs  (roses),  les  bleus  clairs,  les  verts  turquoise,  les  jaune-paille^  blanc 
laiteux  et  gris.  Car  au-dessous  de  la  dernière  valeur-couleur,  qui  est  for- 
cément le  jaune  ocre,  il  faut  des  tons,  jamais  la  gamme  des  valeurs  ne 


—  83  -^  [  PEINTURE   ] 

finissant  par  une  couleur,  comme  rarement  elle  necommenccpar  un  ton  K 
Ces  principes  connus,  il  reste  encore  une  quantité  de  règles  d'un  ordre 
secondaire  que  ces  artistes  du  moyen  âge  ont  scrupuleusement  observées* 
Nous  en  citerons  quelques-unes.  Le  bleu  intense  étant  dur  et  froid,  les 
peintres  l'ont  souvent  un  peu  verdi,  et  Tout  relevé  par  des  semis  d'or  ;  puis 
ils  y  ont  presque  toujours  accolé  un  rouge  vif  (vermillon),  puis  après  le 
rouge  un  vert  clair  ou  même  un  blanc  bleui  ou  verdi,  des  traits  noirs 
séparant  d'ailleurs  chaque  ton  et  chaque  couleur.  Le  bleu  en  contact 
direct  avec  le  jaune  produit  un  effet  louche,  le  rouge  ou  le  pourpre  a 
été  interposé.  Le  bleu  gris  ardoise  peut  seul  se  coucher  sur  une  surface 
jaune.  Le  vert  est  souvent  mis  en  contact  direct  avec  le  bleu,  et  c'est  une 
dissonance  dont  on  a  tiré  parti  avec  une  adresse  rare,  mais  alors  le  vert 
incline  au  jaune  ou  au  bleu,  il  n'est  pas  franchement  vert  ;  si  le  vert  est 
en  contact  avec  le  jaune,  cette  dernière  couleur  est  orangée  et  le  vert  est 
clair,  ou  le  jaune  est  limpide  et  le  vert  est  sombre.  Les  pourpres  qui, 
comme  surface^  ont  la  valeur  5,  et  qui  par  conséquent  doivent  occuper 
le  moindre  champ  dans  la  décoration  peinte,  ne  s'approchent  jamais  du 
violet:  ce  ton  faux  étant  absolument  exclu,  il  incline  vers  l'orangé  ou  la 
garance.  Nous  avons  souvent  observé  combien  la  nature  est  ingénieuse 
dans  la  combinaison  harmonique  des  tons  des  plantes  :  ainsi  sur  dix  géra- 
niums ou  dix  roses  trémiéresqui  auront  des  fleurs  de  rouges  et  de  pour- 
pres différents,  nous  verrons  dix  tons  verts  différents  pour  les  feuilles, 
tons  verts  combinés  chacun  pour  le  rouge  ou  le  pourpre  qu'ils  entourent. 
Les  peintres  du  moyen  âge  avaient-ils  étudié  les  secrets  de  l'harmonie 
des  tons  sur  la  nature?  Nous  ne  savons  ;  mais  comment  se  fait-il  que  ces 
secrets  soient  perdus,  ou  que  les  femmes  seules  les  possèdent  encore  lors- 
qu'il s'agit  de  leurs  toilettes?  Que  s'il  faut  peindre  une  salle,  nosartistes 
semblent  appliquer  au  hasard  des  couleurs,  des  tons,  produisant  dans 
l'ensemble  une  harmonie  presque  toujours  fausse  ?  est-ce  défaut  de  prin- 
cipes, de  traditions,  de  pratique?  Il  est  certain  que  dans  l'art  difficile  de 
la  décoration  peinte^  l'instinct  ne  suffit  pas,  comme  plusieurs  le  pensent, 
et  que  dans  cette  partie  importante  de  l'architecture,  le  raisonnement  et 
le  calcul  interviennent  comme  dans  toutes  les  autres,  à  défaut  d'une 
longue  suite  de  traditions. 

La  peinture  décorative  la  plus  simple;  celle  qui  demande  le  moins  de 
combinaisons,  est  celle  qu'on  obtient  avec  l'ocre  jaune,  l'ocre  rouge  ou 
brun  rouge,  le  noir,  le  blanc  et  le  composé  des  deux,  le  gris.  Cette  pein- 
ture n'est,  pour  ainsi  dire,  qu'un  dessin,  une  grisaille  chaude  de  ton, 
cependant  elle  peut  produire  des  effets  très-variés  déjà.  L'ocre  jaune  et 

1  U  uinte  Chapelle  du  palais  présente  le  plus  curieux  exemple  de  cette  échelle  chro- 

iD%lk{Qe.  Malgré  de  nombreuses  et  larges  traces  des  tons  anciens,  lors  de  la  restaura- 

^  des  peintures,  les  difficultés  ont  été  nombreuses  ;  il  est  des  tons  qu*il  a  fallu  refaire 

Men  des  fois,  et  fantc  d'une  expérience  consommée.  En  couchant  un  ton  dont  la  trace 

éUU  certaine,  il  a  fallu  souvent  changer  la  valeur  des  tons  supérieurs  ou  inférieurs. 


[  PEINTURE  ]  —  8(l  — 

l'ocre  rouge  sont  deux  couleurs  de  la  même  famille,  pour  ainsi  dire,  qui 
s'harmonisent  toujours  sans  difficultés.  Que  vous  peigniez  un  ornement 
jaune  sur  brun  rouge,  ou  brun  rouge  sur  fond  jaune,  quelle  que  soit  la 
forme  ou  la  dimension  de  Tornement,  celui-ci  ne  fera  jamais  tache;  mais 
si  vous  rehaussez  l'ornement  jaune  ou  brun  rouge  de  filets  noirs  ou  blancs, 
vous  obtenez  alors  des  efiets  d'une  extrême  finesse  et  riches  de  ton.  Cette 
observation  peut  être  faite  dans  les  salles  du  donjon  du  château  de 
Goucy.  La  décoration  peinte  de  la  salle  du  rez-de-chaussée  ne  consiste 
guère  qu'en  un  appareil  tracé  en  blanc  avec  filets  brun  rouge  sur  un 
fond  d'ocre  jaune.  Les  forraerets  de  la  voûte  se  composent  (voyez  leur 
section  en  A,  fig.  7)  d'un  retour  d'équerre  avec  ornement  courant  de 
a  en  i  et  de  b  en  c,  puis  d'un  profil  dont  les  membres  sont  alternative- 
ment peints  en  brun  rouge  et  en  ocre  jaune.  Nous  donnons  en  B,6',B", 
trois  échantillons  de  ces  ornements  courants  sur  les  deux  faces  en  retour 
d'équerre.  Celui  B  est  brun  rouge  sur  fond  ocre,  avec  larges  filets  noirs 
sur  les  rives  des  feuilles,  et  trait  blanc  à  une  égale  distance  du  bord,  à 
cheval  sur  le  filet  noir.  Celui  B'  est  jaune  foncé  (ocre  jaune  mêlé  d'ocre 
rouge)  sur  fond  ocre  jaune  redessiné  de  filets  brun  rouge  très-sombre  et 
de  traits  blancs  à  l'intérieur;  des  pois  blancs  sont  de  plus  marqués  sur  le 
fond  jaune  ;  celui  B"  est  brun  rouge  redessiné  d'un  filet  blanc  sur  fond 
jaune  avec  tiges  6  gris  ardoise.  L'effet  de  cette  ornementation  est  des 
plus  brillants.  Il  va  sans  dire  que  le  même  ornement  se  retrouve  à 
chaque  formeret  sur  les  deux  faces  ab,  bc,  et  se  double.  Quelques  tons 
verts  se  voient  sur  les  chapiteaux  de  cette  salle  et  des  tons  vermillon  sur 
les  nervures  des  voûtes,  mais  il  y  a  absence  de  bleu,  le  gris  remplaçant 
parfois  cette  couleur.  Le  vert  et  le  gris  ardoise  entrent  sans  difficultés 
dans  cette  harmonie  simple,  et  il  semble  que  les  artistes  du  xii*  siècle  et 
du  commencement  du  xni''  aient  reculé  devant  remploi  du  bleu,  qui, 
comme  nous  le  disions  tout  à  l'heure,  exige  immédiatement  l'application 
de  tons  variés  entre  le  bleu  et  le  rouge,  ou  lé  bleu  et  le  jaune.  Il  existe, 
dans  l'édifice  connu  à  Poitiers  sous  le  nom  de  temple  de  Saint-Jean,  des 
peintures  du  xii*  siècle  qui  présentent  les  combinaisons  les  plus  riches 
de  l'harmonie  simple.  L'une  des  faces  de  la  salle  principale  présente 
avec  des  figures  colorées  en  jaune,  en  brun  rouge  clair,  en  vert,  en  gris 
vert  et  gris  ardoise,  des  litres  dont  nous  donnons  (fig.  8)  deux  échantillons. 
Celle  A  forme  la  frise  supérieure  sous  la  charpente,  celle  B  tient 
lieu  d'appui  relevé  sous  les  fenêtres.  La  litre  A  est  composée  d'un 
méandre  oblique,  coloré  en  brun  rouge,  en  ocre  jaune  et  en  vert  sur 
fond  blanc  laiteux.  Un  filet  blanc  forme  la  rive  antérieure  du  méandre. 
Chaque  ton  du  méandre  est  modelé  au  moyen  de  hachures  parallèles 
d'un  ton  plus  sombre,  et  d'autant  plus  larges  qu'elles  s'approchent  du 
bord  postérieur  de  chaque  face  oblique.  Les  tons  sont  marqués  ainsi  : 
le  brun  rouge  par  la  lettre  R,  le  jaune  J,  le  vert  V,  le  gris  ardoise  BG. 
Les  oiseaux  sont  brun  rouge  et  jaune.  Les  points  blancs  sont  piqués  ré- 
gulièrement sur  les  bandes  horizontales  supérieure  et  inférieure.  À  cetl^ 


—  86   —  [   PEINTURE   ] 

tpoque,  an  xii'  siècle,  les  points  blancs  (perlés)  sont  très-fréquemment 
Wplojés  sur  les  tons  brun  rouge  et  jaune,  souvent  ii  cheval  entre  les 


deux  :  c'était  uu  moyen  de  donner  une  apparence  précieuse  à  la  pein- 
ture et  d'enlever  aux  tons  absolus  leur  crudité.  Il  est  bon  d'observer  que 
les  bruns  rou^s  de  ces  peintures  sont  d'un  éclat  remarquable,  transpa- 


[  FEI?ni<AE   ]  —  86   — 

rents  el  vifs,  sans  avoir  la  dureté  du  rouge  (vermillon).  La  seconde  litre 
que  nous  donnons  en  1)  est  sur  fond  gris  ardoise  clair;  les  palmes  sont 
jaunes,  les  lleurons  brun  rou(;e  clair  avec  milieu  brun  rouge  foncé; 
ces  ornements  jaune  et  rouge  sunt  bordés  d'un  filet  blanc.  L'harmonie 
des  tons  de  cette  litre  est  d'une  exti-ême  tlnessc  et  en  même  temps  des- 
soude. On  peignait  à  relie  époque,  c'esl-à-dire  pendant  le  xii'  siècle 
et  le  commencement  du  xiii',  la  plupart  des  édilices  non-seulement  h 
l'intérieur,  mais  à  l'extérieur,  et  le  système  harmonique  de  ces  peintures 

s 


..;   ■h 


repose  toujours,  sauf  de  bien  rares  exceptions,  sur  cetle  donnée  simple. 
Cependant  on  fabriquait  alors  une  quantité  de  vitraux  qui  acquéraient 
d'autant  plus  de  richesse  comme  couleur  que  les  fenâtres  devenaient 
plus  grandes  (yoy.  Vitrail).  Si  avec  des  fenfilres  d'une  petite  dimension, 
garnies  de  vitraux  blancs  ou  très-clairs,  sous  une  lumière  diffuse  et  peu 
étendue,  il  était  naturel  et  nécessaire  même  de  donner  à  la  peinture 
décorative  un  aspect  brillant  et  doux  à  la  fois,  lorsqu'on  prit  l'habitude 
de  placer  des  verrières  très-colorées  devant  les  baies  destinées  à  éclairer 
les  intérieurs,  cette  peinture  claire,  d'un  ton  transparent,  était  complè- 
tement éteinte  par  l'intensité  des  tons  des  nouveaux  vitraux.  Le  bleu. 
le  rouge,  entrant  pour  une  forte  part  dans  la  coloration  translucide  des 


—  87   -^  [  PEINTURE  ] 

vitraux,  donnaient  aux  tons  ocreux  un  aspect  louche,  les  verts  deve- 
naient gris  et  ternes,  les  blancs  disparaissaient  ou  s'irisaient.  Avec  les 
vitraux  colorés  il  fallait  nécessairement  des  tons  brillants  sur  les  murs, 
et  encore  ces  tons,  pour  prendre  leur  valeur,  devaient  être  accompa- 
gnés et  cernés  de  noirs  comme  les  verres  colorés  eux-mêmes.  Aussi 
voyons-nous  que  pendant  le  xiii*  siècle,  l'harmonie  de  la  peinture  déco- 
rative des  intérieurs  se  modifie.  Si  par  des  raisons  d'économie  on  con- 
serve encore  de  grandes  surfaces  claires,  occupées  seulement  par  des 
filets,  les  litres,  les  nervures  des  voûtes,  leurs  tympans,  se  colorent  vive- 
ment, et  cette  coloration  est  d'autant  plus  brillante^  qu'elle  s'éloigne  de 
l'œil.  Nous  avons  un  exemple  remarquable  de  cette  transition  du  système 
harmonique  de  la  peinture  décorative  dans  l'ancienne  église  des  Jacobins 
d'Agen,  bâtie  vers  le  milieu  du  xiii'  siècle.  Cette  église,  conformément 


à  l'usage  établi  par  Tordre  de  Saint-Dominique,  se  compose  de  deux  nefs 
séparées  par  une  épine  de  piliers.  Peinte  avec  simplicité,  on  voit  cepen- 
dant que  l'artiste  a  voulu  soutenir  l'effet  éclatant  des  verrières  qui 
autrefois  garnissaient  les  fenêtres.  Chacune  des  travées  de  cette  salle 
(fig.  9)  se  compose  d'une  tapisserie  bornée  par  les  piliers  engagés  et 
par  le  formeret  de  la  voûte.  Une  fenêtre,  relativement  étroite,  s'ouvre 
au  milieu  de  la  tapisserie.  En  A,  est  couché  un  ton  uni  sombre,  avec 
filets;  au-dessus  est  tracé  un  appareil  brun  rouge  sur  fond  blanc,  de 
B  eu  G.  Une  litre  est  peinte  en  D  ;  le  tympan  au-dessus  de  cette  litre 
^t  occupé  par  un  fond  blanc  avec  deux  écussons  armoyés  :  cette  pein* 
Uire  est  donc  d'une  extrême  simplicité.  Les  voûtes  sont  plus  riches  ; 


[  PBINTL'RE   1  —  88   — 

noa-seulemeni  les  nervures  sonl  colorées  ainsi  que  les  clefs,  mais  sous 
les  intrados  des  Inangles  de  remplissages,  de  la  cler  centrale  à  celle  des 
formerets,  de  larges  bandes  A  (tig.  10)  sont 
tO  (^^  "j^      couvertes  d'ornements  peinls  d'un  beau  dessin. 

Quant  aux  triangles  B,  ils  ne  sont  occupés  que 
par  un  appareil  tracé  en  bran  rouge  sur  fond 
blanc.  Or  il  est  nécessaire  d'observerque  lacou- 
leurbleuen'apparaltquedans  les  ornements  des 
voûtes  et  sur  les  écus  armoyés.  Toutes  les  tapis- 
series ne  reçoivent  d'autres  tons  que  le  jaune 
ocre,  le  brun  rouge,  le  noir  el  le  blanc  laiteux. 
Ainsi  (Qg.  11>  les  litres  indiquées  en  D  dans  la  travée,  figure  9,  sont 
colorées  au  moyen  de  deux  tons,  ocre  jaune  et  hrun  rouge  avec  parties 


^  ]  y/ 


blanches  et  fonds  noirs.  Les  tiges  de  renroulemenl  sont  alternativement 
jaunes  et  rouges,  ainsi  que  les  feuilles  et  les  grappes.  Les  feuilles  jaunes 
sont  cernées  de  rouge  el  de  noir  sur  fond  blanc,  les  feuilles  rouges  sonl 
couchées  à  plat.  Deux  larges  lilels,  jaunes  en  dedans,  rouges  en  dehors, 
arrêtent  le  fond  noir.  Ces  litres  varient  comme  dessin  à  chaque  travée, 
tout  en  conservant  la  même  harmonie.  Les  nervures  des  voûtes,  dont  la 
section  est  donnée  en  S  (llg.  12),  sont  couvertes  chacune  d'ornements 
variés  dont  nous  donnons  en  G  et  en  H  deux  échantillons.  Ces  omemenis 
ne  tiennent  compte  qu'à  demi  du  profil,  c'est-à-dire  que.  pour  le  dessin  G, 
lemilieuadela  nervure  étant  en  o',  i'aréte  b  tombeenA'.eirarôteceno'. 


—  89  —  [  PEINTURE   ] 

Pour  la  nervure  G,  les  rosettes  sont  pourpres,  bordées  d'un  filet  blanc 
intérieur  et  d'un  filet  noir  eslérieup  ;  l'œil  est  jaune,  bordé  de  noir  ;  le 
fond  est  bleu  intense  (indigo).  Pour  la  nervure  H,  les  amandes  sont 
jauees,  bordées  d'un  HIet  blanc  à  l'intérieur,  noir  à  l'extérieur  ;  les  rosettes 


Hnt  blanches,  avec  œil  jaune  bordé  d'un  liletnoir;  les  fonds  sont  altema- 
liVfment  bleu  intense  et  rouges  ;  le  vert  apparaU  dans  d'autres  nervures. 
Ouantaux  bandes  des  clefs  de  triangles,  nous  en  donnons  un  échantillon 
uas  la  flgijre  13.  Toutes  ces  bandes  sont  variées,  mais  toutes  détachent 
ledessJD  sur  fond  noir;  les  méandres  sont  brun  rouge,  bleu  clair  et  blanc, 
*'w  filet  blanc  sur  la  rive  antérieure.  Les  palmettes  sont  blanches  avec 
qu^qaes  parties  bleu  très-clair,  modelées  au  moyen  de  hachures  brun 
™"Ï6.  Le  système  harmonique  dé  coloration  de  cette  salle,  —  car  cette 


église  n'est  à  propiciiient  parler  qu'iiae  salle  à  deux  nefs,  — est  celui-ci  : 


—  91   —  [  PEINTURE   1 

pour  les  parties  verticales,  les  murs,  les  tapisseries,  harmonie  la  plus 
simple,  celle  qui  est  donnée  par  les  tons  jaune  et  rouge  sur  fond  blanc 
avec  rehauts  noirs;  mais  pour  les  voûtes,  plus  éloignées  de  l'œil  et  qu'on 
ne  voit  qu'à  travers  Tatmosphère  colorée  par  la  lumière  passant  à  tra- 
vers des  verrières  brillantes  de  ton,  harmonie  dans  laquelle  le  bleu  clair 
et  le  bleu  intense  interviennent,  et  par  suite  le  pourpre  et  le  vert,  le 
tout  rehaussé  par  des  fonds  et  filets  noirs  :  fonds  noirs  pour  les  bandes 
des  triangles  des  voûtes,  filets  noirs  seulement  pour  redessiner  les  orne- 
ments des  nervures.  En  effet,  le  redessiné  noir  devient  nécessaire  dès 
qu'on  passe  à  une]  harmonie  composée  des  trois  couleurs,  jaune,  rouge 
et  bleu  avec  leurs  dérivés;  car  s'il  y  aune  si  grande  différence  de  valeur 
entre  le  jaune  et  le  rouge  brun,  qu'il  n'est  pas  nécessaire  de  séparer  le 
brun  rouge  du  jaune  ocre  par  un  trait  noir,  il  n'en  est  pas  ainsi  quand  on 
juxtapose  deux  couleurs  dont  les  valeurs  sont  peu  différentes,  comme  le 
pourpre  et  le  bleu,  le  bleu  et  le  rougè^  le  bleu  clair  et  le  jaune,  le  vert  et 
le  pourpre,  etc.  ;  le  filet  noir  devient  alors  absolument  nécessaire  pour 
éviter  la  bavure  d'un  ton  sur  l'autre,  et  par  suite  la  décomposition  de 
l'un  des  deux.  Ainsi,  si  vous  couchez  un  ton  bleu  immédiatement  à  côté 
d'un  ton  pourpre,  vous  rendrez  le  pourpre  gris  et  louche  si  le  bleu  est 
intense,  ou  le  bleu  clair  azuré,  lilas  même,  si  le  pourpre  est  vif.  Plus  on 
s'éloignera  de  l'objet  peint,  plus  cette  décomposition  de  l'un  des  deux 
tons,  et  quelquefois  des  deux,  sera  complète.  Mais  si,  entre  ce  bleu  et  ce 
pourpre  vous  interposez,  comme  dans  l'exemple  G  (fig.  12),  un  filet  noir 
et  un  filet  blanc  même  doublant  le  noir,  vous  isolez  chacun  des  tons,  vous 
leur  rendez  leur  valeur;  ils  influent  l'un  sur  l'autre  sans  se  confondre 
et  se  nuire  par  conséquent  ;  ils  contribuent  à  une  harmonie,  précisément 
parce  qu'ils  gardent  chacun  leur  qualité  propre  et  qu'ils  agissent  (qu'on 
nous  passe  le  mot)  dans  la  plénitude  de  cette  qualité.  En  musique,  pour 
qu'il  j  ait  accord,  il  faut  que  chacune  des  notes  données,  devant  concou- 
rir à  l'accord,  soit  juste  ;  mais  si  une  seule  de  ces  notes  est  fausse,  l'ac- 
cord ne  saurait  exister.  Ëh  bien  !  il  en  est  de  même  dans  la  peinture  dé-^ 
corative  :  pour  qu'il  y  ait  accord,  il  faut  que  chaque  ton  conserve,  à  part 
lui,  toute  sa  pureté  ;  pour  qu'il  la  conserve,  il  ne  faut  pas  que  sa  colo- 
ration ou  sa  valeur  soit  faussée  par  le  mélange  d'un  ton  voisin,  mélange 
qui  se  fait  surtout  à  distance,  si  l'on  n'a  pas  pris  le  soin  de  circonscrire 
chaque  ton  par  du  noir,  qui  n'est  pas  un  ton.  Le  blanc  seul  serait  insuf- 
fisante produire  eet  effet,  parce  que  le  blanc  se  colore  et  subit  le  rayon- 
nement des  tons  voisins.  Le  noir  est  absolu,  il  peut  seul  circonscrire 
chaque  ton.  11  faut  donc  établir  entre  les  tons  d'une  peinture  décorative 
cette  échelle  harmonique  de  valeilrs  dont  nous  avons  parlé  plus  haut, 
mais  il  faut  aussi  tenir  compte  du  rayonnement  plus  ou  moins  prononcé 
de  ces  tons  ;  rayonnement  qui  augmente  en  raison  de  la  distance  à  la- 
quelle l'œil  est  placé.  Ainsi,  par  exemple,  le  bleu  rayonne  plus  qu'au- 
cune autre  couleur.  Une  touche  bleue  sur  un  fond  jaune,  près  de  l'œil, 
n'altère  presque  pas  le  jaune;  à  distance,  cette  même  touche  bleue 


[   PEINTURE  ]  —  92  — 

rendra  le  jaune  vert  sale  et  le  bleu  paraîtra  gris.  Si  la  touche  bleue  est 
cernée  d'un  trait  noir,  le  jaune  sera  moins  altéré  ;  si  entre  la  touche  bleue 
et  le  jaune  vous  interposez  un  trait  noir  et  un  trait  brun  rouge,  le  fond 
jaune  conservera  sa  valeur  réelle,  le  brun  rouge  circonscrira  entiôrement 
le  bleu,  qui  demeurera  pur. 

Les  peintres  décorateurs  du  moyen  âge  ont  poussé  aussi  loin  que  pos- 
sible cette  connaissance  de  la  valeur  des  tons,  de  leur  influence  et  de  leur 
harmonie;  et  si  les  essais  qu'on  a  tentés  de  nos  jours  n'ont  guère  réussi, 
ce  n'est  point  à  ces  peintres  qu'il  faut  s'en  prendre,  mais  à  notre  igno- 
rance à  peu  près  complète  en  ces  matières.  Le  système  harmonique 
simple  pour  les  parties  verticales  plus  près  de  l'œil,  composé  déjà  pour 
les  voûtes,  employé  dans  la  décoration  de  l'église  des  Jcicobins  d'Agen, 
établit  une  transition  des  plus  intéressantes  à  observer.  Les  décorateurs 
de  cette  salle  ont  été  avares  de  bleu,  et  cependant,  ne  l'employant  qu'en 
très-petites  surfaces,  ils  ont  immédiatement  admis  le  pourpre,  le  vert 
et  les  filets  noirs.  Ils  n'ont  admis  que  deux  tons  bleus,  le  bleu  intense 
(valeur  indigo,  mais  moins  azuré),  et  le  bleu  limpide  (cobalt  mélangé 
de  blanc)  ;  quant  au  pourpre,  il  est  brillant,  comme  celui  qu'on  pourrait 
obtenir  avec  un  glacis  de  laque  garance  avec  une  pointe  de  bleu  minéral 
sur  une  assiette  de  mine-orange  posée  claire.  Les  touches  vertes,  très- 
rares  d'ailleurs,  sont  vives  et  tendent  au  jaune.  Les  bruns  rouges  sont 
éclatants,  ils  ont  la  valeur  du  vermillon  avec  plus  de  transparence.  Les 
jaunes  sont  du  plus  bel  ocre  mélangé  parfois  d'une  pointe  de  cinabre. 
D'or  il  n'en  est  pas  une  parcelle  ;  c'est  que  l'or  est  commandé  par  la  pré- 
sence du  bleu  en  grande  surface.  Nous  l'avons,  dit  tout  à  l'heure,  le  bleu 
est  une  couleur  qui  rayonne  plus  qu'aucune  autre,  c'est-à-dire  que  sa 
présence  altère  jusqu'à  un  certain  point  tous  les  autres  tons:  avec  le  bleu, 
le  rouge  chatoie,  le  jaune  verdit,  les  tons  intermédiaires  grisonnent  ou 
sont  criards.  L'or  seul,  par  ses  reflets  métalliques,  peut  rétablir  l'har- 
monie entre  les  tons,  quand  le  bleu  apparaît  en  grande  surface.  L'or  a 
cette  qualité  singulière,  bien  qu'il  donne  une  gamme  de  tons  jaunes,  de 
ne  pas  être  verdi  par  le  bleu  et  de  ne  pas  altérer  son  éclat.  11  prend,  dans 
ses  ombres,  des  tons  chauds  qui  tiennent  lieu  du  brun  rouge  que  nous 
interposions  ci-dessus  entre  le  jaune  ocre  et  le  bleu;  dans  les  demi- 
teintes,  il  acquiert  des  reflets  verdâtres  qui  ont  une  valeur  puissante  et 
qui  azurent  le  bleu  ;  dans  les  clairs,  il  scintille  et  prend  un  éclat  qui  ne 
peut  être  altéré  par  aucun  ton,  si  brillant  qu'il  soit.  L'or  devient  ainsi 
comme  un  thème  dominant  les  accords,  thème  assez  puissant  pour 
maintenir  l'harmonie  entre  des  tons  si  heurtés  qu'ils  soient.  Il  empêche 
le  rayonnement  du  bleu,  et  l'azuré  tellement,  qu'il  faut  le  verdir  pour 
qu'il  ne  paraisse  pas  violet;  il  éclaircit  le  rouge  (vermillon)  par  la  cha- 
leur extraordinaire  de  ses  ombres  ;  il  donne  aux  verts  un  éclat  qu'ils  ne 
pourraient  avoir  à  côté  de  surfaces  bleues;  il  réchauffe  le  pourpre  par 
ses  demi-teintes  verdâtres.  Ce  n'est  donc  pas  un  désir  assez  vulgaire  de 
donner  de  la  richesse  à  une  décoration  peinte  qui  a  fait  employer  l'or  en 


—   93   —  [   PEINTURE  ] 

û  grande  quantité  pendant  le  xm*  siècle,  c'est  un  besoin  d'harmonie  im* 
posé  par  l'adoption  du  bleu  en  grande  surface,  et  l'adoption  du  bleu  en 
graade  surface  est  commandée  par  les  vitraux  colorés.  Cette  question 
mérite  d'être  examinée.  Au  xn*  siècle,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  on  avait 
adopté  une  harmonie  décorative  simple  et  claire,  composée  de  blanc,  de 
tons  jaunes,  brun  rouge^  verdâtres,  gris,  gris  ardoise,  gris  noir.  Lorsqu'on 
en  vint  à  poser  des  verrières  très-vivement  colorées,  et  que  la  lumière, 
éclairant  les  intérieurs,  fut  décomposée  par  l'interposition  de  ces  vitraux, 
on  s'aperçut  bientôt  que  ces  tons  clairs  s'alourdissaient  et  prenaient  un 
aspect  louche.  On  multiplia  les  traits  noirs  pour  rendre  de  l'éclata  ces 
peintures  ;  mais  le  noir  lui-même,  sous  le  rayonnement  des  verrières 
colorées,  grisonnait.  On  mit  des  touches  bleues  ;  mais  il  était  difficile  de 
les  harmoniser  avec  les  jaunes  ocres,  et  en  petite  surface  ces  bleus  fai- 
saient taches.  Alors  on  prit  un  parti  franc,  on  osa  coucher  des  voûtes 
entièrement  en  bleu,  non  pas  en  bleu  pâle  comme  dans  certaines  déco- 
rations de  l'époque  romane,  mais  en  bleu  pur,  vif,  éclatant.  Il  ne  fallut 
qu'un  essai  de  ce  genre  pour  faire  voir  que  cette  hardiesse  devait  faire 
modifier  tout  le  système  harmonique  de  la  peinture  décorative.  D'abord 
les  voûtes  bleues  éclairées  par  la  lumière  décomposée  des  vitraux  pri- 
rent un  aspect  tellement  azuré,  qu'elles  paraissaient  presque  violettes, 
d'un  ton  lourd  que  rien  ne  pouvait  soutenir.  Sur  ces  voûtes  bleues  on 
essaya,  comme  correctif  et  pour  rendre  au  bleu  sa  valeur  réelle,  de  poser 
des  touches  rouges,  mais  le  chatoiement  du  rouge  sur  le  bleu  ne  fai- 
sait qu'azurer  davantage  cette  couleur.  On  essaya  des  étoiles  blanches, 
mais  les  étoiles  blanches  paraissaient  grises.  Puis  enfin  on  appliqua  des 
étoiles  d'or.  Immédiatement  le  bleu  prit  sa  valeur,  et  au  lieu  de  paraître 
écraser  le  vaisseau ,  il  s'éleva  et  acquit  de  la  transparence.  Soit  que  ces 
touches  d'or  prissent  la  lumière,  soit  qu'elles  restassent  dans  l'ombre, 
dans  le  premier  cas,  leur  éclat  jaune,  brillant,  métallique,  adoucissait 
le  ton  bleu,  dans  le  second  leur  valeur  d'un  jaune  brun  très-chaud  le 
bleuissait.  Alors  on  put  modifier  ce  ton  bleu  sans  inconvénient,  on  le  ver- 
dit un  peu  pour  lui  enlever  tout  aspect  violet.  Mais  ce  point  de  départ  si 
intense,  si  brillant,  si  puissant,  devait  faire  changer  toute  la  gamme  des 
tons  admis  jusqu'alors.  Pour  soutenir  des  voûtes  bleues  rehaussées  de 
points  d'or,  aucune  couleur  n'était  trop  brillante  ni  trop  intense;  il  fallut 
admettre  le  vermillon,  et  même  le  vermillon  glacé  de  laque,^  les  verts 
brillants,  les  pourpres  transparents,  et  au  milieu  de  tout  cela  jeter  l'or 
comme  élément  harmonique,  saillant,  dominant  le  tout.  On  alla  même 
jusqu'à  plaquer  des  fonds  d'émail  ou  de  verre  coloré  et  doré  simulant  un 
émail,  des  gaufrures  dorées,  des  applications  de  verroteries.  C'est  ainsi 
que  fut  comprise  la  coloration  de  la  sainte  Chapelle  du  palais.  Aucun 
genre  de  décoration  n'est  plus  entraînant  que  la  peinture.  Si  vous  mon- 
ICE  un  ton,  il  faut  monter  tous  les  autres  pour  conserver  l'accord  :  la  pre- 
mière couche  de  couleur  que  vous  posez  sur  une  partie  est  une  sorte 
d'engagement  que  vous  vous  imposez,  qu'il  faut  rigoureusement  tenir 


[    PBINTURB   ]  —    9^  — 

jusqu'au  bout,  sous  peine  de  ne  produire  qu'un  barbouillage  repoussant. 
Depuis  longtemps  on  se  tire  d'affaire  avec  de  l'or;  quand  l'harmonie  ne 
peut  se  soutenir,  qu'elle  n'a  pas  été  calculée,  on  prodigue  l'or.  Mais  l'or 
(qu'on  nous  permette  l'expression)  est  une  épice,  ce  n'est  pas  un  mets  ;  en 
jeter  partout,  toujours  et  à  tout  propos,  peut-ôtre  n'est-ce  qu'un  aveu 
d'impuissance.  Il  est  des  peintures  d'un  aspect  très-riche  sans  que  l'or  y 
entre  pour  la  plus  faible  parcelle.  L'or  est  l'appoint  presque  obligé  du 
bleu  ;  mais  on  peut  produire  un  effet  très-brillant  sans  bleu,  et  par  con- 
séquent sans  or.  Les  peintures  du  donjon  de  Goucy,  où  il  n'eati^  pas 
une  parcelle  de  bleu  ni  d'or,  sont  vives,  gaies,  harmonieuses,  chaudes  et 
riches.  Celles  du  réfectoire  de  la  commanderie  du  Temple,  à  Meiz  ^ 
sont  d'un  éclat  mei*veilleux,  et  l'or  ni  le  bleu  ne  s'y  trouvent.  Cette  pein- 
ture date  de  la  première  moite  du  xiii*  siècle  ;  elle  décore  une  salle  com- 
posée de  deux  nefs,  avec  une  épine  de  colonnes  portant  un  plafond  en 
charpente  (fig.  ik,  voy.  le  plan  A).  Sur  les  colonnes  est  posée  une  poutre 
maîtresse  qui  reçoit  un  solivage.  La  poutre,  les  solives  et  les  parois  de 
la  muraille  sont  entièrement  revêtues  de  peintures.  En  B,  nous  indi- 
quons la  peinture  des  murailles  dont  le  fond  se  modifie,  comme  dessin, 
à  chaque  travée.  Toute  l'ornementation  ne  comporte  que  le  blanc  pour 
les  fonds,  le  jaune  (ocre)  et  le  rouge  (ocre).  Entre  chaque  solive  a  est  un 
dessin  représentant  des  animaux  se  détachant  en  brun  rouge  vif  sur  fond 
blanc.  AuTdessous  est  une  frise  b  dont  l'ornement  est  blanc  sur  fond 
brun  rouge  clair,  avec  redessinés  brun  rouge  foncé.  Puis,  au  droit  de 
chaque  colonne,  un  dais  c  tracé  de  môme  en  brun  rouge,  avec  figure  d. 
Entre  chaque  dais  les  fonds  e  se  composent  d'un  semis  brun  rouge  sur 
blanc.  Le  soubassement  f  consiste  en  de  larges  denticules  brun  rouge, 
avec  intervalles  jaune  ocre  g  et  feuillages  brun  rouge  clair  rehaussés  de 
traits  noirs.  La  poutre  maîtresse,  par-dessous,  donne  le  dessin  h  composé 
d'un  onde  brun  rouge  sur  le  blanc,  avec  larges  bordures  jaunes.  Les 
solives  I  sont  toutes  variées  :  les  unes  figurent  un  vairé  blanc  sur  fond 
gris,  avec  filets  brun  rouge;  d'autres,  des  chevrons  alternativement 
blancs,  rouges  et  jaunes,  séparés  par  des  traits  noirs.  Sur  ces  faces,  la 
poutre  maîtresse/  présente  des  chevaliers  chargeant  peints  et  redessinés 
en  rouge  brun  sur  fond  blanc,  avec  rosettes  également  rouges.  Toute  la 
décoration  de  cette  salle  ne  consiste  donc  qu'en  deux  tons,  le  jaune  ocre 
et  le  rouge  ocre  sur  fond  blanc,  avec  quelques  rares  touches  grises.  A 
l'aide  de  ces  moyens  si  simples,  l'artiste  a  cependant  obtenu  un  effet  très- 
brillant,  très-vif  et  d'une  harmonie  parfaite.  Mais  ici  le  bleu  ni  l'or  n'in^ 
terviennent  dans  la  peinture. 

On  observera  que  les  parties  qui  figurent  des  membres  d'architecture, 
comme  le  dais  e,  par  exemple,  ne  prétendent  pas  simuler  une  ornemen- 
tation en  relief.  Cette  architecture  peinte  est  toute  de  convention  ;  c'est 

I  Ge  réfectoire  est  aujourd'hui  compris  dans  les  ouvrages  de  la  citadeUe  de  Meti;  il 
sert  de  magasin  à  fourrages. 


—  95   —  (  PEINTURE   ] 

un  hiéroglyphe.  On  ne  songeait  pas  alors,  pas  plus  que  pendant  la  bonne 
ïDliquiti,  à  faire  des  trompe-l'œil.  Celte  façon  d'interpréter  en  peinture 


irslfl'inf 


l«^ÉW 


i 


certaines  roriues  arcbitectoniques  mérite  quelque  attention,  c'est  une 
partie  Importante  de  cet  art.  11  ne  s'agit  point  de  reproduire  esactement 
les  dimensions  relatives,  le  modelé,  l' apparence  réelle  des  reliefs,  des 


[  PEINTURE   ]  —  96  — 

moulures,  des  colonnes  el  de»  chapiteaux,  mais  d'interpréter  ces  formes 
et  de  les  faire  entrer  dans  le  domaine  de  la  peinture.  De  fait^  si  Ton  pré- 
tend modeler,  par  exemple,  une  arcature  de  pierre  par  des  tons,  ad- 
mettant qu'on  puisse  produire  quelque  illusion  sur  un  point,  il  est 
certain  qu'en  regardant  ce  trompe-l'œil  obliquement,  non-seulement 
l'illusion  est  impossible,  mais  ces  surfaces  qui  n'ont  pas  de  saillies,  ces 
moulures  et  profils  qui  ne  se  soumettent  pas  aux  lois  de  la  perspective, 
produisent  l'effet  le  plus  désagréable.  Le  trompe-l'œil,  dans  ce  cas,  est 
une  satisfaction  puérile  que  se  donne  le  peintre  à  lui-môme,  considérant 
l'objet  qu'il  veut  rendre  sur  un  point;  il  ne  fait  pas  une  peinture  décora- 
tive, mais  seulement  un  tour  d'adresse.  La  belle  antiquité  et  le  moyen 
âge  n'ont  pas  compris  de  cette  manière  la  peinture  décorative.  Les 
peintres  du  xiii*  siècle  voulaient-ils  décorer  un  soubassement  par  une 
arcature  que  l'architecte  n'avait  pu  obtenir  en  réalité,  ils  interprétaient 
les  formes  architectoniques  de  cette  manière  (fig.  15  ').  A  l'aide  de 
couchés  à  plat  en  ocre  jaune  et  de  dessins  brun  rouge  sur  fond  blanc, 
ils  obtenaient  une  décoration  très-riche,  très-facile  à  exécuter,  peu  dis- 
pendieuse, et  qui,  en  réalité,  produit  un  effet  beaucoup  plus  décoratif 
que  ne  pourrait  le  faire  une  peinture  en  trompe-l'œil.  Ici  les  tympans 
entre  les  arcs,  et  les  voiles  tendus,  ainsi  que  le  filet  J,  sont  couchés  en 
ocre  jaune  ;  tout  le  reste  de  l'arcature,  ainsi  que  les  redessinés  et  bordures 
des  voiles,  les  ornements  des  tympans,  est  en  brun  rouge;  le  fond  est 
blanc  laiteux.  Ces  procédés  si  simples,  qu'on  peut  faire  employer  par 
les  ouvriers  les  plus  ordinaires,  expliquent  comment  la  peinture  s'appli- 
quait alors  aussi  bien  à  des  édifices  modestes  qu'à  des  chapelles  et  à  des 
salles  somptueuses.  Supposons  le  fond  de  cette  arcature  en  bleu  intense, 
les  formes  en  or  redessinées  de  noir,  les  voiles  et  tympans  pourpre  clair 
ou  vert  clair  avec  damasquinage  d'or,  et  nous  aurons  un  soubassement 
d'une  extrême  richesse,  qui  cependant  ne  présentera  aucune  dificulté 
d'exécution.  Dans  la  peinture  modeste  comme  dans  la  peinture  somp- 
tueuse, nous  aurons  une  dose  égale  d'art;  cela,  en  vérité,  vaut  mieux 
les  marbres  peints,  et  l.'apparence  grossière  et  barbare  de  la  richesse 
qu'on  cherche  généralement  dans  la  peinture  décorative,  en  essayant, 
sans  jamais  y  parvenir,  bien  entendu,  à  tromper  le  spectateur  sur  la 
valeur  réelle  de  l'objet  décoré.  Nous  avons  conservé  quelques  restes  de 
ces  bonnes  traditions  dans  nos  papiers  peints.  Aussi  se  vendent-ils  dans 
le  monde  entier  comme  des  œuvres  d'art. 

On  a  vu  précédemment  que  les  verrières  très-colorées  avaient  imposé 
une  grande  variété  et  une  grande  intensité  de  tons  dans  la  peinture  mu- 
rale, ainsi  que  l'appoint  de  l'or.  Mais  des  raisons  d'économie  ne  per- 
mettaient pas  toujours  d'adopter  résolument  cette  harmonie  compli- 
quée qu'on  ne  pouvait  obtenir  qu'avec  des  ressources  étendues.  Il  est 
intéressant  de  voir  comment  les  «rrtistes  se  sont  tirés  d'affaire  en  pareil 

>  Traces  d'une  arcature  peinte^  abbaye  de  Fontfroide. 


97   —  [   PEINTURE   ] 

cas,  en  ne  pouvant  employer  l'or,  ni  le  bleu  par  conséquent,  et  en  se  bor- 
nant à  l'harmonie  simple,  celle  qui  ne  comporte  que  le  rouge,  le  jaune, 
le  blanc,  le  noir,  et  quelques  intermédiaires,  comme  le  gris  et  le  vert. 


Le  cliŒur  de  l'église  Saint-Nazaire  de  Carcassonne,  ancienne  cathé- 
drale, est  une  véritable  lanterne  garnie  de  vitrauï  d'un  éclat  et  d'une 
richesse  de  ton  incomparables.  Pour  soutenir  ta  coloration  translucide 
de  CCS  verrières,  on  a  cru  devoir  peindre  ce  chœur,  mais  probablement 
les  ressources  étaient  minimes,  et  l'on  a  visé  à  l'économie.  Ne  pouvant 
employer  l'or,  les  peintres  n'ont  pas  adopté  le  bleu  ;  ils  se  sont  contentés 
«le  l'harmonie  simple,  et  voici  comment  ils  ont  procédé.  Les  verrières 
formant  la  surface  totale  des  parois,  il  ne  restait  à  peindre  que  l'arcature 
du  soubassement,  les  piles  et  la  voûte.  La  ligure  16,  donnant  la  projec- 

VIL  —  13 


[  FBIHTURE   ]  —  98   — 

tion  horizontale  de  celle  voùle,  on  a  réservé  le  triangle  A  pour  y  tracer 
un  sujet  :  Le  Christ  dans  sa  gloire;  tous  les  autres  triangles  ont  été  divi- 
sés aui  deîs  par  des  bandes  b.  Dans  les  quatre  demi-triangles  c  ont  été 
tracées  des  figures  d'anges  sur  fonds 
blancs  étoiles  de  rouge.  Quant  aux 
"  autres  fonds   des  voûtes,  ils  ont  été 

alternativement  coucbés  en  blanc   et 
en  ocre   rouge,    ainsi  que  l_'indique 
le  tracé,   la   lettre   B  marquant    le.s 
fonds  blancs  et  la  lettre  R  les  fonds 
rouges.  Cela  était  hardi',  on  en  con- 
viendra. Pour  soutenir  la  valeur    de 
ces  Ions  placés  sous  tes  voûtes,  non- 
seulement  celles-ci  ont  été  coupées 
parles  handes  des  clefs,  mais  elles  ont 
été  bordées  d'ornemenis  très-vifs  de 
tons  et  très -dé  taillés.  Les  nervures  ont 
été  de  môme  couvertes  d'ornemenLs 
menus  d'une  extrême  vivacité.  Voici 
(Qg.  17)  un  détail  de  la  partie  de    la 
voûte  occupée  par  le  Chrisl.  Le  person- 
nage divin  est  v6tu  d'une  robe  pourpre 
se  rapprochanlduviolel,avec  doublure 
vert  clair  ;  son  nimbe  seul  est  or  ;  aussi 
la  seconde  auréole  a,  peinte  derrière 
sesépaules,  est-elle  bleue.  C'est  la  seule 
touche  bleue  de  toute  la  voûte.  Le  fond  du  Christ  est  rouge  vif,  les  ani- 
maux sont  en  grisaille,  ainsi  que  l'auréole  externe.  Le  fond  des  séra- 
phins est  brun  rouge.  Les  deux  anges  et  les  deux  séraphins  sont  en  gri- 
saille, avec  ailes  jaunes.  Quant  au  fond  P  des  autres  grands  anges,  il  est 
blanc  étoile  de  rouge,  comme  nous  l'avons  dit.  Ceux-ci  sont  vêtus  de 
jaune,  avec  ailes  en  grisaille.  La  figure  18  donne  les  détails  de  la  peinture 
de  ces  voûtes.   En   A,  l'arc-doubleau  tracé  en  A'  sur  la  ligure  17.   Le 
listel  b  est  peint  de  carrés  alternativement  vermillon  et  brun  rouge  bor- 
dés de  larges  traits  noirs,  avec  demi-carrés  ocre  jaune.  La  gorge  c  est 
brun  rouge.  Le  boudin  rf  est  orné  d'une  torsade  alternativement  noire, 
ocre  jaune  et  brun  rouge,  chaque  ton  étant  séparé  par  un  filet  blanc.  La 
gorgerf'est  brun  rouge.  Le  second  listel  e  est  rempli  par  de  petits  quatre- 
feuilles  ocre  jaune  et  brun  rouge  bordés  d'un  filet  blanc,  avec  fond  noir, 
La  gorge  /est  brun  rouge.  Le  second  boudin  possède  sur  sa  partie  supé- 
rieure des  carrés  vermillon  bordés  de  lilets  blancs  ;  le  fond  est  ocre  jaune; 
la  gorge  au-dessous  est  ocre  jaune.  Le  listel  h  se  décore  pardesquatre- 
feuilles  alternativement  brun  rouge  et  ocre  jaune  sur  fond  noir  et  bordé.s 
de  filets  blanc. 
Les  arêtes  B  ont  leur  listel  t  semblable  au  listel  e,  La  gorge  k  est  brun 


—   99   —  [    PEIimiRE    ] 

rouge,  le  boudin  /  torsadé  comme  le  boudin  d.  La  gorge  m  possède  des 
pelils  carrés  gris  ardoise  sur  fond  ocre  jaune,  avec  filet  blanc  inférieur. 
Le  boudin  extrCme  m  est  couTert  de  quatre-feuilles  vermillon  sur  fond 


noir,  avec  filets  blancs.  Le  filet  extrême  o  est  également  blanc.  £n  C, 
nous  donnons  l'une  des  bordures  couchées  sur  les  voûtes  à  cAté  des 
arêtes  ;  ces  bordures  sont  toutes  à  peu  près  semblables.  Le  fond  du 
dessin  est  brun  rouge  vif-  les  quatre-feuilles  vermillon,  avec  carrés  noir- 
bleu;  ils  sont  cernés  d'un  trait  noir  et  d'uD  bord  blanc;  les  carrés  iuter' 
médiaires  sont  en  ocre  jaune  et  le  petit  enroulement  blanc.  Un  large 
filet  blanc  borde  ces  bandes  ;  il  est  doublé  d'un  autre  filet  brun  rouge 
clair,  avec  carrés  gris  ardoise  et  traits  noirs.  L'une  des  étoiles  est  figurée 
en  p.  Ces  étoiles,  qui  sont  rouges  sur  les  fonds  blancs  des  voûtes,  sont 
blanches  sur  les  fonds  brun  rouge.  En  D,  nous  donnons  une  des  bandes 
de  clefs  des  voûtes;  leur  coloration  consiste  en  un  ornement  blanc 
quelque  peu  modelé  de  traits  rouges,  sur  fond  vermillon  ;  un  large 
filet  brun  rouge  les  divise  par  le  milieu  dans  leur  longueur;  des  filets 
blancs  arrêtent  les  fonds  vermillon  et  sont  bordés  extérieurement  de 


yr^L 


,1' 


\ 

\ 

\ 

f 

\ 

^ 

7X. 

6 


fllelB  noir.  Ces  voûtes  étapt  supportées  par  des  faisceaux  de  fines  coton- 


—   101    —  [  PEINTURE  ] 

nettes,  celles-ci  sont  simplement  colorées  de  tons  alternativement  jaunes 
et  rouges,  avec  gorges  noires  ou  rouges  garnies  de  carrés  noirs  et  filets 
blancs;  les  chapiteaux  ont  leurs  feuillages  peints  en  ocre  jaune  sur 
fond  brun  sombre.  A  l'entrée  du  chœur,  des  demi-colonnes  G  d'un  assez 
fort  diamètre,  0",/!iO,  sont  décorées  de  peintures  dont  nous  donnons  le 
détail  développé  en  G'.  Ce  sont  des  carrés  à  quatre  lobes  alternativement 
vert  bleu  et  ocre  jaune,  sur  les  fonds  desquels  se  détachent  des  orne- 
ments jaune  foncé  sur  le  bleu  verdâtre,  blancs  sur  le  jaune.  Les  inter- 
valles /  sont  ocre  jaune,  avec  ornements  blancs  dont  nous  traçons  un 
fragment  à  une  plus  grande  échelle  en  S.  Les  carrés  lobés  sont  cernés 
d'un  trait  brun  rouge  et  d'un  champ  blanc.  Les  filets  externes  de  la 
demi-colonne  sont  blancs,  brun  rouge  et  ocre  jaune.  Sous  les  fenêtres 
il  règne  une  arcature  très-riche  *,  peinte  d'écus  armoyés  sur  des  fonds 
verts,  des  mitres  surmontent  lesécus.  Les  boudins  sont  ornés  de  torsades 
blanches,  noires  et  rouges;  les  gorges,  de  tons  verts,  avec  carrés  semés 
noirs.  Des  filets  blancs  et  rouges  bordent  les  fonds.  Malgré  l'éclat  des 
vitraux,  cette  coloration  se  soutient  et  s'harmonise  parfaitement  avec 
les  tons  translucides.  Ces  voûtes  à  triangles  blancs  et  rouges  alternés, 
avec  leurs  bandes  de  clefs  d'un  ton  brillant,  et  leurs  bordures  riches,  sont 
d'un  effet  très-chaud  et  très-solide.  Les  membres  de  l'architecture,  vive- 
ment détachés  par  des  détails  très-fins  où  le  noir  joue  un  rôle  important, 
se  distinguent  bien  des  remplissages,  tout  en  paraissant  légers.  Ces  pein- 
tures datent  du  commencement  du  xiv*  siècle,  comme  la  construction 
elle-même. 

Il  était  nécessaire  de  prendre  un  parti  franc  lorsqu'on  prétendait  dé- 
corer de  peintures  l'architecture  dite  gothique.  Il  fallait  que  cette  pein- 
ture laissât  dominer  entièrement  l'éclat  des  vitraux  colorés,  ou  qu'elle 
pût  soutenir  cet  éclat  et  y  participer  ;  il  était  important  surtout  que  les 
formes  de  la  construction,  qui  ont  une  si  grande  importance  à  dater  du 
XIII*  siècle  dans  les  édifices,  fussent  accusées  nettement  par  le  système 
de  peinture.  Si  l'on  admettait  les  voûtes  bleues  étoilées  d'or,  par  exemple, 
il  fallait  que  les  nervures  des  voûtes  fussent  assez  brillamment  colorées 
pour  soutenir  ces  fonds  puissants  de  ton  et  les  renvoyer  pour  ainsi  dire 
à  un  autre  plan.  L'or  était  d'un  grand  secours  en  ces  occasions,  ainsi 
que  le  noir  cernant  des  tons  vifs,  comme  le  vermillon  et  le  vert.  La  pein- 
ture des  nerfs  de  voûtes  ainsi  montée,  il  fallait,  pour  la  soutenir,  des  tons 
non  moins  vifs  sur  les  faisceaux  composant  les  piUs,  d'autant  que  le 
rayonnement  des  couleurs  des  vitraux  tendait  à  atténuer  la  coloration 
de  ces  piles,  souvent  très-minces.  Ce  n'était  alors  que  par  des  gorges  d'un 
ton  très-chaud  et  très-sombre,  comme  le  brun  rouge  glacé  de  laque,  ou 
le  pourpre  très-puissant,  ou  le  noir  brun,  qu'on  pouvait  combattre  le 
grisonnement  que  répandait  le  rayonnement  des  verrières  sur  ces  sur- 

*  Voyei  à  l'article  Co!fsnucTi05  la  figure  lii,  qui  donne  une  coupe  de  rentrée  de  ce 
chœur. 


[  PEINTURE  ]  —  102  — 

faces  voisines.  11  fallait  même,  pour  donner  à  certaines  couleurs,  comme 
le  vermillon,  tout  leur  éclat,  les  semer  de  touches  opposées.  Ainsi  sur 
la  colonnette  couchée  en  vermillon,  on  semait  des  touches  bleu  clair 
cernées  toujours  de  noir  ;  ou  sur  la  colonnette  couchée  en  bleu  clair, 
des  touches  d'un  pourpre  vif;  sur  celle  couchée  en  bleu  intense,  des 
touches  pourpre  rose.  L*or  venait  aussi,  bien  entendu,  prêter  son  éclat 
à  ces  faisceaux  de  colonnettes  dévorées  par  la  juxtaposition  des  couleurs 
translucides,  lorsque  le  bleu  entrait  pour  une  grande  part  dans  Tharmo- 
nie  générale.  Les  arcatures  ou  tapisseries  disposées  au-dessous  des  fenê- 
tres, moins  dévorées  par  les  vitraux  et  plus  près  de  FœiU  pouvaient 
reprendre  des  tons  plus  doux  et  plus  clairs,  et  alors  les  faisceaux  de  co- 
lonnettes passant  devant  elles  se  détachaient  en  vigueur  et  en  éclat.  Ce 
parti  était  parfaitement  compris  dans  la  peinture  de  la  sainte  Chapelle 
haute  du  Palais*.  En  effet,  dans  le  système  de  peinture  adopté  pour  cet 
intérieur,  toutes  les  parties  qui  portent,  qui  forment  Tossatùre  et  les  nerfs 
de  rédifice,  se  détachent  en  vigueur  et  en  éclat.  Les  fonds  sont  au  con- 
traire doux  et  tenus  au  second  plan. 

Les  peintres  décorateurs  du  moyen  âge,  pour  circonscrire  le  rayonne- 
ment des  vitraux  colorés,  employaient  certains  moyens  d'un  effet  sûr. 
Si  les  fenêtres  possédaient  des  ébrasements,  comme  au  commencement 
du  xiii*  siècle,  par  exemple,  ceux-ci  étaient  décorés  d'ornements  très- 
vivement  accusés  par  la  différence  des  tons.  Ces  dessins  étaient  noirs  et 
blancs,  comme  celui  présenté  en  A  dans  la  figure  19,  ou  brun  rouge  noir 
et  blanc,  comme  celui  tracé  en  B.  Ces  couleurs  tranchées,  atténuées  par 
l'effet  de  la  lumière  décomposée  passant  à  travers  des  vitraux  colorés, 
conservaient  assez  de  vigueur  et  de  netteté  pour  border  les  peintures 
translucides,  et  prenaient  des  tons  harmonieux  par  le  rayonnement  de 
ces  peintures.  Si  les  fenêtres,  comme  la  plupart  de  celles  qui  se  voient 
dans  les  édifices  du  milieu  du  xiii*  siècle,  se  composaient  de  meneaux 
formant  de  légers  faisceaux  de  colonnettes,  celles-ci  se  couvraient  de 
tons  très-voisins  du  noir,  ainsi  que  le  brun  rouge  foncé,  le  vert  bleu  très- 
intense,  l'ardoise  sombre,  le  pourpre  brun.  Ces  lignes  obscures  faisaient 
un  encadrement  à  la  verrière  ;  mais  cependant  les  vitraux  colorés  étant 
toujours  bordés  d'un  mince  filet  de  verre  blanc,  comme  pour  les  mettre 
en  marge  et  empêcher  la  bavure  des  tons  translucides  sur  l'architecture, 
le  long  de  ce  filet  blanc  transparent  on  peignait  le  solin  en  vermillon, 
afin  de  mieux  fairft  ressortir  l'éclat  de  la  ligne  lumineuse  (voy.  VmiAiL). 

Indépendamment  de  la  coloration  et  du  système  harmonique  des  tons 
de  la  peinture  décorative,  les  artistes  des  xii*  et  xiii*  siècles  notamment 

'  Lorsque  Tou  commença  la  restauration  des  peintures  de  la  sainte  ChapeUe,  on  n'a- 
Ysit  pas  découvert  le  parti  de  coloration  du  fond  des  arcatures  sous  les  fenêtres.  On  fit  de 
nombreux  essais,  tous  sur  une  gamme  sombre,  mais  l'harmonie  générale  était  dérangée 
par  celle  de  ces  fonds  obscurs.  En  lavant  un  mur,  du  côté  de  l'entrée,  on  trouva,  un 
jour,  un  fragment  de  la  tapisserie  claire  qui  forme  le  fond  de  cette  arcature;  reproduit 
immédiatement,  rharmonie  générale  fut  rétabUe. 


—   103   —  [  FBUfTURE  ] 

doDnaient  aux  dessins  des  orDemeots  peints  des  formes  qui  convenaient 
à  la  place  qu'ils  occupaient  dans  l'architecture.  En  effet,  le  dessin  d'un 
ornement  appliqué  sur  une  surface  modifie  sensiblement  celle-ci,  comma 

9 


nous  l'avoDS  indiqué  sommairement  dans  la  figure  6.  Les  litres,  les  ban- 
deaux, se  couvrent  d'ornements  courant  horizontalement.  Les  piliers,  les 
colonnes,  les  surfaces  verticales,  qui  portent  et  doivent  paraître  rigides, 
ont  leur  surface  occupée  par  des  ornements  ascendants. 

Voici  quelques  exemples  (fig.  20)  d'ornements  empruntés  à  des  pein- 
tures couvrant  des  colonnes  des  xii'  et  xiii"  siècles.  L'exemple  A  pro- 
vient de  colonnes  des  chapelles  absidales  de  Saint-Denis.  Il  présente  une 
torsade  vert  clair  sur  fond  blanc  jaune,  bordée  d'un  filet  bruii  rouge,  avec 
perlé  blanc  à  cheval  sur  le  rouge  et  le  vert'.  Les  exemples  B  proviennent 
de  colonnes  de  l'église  deHomans(DrAme).  Celui  F  donne  un  treillis  de 


'  Ce*  ornemeats  de  colonne)  sont  présentés  dételoppéi. 


[    PEINTLIBE   ]  —    jO(l    — 

feuillages  rouges  sur  fond  verl  bleu  ;  celui  Ha,  un  losange  vert  bleu,  aver 
dessins  brun  rouge  sur  fond  blanc  ;  celui  B6,  un  vairé  bruu  sombre  el 
verl  sur  blanc  ;  celui  hc,  un  chevronné  vert  et  rouge  sur  fond  blanc,  avec 


niet  brun  interposé.  Le  dessin  C,  qui  est  tracé  sur  un  fût  d'une  colonoe 
de  l'église  Saint-Georges  de  Boscberville,  est  un  chevronné  rouge  laqueux 
et  vert  vifsurfondblanc,  avec  filet  brun  rougevif  interposé'.  L'exemple  D, 
très- fréquent  au  xiu'  siècle,  donne  aux  colonnes  de  la  flnesse  et  de  la 
rigidité.  Les  ressauts  des  lignes  verticales  ont  l'avantage  de  faire  sentir 
la  surface  cylindrique  de  la  colonne,  toujours  détruite  par  les  cannelure», 
surtout  si  ces  colonnes  sont  grêles.  C'est  ce  besoin  de  conformer  l'orne- 

'  Ces  l'ianiplcB  Je  colnimcs  |ieialc*  npparlieiiiiciil  au  xii*  i^ièck'. 


—  105  —  [  PEINTURE  ] 

ment  peint  à  la  structure,  et  d'appuyer  même  celle-ci  par  le  genre  de 
peinture^  qui  a  fait  adopter  ces  appareib  si  fréquents  dans  la  décoration 
colorée  des  xii*  et  xiii«  siècles  particulièrement.  Ces  appareils  sont  très- 
simples  ou  riches,  ainsi  que  le  fait  voir  la  figure  21,  blancs  sur  fond 


u 


il 


TT 


jaune  ocre,  ou,  plus  fréquemment,  brun  rouge  sur  fond  blanc  ou  sur 
fond  jaune  pÂle  ;  les  lignes  ainsi  filées  au  pinceau  sur  de  grandes  surfaces, 
simples,  doublées,  triplées  ou  accompagnées  de  certains  ornements,  pré- 
sentent une  décoration  très-économique,  faisant  parfaitement  valoir  les 
litres,  les  bandeaux,  les  faisceaux  de  colonnes,  les  bordures  couvertes 
d'une  ornementation  plus  compliquée  et  de  couleurs  brillantes. 

Dans  les  intérieurs,  lorsque  les  parois  et  les  piles  sont  peintes,  la 
sculpture,  naturellement,  se  couvre  de  couleurs  ;  car  il  est  à  observer 
que  les  artistes  du  moyen  âge,  comme  ceux  de  l'antiquité,  n'ont  pas 
admis  la  coloration  partielle;  ou  bien  ils  n'ont  pas  peint  les  intérieurs, 
ou  ils  les  ont  peints  entièremenL  S'ils  ne  disposaient  que  de  ressources 
minimes,  quelquefois  cette  peinture  n'était,  sur  une  grande  partie  des 

vu.  — 1& 


[   PEINTURE   ]  —    106   — 

surfaces,  qu'un  badigeon;  mais  ils  pensaient  que  la  peinture  appelait  la 
peinture,  et  qu'une  litre  colorée  ne  pouvait  se  poser  toute  seule  sur  un 
mur  conservant  son  ton  de  pierre.  C'est  là  un  sentiment  d'harmonie 
très-juste.  S'il  est  parfois  des  exceptions  à  cette  règle,  c'est  quand  la 
peinture  n'est  considérée  que  comme  un  redessiné  de  la  forme.  On  voit 
certaines  sculptures  de  chapiteaux,  par  exemple,  et  des  bas-reliefs,  dont 
les  ornements  ou  les  figures  sont  redessinés  en  noir  ou  en  brun  rouge  ; 
certaines  gorges  de  nervures  ou  de  faisceaux  de  colonnettes  remplies 
d'un  ton  brun,  pour  tracer  la  forme  :  mais  cela  n'est  plus  de  la  peinture, 
c'est  du  dessin,   un  moyen  d'insister  sur  des  formes  qu'on  veut  faire 
mieux  saisir.  Parfois  aussi,  comme  dans  les  voûtes  du  chœur  de  la  cathé- 
drale de  Meaux,  par  exemple,  on  a  eu  l'idée  de  distinguer  les  claveaux 
des  arcs  ogives  ou  des  arcs-doubleaux  au  moyen  de  deux  tons  différents. 
Ce  sont  là  des  exceptions.  A  l'article  Statuaire,  nous  parlerons  du  mode 
de  coloration  des  imageries  et  des  statues,  car  les  artistes  du  moyen  âge 
ont  le  plus  souvent  admis,  comme  les  Grecs  de  l'antiquité,  que  la  sta- 
tuaire devait  être  colorée.  Quanta  la  sculpture  d'ornement  des  intérieurs, 
tenue  dans  des  tons  clairs  sur  fonds  sombres  pendant  l'époque  romane 
et  le  XII'  siècle,  vert  clair  ou  jaune  ocre  sur  fonds  brun,  pourpre  et  même 
noir,  elle  se  colore  plus  vivement  pendant  le  xiu*  siècle,  et  surtout  pen- 
dant le  xiV,  afin  de  se  détacher  en  vigueur  sur  les  parties  simples,  con- 
formément au  parti  que  nous  avons  signalé  plus  haut.  Si  l'or  apparaît 
dans  la  décoration,  les  feuillages  des  chapiteaux  sont  dorés  en  tout  ou 
partie  sur  fonds  pourpre,  bleu,  ou  vermillon.  Si  l'or  est  exclu,  les  orne- 
ments se  couvrent  de  tons  jaune,  vert  vif,  sur  fonds  très -vigoureux,  et  le 
Jaune  est  redessiné  de  traits  noirs  comme  l'or;  car  jamais  la  dorure  n'est 
posée  sans  ôtre  accompagnée  d'épaisseurs  et  de  dessous  rouges,  avec 
redessinés  noirs,  afin  de  nettoyer  et  d'éclaircir  les  formes  de  la  sculpture. 
Ces  traits  noirs  sont  brillants,  posés  au  moyen  d'une  substance  assez 
semblable  à  notre  vernis,  et  ont  toujours  un  œil  brun.  De  cette  manière 
la  dorure  prend  un  éclat  et  un  relief  merveilleux,  elle  n'est  jamais  molle 
et  indécise.  Si  la  dorure  est  posée  en  grandes  surfaces,  comme  sur  des 
fonds  ou  sur  des  draperies  de  statues,  des  gaufrures  ou  un  glacis  donnent 
un  aspect  précieux  et  léger  à  son  éclat;  on  évite  ainsi  ces  reflets  écra- 
sants pour  la  coloration  voisine,  les  lumières  trop  larges  et  trop  unifor- 
mément brillantes. 

Terminons  cet  aperçu  de  la  décoration  peinte  des  intérieurs  par  une 
remarque  générale  sur  le  système  adopté  par  les  artistes  du  moyen  âge. 
Tout  le  monde  a  vu  des  tapis  dits  de  Perse,  des  châles  de  l'Inde;  chacun 
est  frappé  de  l'éclat  doux  et  solide  de  ces  étoffes  et  de  leur  harmonie  in- 
comparable. £h  bien  !  qu'on  examine  le  procédé  de  coloration  adopté 
par  ces  tisserands  orientaux.  Ce  procédé  est  au  fond  bien  simple.  Mettant 
de  côté  le  choix  des  tons,  qui  est  toujours  sobre  et  délicat,  nous  verrons 
que  sur  dix  tons  huit  sont  rompus,  et  que  la  valeur  de  chacun  d'eux  ré- 
sulte de  la  juxtaposition  d'un  autre  ton.  Défilez  un  châle  de  l'Inde,  sépa- 


—   107   —  [   PEINTURE  ] 

rez  les  tons,  et  vous  serez  surpris  du  peu  d'éclat  de  chacun  d'eux  pris 
isolément.  Il  n'y  aura  pas  un  de  ces  pelotons  de  laine  qui  ne  paraisse 
terne  en  regard  de  nos  teintures^  et  cependant,  lorsqu'ils  ont  passé  sur 
le  métier  du  Tibétain  et  qu'ils  sont  devenus  tissus,  ils  dépassent  en 
valeur  harmonique  toutes  nos  étoffes.  Or  cette  qualité  réside  uniquement 
dans  la  connaissance  du  rapport  des  tons,  dans  leur  juste  division,  en 
raison  de  leur  influence  les  uns  sur  les  autres,  et  surtout  dans  l'impor- 
tance relative  donnée  aux  tons  rompus.  Il  ne  s'agit  pas  en  effet,  pour 
obtenir  une  peinture  d'un  aspect  éclatant,  de  multiplier  les  couleurs 
franches  et  de  les  faire  crier  les  unes  à  côté  des  autres,  mais  de  donner 
une  valeur  singulière  à  un  point  par  un  entourage  neutre.  Un  centimètre 
carré  de  bleu  turquoise  sur  une  large  surface  brun  mordoré  acquerra 
une  valeur  et  une  finesse  telles,  qu'à  dix  pas  cette  touche  paraîtra  bleue 
et  transparente.  Quintuplez  cette  surface,  non-seulement  elle  semblera 
terne  et  louche,  mais  elle  fera  paraître  le  ton  brun  chaud  qui  l'entoure 
lourd  et  froid.  Il  y  a  donc  là  une  science^  science  expérimentale,  il  est 
vrai,  mais  que  nos  décorateurs  possédaient  à  merveille  pendant  le  moyen 
âge,  ainsi  qu'ils  l'ont  prouvé  dans  la  peinture  de  leurs  monuments,  de 
leurs  vignettes  de  manuscrits  et  de  leurs  vitraux;  car  ces  lois,  impérieuses 
déjà  dans  la  coloration  monumentale,  sont  bien  autrement  tyranniques 
encore  dans  la  coloration  translucide  de  vitraux,  où  chaque  touche  de 
couleur  prend  une  si  grande  importance. 

Les  procédés  employés  par  les  peintres  pour  décorer  les  intérieurs 
étaient  déjà  très-perfectionnés  au  xiii*  siècle,  ainsi  qu'on  en  peut  juger 
en  examinant  les  peintures  anciennes  de  la  sainte  Chapelle  et  celles  de 
certains  retables  de  la  même  époque  '.  Alors  les  vernis  et  même  la  pein- 
ture à  l'huile  étaient  en  usage.  Au  xiv*  siècle,  il  parait  même  qu'on  fai- 
sait un  emploi  fréquent  de  ce  dernier  procédé  en  France,  en  Italie  et  en 
Allemagne^.  M.  Émeric  David,  dans  ses  Discours  historiques  sur  lapein- 
twre  moderne  ^y  démontre  d'une  manière  évidente  que  dès  le  xi*  siècle  les 
peintres  employaient  les  couleurs  broyées  avec  de  l'huile  de  lin  pure, 
et  le  devis  des  peintures  exécutées  par  ordre  du  duc  de  Normandie  (de- 
puis Charles  Y)  dans  le  château  de  Yaudreuil,  en  1355,  par  Jehan  Coste^ 
prouve  que  le  procédé  de  la  peinture  à  l'huile  était  alors  connu  en  France, 
et  pratiqué  non-seulement  pour  les  meubles  et  menus  ouvrages,  mais 
aussi  pour  la  décoration  sur  les  murs.  Ce  devis  commence  ainsi  : 

a  Premièrement  pour  la  salle  assouvir  en  la  manière  que  elle  est 
«  commenciée  ou  mieux  ;  c'est  assavoir  :  parfaire  l'ystoire  de  la  vie  de 

'  Entre  autres,  le  rcUble  déposé  dans  le  bas  côté  sud  du  chœur  de  l'église  abbatiale 
de  Westminster  (ouvrage  de  TÉcoIe  française). 

'  Voyez  Cennino  Gennini,  déjà  cité,  et  le  devis  de  la  peinture  faite  dans  Tancien  château 
royal  de  Yaudreuil,  en  Normandie,  en  1356,  publié  dans  les  tomes  I  et  111  de  la  2*^  série 
de  la  Biblioth.  de  V École  des  chartes,  p.  544  et  334. 

^  Paris,  1813,  in-8. 


f   PEINTURE  ]  —  108  — 

a  César,  et  au-dessouz  en  la  derreniere  liste  (litre)  une  liste  de  bestes  et 
a  d'images,  einsi  comme  est  commencée. 

«  Item  la  galerie  à  rentrée  de  la  salle  en  laquelle  est  la  chace  parfaire, 
a  einsi  comme  est  commencée. 

«  Item  la  grant  chapelle  fere  des  ystoires  de  Notre  Dame,  de  sainte 
((  Anne  et  de  la  Passion  entour  l'autel,  ce  qui  en  y  pourra  estre  fet,  etc. 

«  Et  toutes  ces  choses  dessus  devisées  seront  fêtes  de  fines  couleurs 
((  à  l'huile,  et  les  champs  de  fin  or  enlevé  (en.relief)*-**  etc.  » 

Les  glacis,  fréquemment  employés  dans  la  peinture  décorative,  à  dater 
du  xiri*  siècle,  la  finesse  de  ces  peintures,  leur  solidité  et  leur  aspect 
brillant,  indiquent  un  procédé  permettant  toutes  les  délicatesses  de  mo- 
delé  et  de  coloration.  Avec  la  peinture  à  l'huile,  les  artistes  des  xiv*  et 
XV*  siècles,  en  France,  employaient  aussi  une  peinture  dans  laquelle  il 
entre,  comme  gluten,  un  principe  résineux  très-dur  et  très-transparent, 
ainsi  que  la  gomme  copale  par  exemple.  Peut-être  les  deux  éléments, 
l'huile  et  la  résine,  étaient-ils  simultanément  employés,  la  gomme  copale 
tenant  lieu  alors  de  siccatif.  L'analyse  de  quelques-unes  de  ces  peintures 
présente  souvent  en  effet  une  certaine  quantité  de  résine. 

La  peinture  décorative  ne  s'appliquait  pas  seulement  aux  parois  des 
intérieurs,  elle  jouait  un  rôle  important  à  l'extérieur  des  édifices.  La 
façade  de  Notre-Dame  de  Paris  présente  de  nombreuses  traces  de  pein- 
tures et  de  dorures,  non  pas  posées  sur  les  nus  des  murs,  mais  sur  les 
moulures,  les  colonnes,  les  sculptures  d'ornement  et  la  statuaire.  Od 
peut  faire  la  môme  observation  sous  les  porches  de  la  cathédrale  d'Amiens; 
et  les  ornements  placés  au  sommet  des  grands  pignons  du  transsept 
de  la  cathédrale  de  Paris,  qui  datent  de  1257,  étaient  dorés  avec  fonds 
rouge  sombre  et  noir. 

La  coloration  appliquée  à  l'extérieur  est  beaucoup  plus  heurtée  que  ne 
l'est  celle  des  intérieurs  ;  ce  sont  des  tons  rouge  vif  (vermillon  glacé  d'un 
ton  pourpre  très-brillant),  des  tons  vert  cru,  des  jaune  ocre  orangé,  des 
noirs  et  des  blancs  purs,  rarement  des  bleus.  C'est  qu'en  effet,  à  l'exté- 
rieur, la  vivacité  de  la  lumière  directe  et  des  ombres  permet  des  duretés 
de  coloration  qui  ne  seraient  pas  supportables  sous  la  lumière  tamisée  et 
diffuse  des  intérieurs. 

La  statuaire,  suivant  la  méthode  antique,  est  redessinée  par  des  linéa- 
ments noir  brun,  qui  accusent  les  traits  des  tètes,  les  bords  des  dra- 
peries, les  broderies,  les  plis  des  vêtements.  Les  ornements  sont  de 
même  très-fortement  redessinés  par  ces  traits  noirs,  soit  sur  les  fonds, 
soit  sur  les  rives.  Quelquefois,  sous  les  saillies  des  larmiers,  des  ban- 
deaux ou  corniches,  les  boudins  couchés  d'un  ton  rouge  ou  vert  étaient 
rehaussés  de  perlés  blancs  ou  jaunes  qui  donnaient  une  singulière  finesse 
aux  moulures.  Nous  sommes  devenus  si  timides,  en  fait  de  peinture 
monumentale,  que  nous  ne  comprenons  guère  aujourd'hui  cette  expres- 
sion de  l'art.  Il  en  est  de  la  peinture  appliquée  à  l'architecture  comme 
d'une  composition  musicale  qui,  pour  être  comprise,  doit  être  entendue 


—  109   —  [   PBIMTUIIE  ] 

plusieurs  fais.  Et  s'il  j  a  vingt  ans,  personne  à  Paris  ne  comprenait  une 
symphonie  de  Beethoven,  on  ne  saurait  s'en  prendre  à  Beethoven.  L'har- 
monie est  un  langage  pour  les  oreilles  comme  pour  les  yeux  ;  il  faut  se 
familiariser  avec  lui  pour  en  saisir  le  sens.  Quelques  personnes  éclairées 
admettent  volontiers  que  les  intérieurs  des  édifices  peuvent  bien  être 
décorés  de  peintures;  mais  l'idée  de  décorer  les  extérieurs  semble  très- 
étrange,  surtout  s'il  s'agit  de  les  décorer,  non  point  par  quelques  tym- 
pans sous  des  porches,  mais  par  un  ensemble  de  coloration  qui  s'éten- 
drait sur  presqu&  toute  une  façade. 

Cependant  les  artistes  du  moyen  âge  n'eurent  jamais  l'idée  de  couvrir 
entièrement  de  couleur  une  façade  de  70  mètres  de  hauteur  sur  50  de 
large,  comme  celle  de  Notre-Dame  de  Paris.  Mais  sur  ces  immenses  sur- 
faces ils  adoptaient  un  parti  de  coloration.  Ainsi  à  Notre-Dame  de  Paris 
les  trois  portes,  avec  leurs  voussures  et  leurs  tympans,  étaient  entière- 
ment peintes  et  dorées;  les  quatre  niches  reliant  ces  portes,  et  conte- 
nant quatre  statues  colossales,  étaient  également  peintes.  Au-dessus,  la 
galerie  des  rois  formait  une  large  litre  toute  colorée  et  dorée.  La  pein- 
ture, au-dessus  de  cette  litre,  ne  s'attachait  plus  qu'aux  deux  grandes 
arcades  avec  fenêtres,  sous  les  tours,  et  à  la  rose  centrale,  qui  étincelait 
de  dorures.  La  partie  supérieure^  perdue  dans  l'atmosphère,  était  laissée 
en  ton  de  pierre.  En  examinant  cette  façade,  il  est  aisé  de  se  rendre 
compte  de  l'effet  splendide  que  devait  produire  ce  parti  si  bien  d'accord 
avec  la  composition  architectonique.  Dans  cette  coloration  le  noir  jouait 
un  rôle  important  ;  il  bordait  les  moulures,  remplissait  des  fonds,  cer- 
nait les  ornements,  redessinait  les  figures  en  traits  larges  et  posés  avec 
un  sentiment  vrai  de  la  forme.  Le  noir  intervenait  là  comme  une  retouche 
du  maître,  pour  lui  enlever  sa  froideur  et  sa  sécheresse;  il  ne  faisait  que 
doubler  souvent  un  large  trait  brun  rouge.  Les  combles  étaient  brillants 
de  couleurs,  soit  par  la  combinaison  de  tuiles  vernissées,  soit  par  des 
peintures  et  dorures  appliquées  sur  les  plombs  (voy.  Plomberie).  Quel- 
quefois môme  des  plaques  de  verre  posées  dans  des  fonds  sur  un  mas- 
tic, avec  interposition  d'une  feuille  d'étain  ou  d'or,  ajoutaient  des  touches 
d'un  éclat  très-vif  au  milieu  des  tons  mats.  Pourquoi  nous  privons-nous 
de  toutes  ces  ressources  fournies  par  l'art  ?  Pourquoi  l'école  dite  classique 
prétend-elle  que  la  froideur  et  la  monotonie  sont  les  compagnes  insépa- 
rables de  la  beauté,  quand  les  Grecs,  qu'on  nous  présente  comme  les 
artistes  par  excellence,  ont  toujours  coloré  leurs  édifices  à  l'intérieur 
comme  à  l'extérieur,  non  pas  timidement,  mais  à  l'aide  de  couleurs 
d'une  extrême  vivacité  ? 

A  dater  du  xvi*  siècle  on  a  renoncé  à  la  peinture  extérieure  de  l'archi- 
tecture, et  n'est-ce  que  peu  à  peu  que  la  coloration  disparaît  ;  encore  au 
commencement  du  xvii*  siècle  cherchait-on  les  effets  colorés  à  l'aide 
d'un  mélange  de  brique  et  de  pierre,  parfois  même  de  faïences  appli- 
quées. 


(   PBMDENTTF  ]  _  HO  — 

PENDENTIF,  s.  m.  Triangle  d'une  voûle  hémisphérique  laissé  entre  les 
pénétrations,  dans  cette  voûle,  de  deux  berceaux  se  mi -cylindriques,  ou 
Tormés  d'une  courbe  brisée  [dite  ogive).  Les  pendenlifs  les  plus  anciens 
signalés  dans  l'architerture  du  moyen  âge  en  France  sont  ceux  qui 


portent  les  coupoles  de  l'église  abbatiale  de  Saint-Front,  à  Périgueux 
[voy.  CorroLE,  fig.  6).  Ce  système  de  construction  n'a  guère  été  employé 
que  dans  les  localités  voisines  de  ce  monument  important.  Mais,  par 
extension,  on  a  donné  le  nom  de  jumdeniif»  h.  des  trompes  ou  à  des 
encorbellements  posés  dans  les  angles  formés  par  des  arcs  portant  sur 
plan  carré  et  desliné^^  à  faire  passer  la  construction  du  carré  h  l'octogone 
ou  au  plan  circulaire. 


—  111   —  [   PBNDBWTIF   J 

Prenant  la  dénomination  de  pendentifs  dans  celle  dernière  acceplion^ 
nous  aurions  dans  beaucoup  de  provinces  de  la  France  des  coupoles 
et  des  tours  de  transsept  portant  sur  pendentifs.  Ainsi,  par  exemple,  la 
lanterne  centrale  de  l'église  de  Nantua  serait  portée  sur  des  pendentifs 
(fig.  1).  De  fait,  le  triangle  A  n'est  qu'un  encorbellement  dont  la  section 
horizontale  est  droite  et  non  courbe,  ainsi  que  doit  être  toute  section 
horizontale  de  pendentif.  Les  assises  qui  composent  cet  encorbellement 
ont  leurs  lits  horizontaux,  et  non  point  tendants  au  centre  d'une  sphère, 
comnae  doivent  l'être  les  lits  des  pendentifs. 

Afin  de  rétablir  la  véritable  signification  du  mol  pendentifs  nous  pré- 
sentons dans  la  figure  2  une  sorte  d'analyse  du  syslème  de  construction 


auquel  seul  on  doit  rappliquer.  Soit  une  demi-sphère  dont  la  projection 
horizontale  est  la  ligne  ponctuée  ABGD.  Si,  sur  chaque  face  du  carré 
ABGD  inscrit  par  cette  sphère,  nous  élevons  des  plans  verticaux,  nous 
formons  quatre  sections  ABa,  BC6,  GDc,  DArf,  dans  la  demi-sphère,  qui 
donnent  les  demi-cercles.  Supposons  que,  sous  ces  quatre  demi-cercles, 
nous  bandions  quatre  arcs,  nous  reportons  le  poids  de  la  calotte  supé- 
rieure de  cette  sphère  et  des  quatre  triangles  sur  les  quatre  points  ABGD. 
Ceci  fait,  admettons  qu'au-dessus  de  la  clef  de  ces  quatre  arcs,  nous  fas- 
sions une  section  horizontale  dans  la  demi-sphère,  nous  obtenons  un 
cercle  parfait  abcd.  Sur  ce  cercle  élevons  une  voûte  hémisphérique  abcde^ 


[   PBNDBNTIF  ]  —  112   — 

nous  aurons  une  coupole  portée  sur  quatre  véritables  pendentifs.  Les 
coupes  de  tous  les  claveaux  formant  ces  pendentifs  (qui  ne  sont  que  des 
fragments  d'une  première  coupole)  tendront  au  centre  E,  comme  toutes 
les  coupes  des  claveaux  de  la  coupole  supérieure  abcde  tendront  au 
centre  g.  Ainsi  Tensemble  formera  une  croûte  homogène,  dont  les  pe- 
santeurs tendront  à  presser  les  claveaux  vers  l'intérieur  et  se  reporteront 
en  totalité  sur  les  quatre  points  ABCD.  Ce  système  de  voûte,  employé 
pour  la  première  fois  dans  la  grande  église  de  Sainte-Sophie  de  Gonstan- 
tinople  S  fut,  comme  nous  l'avons  dit,  appliqué  à  la  construction  de 
l'église  de  Saint-Marc  de  Venise,  puis  à  celle  de  Téglise  de  Saint-Front 
de  Périgueux,  vers  la  fin  du  x*  siècle.  Toutefois  les  constructeurs  péri- 
gourdins  manifestèrent  une  timidité  dans  l'emploi  des  moyens,  qui 
ferait  croire  à  leur  peu  de  confiance  dans  l'efficacité  de  ce  système,  et 
surtout  à  leur  complète  ignorance  de  la  théorie  des  pendentifs  ;  tandis 
qu'à  Saint-Marc  de  Venise,  les  coupoles  et  leurs  pendentifs  sont  tracés  et 
conduits  suivant  le  principe  théorique  qui  régit  ce  genre  de  structure. 
A  Saint-Marc,  la  courbe  génératrice  des  pendentifs  et  des  coupoles  est  le 
demi-cercle  parfait  ;  il  n'en  est  pas  de  même  à  Saint-Front  de  Périgueux, 
et  nous  allons  voir  quelles  furent  les  conséquences  singulières  de  la 
modification  apportée  par  les  architectes  français  au  [^principe  admis  à 
Saint-Marc.  La  figure  3  donne  en  A  la  projection  horizontale  de  l'une 
des  coupoles  de  Saint-Front.  Les  quatre  piliers  qui  portent  les  arcs-dou- 
bleaux  recevant  les  pendentifs  sont  en  B.  Effrayé  peut-être  du  sur- 
plomb qu'allaient  former  les  quatre  pendentifs,  s'ils  étaient  engendrés 
par  un  demi-cercle,  l'architecte  de  Saint-Front  eut  l'idée  d'engendrer  ces 
pendentifs  au  moyen  d'une  courbe  brisée  abc  (voy.  la  coupe  C).  Dès  lors, 
élevant  des  plans  verticaux  des  angles  des  quatre  piliers  pour  former  la 
pénétration  des  arcs-doubleaux  dans  la  forme  génératrice  des  pendentifs, 
on  ne  pouvait  obtenir  des  demi-cercles,  mais  une  courbe  elliptique  tracée 
en  efg.  L'ellipse  présentant  des  difficultés  d'appareil,  l'architecte  tricha 
et  remplaça  cette  courbe  elliptique  par  un  arc  brisé  efi.  Fait  inusité 
pour  l'époque,  et  qui  semble  d'autant  plus  étrange,  que,  dans  cet  édifice, 
tous  les  autres  arcs  sont  plein  cintre.  Cet  architecte,  au  lieu  d'élever  la 
coupole  sur  les  pendentifs  à  l'aplomb  A,  la  retraita  en  /,  et  donna  à 
celle-ci  une  courbe  en  ogive  émoussée  /m,  ainsi  que  le  fait  voir  la  coupe. 
Si  bien  que  la  coupe  faite  sur  la  diagonale  no  donne  le  tracé  D.  Il  faut 
dire  que  les  pendentifs,  au  lieu  d'être  construits  au  moyen  de  claveaux 
dont  les  coupes  tendraient  au  centre  n,  sont  formés  d'assises  de  gros 
moellons  posés  horizontalement  en  encorbellement ,  comme  on  le  voit 
enp.  Les  pendentifs  n'étaient  donc  ici  qu'une  apparence^  non  point  un 
principe  de  structure  compris  et  admis.  Ce  fait  seul  semblerait  indiquer 
que  si  Téglise  de  Saint-Front  fut  élevée  à  l'iqstar  de  celle  de  Saint-Marc, 

'  Sainte-Sophie  de  CSonsiantinoplc  présente,  du  moins,  le  premier  exemple  connu  de 
ce  genre  de  Toute. 


—  113   —  [   PENDENTIF  ] 

îiiûsi  que  Va  parfaitement  démontré  M.  Félix  de  Verneilh',  la  construc- 
lion  en  aurait  élé  confiée  à  quelque  architecte  occidental  qui,  ne  seren- 


^^ntpas  un  compte  exact  du  système  des  coupoles  sur  pendentifs  (puiss 


I  t' 


*"^''chiteclHre  ôyzanltne  en  Frawce,  1851. 


VII.  —  15 


[   PÉnÉTBATION    ]  —    ll/l    — 

que  ces  pendentifs  ne  sont,  après  tout,  que  des  encorbeliements],  cher- 
chait par  conséquent  à  diminuer  leur  surplomb  en  ne  faisant  pas  élever 
les  coupoles  à  l'aplomb  de  la  section  supérieure  de  ces  pendentifs.  Plus 
tard  nos  architectes  occidentaux,  mieux  renseignés  ou  plus  savants,  éle- 
vèrent de  véritables  coupoles  sur  pendentifs,  ainsi  que  le  démontrent  les 
(■glises  d'Angoulême,  de  Solignac,  de  Gahors,  de  Souillac,  etc.  Et  cepen- 
dant on  observera  que  la  courbe  génératrice  admise  pour  les  pendentifs 
(le  Saint-l-'ront  de  Périgueux  demeura  consacrée,  car  les  arcs-doubleaux 
do  ces  églises  donnent  tous  des  courbes  brisées,  bien  que,  dans  ces  con- 
trées, le  plein  cintre  fût  longtemps  en   honneur.  (Voy.  Abchitect0re 

RELIGIEUSK,  CONSTRIICTION ,  GOUPOLE.} 

PÉNÉTRATION,  S.  f. 
Mot  employé  en  archi- 
tecture pour  désigner 
les  points  d'intersec- 
tion de  deux  corps  ou 
de  deux  formes.  Ainsi, 
par  exemple,  dans  In 
figure  139  (voy.  article 
CoNSTHUCTtON),  les  Ou- 
vertures des  lucarnes 
de  la  grand'salle  du 
château  de  Coucy  for- 
ment des  pénétra- 
tions dans  la  voûte  en 
lambris.  Dans  l'archi- 
Iccture  romane,  on 
voit  quelquefois  des 
fenêtres  faire  pénétra- 
tion dans  des  voûtes 
en  maçonnerie.  Uuel- 
ques  voûtes  en  ber- 
ceau de  l'époque  ro- 
mane reçoivent  aussi 
parfois  des  voûtains 
en  pénétration.  Ces 
cas  toutefois  sont  ex- 
trêmement rares.  En 
voici  [figure  1  )  un 
exemple  provenant  de 
l'église  abbatiale  de 
Fontgombaud  (Indre) 
(xir  siècle).  11  est  surprenant  qu'ayant  reconnu  le  danger  des  voûtes  en 
berceau,  dont  les  poussées  agissent  sur  toute  la  longueur  des  murs  goût- 


—  115  —  [  PEimoN  ] 

terots,  les  architectes  du  xii*  siècle  n'aient  pas  plus  souvent  employé  le 
système  des  pénétrations,  qui  avait  cet  avantage  de  répartir  ces  poussées 
sur  certains  points  plus  solides  ou  contre-butés.  Dans  l'église  de  Font- 
gombaud,  les  arcs  et  voûtes  sont  en  plein  cintre.  Cette  pénétration  seule, 
bien  que  de  la  même  époque,  présente  une  courbe  en  tiers-point;  elle 
avait  été  pratiquée  dans  la  première  travée  des  bras  de  croix,  pour  per- 
mettre l'ouverture  d'une  fenêtre  supérieure  exceptionnelle.  On  voit  des 
fenêtres  en  pénétration  dans  la  voûte  de  la  nef  de  la  petite  église  de  Chft- 
teauneuf  (Saône-el-Loire). 

On  donne  aussi  le  nom  de  pénétrations  à  ces  formes  prismatiques 
verticales  qui,  dans  l'architecture  du  xv*  siècle,  passent  à  travers  les 
bandeaux  et  se  retrouvent  à  des  hauteurs  différentes.  (Voy.  l'article 
Trait). 

PENTURE,  S.  f.  Pièce  de  serrurerie  employée  pour  suspendre  les  van- 
taux de  portes.  (Yoy.  Scbroreiue). 

PERRON,  s.  m.  Pendant  le  moyen  ftge,  le  mot  perron  s'emploie  com 
raanément  pour  désigner  l'emmarchement  extérieur  qui  donne  entrée 
dans  la  salle  principale  du  château  ou  du  palais,  dans  le  lieu  réservé  aux 
plaids,  aux  grandes  assemblées. 

Dans  la  Chanson  des  Saxons^  les  barons  apportent  à  Charlemagne  cha- 
cun quatre  deniers.  L'empereur  fait  mettre  la  somme  en  monceau  : 

«  Karlcs  les  a  fait  fondre  ù  force  de  charbons, 

tt  Devant  la  maistre  sale  an  fa  faiz.  i.  perrons, 

«  Li  baron  de  Herupe  (Angers)  i  escristrent  lor  nous; 

«  Puis  i  fu  mis  li  Karle^  si  que  bien  le  savons, 

«  Que  jamais  en  Herupe  n'icrt  chevages  semons  \  » 

Le  perron  est  une  de  ces  traditions  des  peuples  du  Nord  dont  l'origine 
remonte  bien  loin  dans  les  annales  historiques.  C'est  la  plate-forme  des 
Scythes,  ramoncellement  de  pierres  sur  lequel  s'assied  le  chef  de  la  tribu  ; 
Temblème  du  lieu  élevé  où  se  tiennent  et  d'où  descendent  les  races  con- 
quérantes et  supérieures.  Il  serait  intéressant  de  rechercher  et  de  réunir 
les  origines  de  la  plate-forme  assise  sur  un  emmarchement,  car  c'est  là 
un  des  monuments  qu'on  trouve  sur  la  surface  du  globe  partout  où 
une  race  supérieure  s'est  établie  au  milieu  de  peuplades  conquises.  C'est 
du  haut  d'un  perron  que  Yimperator  romain  parle  aux  troupes  sous  ses 
ordres.  Le  tribunal  de  campagne  sur  lequel  s'assied  le  général  pour 
recevoir  la  soumission  des  vaincus,  n'est-ce  qu'un  amoncellement  de 

1  Chanson  de$  Saxons ^  de  Jean  Bodel,  poëtc  artésien  du  xni*  siècle. 
*  Chap.  xLV, 


[  perhon  J  —  116  — 

pierres  avecemmarcheraent  *.  Cestsur  un  perron  que  l'auteur  d«  la  Chanson 
de  Roland  fait  mourir  son  héros,  comme  sur  un  lieu  sacré  : 

a  Prist  rolifan,  que  reproce  n'en  ail, 

«  E  Durandal  s'espéc  en  l'altre  main  ; 

«  D'un  arbaleste  ne  poest  traire  uu  quarrel  ; 

«  Devers  Espaigne  en  vait  en  un  guaret, 

d  M untet  sur  un  tertre  desui  un  arbre  bclo  ; 

M  Quatre  perrons  i  ad  de  marbre  faite  ; 

«  Sur  l'erbe  verte  si  est  caeit  envers, 

c  Là  s'est  pasmet  ;  kar  la  mort  li  est  près  '.  » 

Dans  les  romans  des  xii*  et  xiii'  siècles,  il  est  sans  cesse  question  de 
perrons  au  haut  desquels  se  tiennent  les  seigneurs  pour  recevoir  leurs 
vassaux  : 

ff  Li  dux  s'asist  sus  un  peron  de  marbre  '.  ■ 

C'est  au  bas  du  perron  des  palais  que  descendent  les  personnages  qui 
viennent  visiter  le  suzerain  ;  c'est  là  qu'on  les  reçoit,  si  l'on  veut  leur 
faire  honneur. 

a  De  joiaus,  de  richesses  trestous  Paris  resplent  : 
«  Au  perron  de  ]a  sale  la  ro^ne  descent, 
«  Maint  haut  baron  Tadestrent  moult  debonairement. 
If  Car  de  H  honorer  a  chascun  bon  talent  ^.  » 

Lorsque  Guillaume  d'Orange  se  rend  auprès  du  roi  de  France  après  la 
prise  d'Orange,  il  arrive  incognito  : 

«  Li  cuens  Guillaumes  descend!  au  perron 
«  Mes  ne  trova  cscuier  né  garçon 
«  Qui  li  tenist  son  auferrant  gascon  (son  cheval). 
«  Li  bers  l'atache  à  l'olivier  réon  ^.  » 

Les  perrons  des  châteaux  étaient  accompagnés  de  montoirs  (voy. 
Montoir)  : 

«  Sor  les  chevax  montèrent  c'on  lor  tint  au  perron  '  : 
il  Fors  de  la  salle  aueit-un  mis, 
a  Un  graut  peron  de  marbre  bis, 
«  U  li  poisant  hume  munteient. 
«  Qui  de  la  Gurt  le  Roi  esteient  T.  » 

'  Vojei  1^8  bas-reliefs  de  la  colonne  Trigane.  —  c  Ipse  in  munitione  pro  caslrit  eonse^ 
dit  :  eo  duces  producuntur.  »  (De  belio  gail.,  lib.  VII,  reddition  d'Alise.) 
^  Chanson  de  Roland^  st.  cixv. 

*  Ogier  tArdenois,  vers  8517. 

*  U  Romans  de  Berte  aus  grans  piés^  chap.  ix. 

*  Guiilaùme  d'Orange^  la  HataiUe  d'Aleschans,  vers  2568  et  suiv. 
'  Chanson  des  Saxons^  chap.  xxii. 

^  Le  lai  de  Laval  {Poésies  de  Marie  de  France). 


—  147  —  [  PEunoK  ] 

Le  perron,  comme  nous  l'avons  vu  déjà  ci-dessus,  est  quelquefois  un 
monument  destiné  à  perpétuer  une  victoire.  Tel  est  celui  que  Charlcr 
magne  fait  élever  à  Trémoigne  : 

«  An  la  cit  de  Trémoigne  tist.  i.  perron  lever 
a  Large  et  gros  et  qarré  an  haut  plus  d'un  este; 
«  Sa  victoire  i  fist  mètre,  escrire  et  seeler, 
«  A  bêles  letres  d'or  dou  meiUor  d'outre-mer  : 
«  Ce  list-il  que  li  Saisne  s'i  poissent  mirer  ; 
«  Sovantes  foiz  avoient  telant  de  révéler  ^  » 

Le  perron  est  donc  une  marque  de  noblesse,  un  signe  de  puissance  et 
de  juridiction.  Les  communes  élevaient  des  perrons  devant  leurs  hôtels 
(le  Tille,  comme  signe  de  leurs  franchises  ;  aussi  voyons-nous  que  lorsque 
Charles,  duc  de  Bourgogne,  a  soumis  le  territoire  de  la  ville  de  Liège, 
enU67,  pour  punir  les  bourgeois  de  leur  révolte,  et  comme  marque  de 
leur  humiliation  : 

«  Les  turs,  les  murs,  les  portes, 

«  Fist  le  duc  mettre  jus 

«  Et  toutes  plaches  fortes, 

«  Kncoire  fist-il  plus  : 

«  Car  pour  porter  en  Flandres 

«  Fisthoster  le  perron, 

a  Adfln  que  de  leur  esclandre 

a  Puist  estre  mention  ^,  » 

Ce  passage  fait  comprendre  toute  l'importance  qu'on  attachait  au  per- 
ron pendant  le  moyen  âge,  et  comment  ces  degrés  extérieurs  étaient  con- 
sidérés comme  la  marque  visible  d'un  pouvoir  seigneurial.  Le  sire  de 
Joinville  rapporte  qu'un  jour  allant  au  palais,  il  rencontra  une  charrette 
chargée  de  trois  morts  qu'on  menait  au  roi.  Un  clerc  avait  tué  ces  trois 
hommes,  lesquels  étaient  sergents  du  Châtelet  et  l'avaient  dépouillé  de 
ses  vêtements.  Sortant  de  sa  chapelle,  le  roi  «  ala  au  perron  pour  veoir 
«  les  mors,  et  demanda  au  prevost  de  Paris  comment  ce  avoit  esté  ».  Le 
faitéclairci,  et  le  clerc  ayant  agi  bravement,  dans  un  cas  de  légitime  dé- 
fense :  «  Sire  clerc,  fist  le  roy,  le  rapport  entendu,  vous  avez  perdu  a 
«  estre  prestre  par  vostre  proesce,  et  par  vostre  proesce  je  vous  restieng 
«  à  mes  gages,  et  en  venrez  avec  moy  outre-mer.  Et  ceste  chose  vous  foiz- 
«je  encore,  pour  ce  que  je  veil  bien  que  ma  gent  voient  que  je  ne  les 
«soustendrai  en  nulles  de  leurs  mauvestiés  '.» 

*  Chanson  des  Saxons,  chap,  ccxcvi. 

^  Chants  populaires  du  temps  de  Charles  Vil  et  de  Louis  XI,  publiés  par  M.  Le  Roux 
àt  LiDcy.  Aubry,  1857. 
'  Mémoires  du  sire  de  Joinville,  §  64. 


[    PERRON    ]  —   148   — 

Voilà  donc  un  jugement  rendu  par  le  suzerain,  en  plein  air,  du  haut 
du  perron  de  son  palais. 

Ces  perrons,  par  l'importance  même  qu'ils  prenaient  dans  les  palais 
et  châteaux,  étaient  richement  bâtis,  ornés  de  balustrades  et  de  figures 
sculptées.  Quelques  seigneurs,  d'après  un  usage  qui  semble  fort  ancien, 
attachaient  même  parfois  des  animaux  sauvages  au  bas  des  perrons, 
comme  pour  en  défendre  l'approche.  Un  fabliau  du  xiii*  siècle*  rapporte 
qu'un  certain  sénéchal  de  la  ville  de  Rome,  homme  riche  et  puissant, 
avait  attaché  un  ours  au  perron  de  son  palais.  En  haut  du  perron  du 
château  de  Coucy,  à  l'entrée  de  la  grand'salle,  était  une  table  portant 
un  lion  de  pierre,  soutenue  par  quatre  autres  lions^. 

On  nous  pardonnera  la  longueur  de  ces  citations;  elles  étaient  néces- 
saires pour  expliquer  l'importance  des  perrons  pendant  le  moyen  âge. 
Nous  allons  examiner  maintenant  quelques-uns  de  ces  monuments.  L'un 
des  plus  remarquables,  bien  qu'il  ne  fût  pas  d'une  époque  très-ancienne, 
était  le  perron  construit  devant  l'aile  qui  réunissait  la  sainte  Chapelle  du 
palais  à  Paris  à  la  grand'salle.  Ce  perron  datait  du  règne  de  Philippe  le 
Bel,  et  avait  été  élevé  par  les  soins  d'Enguerrand  de  Marigny.  A  Tavé- 
nement  de  Louis  le  Hutin,  Enguerrand  ayant  été  condamné  au  gibet,  son 
effigie  fut  a  jettée  du  haut  en  bas  des  grands  degrez  du  palais^  ».  Ce  ne 
fut  que  vers  la  fin  du  dernier  siècle  que  le  grand  degré  du  palais  fut  dé- 
truit, pour  être  remplacé  par  le  perron  actuel  (voy.  Palais,  fig.  1).  C'est 
devant  cet  emmarchement,  un  peu  vers  la  gauche,  qu'était  planté  le 
may.  Nous  donnons  (fig.  1)  une  vue  perspective  du  perron  élevé  au  com- 
mencement du  XIV*  siècle^.  Lorsqu'il  fut  détruit,  des  échoppes  encom- 
braient ses  deux  murs  d'échiffre  et  venaient  s'accoler  à  la  belle  galerie 
d'Enguerrand  ;  mais  la  porte  qu'on  voit  dans  notre  figure  subsistait 
encore  presque  entière,  avec  ses  trois  statues.  Une  voûte  pratiquée  sous 
le  grand  palier  supérieur  permettait  de  communiquer  d'un  côté  à  l'autre 
de  la  cour.  Le  perron  du  palais  des  comtes  de  Champagne,  h  Troyes, 
présentait  une  disposition  semblable,  et  datait  du  commencement  du 
xiïi'  siècle.  Il  donnait  directement  entrée  sur  l'un  des  flancs  delà  grand'- 
salle. Au  bas  des  degrés,  à  quelques  mètres  en  avant,  était  placé  un 
socle  sur  lequel  on  coupait  le  poing  aux  criminels,  après  qu'on  leur 
avait  lu  la  sentence  qui  les  condamnait  au  dernier  supplice  ^  Quelque- 
fois ces  perrons  étaient  couverts  en  tout  ou  partie  :  tel  était  celui  du  chà- 

-    *  Le  Chien  et  le  Set^ent  (voy.  Legrand  d'Aussy). 

3  Quelques  fragments  de  ce  monument  existent  encore.  Us  ont  été  déposés  dans  le 
donjon. 

^  Corrozet,  Antiquités  de  Paris. 

*  Restaurée  ù  l'aide  des  anciens  plans  du  palais  et  des  deux  dessins  de  la  collection 
Lassus,  qui  ont  été  lithographies  en  fac-similé  pour  faire  partie  d'une  monographie  du 
Palais. 

*  Voyez  le  Voyage  archéologique  dans  le  département  de  l'Aube^  par  Arnaud.  Troyes, 
1837. 


—    119    —  [    rERHON 

leau  de  Monlargis  (voy.  Escalier,  lig.  2),  qui  datait  du  xiu'  siècle,  et  se 
divisait  en  trois  rampes  surmontées  de  combles  de  charpente. 

Le  château  de  Pierrefonds  possédait  un  remarquable  perron  à  la  base 
lie  l'escalier  d'honneur,"  avec  deux  montoirs  powr  les  cavaliers  et  une 


ïoùte  en  arcs  ogives,  avec  lerrasse  au-dessus.  Nous  donnons  (lig.  2)  le 
pian  de  ce  perron.  L'escalier  B  permet  d'arriver  aux  grandes  salles  du 
ilonjon  situées  en  A  ;  il  débouche  vers  lacour',surun  degré  delrois  pans. 
Les  deux  montoirs  sont  en  G  ;  trois  voftles  d'arête  recouvrent  i'emmar- 
cbement.  Une  vue  de  ce  perron,  prise  du  point  P  (ûg,  3),  nous  dispensera 
d'entrer  dans  de  plus  amples  détails.  Il  est  peu  de  dispositions  adoptées 

'  VqjM  le  plan  joint  i  lu  A'odre  jur  le  cliàkuu  île  Piei-refoiuli, 'i'  ciiH-,  ViuUet-lc-Duc. 


^. 


—  121    —  [  PIERRE    ] 

dans  la  construction  des  châteaux  du  moyen  âge  qui  se  soient  perpétuées 
plus  longtemps,  puisque  nous  la  voyons  conservée  encore  de  nos  jours. 

Le  grand  escalier  en  fer  à  cheval  du  château  de  Fontainebleau,  dont 
on  attribue  la  construction  à  Philibert  Delorme,  est  une  tradition  des 
perrons  du  moyen  âge.  Celui  du  château  de  Chantilly  formait  une  loge, 
avec  deux  rampes  latérales,  et  datait  du  xvi"  siècle  K 

Le  perron  était  un  signe  de  juridiction,  et  les  prévôts  rendaient  la 
justice  en  plein  air,  du  haut  de  leur  perron';  aussi  les  hôtels  de  ville 
possédaient-ils  habituellement  un  perron,  et  Tenlèveraent  de  ce  degré 
avait  lieu  lorsqu'on  voulait  punir  une  cité  de  sa  rébellion  envers  le  suze- 
rain, comme  nous  Tavons  vu  ci-dessus,  à  propos  de  l'insurrection  des 
gens  de  Liège. 

PIERRE  (a  BATIR),  s.  f.  Les  Romains  ont  été  les  plus  intelligents  explo^ 
râleurs  de  carrières  qui  aient  jamais  existé.  Les  constructions  de  pierre 
qu'ils  ont  laissées  sont  élevées  toujours  avec  les  meilleurs  matériaux  que 
Ton  pouvait  se  procurer  dans  le  voisinage  de  leurs  monuments.  Il  n'existe 
pas  d*édifice  romain  dont  les  pierres  soient    de  médiocre  qualité  : 
lorsque  celles-ci  faisaient  absolument  défaut  dans  un  rayon  étendu,  ils 
employaient  le  caillou  ou  la  brique,  plutôt  que  de  mettre  en  œuvre  de  la 
pierre  à  bâtir  d'une  qualité  inférieure  ;  et  si  l'on  veut  avoir  de  bonnes 
pierres  de  taille  dans  une  contrée  où  les  Romains  ont  élevé  des  monu- 
ments, il  ne  s'agit  que  de  rechercher  les  carrières  romaines.  Cette  règle 
nous  a  été  souvent  d'un  grand  secours,  lorsque  nous  avons  eu  à  construire 
dans  des  localités  où  l'usage  d'employer  les  pierres  de  taille  était  aban- 
donné depuis  longtemps.  Môme  sur  les  terrains  riches  en  matériaux 
propres  à  la  construction,  il  est  intéressant  d'observer  comment  les  bâ- 
tisseurs romains  ont  su  exploiter  avec  une  sagacité  rare  les  meilleurs 
endroits,  quelque  difficile  que  fût  Textraclion.  Ce  fait  peut  être  observé 
en  Provence,  en  Languedoc,  dans  le  pays  des  Éduens  (environs  d'An- 
tun),  dans  le  Bordelais  et  la  Saintonge,  et  sur  les  côtes  de  la  Méditer- 
ranée. On  voit,  par  exemple,  sur  la  route  romaine  de  Nice  à  Menton,  au 
point  où  se  trouve  le  monument  connu  sous  le  nom  de  la  Turbie,  une 
carrière  romaine  demeurée  intacte  depuis  l'époque  où  fut  élevé  cet  édi- 
fice. Cette  carrière,  au  milieu  de  montagnes  calcaires,  est  située  sur  un 
escarpement  presque  inaccessible  au-dessus  de  la  petite  ville  de  Monaco  ; 
c'est  qu'en  effet  il  se  trouve  sur  ce  point  un  banc  épais  de  roches  calcaires 
d'une  qualité  très-supérieure.  Ces  traditions  se  conservèrent  pendant  le 
moyen  âge  ;  on  connaissait  les  bonnes  carrières,  et  la  pierre  qu'on  em- 
ployait était  généralement  choisie  avec  soin.  11  n'est  pas  de  contrée  en 
Europe  qui  fournisse  une  quantité  de  pierres  à  bâtir  aussi  variées  et  aussi 
bonnes  que  la  France. 

*  Voyez  Ducerccau,  l/"i  plus  excellens  bastimens  de  France» 
'  Voyc«  le  conte] du  ikitTiitain  (Legrand  d'Aussy). 

VII.    —  16 


[   PIERRE    ]  —    122    — 

Si  Ton  jette  les  yeux  sur  la  carie  géologique  de  la  France,  on  observera 
que  depuis  Mézières,  en  remontant  la  Meuse  et  en  se  dirigeant  vers  le 
sud-ouest  par  Ghaumont,  Ghâtillon-sur-Seine,  Glamecy,  la  Charité,  Ne- 
vers,  la  Châtre,  Poitiers  et  Niort,  puis  descendant  vers  le  sud-est  par 
Rufl*ec,Nontron,Exideuil,  Souillac,Figeac,ViIlefranche,  Mende,Millaud, 
puis  remontant  par  Anduze,  Alais,  Largentière  et  Privas,  on  suîl  une 
chaîne  non  interrompue  de  calcaire  Jurassique  qu'on  retrouve  encore 
après  avoir  traverse  le  Rhône,  en  remontant  TAin  depuis  Belley  jusqu'à 
Salins,  et  le  Doubs  depuis  Pontarlier  jusqu'à  la  limite  de  la  forêt  Noire. 
Vers  le  Nord,  de  Sablé  jusqu'à  l'embouchure  de  l'Orne,  s'allonge  une 
branche  de  cette  chaîne  qui  semble  avoir  été  disposée  pour  répartir  sur 
toutes  les  provinces  de  la  France  les  matériaux  les  plus  favorables  à  la 
construction.  Dans  les  cinq  grandes  divisions  que  forme  cette  chaîne,  on 
trouve  dans  la  première,  au  nord,  la  craie  à  Troyes,  à  Arcis,  à  Chàlons- 
sur-Seine,  et  à  Reims;  les  calcaires  grossiers  dans  les  bassins  de  la  Seine, 
de  l'Oise,  de  l'Aisne  et  de  la  Marne;  les  grès  vers  l'ouest;  de  l'autre  côté 
de  la  branche  jurassique  se  dirigeant  vers  la  Manche,  dans  la  seconde 
division,  le  granit,  des  calcaires  grossiers  ;  dans  la  troisième,  sur  la  rive 
gauche  de  la  Garonne,  les  grès  verts  et  les  grès  de  Fontaineblau,  jusques 
au  pied  des  Pyrénées  ;  dans  la  quatrième,  au  centre,  les  granits,  les  ter- 
rains cristallisés,  et  enfin,  dans  la  cinquième,  qui  comprend  le  bas  bassin 
du  Rhône,  les  grès  et  le  calcaire  alpin.  Ajoutons  à  cette  collection  les  ter- 
rains volcaniques,  laves  et  basaltes  au  centre,  et  nous  aurons  un  aperçu 
des  richesses  que  possède  la  France  en  matériaux  propres  à  bâtir. 

Jusqu'à  la  lin  du  xii*  siècle,  les  constructeurs  ont  évidemment  reculé 
devant  l'emploi  des  matériaux  d'une  grande  dureté,  comme  le  granit;  ils 
cherchaient  les  pierres  d'une  dureté  moyenne,  et  les  employaient,  autant 
que  faire  se  pouvait,  en  petits  échantillons  :  et  telle  est  la  répartition  des 
terrains  sur  la  surface  de  la  France,  qu'il  n'était  jamais  besoin  d'aller 
chercher  des  matériaux  calcaires,  ou  des  craies,  ou  des  grès  tendres  très- 
loin,  si  ce  n'est  dans  quelques  contrées,  comme  la  Bretagne,  la  Haute - 
Garonne  et  le  Centre,  vers  Guéret  et  Aubusson.  Les  établissements  mo- 
nastiques exploitèrent  les  carrières  avec  adresse  et  soin  :  la  maison  mère 
de  Gluny,  établie  sur  terrain  jurassique,  ainsi  que  celle  de  Glairvaux, 
semblèrent  imposer  à  leurs  filles  l'obligation  de  se  fonder  à  proximité  de 
riches  carrières.  Nous  voyons  en  effet  que  la  plus  grande  partie  des  cou- 
vents dépendants  de  ces  deux  abbayes  sont  bâtis,  en  France,  sur  cette 
chaîne  jurassique  qui  coupe  le  territoire  en  cinq  grandes  parts,  et  l'archi- 
tecture de  ces  deux  ordres,  celle  particulièrement  de  l'ordre  de  Gluny, 
robuste,  grande  d'échelle,  reçoit  une  influence  marquée  de  l'emploi  des 
matériaux,  tandis  que  dans  les  contrées  où  les  pierres  à  bâtir  sont  fines, 
basses  ou  tendres,  comme  dans  les  bassins  de  la  Seine  et  de  l'Oise,  par 
exemple,  nous  voyons  que  l'architecture  romane  s'empreint  de  la  nature 
même  de  la  matière  employée. 

Lorsque  l'architecture  gothique  fut  adoptée,  elle  sut  tirer  un  merveil- 


—   123   —  [   PIERRE   ] 

ieiix  parti  des  matériaux  divers  fournis  par  le  sol.  A  dater  du  xii"  siècle, 
on  voit  employer  simultanément  des  pierres  de  qualités  très-diverses, 
suivant  le  besoin,  ainsi  qu'il  est  aisé  de  s'en  apercevoir  en  lisant  notre 
article  Construction.  Alors  on  ne  recule  pas  devant  des  difficultés  de 
transport  qui  devaient  être  considérables  lorsqu'il  s'agissait  de  se  procu- 
rer certaines  pierres  dont  la  qualité  était  propre  à  un  objet  spécial.  C'est 
ainsi,  par  exemple,  que  nous  voyons  employer,  pour  les  colonnes  mono- 
lithes du  chœur  de  Vézelay,  b&ti  vers  1190,  des  pierres  dures  de  Coutar- 
noux,  dont  la  carrière  est  à  30  kilomètres  de  l'abbaye,  bien  qu'on  pos- 
sédât des  pierres  propres  à  la  construction  à  une  faible  distance  ;  qu'à 
Semur  en  Auxois,  nous  voyons  mettre  en  œuvre  cette  admirable  pierre 
de  Pouilienay,  qui  prend  le  poli  ;  qu'à  Sens,  on  fait  venir  de  la  pierre  de 
Paris  pour  bâtir  la  salle  synodale  ;  qu'à  Troyes,  à  la  fin  du  xin*  siècle, 
nous  voyons  les  constructeurs  aller  chercher  du  liais  à  Tonnerre  pour 
bâtir  l'église  Saint-Urbain,  qu'il  eût  été  impossible  d'élever  avec  d^au- 
tres  matériaux;  que  bien  plus  tard,  à  Paris,  nous  voyons  les  architectes 
demander  de  la  pierre  à  Yernon  pour  restaurer  la  rose  de  la  sainte  Cha- 
pelle et  pour  élever  certaines  parties  de  l'hôtel  de  la  Trémoille.  Ces 
exemples,  que  nous  pourrions  multiplier  à  l'infini,  prouvent  combien  les 
constructeurs  de  la  période  dite  gothique  portaient  une  attention  scru- 
puleuse dans  le  choix  des  pierres  qu'ils  mettaient  en  œuvre.  Lorsque  le 
style  gothique  fut  définitivement  admis  sur  toute  la  surface  de  la  France, 
vers  la  fin  du  xiii®  siècle,  les  constructeurs  n'hésitèrent  pas,  pour  se  con- 
former au  goût  du  temps,  à  employer  des  pierres  qui  certes,  par  leur 
nature,  ne  se  prêtaient  guère  à  recevoir  ces  formes.  C'est  ainsi  que,  vers 
1270,  on  élève  le  chœur  de  la  cathédrale  de  Limoges  en  granit,  celui  de 
la  cathédrale  de  Clermont  en  lave  de  Yolvic;  que,  vers  le  milieu  du 
XV*  siècle,  on  construit  le  chevet  de  l'église  abbatiale  du  mont  Saint- 
Michel  en  mer  de  même  en  granit,  sans  se  préoccuper  des  difficultés  de 
taille  que  présente  cette  matière  ;  qu'au  commencement  du  xiv*  siècle,  on 
construit  en  grès  très-dur  le  sanctuaire  et  le  transsept  de  l'ancienne  cathé- 
drale de  Carcassonne  (Saint-Nazaire). 

A  l'inspection  des  monuments  élevés  pendant  le  moyen  âge,  il  est  aisé 
de  reconnaître  qu'alors,  plus  encore  que  pendant  la  période  gallo- 
romaine,  on  exploitait  une  quantité  considérable  de  carrières  qui  depuis 
ont  été  abandonnées  ;  qu'on  savait  employer  les  pierres  exploitées  en 
raison  de  leur  qualité,  mais  avec  une  économie  scrupuleuse  ;  c'est-à- 
dire  qu'on  ne  plaçait  pas  dans  un  parement,  par  exemple,  une  pierre  de 
qualité  supérieure  convenable  pour  faire  des  colonnes  monolithes,  des 
corniches,  des  chéneaux  ou  des  meneaux.  Ce  fait  est  remarquable  dans 
un  de  nos  édifices  bâti  avec  un  luxe  de  matériaux  exceptionnel  :  nous 
voulons  parler  de  la  cathédrale  de  Paris.  Là  les  constructeurs  ont  pro- 
cédé avec  autant  de  soin  que  d'économie  dans  l'emploi  des  matériaux. 
Les  pierres  employées  dans  la  cathédrale  de  Paris  proviennent  toutes  des 
riches  carrières  qui  existaient  autrefois  sous  la  butte  Saint- Jacques,  et 


[   PIEHRE    ]  —   12^1    — 

qui  s'étendent  sous  la  plaine  de  Montrouge  jusqu'à  Bagneux  et  Arcueil. 

La  façade  est  entièrement  construite  en  y^oche  et  en  haut  banc  pour  les 
parements,  en  liais  tend?*e  pour  les  grandes  sculptures  (banc  qui  avait 
jusqu'à  0°', 90  de  hauteur)  et  en  diquart  pour  les  larmiers,  chéneaux, 
colonnettes  (banc  de  0",45  de  hauteur  au  plus).  Le  liais  tendre  des  car- 
rières Saint-Jacques  se  comporte  bien  en  délil,  aussi  est-ce  avec  ces 
pierres  qu'ont  été  faites  les  arcatures  à  jour  de  la  grande  galerie  sous  les 
tours.  Les  cliquarts  ont  donné  des  matériaux  incomparables  pour  la  rose 
ol  pour  les  grandes  colonnettes  de  la  galerie,  ainsi  que  pour  tous  les 
larmiers  des  terrasses.  Parmi  ces  matériaux,  on  rencontre  aussi  dans  les 
parements  et  pour  les  couronnements  des  contre-forts  des  tours  Tancien 
banc  rot/al  de  Bagneux,  qui  porte  O'^.TO,  et  le  g7'os  banc  de  Montrouge, 
qui  porte  0",65  :  ces  dernières  pierres  se  sont  admirablement  conser- 
vées. Dans  les  fondations ,  nous  avons  reconnu  l'emploi  des  lambourdes 
de  la  plaine,  et  surtout  de  la  lambourde  dite  ferme,  qui  porte  jusqu'à 
1  mètre;  quelquefois,  mais  rarement,  du  banc  vert. 

Les  grosses  colonnes  intérieures  de  la  nef,  qui  ont  1",30  de  diamètre, 
sont  élevées  par  assises  du  banc  de  roche  basse  de  Bagneux  ou  de  Saint- 
Jacques,  qui  porte  franc  0",50  en  moyenne.  Mais  les  deux  piliers  à  sec- 
tions rectilignes  qui  terminent  la  nef  sur  le  transsept,  lesquels  piliers  ont 
une  section  relativement  faible,  vu  le  poids  qu'ils  ont  à  porter,  sont 
entièrement  élevés  en  belles  assises  de  cliquart  de  Montrouge,  lequel 
porte  0",/iO  franc  de  bousin.  Les  arcs-doubleaux,  archivoltes  et  arcs 
ogives  des  voûtes  sont  généralement  en  banc  franc  ou  en  banc  bianc  de 
Montrouge,  qui  porte  de  0",30  à  O^jSS.  Ainsi  les  constructeurs  ont 
employé  la  pierre,  toujours  en  conservant  la  hauteur  du  banc  de  car- 
rière, se  contentant  de  la  purger  complètement  du  bousin  ou  des  délits 
marneux,  mais  sans  faire  de  levées  à  la  scie  à  grès  *.  De  plus,  ils  posaient 
ces  matériaux  sur  leur  lit  de  carrière,  lorsqu'ils  ne  prenaient  pas  le  parli 
de  les  poser  franchement  en  délit  comme  étai  (voy.  Construction),  met- 
tant en  dessous  le  lit  de  dessous.  Cette  précaution  est  surtout  observée 
dans  les  assises  en  fondation. 

Les  constructeurs  romans,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  cherchaient  sur- 
tout les  pierres  douces,  les  lambourdes,  les  vergelés,  les  bancs  francs.  Le 
chœur  de  Maurice  de  Sully,  sauf  les  piliers  et  les  colonnettes,  est  entière- 
ment construit  en  matériaux  d'une  dureté  médiocre,  bas  et  petits.  Mais 
dès  le  commencement  du  xiii*  siècle,  la  nouvelle  école  laïque  cherche 
au  contraire  les  matériaux  très-fermes  et  grands.  C'est  alors  que  dans  la 
construction  de  la  cathédrale  de  Chartres  on  emploie  ce  calcaire  de  Rer- 
chère,  d'un  aspect  si  rude,  mais  si  solide,  et  qui  donne  des  bancs  de 
1  mètre  de  hauteur  sur  des  longueurs  de  3  à  ^  mètres  ;  qu'à  la  cathé- 
drale de  Reims  on  pose  ces  assises  de  1",20  de  hauteur  en  pierre  introu«> 

>  Alors  la  scie  à  grès  n'était  pas  employée,  et  il  est  bon  nombre  tic  départements,  en 
Fronce^  où  oi)  t\e  l'emploie  pas  encore.  Ce  sont  ceux  (il  faut  le  dire)  où  Ton  bâtit  le  mieux* 


—   125    —  [  WERRE   ] 

vable  aujourd'hui  dans  les  carrières  qui  les  ont  fournies,  qu'on  emploie 
les  liais  et  les  oliquarls  les  plus  durs,  en  ayant  le  soin  de  les  purger  des 
lits  tendres;  qu'on  repousse,  autant  que  faire  se  peut,  les  bancs  friables, 
les  pierres  creuses  et  sans  nerf. 

La  fin  du  xiii*  siècle  apporte  encore  plus  de  soin  dans  le  choix  des 
pierres.  11  suffit  d'examiner  les  constructions  de  l'église  Saint-Urbain 
(leTroyes,  du  chœur  de  Narbonne,  des  pignons  du  transsept  des  cathé- 
drales de  Paris  et  de  Rouen,  de  l'église  abbatiale  de  Saint-OuendeRouen, 
(Ju  château  de  Vincennes,  pour  reconnaître  que  les  constructeurs  con- 
naissaient parfaitement  les  qualités  des  matériaux  calcaires,  et  qu'ils  les 
choisissaient  avec  une  attention  qui  pourrait  nous  servir  d'exemple.  Au 
XV*  siècle,  on  incline  à  employer  de  préférence  les  pierres  douces,  mais 
cependant  celles-ci  sont  scrupuleusement  triées.  Au  xvi*  siècle,  trop  sou- 
vent cette  partie  importante  de  l'art  de  bâtir  est  négligée,  les  matériaux 
sont  inégaux,  pris  au  hasard  et  employés  sans  tenir  compte  de  leurs  pro- 
priétés. 

Emploi  des  pierres  a  bâtir  suivant  leurs  qualités.  — Plusieurs  causes 
contribuent  à  détruire  les  pierres  calcaires  propres  à  la  construction,  et 
(les  causes  qui  agissent  sur  les  unes  n'ont  pas  d'action  sur  les  autres.  De 
plus  l'assemblage  de  certaines  pierres  est  nuisible  à  quelques-unes 
d'entre  elles.  Les  principes  destructeurs  les  plus  énergiques  sont  les  sels 
qui  se  développent,  par  l'efTet  de  l'humidité,  dans  l'intérieur  même  des 
pierres,  et  les  alternatives  du  chaud  et  du  froid.  Toutes  les  pierres,  grès, 
granits  même  et  calcaires,  contiennent  une  quantité  notable  d'eau,  et 
s'emparent  de  l'humidité  du  sol  et  de  l'atmosphère  lorsqu'elles  viennent 
à  sécher.  Cette  propriété,  qui  est  nécessaire  à  l'agrégation  de  leurs  molé- 
cules, est  en  môme  temps  la  cause  de  leur  destruction.  Si  les  pierres  sont 
posées  près  du  sol,  en  élévation,  elles  tendent  sans  cesse  à  pomper  l'hu- 
midité de  la  terre,  et  cette  humidité  apporte  avec  elle  des  sels  qui ,  ten- 
dant à  se  cristalliser  par  l'efi^et  de  la  sécheresse  de  l'air,  forment  autant 
de  petits  coins  qui  désagrègent  les  molécules  du  grès,  du  calcaire  et 
même  du  granit.  Ces  matériaux  portent  d'ailleurs,  dans  leurs  fiancs,  des 
sels  que  l'humidité  atmosphérique  met  sans  cesse  en  travail.  Telle  pierre 
qui,  dans  l'eau  ou  sous  le  sol,  ne  se  décomposera  jamais,  s'altère  après 
une  année  de  séjour  à  l'air.  La  question  est  donc,  non  pas  de  priver  les 
pierres  de  toute  humidité,  mais  de  faire  en  sorte,  pour  les  conserver,  que 
cette  humidité  ait  une  action  du  dehors  au  dedans  et  non  du  dedans  au 
dehors;  que  les  sels  qu'elles  contiennent  soient  toujours  à  l'état  de  disso- 
lution, et  qu'ils  ne  tendent  jamais  à  venir  se  cristalliser  à  leur  surface  ou 
qu'ils  restent  à  l'état  latent.  Supposons  une  pierre  calcaire,  par  exemple, 
poséecnA(fig.  1)  sur  une  assise  delibages,  et  une  fondation  en  béton 
ou  en  moellon  ;  par  l'effet  de  la  capillarité,  c'est-à-dire  par  suite  de  l'ac- 
tion aspirante  de  cette  pierre,  l'humidité  sera  plus  considérable  en  a,  au 
cœur  même  de  la  pierre,  qu'à  sa  surface  externe  séchée  par  l'air;  dès 
lors  les  sels  tendront  à  venir  se  cristalliser  suivant  la  direction  des  flè- 


[  PIEBRE   ]  —   126  — 

ches  sur  ces  surfaces  externes,  et  les  désagrégeront  peu  à  peu.  Supposons 
qu'entre  celte  pierre  de  soubassement  B  et  l'assise  de  libages  G  est  inter- 
posée une  lame  de  plomb  ou  un  lit  imperméable,  comme  du  bitume,  l'eau 
de  pluie  qui  balayera  les  parements  fera  que  ces  parements  seront  plus 

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humides  au  momenl  même  de  rémission  aqueuse  que  le  cœur  :  d'ailleurs 
cette  eau  sera  séchée  promptement  par  Tair;  les  sels  qui  pourraient  se 
développer  et  venir  à  la  surface  seront  lavés,  dissous  et  entraînés  par 


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cette  abondance  d'eau  externe,  et  ne  pourront  se  développer  ea  cristaux, 
par  conséquent  faire  lever  les  parements.  Dans  le  cas  d'un  isolement 
complet  de  la  pierre  soustraite  à  l'humidité  du  sol,  plus  elle  sera  poreuse^ 
plus  ses  parements  seront  facilement  lavés  et  séchés  et  mieux  ils  jse  cou- 
serveront.  Retournons  la  ligure  :  supposons  (fig.  2),  en  A,  qu'une  pierre  a 


—   127   —  [  PIERRE   ] 

est  posée  sous  un  chéneau.  Si  compacte  que  soil  la  pierre  dont  est  fait  ce 
chéneau,  elle  tend  à  absorber  une  certaine  quantité  de  Teau  qui  coule 
dans  sa  concavité.  La  pierre  </,  séchée  par  Tair,  tend  à  sou  tour  à  deman- 
der au  chéneau  une  partie  de  Teau  qui  Ta  pénétré;  cette  eau  agira  dans 
le  sens  des  flèches,  c'est-à-dire  qu'étant  plus  abondante,  moins  rapi- 
dement séchée  au  cœur  de  la  pierre  a  qu'à  sa  surfiice.  elle  dissoudra  les 
sels  intérieurs  qui  viendront  se  cristalliser  sur  les  parements  et  les  feront 
lever  d'abord  en  fine  poussière,  puis  par  écailles.  Mais  si  entre  ce  ché- 
neau B  et  la  pierre  sous-posée  nous  interposons  un  corps  imperméable  C, 
cette  pierre  sous-posée  sera,  comme  dans  le  cas  précédent,  lavée  à  l'ex* 
térieur  par  la  pluie  ou  humectée  par  les  brouillards  plus  abondamment 
que  son  cœur,  et  les  sels  ne  pourront  se  cristalliser  à  sa  surface.  La  pierre 
de  Saint-Leu,  le  banc  royal  de  Saint-Maximin^qui  se  conservent  pendant 
des  siècles  à  l'air  libre  ou  en  parements  parfaitement  préservés  de  toute 
humidité  intérieure,  tombent  en  poussière,  posés  sous  des  chéneaux  ou 
des  tablettes  de  corniche  de  pierre  dure  qui  reçoivent  l'eau  de  pluie  et 
en  absorbent  une  partie.  Bien  que  dans  ce  cas  la  pierre  dure  reste  intacte, 
la  pierre  au-dessous  est  rapidement  décomposée  par  les  sels  qui  la  tra-* 
versent  et  viennent  se  cristalliser  à 
sa  surface;  souvent  même  la  croûte 
de  ces  pierres  est  restée  ferme,  que 
la  décomposition  est  fort  avancée 
à  un  millimètre  au-dessous.  Soit, 
par  exemple  (fig.  3),  une  tablette  de 
pierre  dure  A  posée  sur  une  corni- 
che B  de  pierre  de  Saint-Leu,  on 
verra  bientôt  la  croûte  de  cette  pierre 
se  lever  comme  des  copeaux  D,  en 
démasquant  l'altération  profonde  de 
la  sous-surface.  Celte  croûte  môme 
dont  se  revêtent  certaines  pierres 
contribue  à  hâter  le  travail  de  décom- 
position produit  par  les  sels,  en  protégeant  la  sous-surface  contre  le 
contact  de  l'air.  Les  pores  n'élant  plus  aussi  ouverts  sur  la  pellicule 
externe  de  la  pierre  qu'à  1  ou  2  millimètres  de  prol*ondeur,  les  sels  se 
cristallisent  sous  cette  pellicule  qu'ils  ne  peuvent  traverser,  et  produisent 
des  ravages  dont  on  ne  s'aperçoit  que  quand  la  croûte  tombe.  Les  profils 
employés  pendant  la  période  du  moyen  âge  pour  les  corniches  et  ban- 
deaux avaient  l'avantage  de  ne  point  conserver  l'humidité  et  de  la  renvoyer 
au  contraire  rapidement.  Aussi  les  pierres  qui  recouvrent  ces  saillies 
sont-elles  réellement  protégées,  et  ne  présentent  pas  les  altérations 
qu'on  observe  sous  les  tablettes  des  corniches  de  la  rienaissance  ou  de 
l'époque  moderne.   Les  constructeurs  du  moyen  âge  avaient  si  bien 
obî»ervé  ces  phénomènes  de  décomposition  des  pierres,  qu'ils  ont  souvent 
isolé  les  chéneaux,  soit  en  les  portant  sur  des  corbeaux  ou  sur  des  arcs, 


[   PIERRE   ]  —   128   — 

soit  en  laissant  sous  leur  lit  un  espace  vide  ou  bien  rempli  d'une  matière 
imperméable,  telle  qu'un  mastic  à  l'huile  ou  à  la  résine.  Ils  n'avaient  pas 
moins  observé  les  effets  que  certaines  pierres  juxtaposées  produisent  les 
unes  sur  les  autres.  Ainsi  les  grès,  ayant  la  propriété  de  contenir  une 
grande  quantité  d'eau,  absorbent  rapidement  celle  du  sol  et  de  l'atmos- 
phère. Lorsqu'au-dessus  de  ces  cissises  de  grès  on  pose  des  pierres  qui  se 
salpôtrent  assez  facilement,  on  voit  bientôt  la  décomposition  se  produire 
près  de  leur  lit  touchant  au  grès,  et  cette  décomposition  ne  s'arrête  plus, 
elle  monte  chaque  année.  Ces  mêmes  pierres,  posées  sur  des  assises  d'une 
roche  calcaire  n'absorbant  pas  une  aussi  grande  quantité  d'eau  que  le 
grès,  ne  se  seraient  peut-être  jamais  décomposées.  Aussi,  quand  les  con- 
structeurs du  moyen  âge  ont  posé  des  assises  de  grès  en  soubassement  sur- 
montées d'assises  calcaires,  ils  ont  eu  le  soin  de  choisir  celles-ci  parmi  les 
qualités  compactes  n'étant  pas  sensibles  à  l'action  du  salpêtre,  ou  bien 
ils  ont  interposé  entre  le  grès  et  le  calcaire  un  lit  d'ardoises  (schiste). 
Cette  méthode  a  été  très-fréquemment  employée  pendant  les  xiV  et 
XV'  siècles. 

Toutes  les  pierres  calcaires,  au  sortir  de  la  carrière,  contiennent  une 
quantité  d'eau  considérable  ;  sitôt  exposées  à  l'air,  une  grande  partie  de 
cette  eau  tend  à  s'évaporer,  et  arrive  successivement  du  cœur  à  la  sui> 
face.  En  faisant  ce  trajet,  cette  eau  entraîne  avec  elle  une  certaine 
quantité  de  carbonate  de  chaux  en  dissolution  qui  se  cristallise  sur  le 
parement,  et  forme  une  croûte  ferme,  résistante,  qui  non-seulement  pré- 
serve la  pierre  des  agents  extérieurs,  mais  lui  donne  une  patine,  une 
couverte  que  rien  ne  peut  remplacer.  Les  constructeurs  du  moyen  âge 
ayant  eu  pour  habitude  de  tailler  définitivement  la  pierre  sur  le  chan- 
tier avant  le  montage  et  la  pose,  il  en  résultait  que  cette  patine  se  formait 
sur  les  moulures  et  sur  les  sculptures  comme  sur  les  parements,  et  que 
l'édifice  construit  était  uniformément  recouvert  de  cette  croûte  produite 
par  ce  qu'on  appelle  Veau  de  carrière.  C'était  un  double  avantage  :  pare- 
ments résistant  mieux  aux  agents  atmosphériques,  et  belle  couleur  uni- 
forme et  chaude  que  donne  cette  patine  naturelle.  L'usage  moderne  de 
monter  les  édifices  épannelés  seulement  et  de  faire  les  ravalements  très- 
longtemps  souvent  après  que  la  pose  a  été  achevée,  d'enlever  sur  ces 
matériaux  mis  en  œuvre  1  ou  2  centimètres  d'épaisseur  et  quelquefois 
plus,  a  pour  conséquence  de  détruire  à  tout  jamais  cette  croûte  préserva- 
trice, puisqu'elle  ne  se  forme  sur  les  parements  qu'autant  que  la  pierre 
est  fraîchement  extraite  de  la  carrière.  Cet  usage  moderne  est  particu- 
lièrement funeste  à  la  conservation  des  pierres  tendres,  telles  que  le 
banc  royal  de  l'Oise,  les  vergelés,  les  calcaires  de  Saintonge,  de  Caen, 
les  calcaires  alpins  de  Beaucaire,  les  calcaires  tendres  de  Bourgogne, 
les  pierres  de  Molènes,  de  Mailly-la-Ville,  de  Courson,  de  Tonnerre;  les 
craies.  Mais  que  dire  de  cet  autre  usage  de  gratter  à  vif  des  parements 
anciens?  On  leur  enlève  ainsi  l'élément  conservateur  qui  les  a  préservés 
pendant  plusieurs  siècles  ;  on  tue  la  pierre,  pour  nous  servir  d'une 


—  129  —  [  P1£RHJS  J 

expression  du  métier.  Aussi,  après  celte  opération  barbare,  voit-on  sou- 
vent des  matériaux  qui  ne  présentaient  aucun  signe  d'altération,  se  dé- 
composer rapidement  à  la  surface,  s'efflorer,  puis  se  creuser,  sans  que  la 
maladie  qui  les  atteint  puisse  être  arrêtée  ^  Les  pierres  tendres  ne  sont 
pas,  d'ailleurs,  les  seules  qui  se  recouvrent  d'une  patine  résistante  natu- 
relle, étant  fraîchement  taillées.  Des  pierres  dures,  comme  les  liais,  les 
cliquarts,  présentent  les  mêmes  phénomènes,  et  nous  avons  vu  des  liais 
ea  œuvre  depuis  cinq  ou  six  cents  ans  qui  avaient  pris  à  la  surface  une 
couverte  à  peine  attaquable  avec  le  ciseau,  tandis  qu'à  un  demi-centi- 
mèlre  de  profondeur  le  calcaire  se  rayait  avec  l'ongle.  Les  pierres  dites 
froides,  comme  celles  des  carrières  de  Ghâteau-Landon,  par  exemple,  sont 
les  seules  qui  ne  perdent  rien  à  être  taillées  longtemps  après  leur  extrac- 
tioD.  Quant  aux  grès,  tout  le  monde  sait  qu'ils  ne  peuvent  être  taillés  que 
fraîchement  sortis  de  la  carrière.  Certains  grès  rouges  des  Vosges  sont 
inattaquables  à  l'outil  au  bout  de  plusieurs  années,  bien  qu'au  sortir  du 
sol  ils  soient  maniables. 

11  est  une  précaution  qu'il  est  toujours  bon  de  prendre  lorsqu'on  élève 
des  édifices  sans  caves  :  c'est  d'interposer  sous  un  lit  d'assise  au-dessus  du 
sol  une  couche  d'une  matière  imperméable,  comme  du  bitume  ou  un 
mastic  gras,  un  papier  fortement  goudronné,  un  lit  d'ardoises.  Cette  pré- 
caution arrête  l'humidité  qui  remonte  du  sol  dans  les  murs,  et  elle  empê- 
che les  pierres  de  se  salpétrer.  Tous  les  monuments  du  Poitou,  beaucoup 
(le  ceux  de  la  Vendée  et  de  la  Saintonge,  présentent,  à  2  mètres  environ 
au-dessus  du  sol,  à  l'extérieur,  une  zone  profondément  altérée  par  l'ac- 
tion des  sels.  Ceci  prouve  l'exactitude  de  l'observation  faite  précédem- 
ment, savoir,  que  les  sels  n'agissent  sur  les  pierres  calcaires  que  là  où 
ils  ne  sont  plus  tenus  en  dissolution  et  où  ils  se  cristallisent.  En  effet, 
les  assises  inférieures  des  murs,  dans  les  monuments  de  ces  contrées, 
tous  bâtis  avec  un  calcaire  tendre  et  qui  résiste  parfaitement  à  l'action 
(le  l'air,  sont  imprégnées  d'humidité,  mais  ne  se  décomposent  pas  ;  ce 
n'est  qu'à  la  hauteur  où  cesse  l'action  de  capillarité,  que  la  pierre,  étant 
plus  sèche,  permet  aux  sels  de  se  cristalliser,  que  commence  la  décom- 
position des  parements  extérieurs.  Les  maçons  prétendent  que  celte 
décomposition,  qui  se  produit  par  un  vermiculage  d'abord  peu  prononcé, 
puis  très-profond  à  la  longue,  est  produite  par  l'action  de  la  lune.  Le 
fait  est  que  ce  genre  de  décomposition  ne  se  manifeste  guère  qu'à  l'ex- 
position du  midi,  un  peu  à  Test  et  à  l'ouest,  jamais  au  nord;  on  com- 
prend que  la  chaleur  des  rayons  solaires  hâte  la  cristallisation  des  sels 
au-dessus  de  la  zone  humide  où  ils  sont  tenus  en  dissolution.  D'ailleurs^ 


*  Dans  ce  cas,  ta  silicatisation  bien  faite  est  le  seul  moyen  à  employer  pour  rendre  k 
la  pierre  cette  couverte  âpre  et  résistante  qui  en  assure  la  durée.  La  silicatisation  devrait 
Umjoun  être  employée  lorsqu'on  a  eu  l'idée  malheureuse  de  gratter  les  parements  des 
monuments,  et  môme  lorsque  les  ravalements  sont  faits  après  que  la  pierre  a  jeté  son  eau 
Je  carrière. 

vu.  —  17 


[    PIGNON    ]  —    130   — 

le  midi  esl  Texposition  la  plus  défavorable  à  la  consen^ation  des  maté- 
riaux propres  à  bâtir  en  France  :  1**  parce  que  dans  notre  climat  le  vent 
du  midi  apporte  la  pluie,  qui  fouette  les  parements;  2°  parce  que  les  dif- 
férences de  température  sont  brusques  et  violentes  à  cette  exposition  en 
hiver.  La  nuit,  s'il  gèle  à  l'exposition  du  nord  à  8  degrés,  il  gèle  à  7  à 
l'exposition  du  midi  par  les  temps  clairs  ;  mais  le  jour,  si  la  température 
reste  à  l'exposition  du  nord  à  6  degrés  au-dessous  de  zéro,  elle  monte 
souvent  à  10  degrés  au-dessus  de  zéro  en  plein  soleil.  Les  matériaux 
plus  ou  moins  perméables  qui  subissent  dans  l'espace  de  quelques 
heures  ces  différences  de  température,  s'altèrent  plus  vite  que  ceux  expo- 
sés à  une  température  à  peu  près  égale,  fût-elle  très-froîde;  mais  la 
lune,  pensons-nous,  n'a  rien  à  voir  là  dedans,  si  ce  n'est  qu'elle  se  pré- 
sente précisément,  quand  elle  est  pleine,  du  môme  côté  de  l'horizon  que 
le  soleil. 

PIGNON^  s.  m.  {pingon).  Mur  terminé  en  triangle  suivant  la  pente  d'un 
comble  à  deux  égouts  et  formant  clôture  devant  les  fermes  de  la  char- 
pente. Un  bâtiment  simple  se  compose  de  deux  murs  goutterols  et  de 
deux  pignons.  Suivant  que  le  bâtiment  est  tourné,  il  présente  sur  sa 
façade,  soit  un  des  pignons,  soit  un  des  murs  goutterots.  Le  fronton  du 
temple  grec  est  un  véritable  pignon.  Les  portails  nord  et  sud  du  transsept 
de  la  cathédrale  de  Paris  sont  terminés  par  deux  pignons.  Les  maisons 
élevées  pendant  l'époque  romane  en  France  présentaient  habituellement 
un  des  murs  goutterots  sur  la  rue,  les  murs  pignons  étaient  alors 
mitoyens;  mais  plus  tard,  vers  le  milieu  du  xiii*  siècle,  les  habitations 
montraient  quelquefois  Tun  des  pignons  sur  la  rue.  Cette  méthode  devint 
habituelle  pendant  lesxiv*  et  xv*  siècles,  et  alors  cespûgnons  étaient  fré- 
quemment élevés  en  pans  de  bois  (voy.  Maison,  Pan  de  bois). 

La  forme  et  la  structure  qui  conviennent  aux  pignons  de  maçonnerie 
ont  fort  préoccupé  les  architectes  du  moyen  âge.  En  effet,  un  pignon 
qui  sort  des  dimensions  ordinaires  n'acquiert  et  ne  conserve  sa  stabilité 
que  dans  certaines  conditions  qu'il  est  bon  de  ne  pas  négliger.  Si  un 
pignon  est  mitoyen  entre  deux  bâtiments  ;  s'il  n'est,  à  proprement  parler, 
qu'un  mur  de  refend  maintenu  des  deux  côtés  par  les  charpentes  de 
deux  combles  égaux,  il  est  clair  que  pour  le  rendre  stable^  il  n'est  besoin 
que  de  l'élever  dans  un  plan  vertical,  en  lui  donnant  une  épaisseur  pro- 
portionnée à  sa  hauteur  ;  mais  si  ce  pignon  est  isolé  d'un  côté,  chargé  de 
l'autre  par  des  cheminées,  poussé  ou  tiré  par  une  charpente  dont  la  fixité 
n'est  jamais  absolue,  il  est  nécessaire,  si  l'on  prétend  le  maintenir  dans 
un  plan  vertical,  de  prendre  certaines  précautions  propres  à  assurer  sa 
stabilité.  Si  les  pignons  isolés  sont  très-élevés,  ils  donnent  une  large  prise 
au  vent;  leur  extrémité  supérieure,  n'étant  pas  chargée,  peut  s'incliner 
sous  une  faible  pression,  soit  en  dedans,  soit  en  dehors,  et  ces  grands 
triangles,  oscillant  sur  leur  base,  sortent  très-facilement  du  plan  vertical 
pour  peu  qu'une  force  les  sollicite. 


—  131    —  [  PIGNON   ] 

Lorsqiift,  pendant  la  période  romane,  les  combles  avaient  une  inclinaison 
qoi  nlteignait  bien  rarement  &5  degrés,  la  construrlion  des  pignons  ne 
demandait  pas  des  précautions  particulières;  le  pignon  n'était  guère 
qu'un  mur  terminé  par  deux  pentes.  Mais  quand  on  en  vint  à  donner  aux 
charpentes  de  combles  une  inclinaison  de  plus  de  4'>  degrés,  cl  que  ces 
charpentes  eurent  jusqu'à  12  et  l.*)  mètres  d'ouverture,  il  fallut  bien 
adopter  des  moyens  extraordinaires  pour  maintenir  dans  un  plan  vertical 
ces  énormes  maçonneries  triangulaires,  abandonnées,  au  sommet  des 
édifices,  aux  coups  de  vent  cl  aux  mouvements  inévitables  des  bois. 

Déjà  cependant,  vers  les  derniei-s  temps  de  la  période  romane,  on 
avait  senti  la  nécessité  de  faire  des  pignons  autre  chose  qu'un  mur  sim- 
ple terminé  ii  son  sommet  par  un  angle  obtus.  On  croyait  devoir  assurer 
leur  stabilité  au  moyen  d'arcs  qui  reporlaient  les  charges  sur  quelques 
■  points.  Nous  trouvons  un  exemple  d'une  de  ces  tentatives  sur  le  mur  de 
face  de  l'église  Saint-Honorat,  dans  l'Ile  de  Lérins'.  Le  pignon  de  cette 
façade,  présenté  dans  la  figure  1,  cl  doni  la  ronstruclion  remonte  au 

J 


commencement  du  xii'  siècle,  se  compose  en  réalilé  de  quatre  larges 
pieds-droits  A  avec  baie  centrale  et  arcs-boutants  ;  ainsi  la  charge  de  la 
maçonnerie  était  répartie  sur  quatre  points,  de  B  en  C.  Cette  construc- 
tion était  la  conséquence  d'une  observation  judicieuse.  En  effet,  les  ma- 
çonneries acquièrent  une  grande  partie  de  leur  stabilité  en  raison  du  poids 
plutùt  qu'en  raison  de  la  surrace  qu'elles  occupent.  Si  (fig.  2)  nous  éle- 
vons un  pignon  A  plein,  de  4  mètres  de  hauteur  sur  8  mèlres  de  base,  et 
û",50d'épaisseur,  nous  aurons, en  élévation,  une  surfacebâliedelB  mè- 
tres et  un  cube  de  8  mètres.  Mettant  le  poids  du  cube  de  pierre  de  taille 
à  2000  kilogrammes,  la  charge  sera  de  16000  kilogr.,  et  la  surface  char- 
gée (section  horizontale  D,  du  pignon  à  la  base)  aura  U  mètres.  Or,  la 
charge  sera  ainsi  répartie  sur  cette  surface  deh  mètres:  un  mètre  de  sur- 
face horizontale  ab  recevra  7000  kilogr.  ;  un  mètre  ae,  bd,  5000  kilogr.  ; 

>   L'ile  de  Lérins,  qui  pOMédait  nat  belle  et  aDcirone  ibbaye,  est  située  detSDt  l'ile 
Saiotf- Marguerite,  en  Tacc  de  tu  mile  Je  Cannes  (Alpe»-Mari(imes), 


[  PlGNOlf  ]  —   132   — 

un  mètre  ccy  df,  3000  kilogr.  ;  un  mètre  ej,  fh,  1000  kilogr.  :  total  égal, 
16  000  kilogrammes.  Mais  si,  sans  rien  changer  ni  aux  dimensions,  nia 
l'épaisseur,  ni  par  conséquent  au  poids  du  pignon,  nous  le  construisons 
avec  arcs  de  déchaf  ge  noyés  dans  la  maçonnerie,  comme  il  est  indiqué 


en  B,  nous  aurons  un  mètre  de  surface  horizontale  ab  chargé  de  3800  kilo- 
grammes ;  un  mètre  ac^  bd,  chargé  de  8200  kilogr.  ;  un  mètre  ccy  df^  chargé 
de  1900  kilogr.,  et  un  mètre  eg^  fh^  chargé  de  2100  kilogr.  :  total  égal» 
16  000  kilogrammes.  Dans  le  premier  cas,  A,  la  partie  la  plus  chargée  est 
la  partie  ad,  qui  ne  reçoit  que  7000  kilogrammes,  tandis  que  dans  le  se- 
cond, B,  la  partie  oc,  bd^  égale  comme  surface  à  ai,  reçoit  8200  kilogr. 
Dans  l'exemple  A,  les  surfaces  eg^  fh,  ne  reçoivent  ensemble  que  1000 
kilogrammes,  tandis  que  dans  le  second  ces  mêmes  surfaces  reçoivent 
2100  kilogrammes.  Ainsi,  dans  ce  second  exemple,  les  pesanteurs,  ten- 
dent à  s'équilibrer  ou  à  se  répartir  plus  également  sur  l'ensemble  de  la 
base;  le  poids  le  plus  fort  n'est  plus  au  milieu  de  la  base,  mais  reporté 


—   133  —  [  PIGNON   ] 

sur  deux  points.  Une  forée  comme  le  vent,  ou  une  poussée,  trouve  donc 
une  résistance  plus  solidement  appuyée  sur  sa  base,  opposée  à  son  action. 
Tout  le  système  de  la  construction  des  grands  pignons  de  l'époque 
savante  du  moyen  âge  est  établi  sur  cette  observation  très-simple  de  la 
répartition  des  pesanteurs,  non  pas  conformément  à  la  gradation  donnée 
par  la  configuration  du  pignon,  mais  contrairement  à  cette  gradation, 
autant  que  faire  se  peut.  La  décoration  de  ces  pignons  dérive  du  sys- 
tème de  construction  adopté.  Lorsque  le  bâtiment  ne  contient  qu'un  vais- 
seau, les  points  d'appui  sont  reportés  aux  deux  extrémités;  le  triangle 
du  pignon  est  terminé  par  deux  épaulements  :  mais  lorsque  ce  bâti- 
ment est  divisé  dans  sa  longueur  par  un  mur  ou  une  épine  de  piliers, 
le  pignon  accuse  la  construction  intérieure,  et  son  milieu  est  maintenu 
par  un  contre-fort  qui  s'élève  jusqu'au  sommet  du  triangle.  Si  c'est  une 
cheminée  qui  est  adossée  à  l'intérieur  dans  l'axe  de  la  salle,  son  tuyau, 
apparent  à  l'extérieur,  s'élève  jusqu'à  la  pointe  du  triangle  dans  les  meil- 
leures conditions  de  tirage,  et  sert  d'épaulement  à  la  construction. 

Ces  principes  dans  la  construction  des  pignons  ne  furent  admis  toutefois 
qu'assez  tard,  vers  le  milieu  du  xii®  siècle,  et  avant  cette  époque  nous 
voyons  élever  des  pignons  qui  ne  sont  que  des  murs  triangulaires  pleins, 
décorés  de  membres  peu  saillants,  d'arcatures,  d'imbrications,  de  com- 
partiments qui  ne  contribuent  en  rien  à  la  solidité. 

L'église  latine  de  Saint-Front,  antérieure  à  l'église  actuelle,  qui  date 
de  la  fin  dux'  siècle,  possédait  à  l'occident  un  pignon  dont  on  voit  encore 
quelques  traces,  et  qui  était  construit  d'après  ces  données  élémentaires, 
apparentes  déjà  à  l'extérieur  du  monument  de  Poitiers  connu  sous  le 
nom  de  temple  de  Saint-Jean*. 

Les  églises  de  la  Basse-Œuvre  à  Beauvais  et  de  Montmille  présentent 
leurs  pignons  occidentaux  simplement  ornés  de  croix  et  de  quelques  im- 
brications^. Mais  un  des  plus  riches  parmi  ces  pignons  du  Beauvaisis 
est  celui  qui  ferme  le  bras  de  croix  septentrional  de  l'église  Saint- 
Etienne  de  Beauvais.  Ce  pignon,  dont  quelques  auteurs  font  remonter  la 
construction  au  commencement  du  xV  siècle,  ne  peut  être  antérieur  au 
commencement  du  xu\  Il  couronne  une  rose  entourée  d'une  suite  de 
figures  représentant  une  roue  de  fortune^,  La  structure  du  parement 
extérieur  du  pignon  est  entièrement  composée  de  très-petites  pierres 
taillées,  formant,  par  la  manière  dont  elles  sont  posées,  un  treillis  de 
bâtons,  entre  les  intervalles  desquels  sont  incrustées  des  rosaces  sculptées 
sur  le  parement  d'un  moellon  carré  (fig.  3).  Ce  treillis  est  coupé  hori- 
zontalement par  une  ligne  de  bâtons  rompus  et  par  une  très-petite  baie 

'  Voyez,  dans  VArchitecture  byzantine  en  France  par  M.  F.  de  Verneilh,  la  descrip- 
tion du  pignon  de  la  \ieiUe  basilique  de  Saint-Front,  et  la  gravure  qui  s'y  trouve  jointe, 
page  »3.' 

*  Voyez  les  Monuments  de  Vancim  Beauvoisis,  par  M.  Woillez,  1849. 

*  Voyez  Rose.  Voyez  aussi  Talbuni  deVillard  de  Honnecourt,  pi.  XLT. 


(    PIGNON    ]  —   13A   — 

reclangiilairc  terminée  par  un  cintre  pris  flans  une  seule  pierre.  Les  an- 
gles lïiléraiix  el  du  sommet  de  ce  triangle  ont  été  restaurés  au  xiv  siècle, 
et  leurs  amortissements  primitiTs  remplacés  par  trois  pinacles.  Nous 
avons  essayé  de  suppléer  à  celle  lacune  en  nous  appuyant  sur  des  vi- 
gnettes lie  manuscrit^  du  temps.  L'imbrication  de  pelils  moellons  laillés 

3 


formant  décoration  extérieure  est  appareillée,  ainsi  que  t'indique  le 
détail  A,  et  n'a  qu'une  faible  épaisseur  ;  ce  n'est  qu'un  revêtement  posé 
devant  un  mur  de  maçonnerie  ordinaire.  Les  tablettes  de  rampant  cou- 
vraient le  tout  et  formaient  filet  sur  ta  tuile. 

Un  peu  avant  la  construction  de  ce  pignon,  en  Auvergne,  à  Glermont, 
on  élevait  l'église  de  Notre-Dame  du  Port,  dont  les  pignmis  étaient  riche- 
ment ilécorés  d'imbrications  de  billettes  et  d'incrustations  de  pierres  de 
deux  couleurs  (blanches  et  noires).  Nous  donnons  (fig.  h)  un  géométral 
du  pignon  méridional  de  cette  église.  Ici  la  construction  est  plus  ration- 
nelle. La  corniche  des  murs  goutterots  passe  à  la  base  du  pignaii  et  est 
adroitement  arrêtée  par  les  deux  contre-forLs  A  et  B.  Cette  corniche 
accuse  le  couronnement  de  l'édilice,  et  le  triangle  du  pignon  n'est  que 


—  135  —  (  ribNON  ] 

le  masque  de  la  couverture  qu'il  recouvre  nu  moyen  île  la  tablette  sail- 
lante ronnaut  le  rampant  supr(''me.  Ces  deux  e.xemiilcs  et  ceux  de  Saint- 
Front  et  de  Monlmille  Tont  \oir  que  les  architectes  romans  cherchaient  à 
donner  une  certaine  richesse  relative  aux  pignons  des  cdiGcei'.  Ces  tym- 
pans triangulaires  couronnant  les  murs,  aperçus  de  loin,  à  cause  de  leur 

4 


'^ 


hauteur,  leur  paraissaient  composer  unedécoratîon  toute  spéciale,  rap- 
pelant la  construction  de  bois  des  combles  qu'ils  étaient  destinés  ù  mas- 
quer. A  Notre-Dame  du  Port,  les  lignes  de  billeltes  incrustées  dans  la 
maçonnerie,  et  servant  d'encadrement  aux  mosaïques,  affectent  les  dis- 
positions d'une  chai'pente.  A  Saint-li^tienne  de  Beauvais,  c'est  un  treillis 
de  rondins  qui  semble  posé  devant  le  comble.  Mais  les  amortissements 
latéraux,  composés  de  deux  angles  plus  ou  moins  aigus,  sans  épaule- 
ments,  sans  retours  et  souvent  même  sans  acrotères,  étaient  maigres  et 
faisaient  naître  la  crainte  d'un  glissement  des  tablettes.  Il  Tallait  il  ces 
dem  angles  un  arrâl,  un  poids,  ou  tout  au  moins  un  retour  de  prolil. 
La  configuration  des  charpentes  et  combles  que  masquaient  les  pignons 
nécessitait  d'ailleurs  un  arrangement  particulier.  En  effet,  les  murs  gout- 
Icrots  d'un  édilice  (llg.  5)  étant  donnés,  ces  murs  guuttei-ols  étaient  cou- 


[    PIGNON    1  —    13ti    — 

ronnés  d'uae  tablette  de  corniche  A  recevant  les  coyaux  et  l'égoul  du 
toit  B  (les  chéneaux  n'étant  pas  en  usage  au  xii*  siècle)  ;  élevant  ud  pignon 
devant  cetl«  projection,  il  fallait, 
ou  que  la  corniche  A  se  retournai 
à  la  base  du  pignon,  ou  qu'elle 
s'arrêtât  brusquemeut  au  nu  tlu 
mur,  ou  qu'elle  fût  masquée  par 
une  saillie  ab  ;  il  fallait  encore  que 
la  tablette  couronnant  le  pigDon 
servit  de  filet  recouvrant  la  toi- 
ture, afin  d'empêcher  les  eaui 
pluviales  de  passer  entre  la  face 
postérieure  du  pignon  et  la  tuile 
ou  l'ardoise.  C'est  alors  (vers  le 
milieu  du  xii'  siècle)  que  les 
architectes  cheichërent  diverses 
combinaisons  plus  ou  moins  in- 
génieuses pour  satisfaire  à  ces 
condilions.  La  plus  simple  de  ces 
combinaisons,  adoptée  dans  beau- 
coup d'édifices  de  la  Bourgogne 
el  delà  haute  Champagne  vers  le 
milieu  du  xii°  siècle,  est  celle  que 
nous  présentons  (fig.  6).  La  cor- 
niche des  murs  gouttcrots  étant  prolongée  jusqu'au  nu  du  mur  pignon, 
sa  saillie  recevait  les  extrémités  inférieures  du  triangle  rehau^es  en 
encorbellement  de  manière  à  dégager  la  toiture  el  à  la  couvrir  au  moyen 
de  la  saillie  a  de  la  tablette.  Mais  cette  tablette,  pour  ne  pas  glisser  sur 
la  pente  du  mur  triangulaire,  devait  nécessairement  faire  corps  avec 
l'assise  b,  ainsi  que  l'indique  le  détail  géométral  A.  Alors  le  morceau  d 
était  assez  lourd  pour  arrêter  le  glissement  des  tablettes  rampantes  e. 
En  faisant  tailler  cette  pierre  dans  un  bloc,  les  maîtres  étaient  natu- 
rellement obligés  de  faire  tomber  le  triangle  g.  Bientôt,  au  lieu  de  le 
jeter  bas,  ils  laissèrent  la  pierre  entière  et  profilèrent  de  ce  triangle  g 
restant,  pour  y  conserver  un  pelltgâble,  comme  nous  l'avons  tracé  dans 
le  détail  B.  Oetle  réserve  avait  l'avantage  de  laisser  plus  de  poids  à  la 
pierre,  d'éviter  un  évidement,  et  de  donner  à  l'œil  plus  de  solidité  à  celle 
assise  d'arrêt. 

Dans  des  constructions  élevées  avec  économie  m&me,  nous  voyons  que 
les  architectes  apportent  une  attention  toute  particulière  à  couronner  les 
pignons,  afin  d'éviter  le  passage  des  eaux  pluviales  entre  la  couvertureel 
la  maçonnerie,  sans  avoir  jamais  recours  à  ces  solins  de  mortier  ou  de 
plâtre  qui  se  détachent  facilement,  nécessitent  des  réparations  inces- 
santes et  ont  un  aspect  misérable.  Quelquefois  la  tuile  vient  recouvrir  les 
rampants  du  pignon,  mais  au  sommet  est  posée  une  pierre  d'amortisse- 


—  137  —  [  PIGNON  ] 

ment  recouvrant  les  deux  pentes  de  la  tuile  et  les  faîtières  de  terre  cuite, 
aiesi  que  le  fait  voir  la  figure  7  K  En  A,  Tamortissenient  d'extrémité  su- 
périeure du  pignon  est  présenté  en  profil,  et  en  6  en  perspective.  Ainsi  le 


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mur  est  parfaitement  préservé  par  les  tuiles  du  couvert,  et  la  jonction 
de  celles-ci  à  la  pointe  du  faîtage  est  garantie  par  la  pierre  d'amortisse- 
ment formant  filet  sur  les  côtés,  sur  la  face  et  par  derrière. 

Le  système  de  charpente  et  de  couverture  adopté  au  commencement 
du  XIII*  siècle  donnant  habituellement  un  triangle  équilatéral  et  même 
quelquefois  plus  aigu,  les  pignons  prennent  de  l'importance;  les  édifices 
étant  élevés  sur  une  plus  grande  échelle  que  dans  les  siècles  précédents, 
il  devient  nécessaire,  pour  donner  une  assiette  convenable  à  ces  ouvrages 
de  maçonnerie,  de  les  combiner  avec  plus  d'art.  Présentani  une  très- 
grande  surface,  il  faut  en  même  temps  les  décorer  et  les  alléger,  d'autant 


*  D'une  chapelle  de  la  petite  église  de  Flavigiiy  (Gôte-d'Or),  xv«  siècle.  Nous  avons 
trouvé  de^  amortissciucnts  de  ce  genre  sur  des  pignons  bourguignons  de  maisons  du 
ïiii*  siècle. 

VII.  —  18 


[    PIGNON    ]  —   i38  — 

que  souvent  ils  s'élèvent  sur  Oe  grands  à-jour,  roses,  larges  Tenètres, 
éclairant  l'intérieur  des  vaisseaux.  Les  constructeurs  chercbent  alors  à 
roidir  ces  grands  murs  abandonnés  à  eux-mêmes  par  des  combinaison 


de  piles  et  de  vides  habilement  répartis.  On  éleva  en  Bourgogne  (province 
des  hardis  constructeurs),  pendant  la  première  moitié  du  xiii*  siècle, 
des  pignons  singulièrement  audacieux  comme  âtruclure,  et  d'un  effet 
décoratif  tout  à  fait  remarquable.  Nous  en  voyous  deux,  bâtis  en  même 
temps,  devant  le  porche  de  l'église  abbatiale  de  Vézelay  et  devant  la  nef 
de  la  petite  église  de  Saint-Père  sous  Vézelay  ',  qui  présentent  à  la  fois 
une  construction  hardie  et  une  décoration  d'une  extrême  richesse.  Le 

'  SaiDl-Père  pour  Suint- PiuriT, 


—   139   —  [  PIGNON   ] 

pignon  de  la  face  occidentale  de  l'église  de  Saint-Père  avait  été  construit 
en  prévision  d'une  surélévation  de  la  nef  qui  ne  fut  pas  effectuée^  de 
sorte  qu'aujourd'hui  ce  pignon  s'élève  beaucoup  au-dessus  des  combles. 
II  devait  être  flanqué  de  deux  hauts  clochers  ;  celui  du  nord  seul  fut 
construit  (voy.  Clocher,  fig.  70).  Un  grand  arc  (fig.  8)  était  destiné  à  tra- 
cer la  pénétration  de  la  voûte  sur  la  face.  Sous  cet  arc  s'ouvre  une  rose 
qui  surmonte  une  baie  à  meneaux  K  Toute  la  décoration  au-dessus  de 
l'archivolte  devait  masquer  la  charpente,  et  présente  dans  une  arcature 
une  série  de  statues  de  grande  dimension.  Au  sommet  est  assis  le  Christ 
bénissant,  couronné  par  deux  anges  agenouillés.  Sous  le  Christ  est  placé, 
deboutsur  un  piédestal,  saint  Etienne,  puis  à  la  droite  du  Christ  la  Vierge, 
à  la  gauche  sainte  Anne.  A  la  droite  de  la  Vierge  s'échelonnent  les  statues 
de  saint  Pierre,  de  saint  André  et  d'un  troisième  apôtre.  A  la  gauche 
de  sainte  Anne,  saint  Paul,  saint  Jean  et  un  apôtre.  Sous  les  statues  de 
sainte  Anne  et  de  la  Vierge  on  voit  deux  têtes  de  démons;  les  autres 
statues  sont  portées  sur  des  pilettes  et  des  culs-de-lampe.  Des  deux  côtés 
de  la  rose  sont  sculptés  le  lioii  et  le  dragon.  L'iconographie  de  ce  pignon 
est  donc  complète  et  n'a  subi  aucune  mutilation  grave.  Quant  à  la  con- 
struction de  cet  important  morceau  d'architecture,  elle  consiste  en  un 
mur  bâti  en  assises  basses,  roidi  à  l'extérieur  par  l'arcature  composée 
d'assez  grandes  assises.  Les  deux  clochers  devaient  l'épauler  à  ses  deux 
extrémités;  celui  du  nord  ayant  été  seul  élevé ,  le  pignon  avait  gauchi 
du  côté  sud  ;  mais  il  a  été  facile  d'arrêter  ce  mouvement  au  moyen  d'un 
contre-fort  bâti  à  l'intérieur  sur  le  mur  de  la  nef,  dont  la  voûte  actuelle 
ne  dépasse  pas  le  niveau  A.  Il  n'est  pas  nécessaire  de  faire  ressortir 
la  valeur  de  cette  composition  vraiment  magistrale,  et  il  faut  dire  que  la 
statuaire  ainsi  que  la  sculpture  d'ornement  sont  traitées  de  main  de  maî- 
tre. Les  figures,  un  peu  longues  en  géométral,  prennent  en  perspective 
leur  proportion  réelle,  et  forment  un  ensemble  surprenant  par  sa  richesse 
et  la  belle  entente  des  lignes. 

Le  pignon  de  la  face  occidentale  de  l'église  abbatiale  de  Vézelay,  dû 
très-probablement  au  même  artiste,  présente  une  disposition  difiTérente 
et  plus  originale  encore.  Il  sert  de  tympan  aux  voûtes  du  porche  qui 
datent  du  xii*  siècle;  l'arcature  est  à  jour,  éclaire  le  porche,  et  les  figures 
sont  placées  au  droit  des  piles.  Mais,  fait  unique  peut-être,  les  rampants 
de  ce  pignon,  au  lieu  d'être  rectilignes,  sont  formés  par  deux  courbes 
donnant  une  ogive  (fig.  9)  ^.  Les  statues  qui  décorent  ce  pignon  présen- 
tent, comme  à  l'église  de  Saint-Père,  au  sommet^  le  Christ  assis,  tenant  le 
livre  des  Évangiles  et  bénissant;  deux  anges  portent  une  large  couronne 
au-dessus  de  sa  tête.  A  la  droite  du  Christ  est  la  Vierge,  à  sa  gauche 
sainte  Anne.  Deux  anges  thuriféraires  terminent  la  série.  Au-dessous  on 
voit,  au  droit  des  piliers  :  saint  Jean-Baptiste,  saint  Pierre,  saint  Paul  et 

>  Aujourd'hui  cette  rose  s'ouvre  sous  le  comble  de  la  ncj, 
*  A  rccbelle  de  0»,04  pour  mètre. 


[   PIGNON   1 


saint  Jean,  un  évëque  et  un  saiill  que  nous  n'avons  pu  désigner,  La 


[   PIGNON   ] 


swLion  des  piles  rormant  claire-voie   est  donnée  par  le  détail  A.  Les 


[   PIGNOS   ] 


vitraux  étant  placés  en  B,  il  existe  un  passage  entre  l'arcature  vitrée  et 
l'arcatiire  intérieure  un  peu  moins  élevée  (fig.  10).  La  construction  de  ce 


—   i/i3   —  [  PIGNON   ] 

pignon  est  à  étudier  et  s'expHquo  par  le  géométral  intérieur.  La  courbe  A 
est  celle  donnée  par  le  formeret  fait  au  xin*  siècle  sous  la  voûté  B  du  xir. 
Un  arc  de  décharge  C  renforce  le  formeret  et  passe  au-dessuâ  de  la  ga- 
lerie (voy.  la  coupe  D,  en  C).  Un  second  arc  de  décharge  EE'  supporte  le 
poids  de  l'extrémité  supérieure  du  pignon  ;  la  trace  du  comble  est  en  ab. 
Des  piles  F,  F',  maintiennent  le  placage  GG'  formant  le  fond  de  la  déco- 
ration extérieure.  Les  colonnettes  H,  isolées  et  qui  sont  indiquées  dans  la 
section  horizontale  de  Tune  des  piles  de  la  figure  9,  sont  donc  déchar- 
gées par  le  formeret,  par  Tare  G'  et  par  celui  E'.  De  plus,  à  partir  du  ni- 
veau I,  elles  sont  reliées  à  la  portion  des  piles  donnant  à  l'extérieur  par 
des  languettes  K,  s'élevant  jusque  sous  l'arc  de  décharge  G'.  Le  passage  L 
communique  par  quelques  marches  aux  salles  du  premier  étage  des  deux 
tours  qui  flanquent  la  façade.  De  l'intérieur  comme  de  l'extérieur  cette 
grande  claire-voie  produit  beaucoup  d'effet,  et  sa  double  arcature  est 
disposée  d'après  une  donnée  perspective  très-bien  entendue  :  la  balus- 
trade M  n'étant  pas  assez  élevée  pour  masquer  l'appui  N  des  baies  vitrées; 
les  arcaturesO  laissant  voir  dans  tout  leur  développement  les  découpures 
de  celle  P,  et  le  peu  de  diamètre  des  colonnettes  H  intérieures  démas- 
quant les  vitraux.  Tout  cela  est  bâti  en  beaux  matériaux;  la  sculpture  est 
traitée  de  main  de  maître  et  date  du  milieu  du  xiii'  siècle.  La  statuaire 
est  empreinte  d'un  grand  caractère,  et  appartient  franchement  à  la  belle 
école  bourguignonne  (voy.  Statuaire). 

A  la  même  époque,  dans  l'Ile-de-France,  on  élevait  des  pignons  conçus 
peut-être  avec  moins  de  hardiesse,  d'une  disposition  moins  originale, 
mais  dans  la  composition  desquels  on  observe  un  goût  plus  châtié,  plus 
de  délicatesse  et  une  meilleure  entente  de  la  destination.  On  remarquera 
que  le  pignon  de  Vézelay  est  un  masque  du  comble,  mais  ne  se  com- 
bine guère  avec  sa  forme.  Dans  nos  bons  édifices  gothiques  du  xm""  siècle, 
ceux  de  l'Ile-de-France,  ceux  auxquels  il  faut  toujours  recourir  comme 
étant  la  véritable  expression  classique  de  cet  art,  les  pignons  sont  bien 
faits  pour  fermer  le  comble,  ils  l'éclairent  franchement  et  le  recouvrent. 
Nous  ne  saurions  trouver  un  meilleur  exemple  que  celui  fourni  par  l'un 
des  pignons  du  transsept  de  Notre-Dame  de  Paris  (1257).  Ge  pignon  s'élève 
sur  une  rose  de  13  mètres  de  diamètre,  et  est  percé  lui-môme  d'un  œil 
en  partie  aveugle,  qui  éclaire  le  comble.  Gette  belle  composition  (fig.  11) 
est  autant  décorative  que  sagement  raisonnée.  Sur  le  grand  arc  qui  fait 
le  formeret  de  la  voûle  et  l'archivolte  de  la  rose  est  posé  un  entable- 
ment portant  balustrade,  et  qui  permet  de  communiquer  des  galeries 
supérieures  de  Test  à  celles  de  l'ouest.  Le  pignon  proprement  dit  s'élève 
en  retraite  sur  l'arc  de  la  rose  et  porte  principalement  sur  le  formeret  ;  il 
est  de  plus  supporté  par  un  arc  de  décharge  noyé  dans  la  construction. 
Ce  pignon,  qui  a  70  centimètres  d'épaisseur,  est  allégé  par  la  rose  qui 
éclaire  le  comble,  dont  les  parties  aveugles  ne  sont  que  des  dalles  por- 
tant sculpture,  par  des  rosaces  et  écoinçons.  Deux  grands  pyramidions  le 
flanquent,  forment  les  têtes  des  contre-forts  contre-butant  la  rose,  etper- 


[  i-iGsoN  ]  -m  - 

nieltciit  ù  un  (■s(';ilicr  pn^^lérieur  de  se  développer  el  de  p.isser  au-dessus 
ducoinblefnrilrecmivrp,etsiirlii  joncliou  duquel  il  forme  ualargf^solin, 
ainsi  que  le  font  voir  le  prolil  A  et  la  portion  du  pignon  postérieur  B,  h 
section  A  étant  faite  sur  a6.  Trois  statues  décorenl  le  sommet  et  It-s  deux 


angles  inférieurs  du  pignon.  Celle  du  sommel  reprcst'nlc  le  Clirisl  appa- 
raissant en  songe  il  saint  Martin,  rcvélu  delà  moitié  du  manteau  donné  au 
pauvre'  ;  les  deux  autres  ligurcnlle  même  saint  Martinet  saint  Ktienne-. 
Éclairé  par  le  soleil,  ce  pignon  produit  un  merveilleux  effet.  D'ailleurs  il 
accuse  parrailemoni  ieconiblc  qu'il  csldesti  né  à  fermer;  la  sculpture  en  est 
large,  sobre,  bien  à  l'échelle  el  admirablemcnllrailée.  L'œil  du  comble  est 

1  Eli  biis  ilu  purtiil  e$t  rcpri-aeiilée,  à  drnite  tt  à  gaaeiif,  la  li^«iiilc  d«  uinl  Martin. 
'  La  léj^ciidu  du  iiainl  Elicnni^  est  repri'si^iitvi'  duiii  li'  lyiii|)iiii  du  U  jiorlv. 


—   165  —  [  PIGNON    ] 

d'une  proportion  parfailemeul  en  rapport  avec  la  grande  rose  qui  s'ouvre 
sur  le  transsept.  Cette  composition  ne  fut  pas  surpassée.  Le  pignon  méri- 
dional de  la  cathédrale  d'Amiens,  élevé  vers  le  milieu  du  xiV  siècle,  pré- 
sente cependant  une  disposition  originale  qui  se  rapproche  de  la  compo- 
sition du  pignon  de  Vézelay.  Le  grand  triangle  est  divisé  verticalement 
par  des  piles  formant  comme  une  suite  de  contre-forts  ornés  de  statues 
et  de  pinacles,  et  entre  lesquels  s'ouvrent  des  jours  qui  éclairent  le  com- 
ble. Mais  là  les  détails,  trop  petits  d'échelle,  sont  confus  et  n'offrent  plus 
cette  simplicité  de  lignes  que  nous  admirons  à  Paris  et  même  à  Vézelay. 
Pour  ne  pas  laisser  isoler  ces  grands  triangles,  on  eut  quelquefois  l'idée, 
au  XIV*  et  au  xv*  siècle,  de  les  épauler  par  des  galeries  à  jour  ou  aveugles 
qui  réunissent  leurs  rampants  aux  pyramidions  ou  tourelles  d'épaule- 
ment.  Un  des  pignons  les  mieux  composés  en  ce  genre  est  celui  de  la 
façade  principale  de  l'église  Saint-Martin  de  Laon,  qui  date  de  la  un 
du  xiii'  siècle  ou  du  commencement  du  xiv*.  Nous  en  donnons  (fig.  12} 
une  vue  perspective.  Voulant  donner  une  grande  importance  aux  deux 
tourelles  flanquantes,  l'architecte  a  senti  que  le  pignon  entre  ces  deux 
clochetons  paraîtrait  maigre;  aussi  l'a-t-il  accompagné  d'une  galerie 
aveugle  qui  termine  ainsi,  comme  masse,  carrément  le  portail,  et  cepen- 
dant il  n'a  pas  voulu  mentir  au  principe,  et  a  fait  reparaître  la  trace  du 
comble  à  travers  cette  galerie. 

Un  peu  avant  la  construction  de  Saint-Martin  de  Laon,  le  célèbre  archi- 
tecte Libergier,  pendant  la  seconde  moitié  du  xiii*  siècle,  avait  élevé  sur 
le  portail  de  l'église  Saint-Nicaise,  à  Reims,  uu  pignon  relié  aux  deux 
tours  de  la  façade  par  une  galerie  à  jour,  ce  qui  était  bien  plus  vrai  que 
le  parti  adopté  à  Saint-Martin  de  Laon.  Cette  galerie  mettait  d'ailleurs  en 
communication  les  étages  supérieurs  des  clochers  ^  Le  pignon  de.  Saint- 
Nicaise  de  Reims  était  percé  de  trois  œils  circulaires  éclairant  le  comble, 
et  son  nu  était  décoré  d'une  imbrication,  dernier  vestige  de  cette  tradi- 
tion romane  que  nous  voyons  acceptée  franchement  dans  le  pignon 
de  l'église  Saint-Étienne  de  Beauvais,  donné  plus  haut,  et  dans  des 
pignons  des  provinces  du  Centre  et  de  l'Ouest.  Comme  à  la  cathédrale 
de  Reims,  le  pignon  occidental  de  l'église  Saint-Nicaise  était  doublé,  se 
répéiait  au  droit  des  faces  postérieures  des  tours,  et  ce  second  pignon 
était,  comme  celui  antérieur,  relié  aux  tours  par  une  galerie  à  jour  sem- 
blable à  celle  de  la  face.  On  conçoit  combien  cette  claire-voie  doublée 
devait  produire  d'elTet  en  perspective.  Nous  donnons  (fig.  13)  un  géomé- 
tral  du  pignon  de  Saint-Nicaise  ^  Il  faut  dire  que  les  colonnettes  suppor- 
tant la  galerie  étaient  jumelles,  afin  de  donner  l'épaisseur  nécessaire  au 
passage  courant  sur  Tarcature  (voy.  le  détail  en  coupe  A). 

<  Voyez  Glochbh,  fig.  75. 

2  Voyez  la  gravure  précieuse  de  de  Son,  Rémois  (1625).  Cette  belle  et  unique  église 
dans  9on  genre  a  été  délruite,  sans  raison  cotnmc  sans  nécessité,  au  commencement  du 
siècle. 

VU.  —  19 


Il  iii"  faut  pa»  croire  quv  l'iircliiU'iUiif   religiciiM'  seule  élevait  dts 


—  Iû7  —  [  PtGNOS   ] 

pignons  d'une  grande  importance  et  richesse.  Le  pignon  de  la  salle  du 
pillais  h  Poitiers  est  un  «les  plus  riches  rjii'on'puiRsCjimaginer  et  de»  plu$ 


sin^liers  comme  composition.  A  sa  base,  à  l'intérieur,  est  établie  une 
cheminée  qui  embrasse  toute  sa  largeur  ;  les  tuyaux  de  cette  cheminée 


I    NGNON   ] 


Maicisciil  licil'iJinicnl  les  lenùlres  qui  s'ouvrenl  dans  ie  pignon.  On  peul 
prendre  une  idée  de  celle  compositionenexaminanl  la  figure  10  à  l'article 


Cheminer  (xV  siècle).  Le  pignon  de  la  grnntl'sidle  du  chiltenu  do  Coucy 
élail  aussi  Irès-richcmenl  décoré  sur  le  dehors  (voy.  Salle),  etsurmonlé 
d'nne  statue  colossale.  Une  l>aic  immense  s'ouvrait  sous  son  triangle  et 


—   140  —  [   PILASTRE  ] 

éclairait  largement  la  salle  dans  sa  longueur.  Ce  pignon  appartenait  aux 
constructions  élevées  par  Louis  d'Orléans  pendant  les  premières  années 
du  XV*  siècle.  Parmi  les  pignons  d'architecture  civile,  plus  simplement 
traités,  il  faut  citer  ceux  du  logis  du  château  de  Pierrefonds.  Nous  en 
présentons  (fig.  14)  deux  spécimens.  lisse  combinent  avec  les  crénelages 
du  château,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  en  A.  Derrière  le  crénelage  ressau- 
tant,  suivant  le  rampant  du  comble,  est  posé  l'escalier  de  service  pour  les 
couvreurs,  et  pouvant  même  au  besoin  être  garni  de  défenseurs.  En  B, 
est  donnée  la  coupe  de  ce  pignon,  l'emmarchement  étant  profilé  en  a  et 
le  faîtage  du  comble  en  b. 

Le  pignon  G,  qui  appartient  au  même  château,  est  muni  d'un  triple 
tuyau  de  cheminée  d  qui  interrompt  le  degré,  lequel  alors  se  continue 
au  moyen  de  marches  de  plomb  sur  le  comble.  En  D,  nous  donnons  l'un 
de  ces  pignons  de  grange  du  xiii*  siècle,  avec  son  contre-fort  d'axe  des- 
tiné à  contre-buter  la  poussée  des  arcs  portant  sur  une  épine  de  colonnes 
et  soulageant  les  portées  de  la  charpente.  Les  architectes  du  moyen  âge 
ne  se  faisaient  pas  faute  de  munir  les  pignons  de  contre*forts  suivant  les 
distributions  intérieures,  soit  pour  accuser  des  murs  de  refend,  soit  pour 
contre-buter  des  arcs.  Us  faisaient  preuve,  dans  cette  partie  importante 
de  leurs  édifices,  de  la  liberté  que  nous  aimons  à  trouver  dans  leurs 
œuvres  les  plus  modestes  comme  les  plus  riches.  Le  pignon  accuse  la 
coupe  transversale  d'un  édifice,  c'est  donc  la  partie  qui  indique  le  plus 
clairement  sa  construction  et  sa  destination  ;  les  architectes  ont  compris 
ainsi  sa  fonction,  et  ils  se  sont  bien  gardés  de  la  cacher.  A  voir  un  pignon 
du  dehors,  on  saisit  facilement  les  diverses  divisions  du  bâtiment  et 
sa  struclure,  s'il  est  voûté  ou  lambrissé,  s'il  ne  possède  qu'un  féz-de- 
chaussée,  ou  s'il  se  compose  de  plusieurs  étages.  Habituellement,  les 
cheminées  sont  placées  dans  l'axe  des  pignons,  afin  d'amener  facilement 
leurs  tuyaux  jusqu'au  faite  du  comble  et  d'éviter  leur  isolement.  Ces 
tuyaux  forment  alors  de  véritables  contre-forts  creux  qui  roidissent  les 
grands  triangles  de  maçonnerie  et  leur  donnent  plus  d'assiette.  L'éta- 
blissement des  pignons  dans  les  édifices  civils  avait  encore  l'avantage 
d'éviter  les  croupes  en  charpente,  d'une  construction  et  d'un  entretien 
dispendieux,  et  de  fournir  de  beaux  dessous  de  combles  bien  fermés, 
aérés  et  sains. 

PILASTRE^  s.  m.  (ante).  Pendant  l'antiquité  grecque,  le  pilastre,  ou  plu- 
tôt Vante^  est,  ainsi  que  le  mot  l'indique  assez,  une  tête  de  mur  ou  une 
chaîne  saillante  élevée  au  retour  d'équerre  d'un  mur.  Sur  le  murd'une 
celia,  l'ante  est  le  renfort  élevé  en  A  ou  en  B 
(fig.  1),  lequel  renfort  porte  un  chapiteau  et  s'ap- 
puie quelquefois  sur  une  base.  Dans  l'architecture 
romaine,  ce  qu'on  appelle  piVas/re,  est  la  projection 
d'une  colonne  sentie  sur  le  nu  d'un  mur  par  une 
faible  saillie.  A  (fig.  2)  étant  une  colonne,   B  est  son  pilastre.  .Quelque- 


[  PIMSTRE  ]  —  150  — 

fois  la  colonne  isolée  ou  engagée  disparaît^  comme  par  exemple  autour 
de  rétage  supérieur  du  Golisée  à  Rome,  et  le  pilastre  reste  seul.  Les 

Grecs  n'ont  jamais,  pendant  la  belle  époque, 
/^;  donné  à  Tante  le  même  chapiteau  qu'à  la  co- 
lonne; mais,  sous  Tempire,  le  chapiteau  du 
pilastre  n'est  que  la  projection  du  chapiteau  de 
la  colonne,  comme  le  pilastre  lui-môme  n'est 
que  la  projection  du  fût  Si  le  pilastre  est  seul, 
s'il  n'est  pas  la  projection  d'une  colonne,  il  possède  le  chapiteau  d'un 
ordre  dorique,  ionique,  corinthien  ou  composite,  mais  ne  prend  pas  un 
chapiteau  spécial. 

Dans  les  premiers  temps  du  moyen  âge,  les  architectes  ne  prennent 
pas  la  peine  de  projeter  la  colonne  adossée  sur  le  mur  d'adossement, 
mais  ils  placent  parfois  des  pilastres  comme  décoration  ou  renfort  d'un 
mur.  On  voit  de  petits  pilastres  à  l'extérieur  du  monument  de  Saint-Jean 
à  Poitiers;  on  en  retrouve  sur  le  pignon  occidental  de  la  basilique  kitine 
de  Saint- Front  de  Pcrigueux ,  accompagnant  deux  étages  d'arcatures  S 
et,  plus  tard,  vers  la  fin  du  x®  siècle,  à  l'intérieur  môme  de  cet  édifice.  Ces 
pilastres,  couronnés  par  des  chapiteaux  pseudo-corinthiens,  portent  une 
arcature  haute  (dans  les  tympans  fermant  les  grandes  travées  des  cou- 
poles) qui  forme  un  passage  continu  tout  autour  de  l'édifice.  Des  fenê- 
tres sont  ouvertes  dans  l'arcature,  au  droit  du  chœur  et  du  transsept.  Mais 
cet  exemple  qu'on  trouve  répété  dans  la' partie  ancienne  de  l'église  de 
la  cité  (cathédrale)  à  Périgueux,  n'est  pas  suivi  généralement  dans  les 
édifices  de  l'Ouest.  La  colonne  engagée  remplace  le  pilastre,  tandis  que, 
dans  la  haute  Bourgogne,  le  Morvan  et  la  haute  Champagne,  le  pilastre 
romain  persiste  fort  tard,  jusqu'au  commencement  du  xiii*  siècle.  Il 
existe  encore  à  Autun  deux  portes  de  ville  de  l'époque  gallo-romaine,  les 
portes  d'Arroux  et  de  Saint-André,  qui  sont  couronnées  par  un  chemin 
de  ronde  consistant  en  une  suite  d'arcades  entre  lesquelles  sont  disposés 
des  pilastres,  cannelés  à  la  porte  d'Arroux,  lisses  à  la  porte  Saint- 
André.  Cette  arcature  avec  pilastres  servit  évidemment  de  type  aux 
architectes  qui,  au  xir  siècle,  élevèrent  les  cathédrales  d'Autun  et  de 
Langres,  et  les  églises  de  Saulieu  et  de  Beaune.  Mais  soit  qu'il  existât 
encore  à  cette  époque  de  grands  monuments  romains  avec  pilastres, 
soit  que  les  galeries  des  portes  romaines  d'Autun  aient  inspiré  aux  archi- 
tectes l'idée  de  se  servir  du  pilastre,  et  du  pilastre  cannelé,  dans  la 
composition  des  piles  mêmes  des  édifices  précités,  nous  voyons  le  pilastre 
appliqué  en  grand  à  Langres,  à  Autun  et  dans  quelques  autres  monu- 
ments de  ces  contrées.  A  Langres ,  de  grands  pilastres  pseudo-corin- 
thiens forment  la  tête  des  contre- forts  de  l'abside  à  l'extérieur.  A  la  cathé- 
drale d'Autun,  les  piliers  intérieurs  sont  cantonnés  de  pilastres  cannelés 

*  Voyei,  dans  V Architecture  byzantine  en  France^  par  M.  Félix  de  Verneilh  (4851),  la 
desicription  de  Téglise  latine  de  Saint-Front,  page  93. 


—  151   —  [   PILIER  ] 

^voy.  Pilier).  A  Vézelay  même,  dans  la  nef^  au-dessus  des  archivoltes  des 
bas  côtés,  des  pilastres  portent  les  formerets  de  la  grande  voûte,  tandis 
qu'on  ne  voit  jamais  de  pilastres  employés  dans  les  édifices  romans  de 
rUe-de-France.  Le  pilastre  est  quelquefois  employé  aussi  dans  certains 
monuments  romans  de  la  Provence,  et  il  est  habituellement  cannelé. 
De  fait,  dans  l'architecture  française  du  moyen  âge,  le  pilastre  est  une 
exception,  son  emploi  est  dû  à  la  présence  de  monuments  romains 
voisins. 

PILE,  s.  f.  —  Voy.  PiLIBB. 

PILIER,  S.  m.  Support  vertical  de  pierre  isolé,  destiné  à  porter  les 
charpentes  ou  les  voûtes  des  édifices.  Le  pilier  appartient  à  l'architec- 
lure  du  moyen  âge.  Les  Grecs  ni' les  Romains  n'élevaient,  à  proprement 
parler,  de  piliers,  car  ce  nom  ne  peut  être  donné  à  la  colonne  non  plus 
qu'à  ces  masses  épaisses  et  compactes  de  blocages  qui,  dans  les  grands 
édifices  romains,  comme  les  salles  des  Thermes,  par  exemple,  suppor- 
tent et  contre-butent  les  voûtes.  Le  pilier  est  trop  grêle  à  lui  seul  pour 
résister  à  des  poussées  obliques;  il  faut,  pour  qu'il  puisse  conserver  la 
ligne  verticale,  qu'il  soit  chargé  verticalement,  ou  que  les  résultantes  des 
poussées  des  voûtes  agissant  sur  lui  se  neutralisent  de  manière  à  se 
résoudre  en  une  pression  verticale.  Lorsque  les  nefs  d'églises,  les  salles, 
étaient  couvertes  par  des  charpentes,  il  n'était  pas  besoin  de  donner  aux 
piliers  une  force  extraordinaire,  et  de  chercher,  par  la  combinaison  de 
leur  section  horizontale,  à  résister  aux  pressions  obliques  des  voûtes  ; 
mais  dès  que  Ton  prétendit  substituer  la  voûte  aux  charpentes  pour 
fermer  les  vaisseaux,  les  constructeurs  s'ingénièrent  pour  donner  aux 
piliers  des  formes  propres  à  remplir  cette  nouvelle  destination.  Ils  aug- 
mentèrent d'abord  démesurément  le  diamètre  de  la  colonne  cylindrique, 
puis  ils  groupèrent  plusieurs  colonnes;  puis  ils  cantonnèrent  les  piliers 
à  section  carrée  de  colonnes  engagées  :  ils  cherchèrent  ainsi  des  combi- 
naisons résistantes  jusqu'au  moment  où  l'architecture  adopta,  vers  le 
milieu  du  xii*  siècle,  un  système  de  structure  entièrement  nouveau. 
Alors  le  pilier  ne  fut  plus  que  le  dérivé  de  la  voûte  ou  de  la  pression 
agissant  sur  lui. 

Mieux  que  tout  autre  membre  de  l'architecture,  le  pilier,  pendant  le 
moyen  âge,  exprime  les  essais,  les  efforts  des  architectes  et  les  résultats 
logiques  des  principes  qu'ils  admettent  au  moment  où  l'art  vient  aux 
mains  des  écoles  laïques;  aussi  devrons-nous  entrer  dans  des  explica- 
tions assez  étendues  à  propos  des  curieuses  transformations  que  subit 
le  pilier  du  x*  au  xv*  siècle. 

Dans  la  basilique  romaine,  le  pilier  n'est  autre  que  la  colonne  portant 
un  mur  vertical,  soit  au  moyen  de  plates-bandes,  soit  au  moyen  d'arcs. 
Sur  deux  rangs  de  colonnes  s'élevaient  deux  murs  ;  sur  ces  deux  murs,  de 
l'un  à  l'autre,  une  charpente.  Pression  verticale  assez  faible  d'ailleurs  ; 


[   PILIER   ]  —   152   — 

par  conséquent  résistance  suffisante,  si  lescolonnes  étaient  de  pierre  dure, 
de  granit  ou  de  marbre.  Des  murs  de  brique  bien  faits  ne  pèsent  guère  ; 
des  charpentes,  si  larges  qu'elles  soient,  n'exercent  qu'une  pression  assez 
faible.  Mais  quant  à  Tart  de  la  construction  pratiqué  par  les  Romains, 
on  tomba  dans  une  grossière  imitation  de  cet  art,  on  dut  substituer  à  des 
murs  minces,  bien  liaisonnés,  garnis  de  mortier  excellent,  revêtus  d'en- 
duits indestructibles  ou  bâtis  de  pierres  d'appareil  posées  à  joints  vifs. 
des  murs  de  moellons  smillés,  mal  liaisonnés,  remplis  de  mauvais  mor- 
tier ;  dès  lors  il  fallait  nécessairement  donner  à  ces  murs  une  plus  forte 
épaisseur,  portant  un  poids  plus  considérable,  aux  colonnes  ou  piliers 
une  plus  large  section.  D'ailleurs  les  constructeurs  romans,  pendant  la 
période  carlovingienne,  ne  pouvaient  ni  extraire,  ni  tailler  des  colonnes 
de  marbre,  de  granit  ou  de  pierre  dure  monolithes  ;  ils  composaient 
celles-ci  par  assises  de  pierres  basses  et  même  quelquefois  de  moellons. 
Les  piliers  renforcés  ne  résistaient  pas  toujours  aux  charges  qu'on 
leur  imposait,  ils  se  gerçaient,  se  lézardaient  ;  on  en  vint  à  augmenter 
démesurément  leur  force  pour  éviter  ces  accidents,  on  adopta  les  sec- 
tions rectangulaires  :  leurs  assises  étaient  ainsi  plus  faciles  à  poser  et 
plus  résistantes;  souvent  on  leur  donna  une  épaisseur  plus  forte  que 
celle  des  murs  dont  ils  avaient  à  supporter  la  charge. 

Beaucoup  de  monuments  des  x^  et  xi*'  siècles  ont  conservé  des  piliers 
dans  la  construction  desquels  on  observe  les  tâtonnements,  les  essais  des 
constructeurs,  rarement  satisfaits  du  résultat  obtenu  ;  car  ces  piliers 
étaient  non-seulement  disgracieux,  mal  reliés  aux  parties  supérieures, 
mais  encore  ils  prenaient  une  place  considérable,  encombraient  les  inté- 
rieurs et  gênaient  la  circulation.  Aussi  n'est-il  pas  rare  alors  de  voir  dans 
un  même  édifice  des  piliers  bâtis  en  même  temps  affectant  des  formes 
différentes,  comme  si  les  architectes  dussent  les  essayer  toutes,  dans  l'im- 
possibilité où  ils  se  trouvaient  d'en  trouver  une  qui  pût  les  contenter. 
Pendant  le  xi®  siècle  nous  voyons  employer  simultanément  les  piliers 
à  section  carrée,  carrée  avec  arêtes  alaattues,  circulaires,  lobée^  carrée 
cantonnée  de  demi-cercles,  barlongue,  circulaire^  entourée  d'une  série 
de  sections  de  cercle,  etc.  ;  mais  rien  n'est  arrêté,  rien  n'est  définitif, 
aucun  système  ne  prévaut. 

Dans  la  petite  église  de  Vignory  (Haute  Marne)  S  les  murs  de  la  nef 
sont  supportés  par  une  suite  de  piliers  à  section  barlongue  ;  puis  la  der- 
nière travée  près  du  chœur  présente  des  piliers  à  section  circulaire 
(fîg.  1).  Au-dessus  du  pilier  à  section  circulaire  A  est  posé,  pour  former 
le  faux  triforium  B,  un  pilier  à  section  carrée  dont  les  angles  sont  arron- 
dis'^. L'architecte,  se  défiant  de  la  petitesse  de  ses  matériaux,  n'a  pas  osé 
élever  les  piles  de  la  nef  jusqu'à  la  hauteur  du  lambris  des  combles 

*  Du  x«  au  XI"  siècle. 

-  Voyci  la  monographie  de  Téglise  de  Vignory  donnée  d'après  les  dessins  de  M.  Bœs- 
wilwald  {Archiv.  des  monuments  h istor,  publiées  sous  les  auspices  du  ministre  d'État), 


—  *53  —  [  PIUBA  ] 

des  bas  côtés,  il  les  a  élrésillonnées  dans  le  sens  de  la  longueur  par  des 
ai-cs  G  (voy.  la  coupe)  qui  portent  une  claire-voie  n'ayant  d'autre  des- 
tination que  de  rendre  le  mur  de  la  nef  moins  lourd  et  de  décorer 
cet  intérieur.  Dans  l'église  de  Bonneuil  en  France  (Seine-et-Oise) ,  nous 


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voyons  des  piliers  du  xv  siècle,  dont  la  section  est  donnée  en  A,  fig.  2, 
portant  des  archivoltes  à  doubles  claveaux;  mais  ici  l'esprit  méthodique 
des  artistes  de  rile*de-France  apparaît  :  la  section  de  ces  piliers  est  mo- 
tivée par  la  construction  supérieure  ;  on  sent  là  Tinfluence  d'une  école 
doDt  les  principes  sont  déjà  raisonnes.  Ces  piliers  sont  bien  construits  en 
assises  régulières.  Les  profils  sous  les  arcs  ne  se  retournent  pas  sur  les 
faces,  ce  qui  est  parfaitement  justifié  par  la  construction. 

Dans  la  nef  de  l'église  Saint^Remi  de  Reims,  élevée  vers  la  fin  du 
x*  siècle  (nous  parlons  des  constructions  primitives),  on  voit  des  piliers 
dont  la  forme  singulière  ne  parait  motivée  en  aucune  manière.  Ces  piliers 
(fig.  3  et  3  his)  se  composent  d'un  faisceau  de  segments  de  colonuetles 
dont  la  section  horizontale  donne  le  tracé  reproduit  dans  la  figure  3.  Un 
cercle  ayant  été  tracé  avec  le  rayon  AB,  ce  cercle  est  le  socle  de  la  pile  ; 

VII.  —  20 


(  piuËR  ]  —  i5a  — 

ayant  élé  divisé  en  sept  parties  égales,  on  a  obtenu  un  polygoni:  qui 
donne  le  plinthe  des  bases  des  colonnettes.  Le  rayon  AB  ayant  été  ■ 
divisé  en  deux  parties  égales,  AC,  BC,  les  points  G  ont  donné  les  centre? 


des  sept  grosses  colonnettes.  La  l'encontre  des  segments  de  ces  grosses 
colonnettes  a  donné  le  centre  des  sept  autres  colonnettes  dont  les  tores 
des  bases  sont  tangents  aux  côtés  du  polygone.  Les  archivoltes  HH,  H,  le 


nu  du  mur  FG,  posent  assez  gauchement  sur  cette  pile,  comme  il  est  facile 
de  le  reconnaître  par  le  tracé.  L'arc-doubleau  KL  du  collatéral  prend  sa 
naissance  au-dessous  de  celle  des  archivoltes,  ce  qui  Tait  que  le  tailloir 
des  chapiteaux  sous  cet  arc-doubleau  vient  buter  contre  les  fûts  de  h 


—  155  —  l  HllER  ] 

pile,  et  que  les  tailloirs  des  chapiteaux  portant  les  archivoltes  pénètrent 

I  bis 


Janî  i'arc-iloiiblfaii.  La  perspective  de  cette  pile  {(ig.  3  bit)  explique 


[  PIUER  .]  —   156  — 

d'ailleurs  ces  bizarreries,  et  comment  tous  les  chapiteaux,  sauf  ceux  por- 
tant Tarc-doubleau,  sont  inscrits  dans  un  cercle  qui  est  de  même  dia- 
mètre que  celui  donnant  la  projection  horizontale  du  socle.  Il  semblerait 
que  Tarchitecte  a  voulu  obtenir  ici  une  puissante  résistance  et  une  appa- 
rence légère  par  ces  divisions  du  gros  fût  en  portions  de  cylindres  se 
pénétrant. 

Dans  réglise  Saint-Aubin  de  Guérande,  la  nef,  dont  la  construction 
date  de  1 130  environ,  repose  sur  des  piliers  alternativement  cylindriques 
et  composés.  Voici  (fig.  6)  un  de  ces  derniers.  La  section  horizontale 
tracée  en  A  donne  quatre  grosses  demi-colonnes  de  60  centimètres  de 
diamètre^  et  quatre  plus  menues  de  iiO  centimètres  de  diamètre.  Les  bases 
de  ces  colonnes  sont  circulaires,  et  reposent  sur  un  plateau  également 
circulaire ,  enveloppant  les  huit  bases  partielles  et  formant  socle.  La 
projection  horizontale  de  ce  plateau  donne  celle  du  tailloir  commun 
aux  huit  chapiteaux  et  portant  sur  la  face,  un  pilier  G  dont  la  section  est 
un  trapèze,  des  archivoltes  à  double  rang  E,  D,  et  un  arc-doubleau  G 
sur  le  bas  côté.  Le  pilier  G  (voy.  l'élévation  F)  ne  portait  que  les  entrails 
de  la  charpente,  cette  nef  n'ayant  pas  été  voûtée  primitivement.  La 
construction  de  ces  piliers  est  beaucoup  mieux  entendue  que  celle  des 
piliers  de  Téglise  de  Saint-Remi  de  Reims,  car  ici  chaque  colonne  en- 
gagée a  déjà  sa  fonction  distincte  et  bien  motivée.  Le  tracé  perspectif  B 
fait  comprendre  la  disposition  des  huit  chapiteaux  groupés  sous  le  tailloir 
circulaire  *. 

L'église  de  Lons-le-Saulnier  nous  montre  une  nef  du  xii*  siècle  portée 
sur  des  piliers  alternativement  cyUndriques  et  à  section  polygonale,  ter- 
minés par  des  amortissements  carrés  formant  chapiteaux  et  recevant  en 
plein  les  sommiers  des  archivoltes  (fig.  5). 

Le  XII*  siècle  présente  une  grande  variété  de  piliers.  Les  constructeurs, 
cherchant  les  moyens  d'élever  des  voûtes  sur  les  nefs  romanes,  qui  jus- 
qu'alors en  étaient  habituellement  dépourvues  (dans  les  provinces  du 
Nord  du  moins),  passaient  de  la  forme  primitive  de  la  colonne  mono- 
cylindrique à  la  section  carrée,  au  groupe  de  cylindres,  aux  plans  carrés 
cantonnés  de  colonnes  engagées,  sans  trouver  la  forme  qui  convenait  dé- 
finitivement à  ces  supports  ;  car  chaque  jour  amenait  un  nouveau  mode 
dans  la  structure  des  voûtes,  et  bien  souvent,  pendant  qu'on  élevait 
les  piliers,  il  survenait  un  perfectionnement  dans  la  manière  de  disposer 
les  sommiers  qui  ne  trouvait  que  difficilement  son  emploi  sur  des  piles 
préparées  antérieurement  à  la  connaissance  de  ce  progrès.  G'est  ce  qui 
explique  comment,  dans  beaucoup  d'édifices  de  la  dernière  période 
romane,  on  voit  des  arcs  reposant  gauchement  sur  des  piliers  qui  évi- 
demment n'avaient  pas  été  tracés  en  prévision  de  la  forme  de  ces 
voûtes. 

Il  est  une  école  cependant  qui  tâtonne  peu ,  c'est  l'école  bourgui- 

1  Ces  dessins  nous  ont  été  Tournis  par  M.  Gaucherel. 


[  paiBi  j 


gnoQQe,  on  plnUtt  l'école  de  Cluny.  Aussi  est-ce  dans  les  édifices  dus 


[  PILIER  ]  —   tri8  — 

à  cel  ordre  qu'on  voit  liéjà,  dès  ic  commencement  du  xii'  siMe,  appa- 
raître des  piles  très  Cianclieincnt  disposées  pour  recevoir  les  voùles  telles 
qu'on  les  concevait  à  celle  époque.  Les  piles  de  la  nef  de  l'église  abba- 
tiale de  Vézelay,  élevée  à  la  fin  du  xi'  siècle  el  pendant  les  premières 


années  du  xii*,  sont  déjà  tracées  sur  un  plan  coïncidant  parfaitement 
avec  la  construction  des  voûtes.  Elles  sont  formées  par  la  pénétration 
de  deux  parallélogrammes  rectangles  cantonnés  de  quatre  colonnes 
cylindriques  engagées. 

La  figure  6  donne  en  A  la  section  horizontale  de  ces  piles  au  niveau 
ab,  et  en  B  leur  section  au  niveau  cd,  C  donne  la  face  de  la  pile  du  côté 
de  la  nef,  et  D  la  coupe  de  la  travée  sur  le  milieu  des  archivoltes.  On  voit 
qu'au-dessus  du  bandeau  G,  le  mur  de  la  nef  se  retraite  pour  dégager 
des  pilastres  H  qui  sont  destinés  à  porter  déjà  des  formerels  I,  sur  les- 
quels s'appuient  les  voûtes  d'arête  san^  arcs  ogives.  Des  contre-forts  K 
étaient  seuls  destinés  primitivement  à  contre-buter  les  grandes  voûtes,  et 
reposaient  sur  les  sommiers  L  des  arcs-doubleaux  des  bas  cAtés.  Ici  les 
chapiteaux  sont  placés  aux  naissances  des  archivoltes  et  des  arcs-dou- 


bleaux,  de  sorlf  qu'ayanl  les  mêmes  diainètres,  les  colonnes  engagées 


[   PILIER   ]  —  160   — 

antérieures  X  sont  beaucoup  plus  longues  que  les  colonnes  M  et  N. 
Ainsi,  dès  cette  époque,  le  principe  de  soumettre  les  bauteucs  des  co- 
lonnes aux  naissances  des  arcs  est  admis.  Ce  sont  les  voûtes  qui  tom- 
mandent  l'ordonnance.  Les  colonnes  ne  sont  engagées  que  d'un  tiers, 
afin  de  laisser  à  leur  diamètre  toute  sa  pureté,  ce  qui  est  un  point  im- 
portant, car  toute  colonne  engagée  de  la  moitié  de  son  diamètre,  par 
l'efTet  de  la  perspective  ne  parait  jamais  posséder  son  épaisseur  réelle. 
Il  est  évident  que  dans  la  nef  de  Yézelay,  Tarcbitecte  a  su,  dès  la  base 
de  l'édifice,  comment  il  le  pourrait  voûter;  les  arcs-doubleaux  reposent 
en  plein  sur  les  saillies  des  chapiteaux  et  sur  les  dosserets  auxquels  les 
colonnes  sont  adossées  ;  les  formerets  de  la  grande  voûte  trouvent  leurs 
points  d'appui,  et  les  arêtes  des  voûtes  leur  place  dans  des  angles  ren- 
trants, comme  dans  la  structure  romaine. 

Les  piliers  de  la  cathédrale  d'Autun,  d'une  époque  plus  récente  (11^0 
environ),  mais  appartenant  à  cette  belle  école  de  la  haute  Bourgogne,  mé- 
ritent également  de  fixer  notre  attention.  Ils  se  composent,  suivant  la 
section  horizontale,  de  deux  parallélogrammes  se  pénétrant,  cantonnés, 
non  de  colonnes  engagées,  mais  de  pilastres  cannelés.  Il  faut  observer 
que  la  nef  principale  de  cette  église  est  voûtée  en  berceaux,  et  non  point 
par  des  voûtes  d'arôte ,  comme  à  Vézelay.  Ses  piliers  sont,  d'ailleurs, 
parfaitement  disposés  pour  ce  genre  de  construction.  La  section  A  est 
faite  sur  (ib  (flg.  7),  la  section  B  sur  cd,  la  section  C  sur  ef.  Les  arcs- 
doubleaux  D  reposent  sur  la  tête  du  pilastre  montant  de  fond,  et  le  nerf 
qui  les  cerne  à  l'extrados,  sur  les  colonnettes  E.  Les  pilastres  latéraux  i 
s'arrêtent  à  la  naissance  des  archivoltes  des  collatéraux,  et  celui  posté- 
rieur reçoit,  au  même  niveau,  l'arc-doubleau  de  la  voûte  du  bas  côté. 
C'est  donCj  comme  à  Vézelay,  la  naissance  des  arcs  des  voûtes  qui  dé- 
termine la  hauteur  des  colonnes  ou  pilastres  engagés  ;  mais  pour  ne  pas 
donner  au  pilastre  antérieur  une  proportion  démesurément  allongée, 
l'architecte  a  eu  le  soin  de  le  couper  par  les  bandeaux  n  et  m.  Il  n'est  pas 
nécessaire  de  faire  ressortir  l'étude  des  proportions  et  des  détaUs  qui 
perce  dans  cet  exemple  d'architecture.  On  croirait  voir  là  un  fragment  de 
ces  monuments  gréco-romains  si  délicats  que  M.  le  comte  Melchior  de 
Vogue  a  découverts  dans  les  environs  d'Antioche  et  d'Alep.  11  n'est  pas 
jusqu'à  la  sculpture  qui  ne  rappelle  cette  école  orientale  si  brillante  au 
V*  siècle;  et  bien  que  les  portes  gallo-romaines  d'Autun  aient  pu  inspirer 
aux  architectes  de  la  cathédrale  du  xii*  siècle  le  motif  de  l'arcature  du 
triforium,  ceux-ci  ont  été  certainement  prendre  ailleurs  leurs  profils  et 
leur  ornementation,  ces  profils  et  ornements  étant  d'un  tout  autre  style 
que  ceux  des  édifices  gallo-romains  et  d'une  exécution  bien  supérieure. 

Ce  motif  de  piliers  a  été  suivi  dans  la  construction  des  églises  Notre- 
Dame  de  Beaune,  Saint- Andocbe  de  Saulieu  et  de  la  cathédrale  de 
Langres,  car  la  cathédrale  d'Autun  a  fait  école. 

L'école  de  l'Ite-de-Prance,  au  moment  où  l'architecture  passait  aux 
mains  des  architectes  laïques^  devait  rompre  avec  ces  traditions  qui  sem- 


[  piLun  ]' 


liaient  si  bien  établies  dans  les  contrées  de  la  Bourgogne  et  de  la  hante 

vir.  —  21 


[   PILIER  ]  —   162   — . 

Champagne.  Vers  1160,  ces  architectes  de  l'Ile-de-France  tentaient  d'as- 
socier les  anciennes  données  romanes  au  nouveau  système  de  structure 
qu'ils  inauguraient;  ils  conservaient  encore  la  colonne  monocylindrique 
et  ne  commençaient  l'ordonnance  imposée  par  les  voûtes  d'arête  en  arcs 
ogives  qu'au-dessus  de  ces  colonnes. 

Ce  principe  est  franchement  accusé  dans  l'intérieur  de  la  cathédrale  de 
Paris.  Les  piliers  du  chœur  de  cette  église,  élevés  vers  1162,  et  ceux  de  la 
nef,  vers  1200,  présentent  à  peu  près  les  mêmes  dispositions.  Les  piliers 
du  chœur,  dont  nous  donnons  la  section  horizontale  (fig.  8),  se  compo- 
sent d'un  gros  cylindre  de  1",30  de  diamètre  {d  pieds),  portant  un  large 


K 


chapiteau  à  tailloir  carré,  sur  lequel  reposent  les  archivoltes  portant  les 
murs  aé,  cd,  les  arcs-doubleaux  du  collatéral  e  et  les  arcs  ogives/*.  Les  trois 
colonnettes  ^,  A,  A,  s'élancent  jusqu'aux  naissances  des  grandes  voûtes 
pour  porter  les  arcs-doubleaux  et  les  arcs  ogives  ou  les  formerets.  A  la 
hauteur  du  triforium,  la  section  monocylindrique  du  pilier  se  divise, 
comme  l'indique  la  figure,  en  autant  de  membres  qu'il  y  a  de  nerfs  de 
voûtes  à  porter.  Dans  la  nef  (fig.  9),  la  section  de  la  pile  du  triforium 
se  simplifie  ;  la  pile,  construite  par  assises,  ne  présente  que  des  retours 
d'équerre,  des  pilastres,  et  les  colonnettes  sont  détachées  en  monolithes. 
Plus  tard^  aux  piles  avoisinant  les  tours,  vers  1210,  les  constructeurs  ont 
même  accolé  après  coup,  à  la  grosse  colonne  monocylindrique  du  rez- 
de-chaussée,  une  colonne  engagée  A  pour  supporter  l'apparence  de 
porte  à  faux  des  colonnettes  antérieures  assises  sur  le  tailloir,  ou  plutôt 
pour  épauler  le  gros  cylindre  et  arrêter  son  déversement.  C'était  une 
transition. 

Voici  (fig.  10)  quelle  est  la  construction  des  piles  de  la  nef  de  Notre- 
Dame  de  Paris  en  élévation  ^  Il  est  clair  que  l'ordonnance  propre  au 
nouveau  système  de  structure  adopté  alors  ne  commence  qu'à  partir 
du  niveau  A,  c'est-à-dire  au-dessus  du  tailloir  des  chapiteaux  des  ce- 


1  Voyez  Gathéoealb,  flg.  2  et  4. 


—  168   —  [  PILIER   ] 

lonnes  du  rez-de-chaussée.  Ceiles-ei  coosiiluent  une  ordonnance  séparée, 
uQquillage  inférieur.  Ce  principe  persiste  plus  longtemps  dans  Tlle-de- 
France  que  partout  ailleurs,  ce  n'est  qu'avec  peine  que  les  architectes 
l'abandonnent.  Déjà  cependant,  à  Paris,  dans  la  construction  de  la  cathé- 
drale même,  ils  avaient  élevé,  dans  les  collatéraux  de  la  nef,  des  colonnes 
monocylindriques  cantonnées  de  colonnes  monostyles  (voy.  Construc- 
tion, fig.  92  et  93)  ;  mais  ce  parti  leur  avait  été  imposé  par  la  nécessité  de 


3 


donner  à  ces  points  d'appui  une  résistance  exceptionnelle.  Nous  voyons 
qu'à  la  cathédrale  de  Laon,  sans  aucune  raison  apparente,  vers  la  même 
époque,  c'estrà-dire  vers  1200,  les  architecles  ajoutent  aux  gros  cylin- 
dres du  rez-de-chaussée  de  la  nef  des  colonnes  monostyles  détachées, 
comme  un  essai,  une  tentative,  un  acheminement  vers  un  nouveau  sys- 
tème de  structure  des  piles.  Sur  vingt  piles  qui  portent  le  iriforium  et 
les  voûtes  de  la  nef  de  Notre-Dame  de  Laon,  quatre  seulement  présen- 
tent cette  particularité  de  colonnettes  posées  aux  angles  du  tailloir  et 
sur  la  partie  antérieure,  ainsi  que  l'indique  la  section  horizontale  (fig.  11). 
Les  trois  colonnettes  a,  h^  b,  soulagent  le  tailloir  du  gros  chapiteau,  et  re- 
çoivent les  cinq  colonnettes  qui  portent  l'arc-doubleau,  les  arcs  ogives 
et  les  formerets  des  grandes  voûtes.  Quant  aux  colonnettes  c,  elles  re- 
çoivent les  sommiers  des  arcs  ogives  des  voûtes  des  bas  côtés.  En  per- 
spective, ces  piliers  présentent  donc  l'aspect  reproduit  dans  la  figure  12. 
Ces  quatre  piliers  sont,  il  est  vrai,  posés  sous  les  retombées  des  voûtes, 
qui,  à  Laon  comme  à  Notre-Dame  de  Paris,  embrassent  deux  travées, 
mais  on  ne  s'explique  pas  pourquoi  ce  système,  qui  est  très- bon,  n'a  pas 
été  suivi  tout  le  long  de  la  nef.  Les  bagues  A  forment  une  assise  qui 
relie  les  fûts  supérieurs  B  aux  fûts  inférieurs  C.  Les  constructeurs  de  la 
cathédrale  de  Laon  n'avaient  pas  le  beau  liais  cliquart  de  Paris,  et  ils 
ne  pouvaient  tailler  de  colonnettes  monostyles  d'une  grande  longueur. 


{   PILIER   ] 


Aussi  reliaient-ils  les  fûts  par  ces  assises  de  bagues  qui  se  répétaient 


—  165  —  [  PIUER   1 

plusieurs  fois*  dans  la  hauteur  des  piliers,  comme  on  le  voit  en  D.  On 
observera  que  le  chapiteau  de  la  grosse  colonne  comprend  deux  assises, 
tandis  que  les  chapiteaux  des  colonnettes  en  délit  sont  pris  dans  une 


1- 


\ 


seule  assise  faisant  corps  avec  la  deuxième  assise  du  gros  chapiteau.  Ce 
principe  est  suivi  assez  rigoureusement  pendant  les  premières  années 
du  XIII*  siècle  (voy.  Chapiteau). 

Quelques  années  avant  la  construction  de  la  cathédrale  de  Laon,  c'est- 
à-dire  vers  1170,  on  élevait  dans  la  même  ville  la  nef  et  le  chœur  de 
l'église  Saint-Martin,  et  l'architecte  conservait  le  corps  de  la  pile  romane, 
formée,  en  section  horizontale,  de  parallélogrammes  se  pénétrant  avec 
colonne  engagée  du  côté  de  la  grande  nef  pour  recevoir  l'arc-doubleau  ; 
mais  dans  les  quatre  angles  rentrants  laissés  par  les  parallélogrammes, 
cet  architecte  posait  déjà  des  colonnettes  en  délit  pour  recevoir  les  arcs 
ogives  des  hautes  et  basses  voûtes  (fig.  13).  Ces  colonnettes,  composées 
de  plusieurs  morceaux,  étaient  retenues  par  des  bagues,  ainsi  que  le  fait 
voir  la  vue  perspective.  Mais  ces  piles  avaient  l'inconvénient  de  donner 
une  section  considérable  prenant  beaucoup  de  place,  gênant  la  circula- 
lion  et  masquant  la  vue  du  sanctuaire  ;  cependant  ces  quatre  colonnette- , 
disposées  pour  recevoir  les  arcs  ogives,  avaient  probablement  fait  naître 
aux  architectes  de  la  cathédrale  de  Laon  l'idée  de  cantonner  leur 
pilier  cylindrique  de  cinq  colonnettes,  l'une  destinée  à  porter  l'arc-dou- 
bleau de  la  grande  nef,  et  les  quatre  autres  à  porter  les  arcs  ogives. 
Bientôt  on  prit  un  parti  plus  radical,  on  cantonna  la  grosse  colonne 
cylindrique  de  quatre  colonnes  engagées,  recevant  les  deux  arcs-dou- 
bleaux  et  les  deux  archivoltes  ;  les  arcs  ogives  des  collatéraux  retombè- 
rent alors  sur  le  gros  chapiteau  du  cylindre  principal,  et  ceux  des  voûtes 
de  la  grande  nef  sur  des  colonnettes  en  délit  portant  sur  la  saillie  du 
tailloir.  C'est  suivant  ce  système  que  furent  élevés  les  piliers  de  la  cathé- 
drale de  Reims  (tig.  iU).  En  A,  nous  donnons  la  section  de  ces  piliers  au 
niveau  du  rez-de-chaussée,  la  grande  nef  étant  du  côté  N.  Les  gros  cylin- 
dres ont  1"^60  de  diamètre  (5  pieds)  ;  dans  le  sens  de  la  coqpe  en  tra- 


[   PIUBB   ]  —  166   — 

vers,  les  piliers,  compris  les  colonnes  engagées,  ont  2",ûR,  et  dans  le 


sens  de  la  nef  2", 40  seulement.  C'était  une  précaution  prise  pour  donner 


■(^'Piti«i8  yn  peuplas  d'assiette  dans  le  sens  de.la  poussée  des  voûtes. 


[  PlUBB  ] 


i^B'' 


|i 


!  ■---  V--  Ut    : i''- 


k- 


.  L'appareil  de  ces  piliefs  est  donné  par  Villard  de  Hpnnecourt  et  estrepro- 


—  169  —  [  PILIEB   ] 

duit  dans  notre  figure.  Villard  de  Honnecourt  a  bien  le  soin  de  nous 
dire  que  cet  appareil  avait  été  combiné  afin  de  cacher  les  joints  des 
tambours;  il  n'est  pas  besoin  d'ajouter  que  l'appareil  se  chevauche  de 
deux  en  deux  assises.  Au  niveau  du  triforium,  en  ab  (voy.  l'élévation  B), 
le  pilier  adopte  la  section  C.  La  colonne  engagée  d  fait  corps  avec  la 
bâtisse,  c'est-à-dire  qu'elle  est  élevée  par  assises,  tandis  que  les  colon- 
nettes  e  recevant  les  arcs  ogives  des  grandes  voûtes,  et  les  colonnettes  f 
recevant  les  formerets,  sont  rapportées  en  délit,  maintenues  par  des  ban- 
deaux g^  hy  qui  font  bagues,  et  les  chapiteaux  t  et  /.  L'architecte  de  Notre- 
Dame  de  Reims  n'avait  pas  encore  une  théorie  bien  arrêtée  sur  l'équi- 
libre des  voûtes  dans  les  grands  édifices  gothiques,  et  il  avait  cru  devoir 
donner  à  ses  piliers  une  très-forte  section  ;  il  avait,  au  niveau  du  trifo- 
rium, crut  devoir  élever  encore  un  gros  contre-fort  en  porle  à  faux  pour 
asseoir  les  piles  lecevant  les  arcs-boutants  (voy.  Cathédrale,  figure  iU). 
L'architecte  de  la  cathédrale  d'Amiens  fut  plus  hardi  :  il  donna  une  sec- 
tion beaucoup  plus  faible  à  ses  piliers,  et  ne  songea  à  les  maintenir  dans 
leur  plan  vertical  que  par  le  secours  des  arcs-boutants  (voy.  Cathédrale, 
fig.20). 

D'autres  constructeurs  avaient  essayé  des  colonnes  jumelles  dans  les 
cathédrales  de  Sens  et  d'Arras(voy.  la  section  D)  (1160),  ou  plus  tard  des 
colonnes  avec  une  seule  colonnette  adossée  (voy.  section. E),  ou  encore 
des  colonnes  à  section  ovale,  comme  dans  le  chœur  de  la  cathédrale  de 
Séez(fin  du  xiii*  siècle)  (voy.  section  F),  doininés  qu'ils  étaient  par  cette 
idée  de  résister  aux  poussées  et  de  prendre  le  moins  de  place  possible, 
de  ne  pas  obstruer  la  vue  des  nefs  et  des  sanctuaires. 

Les  exemples  de  piliers  empruntés  aux  cathédrales  de  Reims  et 
d'Amiens  nous  font  voir  seulement  une  grosse  colonne  centrale  can- 
tonnée de  quatre  colonnes  engagées  ;  les  colonnettes  destinées  à  porter 
les  arcs  ogives  et  les  formerets  ne  prennent  naissance  qu'au-dessus  du 
chapiteau  inrérieur.  Vers  le  milieu  du  xiii*  siècle  déjà  on  faisait  descen- 
dre les  colonnettes  des  arcs  ogives  des  grandes  voûtes  jusqu'à  la  base 
même  du  pilier  ;  puis  bientôt  on  voulut  porter  les  arcs  ogives  des  voûtes 
des  collatéraux  sur  des  colonnettes  spéciales  ;  les  piliers  prirent  donc  la 
section  donnée  par  la  figure  15  :  A  étant  le  côté  faisant  face  à  la  grande 
nef  et  B  la  partie  du  pilier  en  regard  du  collatéral.  Dès  Tinstant  qu'on 
admettait  que  les  arcs  ogives,  comme  les  archivoltes  et  les  arcs-dou- 
bleaux,  devaient  posséder  leur  colonnette  montant  de  fond,  il  était  logique 
d'admettre  que  les  formerets  eux-mêmes  possédassent  leurs  supports  ver- 
ticaux, et  même  que  les  membres  de  ces  nerfs  de  voûtes  eussent  chacun 
un  point  d'appui  spécial.  On  multiplia  donc  les  colonnettes  autour  du 
cylindre  central,  et  les  moulures  elles-mêmes  des  arcs  vinrent  mourir  sur 
la  base  du  pilier..  Ce  parti  tendait  à  faire  supprimer  les  chapiteaux,  car 
à  quoi  bon  un  chapiteau  dès  quela  moulure  formant  l'arc  se  continue  le 
long  du  pilier?  Vers  1230  déjà^  les  colonnettes  cantonnant  les  piliers  ne 
sont  plus  détachées,  monostyles,  mais  tiennent  aux  assises  mêmes  de  la 

VIL  —  22 


j    PILIER   J  —    170   — 

pile.  Des  colonnelLcs,  en  se  mullipliant.  devenaient  trop  grêles  pour 
qu'il  fût  possible  de  les  tailler  dans  une  pierre  posée  en  délit,  el  même 
alors  comme  il  devenait  très-dilTicile,  sans  risquer  de  faire  casser  les 
pierres,  de  Touiller  au  ciseau  les  angles  i-entrants,  jonctions  des  colon- 


n 


nettes  avec  le  noyau,  on  adoucissaii  ces  angles,  ainsi  que  le  fait  vuir  la 
section  (fig.  16).  11  résultait  de  cette  nécessité  pratique  une  succession 
de  surfaces  courbes,  molles,  qui  ne  donnaient  que  des  ombres  indécises; 
il  fallait  trouver  sur  ces  surfaces  désarrois  de  lumière  qui  pussent  accuser 


Ui 


V 


les  nerfs  principaux.  Les  architectes  eurent  alors  l'idée  de  réserver  sur  le 
devant  de  chaque  colonnette  une  arMe  qui  accrochât  la  lumière  et  Itt 
ressortir  la  saillie  du  nerf  cylindrique  (voy.  en  A,  fig.  16).  11  résultait  de 
l'adoption  de  ce  principe,  que  la  colonnette,  mariée  au  noyau  principal 
par  une  gorge  et  armée  d'un  nerf  saillant,  passait  de  la  forme  cylindrique 
à  la  forme  prismatique.  ^ 


—   171    —  f   PILIER  j 

Dès  la  fin  du  xin*  siècle^  Técole  champenoise,  qui,  à  partir  de  1250, 
avait  pris  les  devants  sur  les  autres  écoles  gothiques,  cherchait  des  sec* 
lions  de  piliers  qui  fussent  rigoureusement  logiques,  c'est-à-dire  qui  ne 
fussent  que  la  section,  réunie  en  faisceau,  des  arcs  que  portaient  ces 
piliers.  Alors  les  profils  des  arcs  commandaient  impérieusement  les  sec- 
lions  des  piles,  et,  pour  tracer  un  pilier,  il  fallait  commencer  par  con- 
naître et  tracer  les  divers  membres  des  voûtes. 

Les  gens  qui  élevèrent  l'église  Saint-Urbain  de  Troyes,  vers  1290,  pri- 
rent^ dès  cette  époque,  le  parti  radical  que  nous  venons  d'indiquer  ;  mais 
on  comprendra  facilement  que  la  forme  consacrée  du  gros  pilier  cylin- 
drique central  ne  devait  plus  s'accorder  avec  ce  système  nouveau,  la 
réunion  en  faisceau  de  tous  ces  nerfs  d'arcs  ne  pouvant  se  résoudre  en 
un  cylindre,  même  en  y  joignant  des  appendices,  comme  on  l'avait  fait 
précédemment  et  comme  l'indiquent  les  figures  15  et  15.  Il  fallait  aban- 
donner absolument  la  tradition  de  la  grosse  colonne  centrale,  qui  per- 
sistait encore  vers  le  milieu  du  xiii*  siècle.  Entraînés  par  la  marche 
logique  de  leur  art,  les  constructeurs  de  Saint-Urbain  n'hésitèrent  pas, 
et  nous  voyons  que  dans  le  même  édif?ce  et  pendant  un  espace  de  temps 
lrè&-court  (dix  ans  au  plus),  ils  abordent  franchement  le  pilier  prisma- 
tique,  en  supprimant  les  chapiteaux. 

La  figure  17  présente  en  A  une  des  quatre  piles  du  transsept.  Cette 
pile  porte  deux  arcs-doubleaux  B  des  grandes  voûtes,  deux  archivoltes  C 
de  bas  côtés,  la  branche  d'arc  ogive  D  de  la  voûte  de  la  croisée,  deux 
branches  d'arcs  ogives  E  des  voûtes  hautes,  et  la  branche  d'arc  ogive  F 
de  la  voûte  du  collatéral.  Son  plan  affecte  la  forme  donnée  par  les  pro- 
fils de  ces  huit  arcs,  et  place  les  points  d'appui  verticalement  sous  la 
trace  des  sommiers  de  ces  arcs.  La  première  pile  de  la  nef,  dont  la  sec« 
tion  est  donnée  en  G,  indique  de  même  la  projection  horizontale  des 
sommiers  des  archivoltes  B',  des  arcs  ogives  E'  des  grandes  voûtes,  et 
des  arcs  ogives  E"  des  voûtes  des  bas  côtés,  ainsi  que  celle  des  £urcs- 
doubleaux  H  des  grandes  voûtes  et  I  des  basses  voûtes.  Ces  piles  portent 
encore  des  chapiteaux  très-bas  d'assise,  parce  que  le  protil  des  arcs  des 
voûtes  n'est  pas  identique  avec  la  section  de  ces  piliers.  Mais  la  seconde 
pile  de  la  nef  donne  la  section  K,  et  est  tracée  de  telle  façon,  que  les 
archivoltes  L,  les  arcs-doubleaux  H  et  I,  les  arcs  ogives  M,  viennent 
pénétrer  exactement  cette  section,  les  membres  a  tombant  en  a!,  les 
membres  b  en  V^  les  membres  c  en  c',  les  membres  d  en  d\  etc.  Mais, 
pour  ne  pas  affaiblir  la  pile  par  des  évidements,  les  cavets,  gorges  et 
profils  e  viennent  rencontrer  les  surfaces  pleines  e',  les  arêtes  vives /"des 
boudins  s'accusant  sur  la  pile  par  les  arêtes  f*.  Dès  lors  les  chapiteaux 
sont  supprimés.  Une  semblable  tentative,  datant  des  dernières  années 
du  XIII*  siècle,  ne  laisse  pas  d'être  d'un  grand  intérêt,  quand  on  voit  que 
pendant  le  xiv*  encore,  dans  la  province  de  l'Ile-de-France  et  en  Nor- 
mandie, on  s'en  tenait  à  des  sections  de  piles  n'accusant  pas  entièrement 
la  section  des  arcs  des  voûtes^  et  nécessitant  par  conséquent  l'emploi 


[   PILIER   ] 


—   172   — 


du  chapiteau  pour  séparer  les  sommiers  de  faisceaux  des  colonnelles 
des  piliers, 


—    173   —  [    PILIER   ] 

L'église  de  Saint-Ouen  de  Rouen,  dont  le  chœur  date  du  xiy'  siècle, 
présente  des  piliers  qui  sont  tracés  conformément  à  la  section  G,  c'est-à- 
dire  qui  projettent  avec  quelques  modifications  les  arcs-doubleaux  et  les 
arcs  ogives  des  voûtes,  et  qui  possèdent  encore  des  chapiteaux;  ce  n*est 
qu'à  la  fin  du  xiv*  siècle  et  au  commencement  du  xv*  que  la  donnée 
déjà  adoptée  à  la  fin  du  xiii"  siècle  par  Tarchitecle  de  Saint-Urbain  de 
Troyes  est  définitivement  acceptée,  et  que  les  piles  ne  sont  que  la  pro- 
jection réunie  en  faisceau  des  différents  profils  des  arcs.  Mais  comme 
cette  méthode,  toute  rationnelle  qu'elle  était,  exigeait  une  main-d'œuvre 
et  par  conséquent  des  dépenses  considérables,  souvent  à  cette  épo- 
que on  en  revint  au  pilier  monocylindrique,  dans  lequel  alors  péné- 
traient les  profils  des  divers  arcs  des  voûtes.  C'est  ainsi  que  sont  con- 
struits les  piliers  de  l'église  basse  du  mont  Saint-Michel  en  mer,  et  d'un 
grand  nombre  d'édifices  construits  de  HOO  à  1500,  particulièrement 
dans  les  constructions  civiles,  où  l'on  prétendait  ne  pas  faire  de  dépenses 
inutiles.  Toutefois  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  ce  fait,  savoir,  qu'à  dater 
de  1220,  les  architectes  français,  renonçant  à  la  colonne  monocylin- 
drique pour  porter  les  voûtes,  cherchèrent  sans  interruption  à  trans- 
former cette  colonne  en  un  support  des  membres  saillants  constituant  la 
voûte,  et  par  suite  en  un  faisceau  vertical  de  ces  membres.  Le  pilier 
tendait  ainsi  chaque  jour  à  n'être  que  la  continuation  des  arcs  des  voûtes, 
et  nous  voyons  que  dès  la  fin  du  xiii'  siècle  on  était  déjà  arrivé  à  ce 
résultat.  Le  pilier  n'étant  que  le  faisceau  vertical  des  arcs  des  voûtes,  ce 
n'est  plus,  à  proprement  parler,  un  pilier,  mais  un  groupe  de  moulures 
d'arcs  descendant  verticalement  jusqu'au  sol,  c'est  le  tracé  du  lit  infé- 
rieur des  sommiers  qui  constitue  la  section  horizontale  de  la  pile;  et 
en  efl'et  ce  tracé  est  si  important  dans  les  édifices  voûtés,  si  impérieux, 
dirons-nous,  qu'il  devait  nécessairement  conduire  à  ce  résultat.  Dès 
1220,  les  architectes  gothiques  ne  pouvaient  élever  un  monument  voûté 
sans,  au  préalable,  tracer  le  plan  des  voûtes  et  de  leurs  sommiers;  il  était 
assez  naturel  de  considérer  ce  tracé  comme  le  tracé  du  plan  par  terre,  et 
de  planter  ces  sommiers  dès  la  base  de  sa  construction  :  c'était  un  moyen 
de  faire  une  économie  d'épurés,  et  surtout  d'éviter  des  erreurs  de  plan- 
t*ition. 

Les  piliers,  dans  l'architecture  civile,  afl'ectenl  des  formes  qui  ne  sont 
pas  moins  l'expression  des  nécessités  de  la  construction,  soit  qu'ils  por- 
tent des  voûtes,  soit  qu'ils  soutiennent  des  planchers.  Ainsi,  dans  les 
étages  inférieurs  de  l'évôché  de  Meaux,  étages  qui  datent  de  la  fin  du 
xn*  siècle,  nous  voyons  des  piliers  posés  en  épine  qui  portent  des  voûtes 
doubles,  et  dont  la  structure  est  assez  remarquable.  Voici  (fig.  18)  leur 
section  horizontale  en  A,  et  en  B  leur  élévation.  Les  voûtes  sont  privées 
d'arcs-doubleaux.  Ce  sont  des  voûtes  d'arête  construites  comme  les 
voûtes  romaines,  avec  un  simple  boudin  en  relief  sur  les  arêtes  et  un 
angte  obtus  à  la  place  occupée  ordinairement  par  l'arc-doubleau  (voy.  là 
section  G  faite  sur  ab).  Le  pilier  se  compose  d'un  corps  principal  cylin- 


[    PILIER  ]  —  17/|    — 

driqQB,  cantonné  (le  quatre  boudins  également  cylindriques  (voy.  la  se 


iîon  A);  les  piles  sont  monolithes  du  dessus  de  la  base  à  l'astragale  du 
chapiteau. 


—   175   —  [   PUIER  ] 

Des  maisons  de  1»  ville  de  Dol  possèdent  encore  des  piliers  mono- 
lithes de  granit  et  qui  datent  du  xiii*  siècle.  Ils  portent  des  poitraux  de 
bois  et  formaient  portiques  ou  pieds-droits  de  boutiques.  Voici  (Gg.  19) 


\ 


deux  de  ces  piliers.  En  A  est  la  section  du  pilier  A',  en  B  celle  du  pilier 
B'.  Les  arcAitectes  cherchaient  toujours,  avec  raison,  à  éviter,  dans  la 
taille  de  ces  piliers  isolés  ou  adossés,  les  arêtes  \ives,  qui  s'épaufreut 


[    PINACLE   ]  —   176  — 

facilement  et  sont  fort  gônants.  Il  suffit  de  s'être  promené  un  jour  de 
foule  dans  la  ruo  de  Rivoli,  à  Paris,  pour  reconnaître  les  inconvénients 
des  arêtes  vives  laissées  sur  les  piliers  isolés  :  ce  sont  autant  de  lames  bles- 
santes placées  au-devant  des  passants.  Admettant  que  cela  soit  monu- 
mental, ce  n'en  est  pas  moins  très-incommode. 

Les  architectes  de  la  fin  du  xv*  siècle  ont  non-seulement  fait  descendre 
le  long  des  piles  les  profils  prismatiques  des  arêtes  des  voûtes,  mais  en- 
core ils  se  sont  plu  parfois  à  tordre  ces  profils  en  spirale,  et  à  décorer 
d'ornements  sculptés  les  intervalles  laissés  entre  les  côtes.  On  voit  un 
curieux  pilier  ainsi  taillé  au  fond  du  chevet  de  l'église  Saint-Séverin, 
à  Paris.  On  en  voit  un  composé  de  gros  boudins  en  spirale  dans  l'église 
de  Sainte-Croix  de  Provins.  Ce  sont  là  des  fantaisies  qui  ne  sauraient 
servir  d'exemples  et  que  rien  ne  justifie.  La  province  de  Normandie 
fournit  plus  qu'aucune  autre  ces  étrangetés  dues  au  caprice  de  l'artiste 
qui,  à  bout  de  ressources,  cherche  dans  son  imagination  des  combinai- 
sons propres  à  surprendre  le  public.  Les  maîtres  du  moyen  âge  n'ont 
jamais  eu  recours  à  ces  bizarreries.  Ce  n'est  qu'en  Angleterre  que  dès  le 
XIII*  siècle  naît  ce  désir  de  produire  des  effets  surprenants.  Déjà,  dans  la 
cathédrale  de  Lincoln,  on  voit  des  piliers  de  cette  époque,  composés  avec 
une  recherche  des  petits  effets  qu'on  ne  trouve  dans  notre  école  que  beau- 
coup plus  tard.  Des  exemples  de  piliers  sont  présentés  dans  les  articles 
Architecture  religieuse,  Cathédrale,  Construction  et  Travée. 

PINACLE,  s.  m.  Couronnement,  finoisoUy  comme  on  disait  au  xiv'  siècle, 
d'un  contre-fort,  d'un  point  d'appui  vertical,  plus  ou  moins  orné  et  se 
terminant  en  cône  ou  en  pyramide.  Dans  les  monuments  d'une  haute 
antiquité,  on  signale  déjà  certains  amortissements  d'angles  de  frontons  et 
de  cornichos  qui  sont  de  véritables  pinacles  ^  La  plupart  des  monuments 
de  notre  période  romane  ont  perdu  presque  tous  ces  couronnements 
supérieurs,  qui  rappelaient  cette  tradition  antique.  Toutefois  les  orne- 
ments, en  forme  de  pomme  de  pin,  qui  terminent  les  lanternons  de  l'é- 
glise de  Saint-Front  de  Périgueux,  peuvent  bien  passer  pour  de  véritables 
pinacles.  Ce  n'est  guère  qu'au  xii*  siècle  que  Ton  commence  à  signaler 
des  restes  nombreux  de  ces  sortes  d'amortissements.  Alors  ils  surmon- 
tent les  angles  des  clochers  carrés  à  la  base  des  cônes  ou  des  pyramides 
formant  la  flèche;  ils  apparaissent  au-dessus  des  contre-forts  aux  angles 
des  pignons.  D'abord  peu  développés,  ou  en  forme  d'édicules,  ils  pren- 
nent, dès  la  fin  du  xii*  siècle,  une  assez  grande  importance;  puis,  au 
commencement  du  xiii"  siècle,  ils  deviennent  souvent  de  véritables  mo- 
numents. Comme  tous  les  membres  de  l'architecture  de  ce  temps,  les 

1  Voyes  la  médaille  frappée  sous  le  règne  de  Garacalla,  donnant  au  revers  le  temple 
de  Vénus  à  Paphos  (bronze);  celle  donnant  au  revers  les  propylées  du  temple  du  Soleil, 
à  Baalbec.  Consulter  VArchitectura  numismatica,  recueillie  par  Donaldsou,  architecte 
(Londres,  1859). 


—  177  —  [  PÎKACIE  ] 

pinacles  remplissent  une  fonctiOD  :  ils  sont  destinés  k  assurer  la  stabilité 
des  points  d'appui  verticaux  par  leur  poids  ;  ils  maintiennent  la  bascule 
des  gargouilles  et  corniches  supérieures;  ils  arrêtent  le  glissement  des 
tablettes  des  pignons;  ils  servent  d'attache  aux  balustrades;  mais  aussi 
leur  silhouette,  toujours  composée  avec  un  art  inQni,  contribue  k  donner 
aui  éditées  une  élégance  particulière.  Quelquefois,  pendant  la  période 
romane,  ce  sont  des  amortissements  très-simples.  Les  contre-forts  des 
ïi*  et  xir  siècles,  dans  le  Beauvoisis,  par  exemple,  sont  souvent  ter- 
minés, à  leur  extrémité  supérieure,  par  un  cône  recourbé  k  la  pointe. 
Ces  coDtre-forts  cylindriques  présentent  donc  les  amortissements  repro- 
duits dans  les  figures  1  et2'. 


L'église  collégiale  de  Poissy  conserve  encore,  sur  l'un  des  angles  de 
l'escalier  de  l'abside  terminé  par  une  pyramide  octogone,  un  pinacle 
do  commencement  du  xn*  siècle,  dont  nous  donnons  (fig.  3)  un  dessin 
perspectif.  Ce  pinacle  se  compose  de  quatre  colonnettes  portant  un 
groupe  de  chapiteaux  taillés  dans  une  même  assise  ;  un  cône  terminé  par 
un  fleoron  couronne  les  chapiteaux.  Ce  pinacle  est  fort  petit,  1",30  de 
haut  environ  ;  il  se  trouve  fréquemment  adopté  dans  les  édifices  de  cette 
époque  à  la  base  des  pyramides  des  flèches.  Le  clocher  vieux  de  Chartres 
possède  aux  angles  de  la  tour,  â  la  naissance  de  la  flëcbe,  des  pinacles 
d'une  belle  composition,  qui  servent  en  même  temps  de  lucarnes  (voy, 
Plëghe,  fig.  A)  ;  ceux-ci  datent  du  milieu  du  zil*  siècle. 

Les  donjons  des  châteaux  possédaient  aussi  presque  toujours  leurs 

I  Le  pinarlc  de  la  figure  1  provient  des  conIre-forU  de  la  grande  ég\iie  de  Saint' 
<îermer  (iii*  siècle].  Celui  de  la  figure  2  se  retrouve  dam  quctquei  édillce*  du  Beauvoiiia 
it  l«  Hn  du  II*  sièck.  Lea  pinacle»  couronnant  lea  contre-torti  cjliudriquei  de  l'églite 
Sainl-Remi  de  Reima  étaient  Icrmliiés  par  des  pinacles  nnalogue»  (xi°  siècle). 

VII.  —  23 


[   PINACLE    ]  —  178   — 

pinacles,  probablement  dès  une  époque  reculée,  si  l'on  s'en  rapporte  aux 
vignettes  des  manuscrits  et  aux  représentations  gravées  qui  nous  restent 
de  ces  édifices.  Au  xui'  siècle,  nous  en  trouvons  encore  quelques-uns 
en  place  ou  en  fragments.   Quelquefois  même,  comme  ô  la  tour  de 


.     n  "      '■  '    ' 

Monlbard,  ils  sont  directement  posés  sur  les  raeilons  des  créneaux.  Au 
donjon  de  Coucy,  ils  étaient  au  nombre  de  quatre,  élevés  sur  l'épaislalus 
qui  couvrait  la  corniche  de  la  défense  supérieure  (voy.  Donjon,  flg.  39). 
Mais  l'époque  brillante  des  pinacles  est  celle  oîi  les  architectes  commen- 
cèrent à  élever  des  arcs-boutants,  afin  de  contre-buter  les  grandes  voûtes 
des  nefs  de  leurs  églises.  Il  fallait  nécessairement,  sur  les  contre-forts 
recevant  ces  arcs-houtants,  ajouter  un  poids,  une  pression  verticale  des- 
tinée à  neutraliser  la  poussée  oblique  de  ces  arcs  et  permettant  de  dimi- 
nuer d'autant  la  section  horizontale  des  piliers  butants  (voy.  Construc- 
tioh).  Si  puissant  que  fussent  d'ailleurs  ces  piliers,  les  arcs-boutants 
exerçaient  leur  action  de  poussée  près  de  leur  sommet,  et  pouvaient,  si 
ces  sommets  n'étaient  pas  chargés,  faire  glisser  les  dernières  assises.  Il 
fallait  donc  au  dessus  du  départ  de  l'arc  un  poids  vertical,  une  pression. 
Les  architectes  de  l'école  laïque  comprirent  bien  vite  le  parti  qu'ils  pour- 


—   179   —  [   PINACLB   ] 

raient  tirer  de  cette  nécessité,  au  point  de  vue  de  la  décoration  des  édi- 
fices, et  ils  ne  tardèrent  pas  à  imaginer  les  plus  belles  et  les  plus  gracieuses 
combinaisons  pour  satisfaire  à  cette  partie  du  programme  imposé  aux 
constructeurs.  Ils  surent  donc  composer  des  pinacles  tantôt  très-simples 
pour  les  édifices  élevés  à  peu  de  frais,  tantôttrès-riches,  mais  toujours  en- 
tendus, comme  silbouetto  et  comme  structure,  d'une  façon  remarquable. 
Parmi  les  plus  beaux  pinacles  que  nous  possédons  dans  nos  édiflces 
français  du  xiii*'  siècle,  il  faut  citer,  en  première  ligne,  ceux  qui  termi- 
nent les  contre-forts  de  la  cathédrale  de  Reims.  Ce  sont  là  de  véritables 
chefs-d'œuvre  de  composition  et  d'exécution.  On  conçoit  combien  il  est 
difficile  de  poser  des  édicules  au  sommet  d'un  monument,  et  de  les 
soumettre  à  Y  échelle  adoptée  pour  l'ensemble,  de  ne  point  tomber  dans  la 
recherche  et  le  mesquin.  Tout  en  donnant  à  ces  couronnements  une 
extrême  élégance,  Tarchilecte  de  Notre-Dame  de  Reims  a  su  les  mettre 
en  harmonie  parfaite  avec  les  masses  énormes  qui  les  avoisinent,  et  cela 
en  les  accompagnant  de  statues  colossales  qui  présentent,  tout  le  long  de 
la  nef  et  du  chœur,  une  série  non  interrompue  de  grands  motifs  occupant 
le  regard  et  faisant  disparaître  ce  qu'il  pourrait  y  avoir  de  grêle  dans  ces 
pyramides  à  jour  et  dentelées. 

Voici  (fig.  U)  un  dessin  perspectif  de  ces  pinacles.  Le  calme  et  la  sim- 
plicité de  la  composition  n'ont  pas  besoin  de  commentaires  pour  être 
appréciés;  le  croquis  que  nous  donnons,  si  loin  qu'il  soit  de  l'original, 
fait  ressortir  les  qualités  essentielles  de  l'œuvre.  Observons  comme,  dans 
ce  détail  purement  décoratif,  l'architecte  a  su  éviter  les  banalités.  Dans 
les  parties  décoratives  de  l'architecture,  depuis  l'époque  de  la  renais- 
sance, et  plus  particulièrement  de  nos  jours,  on  a  su  si  bien  familiariser 
nos  yeux  avec  ce  que  nous  nommerons  les  chevilles  de  notice  art,  que 
nous  avons  perdu  le  sentiment  de  ce  qui  est  vrai,  de  ce  qui  est  à  sa  place, 
de  ce  qui  est  orné,  en  raison  du  lieu  et  de  l'objet.  Que  voyons-nous  ici 
dans  cet  immense  appendice  décoratif  qui  n'a  pas  moins  de  2/i  mètres 
depuis  la  gargouille  jusqu'au  fleuron  supérieur?  1<*  Une  pile  ou  culée 
puissante,  pleine  de  A  en  B,  destinée  à  contre-buter  la  poussée  de  l'arc- 
boutant  inférieur,  dont  la  pression  oblique  agit  avec  plus  d'énergie  que 
celle  du  second  ;  2®  de  B  en  C,  une  pile  évidée,  suffisante  pour  contre- 
buter  la  poussée  du  second  arc-boutant,  à  la  condition  que  celte  pile  évi- 
dée sera  chargée  d'un  poids  considérable,  celui  de  la  pyramide  CD  ;  3"*  en 
avant  de  la  partie  du  contre-fort  évidé,  deux  colonnes  monolithes  qui 
roidissent  tout  le  système  de  la  structure,  et  sous  cet  évidement  destiné 
à  donner  de  la  légèreté  à  cette  pile  énorme,  une  statue  abritée,  composée 
de  telle  façon  que  les  lignes  des  ailes  viennent  rompre  l'uniformité  des 
lignes  verticales  ;  U^  le  poids  de  la  pyramide,  accusé  aux  yeux  par  les 
quatre  pyramidions  d'angle  en  encorbellement.  En  tout  ceci,  rien  de  su- 
perflu, rien  qui  ne  soit  justifié  ou  calculé.  Dans  toutes  les  parties,  la  con- 
struction parfaitement  d'accord  avec  la  décoration  et  l'objet;  construction 
savante  d'ailleurs  et  n'étant  nulle  part  en  contradiction  avec  la  forme. 


[   PINACLE  ] 


Les  architectes  ne  pouvaient  pas  toujours  disposer  de  ressources  aui 


—    181    —  [  PINACLE   1 

coQsidérabies,  ai  se  permettre  d'élever  devant  les  conlre-forts,  ou  sur  leur 
sommet,  des  édicules  de  cette  importance  relative.  Souvent,  au  con- 
traire, nous  voyons  qu'ils  sont  privés  des  moyens  de  compléter  leur 


«puvre.  A  la  cathédrale  de  Ch&lons-sur-Marne,  dont  la  construction  est 
contemporaine  de  celle  de  Reims,  l'architecte  procédait  avec  une  éco- 
nomie évidente.  Aussi  les  pinacles  qui  terminent  les  contre-forts  de  la 
net  (flg,  5)  sont-ils  bien  loin  de  présenter  la  richesse  et  l'abondance  de 


[   PINACLE  ]  —  182   — 

composition  de  ceux  de  Notre-Dame  de  Reims.  Ils  .consistent  en  un  pyra- 
midion  à  section  octogonale,  surmontant  la  tète  du  contre-fort  terminé 
par  trois  gables  au-dessus  de  la  gargouille  recevant  les  eaux  des  combles 
coulant  dans  le  caniveau  A  formant  chaperon  sur  Tarc-boutant.  Ici  les 
piliers  butanls  s'élèvent  d'une  venue  jusqu'au  niveau  B;  ce  pinacle  n'est 
plus  qu'un  simple  couronnement  destiné  à  couvrir  ce  pilier  et  à  alléger 
son  sommet.  Un  programme  aussi  restreint  étant  donné,  ces  pinacles 
sont  encore  habilement  agencés,  et  il  est  difficile  de  passer  d'une  base 
massive  à  un  couronnement  grêle  avec  plus  d'adresse. 

Les  contre-forts  de  la  cathédrale  de  Rouen,  au-dessus  des  chapelles 
de  la  nef,  du  côté  septentrional,  montrent  de  beaux  pinacles  datant  de 
1260  environ.  Ils  se  composent  (fig.  6)  d'un  édicule  ayant  en  épaisseur 
le  double  de  sa  largeur  ;  la  partie  postérieure  est  pleine  et  sert  de  culée 
à  Tarc-boutant;  la  partie  antérieure  est  ajourée  et  repose  sur  deux 
colon  nettes.  Sous  le  dais  que  forment  les  gables  antérieurs  est  placée 
une  statue  de  roi  ;  les  murs  de  clôture  dès  chapelles  sont  en  A.  Sûrs  de 
la  qualité  des  matériaux  qu'ils  choisissaient ,  et  sachant  les  employer 
en  raison  même  de  cette  qualité,  les  architectes  de  cette  époque  ne 
reculaient  pas  devant  ces  hardiesses.  Ces  pinacles,  qui  ont  ajourd'hui 
600  ans,  et  qui  n'ont  certes  pas  été  entretenus  avec  beaucoup  de  soin, 
sont  encore  debout,  et  leurs  fines  colonnettes  supportent  leurs  couron- 
nements sans  avoir  subi  d'altération.  On  voit  un  pinacle  analogue  à  ceux- 
ci,  à  la  tête  du  premier  contre-fort  septentrional  du  chœur  de  la  cathé- 
drale de  Paris,  reconstruit  exceptionnellement  vers  1260,  et  contenant 
les  statues  des  trois  rois  mages  groupés.  Ceux  de  l'église  abbatiale  de 
Saint-Denis,  élevés  à  la  tête  des  arcs-boutants  sous  le  règne  de  saint 
Louis,  rappelaient  primitivement  cette  donnée;  mais  ils  ont  été  tellement 
défigurés,  lors  des  restaurations  entreprises,  il  y  a  vingt-cinq  ans,  qu'on 
ne  saurait  les  reconnaître.  Un  clocheton  octogone  surmontait  la  double 
travée  des  gables. 

Le  xw"*  siècle  alla  plus  loin  encore  en  fait  de  légèreté  dans  la  compo- 
sition des  pinacles.  Ceux  de  la  chapelle  de  la  Vierge  de  la  cathédrale  de 
Rouen  sont  d'une  ténuité  qui  les  fait  ressembler  à  des  objets  d'orfè- 
vrerie, et  semblent  plutôt  être  exécutés  en  métal  qu'en  pierre  ;  il  est  vrai 
que  la  pierre  choisie,  celle  de  Vernon,  se  prête  merveilleusement  à  ces 
délicatesses. 

Gomme  dans  tous  les  autres  membres  de  l'architecture  gothique,  les 
pinacles  adoptent  les  lignes  verticales  de  préférence  aux  lignes  horizon- 
tales, à  mesure  qu'ils  s'éloignent  du  commencement  du  xiii*  siècle.  Ainsi 
(fig.  7),  les  pinacles  qui  terminent  les  contre-forts  de  la  sainte  Chapelle 
du  Palais  à  Paris,  tracés  en  A,  reposent  sur  la  corniche  qui  fait  tout  le 
tour  du  bâtiment,  et  leurs  gables  prennent  naissance  sur  une  tablette 
horizontale  a  placée  sur  un  dé  cubique  orné  de  refoui Uement s.  Ceux  de 
la  salle  synodale  de  Sens,  élevés  à  la  môme  époque,  c'est-à-dire  vers 
1250,  et  tous  variés,  accusent  encore  des  lignes  horizontales  qui  coupent 


I   nHiCLE  ] 


^^  verticales.  En  B,  nous  donnons  celui  qui  accompagne  la  stalue  du 


[  PINACLE  ] 


/■" 


'oi  saint  Louis,  el  qui  représealo  un  donjon  avec  porle  feroiée  d'une 


—    185   —  (    PINACLE   ] 

herse,  fenêtres  grillées  et  tourelles.  La  section  horizontale  de  ce  pinacle, 
prise  au  niveau  cd^  est  figurée  en  B'.  Les  pinacles  qui  couronnent  les 
contre-forts  du  chœur  de  Téglise  Saint-Urbain  de  Troyes,  figurés  en  C,  et 
dont  la  section  horizontale,  faite  au  niveau  ab,  est  tracée  en  C,  n'ont, 
en  fait  de  membre  horizontal,  qu'une  bague  dissimulée  dernière  les 
pyramidions  inférieurs.  Ces  pinacles  datent  de  1290.  Enfin,  les  grands 
pinacles  qui  s'appuient  sur  les  culées  des  arcs-boutants  du  chœur  de  la 
cathédrale  de  Paris,  reproduits  en  D,  qui  datent  de  1300,  n'accusent  qu'à 
peine  la  ligne  horizontale.  Là  même  l'architecte  a  évidemment  voulu 
donner  à  ce  membre  important  de  l'architecture  une  apparence  élancée. 
Les  clochetons  /" accolés  au  corps  principal  du  pinacle,  et  qui  l'épaulent, 
conduisent  l'œil  du  point  e  au  sommet,  par  une  ligne  inclinée  à  peine 
interrompue.  Ces  pinacles  sont  très-habilement  composés  et  produisent 
un  grand  effet.  Le  caniveau  qui  sert  de  chaperon  à  l'arc-boutant  conduit 
les  eaux,  à  travers  les  deux  jouées  du  clocheton  supérieur,  dans  une  grande 
gargouille  placée  à  sa  base.  Ces  quatre  pinacles  sont  figurés  à  la  môme 
échelle. 

Au  XV'  siècle,  la  ligne  horizontale^  non-seulement  n'entre  plus  dans  la 
composition  des  pinacles,  mais  encore  ceux-ci  forment  habituellement 
des  faisceaux  de  prismes  qui  se.  terminent  en  pyramides,  se  pénètrent  et 
s'élancent  les  uns  au-dessus  des  autres.  Parmi  les  pinacles  de  cette  épo- 
que,  dont  l'exécution  est  bonne,  nous  citerons  ceux  des  contre-forts  du 
chœur  de  l'église  d'Eu  (fig.  8).  En  A,  nous  en  donnons  la  section  faite 
sur  ab,  et  en  B,  quelques  détails  assez  remarquables  par  leur  exécution. 
La  silhouette  a  évidemment  préoccupé  les  architectes  auteurs  de  ces 
conceptions,  et  il  est  certain  que,  sauf  de  rares  exceptions,  elle  est  heu- 
reuse. Ces  membres  d'architecture  se  découpent  presque  toujours  sur  le 
ciel,  et  nous  avons  signalé  dans  d'autres  articles  (voy.  Clocber,  Flèche) 
es  difficultés  que  présente  la  composition  de  couronnement  ayant  l'at- 
mosphère pour  fond.  En  voulant  éviter  la  maigreur,  facilement  on  tombe 
dans  l'excès  opposé  ;  le  moindre  défaut  de  proportion  ou  d'harmonie 
entre  les  détails  et  l'ensemble  choque  les  yeux  les  moins  exercés,  détruit 
l'échelle,  fait  tache  ;  car  le  ciel  est,  pour  les  œuvres  d'architecture,  un 
fond  redoutable  :  aussi  faut-il  voir  avec  quel  soin  les  architectes  du 
moyen  âge  ont  étudié  les  parties  de  leurs  édifices  dont  la  silhouette  est 
libre  de  tout  voisinage,  et  comme  les  architectes  de  notre  temps  craignent 
d'exposer  leurs  œuvres  en  découpure  sur  l'atmosphère.  Plusieurs  ont  été 
jusqu'à  déclarer  que  ces  hardiesses  étaient  de  mauvais  goût  :  c'était  un 
moyen  aisé  de  tourner  la  difficulté,  et  cependant  neuf  fois  sur  dix  les  mo* 
Quments  se  détachent  en  silhouette  sur  ie  ciel,  car  ils  s'élèvent  au-dessus 
des  constructions  privées,  et  sont  rarement  en  pleine  lumière,  surtout 
dans  notre  climat.  Il  faut<;onsidérer,  enefl*et,  que  c'est  particulièrement 
dans  les  régions  situées  au  nord  de  la  Loire  que  les  pinacles  prennent 
une  grande  importance  et  sont  étudiés  avec  une  recherche  minutieuse. 
Le  XVI'  siècle  composa  encore  d'assez  beaux  pinacles,  mais  qu'on  ne 

vu.  —  24 


[    PINACLE   1 


i.  du  XV'  comme  hardiesse,  ni  comme  entenle  àe 


—  187   —  [  PISCINE   j 

l'harmonie  des  détails  avec  l'ensemble  et  des  proportions.  Les  pinacles 
du  XVI*  siècle  sont  habituellement  mal  soudés  à  la  partie  qu'ils  couron- 
nent, ils  ne  s'y  lient  pas  avec  cette  merveilleuse  adresse  que  nous  admi- 
rons, par  exemple,  dans  la  composition  de  ceux  du  tour  du  chœur  de 
Notre-Dame  de  Paris.  Ce  sont  des  hors-d'œuvre  qui  ne  tiennent  plus  à 
l'architecture,  des  édicules  plantés  sur  des  contre-forts,  sans  liaison  avec 
la  bâtisse.  lis  ne  remplissent  plus  d'ailleurs  leur  fonction  essentielle,  qui 
est  d'assurer  la  stabilité  d'un  point  d'appui  par  un  poids  agissant  verti- 
calement ;  ce  sont  des  appendices  décoratifs,  les  restes  d'une  tradition 
dont  on  ne  saisit  plus  le  motif. 

PISCINE,  s.  f.  Cuvettes  pratiquées  ordinairement  à  la  gauche  de  l'autel 
(côté  de  l'épitre),  dans  lesquelles  le  célébrant  faisait  ses  ablutions  après 
la  communion.  Le  docteur  Grancolas  '  s'exprime  ainsi  au  sujet  des  pis- 
cines :  a  II  y  a  deux  sortes  d'ablutions  après  la  communion,  la  première 
a  est  du  calice  et  la  seconde  est  des  mains  ou  des  doigts  du  célébrant. 
«C'étoit  le  diacre*  qui  faisoit  celle  du  calice,  comme  il  paroist  par  plu- 
«sieurs  anciens  missels;  et  le  prestre  lavoit  ses  mains,  et  c'étoit  pour 
«la  troisième  fois  qu'il  le  faisoit,  avant  que  de  venir  à  l'autel,  après  l'of- 
afrande,  et  en  suite  de  la  communion,  comme  le  dit  Ratolde,  htis  ma- 

cfiiiitf  tertià Dans  l'Ordre  romain  de  Gaïet,  il  y  a  que  le  prestre 

«n'avaloit  pas  le  vin  avec  lequel  il  lavoit  ses  doigts,  mais  on  le  jetoit 
«dans  la  piscine.  —  Yves  de  Chartres  rapporte  que  le  prestre  lavoit  ses 

cmains  après  la  communion Jean  d'Avranches  ordonne  qu'il  y  ait  un 

«vase  particulier  dans  lequel  le  prestre  lave  ses  doigts  après  la  commu- 
«nion....  Dans  les  usages  de  Citeaux,  on  mettoit  du  vin  dans  le  calice 
«pour  le  purifier,  et  le  prestre  alloit  laver  ses  doigts  dans  la  piscine, 
«puis  il  avaloit  le  vin  qui  étoit  dans  le  calice  et  en  prenoit  une  seconde 
«fois  pour  purifier  encore  le  calice 

«J'ajouteray  que  Léon  IV,  dans  une  oraison  synodale  aux  curez, 
«ordonne  qu'il  y  ait  deux  piscines  dans  chaque  église,  ou  dans  les 
«  sacristies,  ou  proche  des  autels  :  a  Locm  in  secretario  aut  juxta  altare 
«iiV  prcBparatuSy  ubi  aqua  effundi  possù  guandô  vasa  sacra  abluuntttr,  et 
«{'il  linteum  nitidum  cum  aqua  dependeat,  ut  ibi  sacerdos  manus  lavet 
ftpost  communianem.  »  C'étoit  pour  laver  les  mains  après  la  commu- 
«nion.  Ratherius,  évèque  de  Ravenne,  dans  ses  instructions,  ordonne  la 
«même  chose.  Saint  Ùldaric  (ou  Udalric)>  dans  les  anciennes  coutumes 
«  de  Gluny,  parle  de  deux  piscines  :  dans  l'une  on  purifioit  le  calice, 
«et  dans  l'autre  on  lavoit  les  mains  après  le  sacrifice....;  le  diacre  et 

«le  soudiacre  lavoient  aussi  leurs  mains »  Lebrun-Desmarettes, 

dans  ses  Voyages  liturgiques  ',  à  propos  de  ce  qui  se  pratiquait  à  la 
cathédrale  de  Rouen  après  la  communion,  dit  :  a  Le  prêtre,  après  la 

'  Us  anciennes  liturgies.  Paris^  1697^  t.  I^  p.  692. 

'  Voyages  iiiurgiques,  par  le  sieur  de  Mauléoii  (Lebrun-Desmarettes).  Paris,  4718. 


[  PISCINE  ]  —   188   — 

«  communion,  ne  prenoit  aucune  ablution  ;  mais  seulement  pendant  que 
«  les  ministres  de  Tautel  coramunioient  du  calice,  un  acolyte  apporloit 
«un  autre  vase  pour  laver  les  mains  du  prêtre,  comme  on  fait  encore 
«  aujourd'hui  à  Lyon,  à  Chartres  et  chez  les  Chartreux,  et  comme  on 
a  faisoit  encore  à  Rouen  avant  le  dernier  siècle,  afin  qu'il  ne  fût  pas 
«obligé  de  prendre  la  rinçure  de  ses  doigts  ^  »  Et  plus  loin-  :  «La 
«  dernière  ablution  avec  Teau  et  le  vin  ne  s'y  faisoit  point  alors  (au 
«  XVII"  siècle),  et  on  n'obligeoit  point  le  prêtre  de  boire  la  rinçure  de  ses 
«  doigts.  Il  alloit  laver  ses  mains  à  la  piscine  ou  lavoir  qui  étoit  proche 
«  de  l'autel,  sacerdos  vadat  ad  lavatorium,  La  môme  chose  est  marquée 
«dans  le  missel  des  Carmes  de  l'an  157ù.  Et  le  rituel  de  Rouen  veut 

«qu'il  y  en  ait  proche  de  tous  les  autels »  Guillaume  Durand >  dit 

qu'auprès  des  autels  on  doit  placer  une  piscine  ou  un  bassin  dans  lequel 
on  se  lave  les  mains.  M.  l'abbé  Crosnier,  dans  une  notice  publiée  dans 
le  Bulletin  monumental^ ^  pose  ces  diverses  questions  qu'il  cherche  à 
résoudre  :  «  1^  Le  prêtre  a-t-il  toujours  pris  les  ablutions  à  la  fin  de  la 
«messe?  2*  La  disciplihe  de  l'Église  sur  ce  point  a-t-tUe  été  unifornae 
«jusqu'au  xiTi*  siècle?  3"  A-t-elle  été  modifiée  à  cette  époque,  et  qui  est 
«l'auteur  de  cette  modification  ?  4"  Quelle  est  l'origine  de  la  double pis- 
«cine  qu'on  remarque  dans  presque  toutes  les  églises  du  xiii*"  siècle? 
«  S*"  L'usage  de  prendre  les  ablutions  a-t-il  été  universel  et  sans  excep- 
«  tions  depuis  le  xiu^  siècle  ?  »  Jusqu'au  xii*  siècle  le  prêtre  lavait  ses 
mains,  à  la  fin  des  saints  mystères,  dans  la  piscine.  Nous  venons  de  voir 
que,  d'après  un  ancien  ordinaire  de  Rouen,  le  prêtre  ne  prenait  aucune 
ablution  ;  celle-ci  était  versée  dans  la  piscine  pendant  que  les  ministres 
communiaient  sous  l'espèce  du  vin. 

Yves  de  Chartres  s'exprime  ainsi  au  sujet  des  ablutions  :  «  Après  avoir 
«  touché  et  pris  les  espèces  sacramentelles,  le  prêtre,  avant  de  se 
«  retourner  vers  le  peuple,  doit  se  laver  les  mains  et  l'eau  est  jetée  dans 
«  un  lieu  sacré  destiné  à  cet  usage.  »  «  Cependant,  dit  M.  l'abbé  Cros- 
«  nier  ^,  par  respect  pour  les  Saintes  Espèces,  déjà  avant  le  xiii"  siècle, 
«  on  trouve  dans  les  ordres  religieux  l'usage  de  prendre  les  ablutions  ;  il 
«  paraissait  inconvenant  de  verser  dans  la  même  piscine  l'eau  qui  avait 
«  servi  à  laver  les  mains  avant  la  préface,  et  le  liquide  employé  pour  la 
«  purification  du  calice  et  des  doigts  après  les  Saints  Mystères  ;  aussi  ou 
tt  trouve  dans  les  anciennes  coutumes  de  Cluny  trois  ablutions  prises  par 
«  le  prêtre  après  la  communion,  une  pour  le  calice  et  .deux  pour  les 
a  mains » 

Le  pape  Innocent  III  ayant  décidé  que  les  ablutions  devaient  être  prises 

'  Cette  rinçure  était  probablement  jetée  dans  la  piscine. 

*  Page  315. 

'  Rational  des  divins  offices,  liv.  I,  chap.  xxxix. 
<  1849,  tome  V  de  la  ?•  série,  p.  55, 

•  Loc,  cit^ 


—   189  —  [  PISCINE  ] 

par  ie  prêtre,  «  on  a  voulu,  ajoute  M.  l'abbé  Grosnier,  tout  à  la  fois  con- 
«  server  les  anciens  usages  et  tenir  compte^  sinon  de  la  décision  du  pape, 
«du  moins  des  motifs  qui  l'avaient  suscitée.  On  établit  deux  piscines, 
«l'une  réservée  aux  ablutions  proprement  dites,  et  l'autre  destinée 
«à  recevoir  les  eaux  ordinaires » 

C'est  en  effet  à  dater  de  la  fin  du  xii*"  siècle ,  qu'on  voit  les  piscines 
géminées  adoptées  dans  les  chapelles  des  églises  cathédrales  et  conven- 
tuelles, plus  rarement  dans  les  églises  paroissiales.  Les  piscines  géminées 
ou  simples  disparaissent  vers  le  xv*  siècle,  alors  que  l'usage  de  prendre 
les  ablutions  est  admis  dans  toutes  les  églises. 

Peut-être  avant  le  xii*  siècle  avait-on  des  piscines  transportables,  des 
bassins  de  métal  qu'on  plaçait  auprès  de  l'autel,  car  ce  n'est  qu'à  dater 
de  cette  époque  qu'on  voit  la  piscine  faire  partie  de  l'édifice,  qu'elle 
est  prévue  dans  la  construction  ;  encore  les  premières  piscines  paraissent- 
elles  être  des  hors-d'œuvre,  des  appendices  qui  ne  s'accordent  pas  avec 
l'architecture,  tandis  qu'au  xiii'  siècle  la  piscine  est  étudiée  en  vue  de 
concourir  à  l'ensemble  de  la  structure. 

Les  chapelles  absidales  de  l'église  abbatiale  de  Saint-Denis,  qui  datent 
de  Suger,  possèdent  des  piscines  simples  en  forme  de  cuvette  accolée 
à  l'un  des  piliers.  A  la  fin  du  xii''  siècle,  dans  les  chapelles  de  l'église 
abbatiale  de  Vézelay,  nous  voyons  des  piscines  conçues  d'après  ce  même 
principe  et  qui  font  un  hors-d'œuvre.  Voici  (fig.  1)  rinre-d'elles,  qui  se 
compose  d'une  cuvette  lobée  avec  un  orifice  au  centre.  La  cuvette  porte 
sur  un  faisceau  de  colonnettes  percé  verticalement ,  de  manière  à 
perdre  les  eaux  dans  les  fondations.  C'était  un  usage  établi  générale- 
ment, lors  de  l'établissement  des  premières  piscines,  de  perdre  les  eaux 
sous  le  sol  même  de  l'église.  Plus  tard,  les  piscines  furent  munies  de 
gargouilles  rejetant  les  eaux  à  l'extérieur,  sur  la  terre  sacrée  qui  envi- 
ronnait les  églises.  Cette  piscine  de  Vézelay  pose  sur  le  banc  qui  fait 
le  tour  de  la  chapelle  et  reçoit  l'arcature  ;  sa  cuvette  est  alternative- 
ment ornée  à  l'extérieur  de  cannelures  creuses  et  godronnées  ;  la  base, 
le  faisceau  des  quatre  colonnettes  et  la  cuvette  sont  taillés  dans  un 
seul  morceau  de  pierre.  Dans  l'église  de  Montréal  (Yonne),  qui  date 
de  la  même  époque,  derrière  le  maître  autel  et  dans  le  banc  môme  qui 
reçoit  l'arcature,  est  creusée  une  cuvette  de  piscine  (fig.  2)  de  forme 
carrée.  Le  banc  servait  ainsi  de  crédence  pour  déposer  les  vases  néces- 
saires aux  ablutions.  Plus  tard,  les  piscines  prirent  une  certaine  impor- 
tance et  furent  faites  en  forme  de  niches  pratiquées  dans  les  parois  des 
chœurs  ou  des  chapelles.  L'usage  de  la  piscine  était  désormais  consacré, 
de  plus  la  cuvette  simple  était  remplacée  par  deux  cuvettes  jumelles. 
On  retrouve  beaucoup  de  piscines  de  ce  genre  dès  la  fin  du  xii*  siècle. 
Elles  affectent  la  forme  de  niches  doubles  séparées  par  un  petit  pilier,  et 
dans  la  tablette  desquelles  sont  creusées  deux  cuvettes  de  forme  carrée, 
ou  plus  habituellement  circulaires,  avec  un  orifice  au  centre  pénétrant 
dans  la  fondation. 


[  PISCINE   ]  —    190   — 

Beaucoup  d'églises  abbatiales  de  cette  époque,  des  ordres  de  Cluny  et 
de  CHeaux,  conservent  dans  leurs  chapelles  des  piscines  ainsi  disposées. 


\ 


Celle  que  nous  donnons  (flg.  3)  provient  de  l'abbaye  de  Saint-Jean  les 
Bons-Hommes.  Une  pilette  isolée  reçoit  un  sommier  portant  deux  arcs 
plein  cintre.  Oo  voit  en  A  une  entaille  pratiquée  pour  poser  une  tablette 
de  bois  ;  eu  C,  est  une  entaille  terminée  à  son  extrémité  droite  par  un 


—   i91    —  [  PISCINE  ] 

orifice.  Peut^dtre  cette  entaille  était-elle  destinée  à  recevoir  le  chalameaa. 
En  elTet,  Lebron-Desmarettes,  dans  ses  Voyages  liturgique»^,  rapporte 
que  de  son  temps  encore  il  j  avait,  dans  l'église  abbatiale  de  Cluny,  un 
petit  autel  au  cÂté  gaache  du  grand  autel  ;  que  le  petit  autel  serrait  à  la 


communion  sous  les  deux  espèces,  qui  s'y  pratiquait  les  fêles  et  dimau- 
cbes  à  l'égard  de  quelques  ministres  de  l'autel.  «Après  que  le  célébrant, 
0  ajoute-t-il,  a  pris  la  sainte  hostie  et  une  partie  du  sang,  et  qu'il  a  com- 
imunié  de  l'hostie  les  ministres  del'autel,  ils  vontau  petitautel  àcôté; 
«  et  le  diacre  ayant  porté  le  calice,  accompagné  de  deux  chandeliers,  tient 
tle  chalumeau  d'argent  par  le  milieu,  l'extrémité  étant  au  fond  du 
"cahce;  et  les  ministres  de  l'autel,  ayant  un  genou  sur  un  petit  banc 
<!  tapissé,  tirent  et  boivent  le  précieux  sang  par  ce  chalumeau.  La  même 
n  chose  se  pratique  à  Saint-Denys  en  France,  les  jours  solennels  et  les 
•  dimanches.  Ce  petit  autel  s'appelle  la  protfièse.  » 

Après  la  communion,  dit  Boquillot,  on  renfermait  le  chalumeau  dans 
l'annofVe  avec  le  calice  :  or,  des  traces  de  scellements,  visibles  dans  notre 
figure  3,  en  B,  indiqueraient  qu'une  fermeture  était  disposée  de  façon  à 
clore  cette  piscine, qui  devenait  ainsi  une  véritable  armoire;  le  calice  eût 
pu  être  déposé  sur  la  tablette  dont  l'entaille  se  voit  en  A.  Un  peu  plus 
lard,  près  delà  piscine,  on  pratiqua  souvent  une  armoire  (voyez  ce  mot). 
Dès  lors  il  ne  fut  plus  nécessaire  de  fermer  les  piscines;  aussi  voyons- 
nous  que  dès  le  commencement  du  xiii*  siècle,  celles-ci  sont  disposées 
pour  Être  ouvertes,  bien  qu'elles  soient  le  plus  souvent  ménagées  dans 
des  niches  jumelles. 

La  jolie  église  de  Villeneuve-le-Comte  (Seine-et-Marne)  conserve  dans 
la  chapelle  méridionale  une  piscine  de  ce  genre  très-délicatement  com- 

'   Va^if/ei  litvrgiques,  pur  le  eieur  de  Mauléuu  (171S),  p.  H9. 


1^   PISCINE    ]  —   192    — 

posée.  Elle  consiste  en  une  niche  séparée  en  deux  par  uae  pilette  taillée, 
ainsi  que  chacun  des  deux  jambages,  dans  un  seul  morceau  de  pierre 
(ftg.  U).  L'arcature  jumelle  est  évidée  dans  deui  dalles  de  pierre,  la  con-, 
struction  venant  se  bloquera  l'entour.  Les  cuvettes  sont  circulaires  (voj. 
le  plan},  et  nulle  trace  n'indique  que  cette  piscine  ait  jamais  été  close. 


Les  colonnette^  évidées  n  ont  pis  plus  de  h  centimëtie^  de  diamètre.  On 
voit  par  cet  exemple  déjà,  que  les  architectes  du  \in°  siècle,  une  fois  le 
programme  de  la  piscine  admis,  en  faisaient  un  motif  de  décoration  ; 
c'est  qu'en  effet  ils  n'admettaient  pas  qu'une  nécessité,  qu'un  besoin  ne 
devint  l'objet  d'une  étude  spéciale,  et  par  suite  un  moyen  d'orner  l'édi- 
fice. Nous  chercherions  aujourd'hui,  pour  ne  pas  contrarier  les  lignes  de 
la  belle  architecture,  à  dissimuler  cet  appendice;  nos  devanciers,  au  con- 
traire, le  faisaient  franchement  paraître,  bien  qu'il  ne  fût  jnmais  dans 
un  axe,  et  le  décoraient  avec  recherche.  Les  chapelles  de  la  cathédrale 
d'Amiens,  élevées  vers  1240,  possèdent  de  belles  piscines  prises  entre 
l'arcature  formant  le  soubassement;  traitées  avec  un  soin  particulier, 
ces  piscines  sont  placées  à  la  gauche  de  l'autel  (c6té  de  l'épltre),  suivant 
l'usage.  De  l'autre  côté,  en  regard,  est  pratiquée  une  armoire. 


—  193   —  (   PISCINE    ] 

Nous  donnons  (fig.  A]  un  ensemble  perspectir  de  l'une  de  ces  pis- 
cines, avec  l'arcature  qui  l'accompagne  et  lui  sert  d'entourage.  La 
figure  5&i>en  donne  le  plan.  Les  colonnettes  de  l'arcaturc  sont,  comme 
on  le  voit  par  ce  plan,  indépendautes  de  la  piscine,  qui  est  prise  aux 


• - - !,  « ■> 

\  *'- 

dépens  de  l'épaisseur  du  mur  du  soubassement.  Les  orifices  des  deux 
cuvettes  se  perdent  dans  les  fondations,  ces  piscines  n'ayant  pas  de  gar- 
gouilles extérieures. 

La  sainte  Cbapelle  du  Palais,  à  Paris,  préscnic  Également  &  la  gauche 
du  maître  autel  une  fort  belle  piscine  à  double  cuvette,  avec  crédence 
au-dessus  divisée  en  quatre  compartiments.  Celle  pisrinc  e^i  gravée 
dans  la  monogrupliie  de  la  sainte  Chapelle,  publiée  par  M.  Caillât';  elle 


[  MSCINB    ] 


se  combine,  comme  celle  que  nous  venons  de  donner,  avec  l'arcature 


—  i95  —  [  pisciNi  J 

qui  forme  la  décoration  du  soubassement  de  la  chapelle.  En  regard,  à  la 
droite  de  l'autel,  est  une  armoire  double. 

C   lit 


■•{■j^  »•■    V  \v>. 


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1— +— H 


'j: 


Quelquefois,  mais  fort  rarement,  dans  les  églises  du  xiii' siècle,  les  pis- 
cines sont  faites  en  forme  de  cuvettes  posées  sur  un  socle,  comme  celles 
de  VézelayJ  Nous  citerons  celles  des  chapelles  du  chœur  de  la  cathédrale 
de  Séez  (iln  du  xiii*  siècle),  dont  nous  donnons  (fîg.  6)  un  croquis.  Ici  les 
deux  cuvettes  n'ont  pas  la  même  forme,  l'une  est  à  pans,  l'autre  circu- 
laire; elles  reposent  sur  un  faisceau  de  branchages  fjf^uillus,  et  sont  pla- 
cées dans  les  travées  de  l'arcature.  Les  faisceaux  de  branchages  prennent 
naissance  sur  le  banc  continu  servant  de  soubassement  à  cette  arcature  '. 

Les  piscines  des  chapelles  des  xiii'^  et  xiv'  siècles  de  la  cathédrale  de 
Paris  sont  d'une  grande  simplicité,  et  ne  consistent  guère  qu'en  une 
petite  niche  lobée  portée  sur  deux  colonnettes  engagées,  ou  tombant  par 
un  chanfrein  sur  la  tablette.  Toutes  ces  piscines  possèdent  des  gargouilles 
à  l'extérieur.  Les  piscines  des  chapelles  du  chœur  de  la  cathédrale  de 
Reims  étaient  fermées  par  des  volets  de  bois  et  servaient  en  môme  temps 
d'armoires. 

Le  XIV*  siècle  fit  des  piscines  très-délicates  et  riches  de  sculpture. 
Nous  citerons  parmi  les  plus  remarquables  celle  du  chœur  de  l'église 
Saint-Urbain  de  Troyes^.  Elle  contient  deux  cuvettes  partagées  par  une 
pilette  centrale  et  terminées  par  deux  gables  décorés  d'un  couronnement 
de  la  sainte  Yierge  et  de  deux  figurines  des  deux  donateurs,  le  pape 
Urbain  lY  et  le  cardinal  Aucher.  Quatre  dais  refouillés  avec  art  couron- 
nent ces  figurines  et  sont  surmontés  de  merlons  entre  lesquels  appa- 


'  n  y  a  toujours  un  banc  devant  les  piscines. 

'  Cette  piscine  dftte  des  dernières  années  du  im*  siècle,  mais  appartient,  par  son 
ornementation,  an  xiy^  siècle.  Nous  avons  eu  plusieurs  fois  l'occasion  d'observer  que 
l'église  Saint-Urbain  de  Troyes  est  en  avance  de  vingt-cinq  ans  au  moins  sur  rarcbitec- 
tare  de  me-de-Prance. 


[  riscisB  ]  —  190  — 

missent  des  archers  paraissant  dérendre  l'édiculc.  Cette  piscine  est  lri«i- 
bien  gravée  dans  les  Annales  archéologiques',  d'après  un  dessin  ilc 
M.  BœbwiKvald,  et  nous  croyons  n'avoir  mieux  à  faire  que  de  renvojer 
nos  lecteurs  à  celle  reproduclion  elà  la  notice  do  M.  Didron  qui  l'accom- 


pagne. La  piscine  de  Saint-Urbain  n'est  pas  la  seule  qui  soit  couronnée 
par  un  crénelage  ;  nous  citerons  aussi  celles  des  cliapelles  absidales  de 
l'église  de  Seraup  en  Auxois,  qui,  bien  qu'antérieures  de  soixante  ans 
à  celle  de  Saint-Urbain,  sont  de  même  crénelées  à  leur  sommet*.  Les 
piscines  deviennent  rares  au  xv°  siÈcle,  probablement  parce  que  l'usage 
de  prendre  les  ablutions  était  généralement  admis.  Cependant  nous  en 
trouvons  quelques  exemples,  mais  les  cuvettes  doubles  ne  sont  plus  pra- 
tiquées. Dans  l'une  des  chapelles  latérales  de  l'église  de  Semnreo  Auxois 
il  existe  une  jolie  piscine  du  xv*  siècle,  que  nous  donnons  ici  (fig.  7).  La 

'  Tome  VII,  p.  36, 

*  L'une  de  ces  piscineiaëlé  i^avée  àuitUn  Annales  archéulogiqua,  t.  IV,  p.  S7.  Os 
piiciues  snnt  A  une  seule  cuvelle.  On  voit  mai,  dam  lo  rhnpelle  loténlc  de  l'église  de 
Saint-Thibaul  (Câlc-d'Or),  une  piicinc  du  iiv*  siècle,  à  euTette  aai 
un  daii  créndi'. 


—  197  —  1  mciNB  ] 

cuvolte  est  portée  sur  une  colonnelle,  ei  dans  la  niche  pratiquée  nu- 


"^ 


\î 


dessus  est  une  petite  crédence  pour  poser  les  vases.  Un  dais  très-riche 


[    PLAFOND  ]  —   198   — 

surmonte  le  tout.  En  A,  nous  donnons  la  section  de  cette  piscine  sur  ab; 
en  B,  sur  cd.  On  voit  d'ailleurs  dans  les  églises  françaises  des  xiii*  et 
XIV*  siècles  un  nombre  prodigieux  de  piscines  toutes  variées  de  forme 
et  d'une  composition  charmante.  C'est  dans  ces  accessoires  qu'on  peut 
observer  la  fertilité  singulière  des  architectes  de  cette  époque.  Bien 
rarement  ils  reproduisent  un  exemple  môme  remarquable  ;  avec  la  col- 
lection des  piscines,  on  ferait  un  ouvrage  entier  fournissant  des  compo- 
sitions  variées  à  l'infini  d'un  même  objet. 

PLAFOND,  s.  m.  (lambris).  Ce  que  nous  appelons  plafond  aujourd'hui 
dans  nos  constructions,  c'est-à-dire  ce  solivage  de  niveau  latte  et  enduit 
par-dessous,  de  manière  à  présenter  une  surface  plane,  n'existait  pas, 
par  la  raison  que  le  plafond  n'était  que  l'apparence  de  la  construction 
vraie  du  plancher,  qui  se  composait  de  poutres  et  de  solives  apparentes, 
plus  ou  moins  richement  moulurées  et  même  sculptées.  Ces  plafonds 
figuraient  ainsi  des  parties  saillantes  et  d'autres  renfoncées,  formant 
quelquefois  des  caissons  ou  augets  qu'on  décorait  de  profils  et  de  pein- 
tures. Il  ne  nous  reste  pas  en  France  de  plafonds  antérieurs  au  xiv*  siècle, 
bien  que  nous  sachions  parfaitement  qu'il  en  existait  avant  cette  époque, 
puisqu'on  faisait  des  planchers  qu'on  se  gardait  d'enduire  par-dessous. 
Les  enduits  posés  sur  lattis  sous  les  planchers  ont,  en  effet,  l'inconvé- 
nient grave  de  priver  les  bois  de  l'air  qui  est  nécessaire  à  leur  conserva- 
tion, de  les  échauffer  et  de  provoquer  leur  pourriture.  Des  bois  laissés  à 
l'air  sec  peuvent  se  conserver  pendant  des  siècles;  enfermés  dans  une 
couche  de  plâtre,  surtout  s'ils  ne  sont  pas  d'une  entière  sécheresse,  ils 
travaillent,  fermentent  et  se  réduisent  en  poussière.  Nous  ne  croyons  pas 
nécessaire  d'insister  sur  ce  fait  bien  connu  des  praticiens  *. 

Le  plafond  n'était  donc,  pendant  le  moyen  âge,  que  le  plancher. 
C'était  la  construction  du  plancher  qui  donnait  la  forme  et  l'apparence 
du  plafond  ;  il  ne  venait  jamais  à  l'idée  des  maîtres  de  cette  époque  de 
revêtir  le  dessous  d'un  plancher  de  voussures,  de  compartiments  et 
caissons  de  bois  ou  de  plâtre,  n'ayant  aucun  rapport  avec  la  combinaison 
donnée  par  la  construction  vraie.  Il  serait  donc  difficile  de  traiter  des 
plafonds  du  moyen  âge  sans  traiter  également  des  planchers,  puisque 
les  uns  ne  sont  qu'une  conséquence  des  autres;  aussi  nous  confondrons 
ces  deux  articles  en  un  seul. 

Si  les  pièces  étaient  étroites,  si  entre  les  murs  il  n'existait  qu'un  espace 
de  deux  ou  trois  mètres,  on  se  contentait  d'un  simple  solivage  dont  les 
extrémités  portaient  sur  une  saillie  de  pierre,  ou  dans  des  trous,  ou  sur 
des  lambourdes  ;  mais  si  la  pièce  était  large,  on  posait  d'abord  des  poutres 
d'une  force  capable  de  résister  au  poids  du  plancher,  puis  sur  ces  poutres 
un  solivage.  Cette  méthode  était  admise  dans  l'antiquité  romaine  et  elle 

1  L'usage  des  planchers  de  fer  justifie  au  coutraire  Tadoption  des  sous^surfaces  planes 
et  eoduitef, 


—    199  —  [  PLAFOND   ] 

Tut  suivie  jusqu'au  xvi*  siècle.  Lorsque  les  poutres  avaienLde  très-graodes 
portées,  les  constructeurs  ne  se  faisaient  pas  faute  de  les  armer  pour  leur 
donner  du  roide  et  les  empêcher  de  fléchir  sous  le  poids  des  solivages.  Il 
est  clair  que  ces  sortes  de  planchers  prenaient  beaucoup  de  hauteur; 
mais  nos  devanciers  ne  craignaient  pas  les  saillies  produites  par  tes  pou- 
tres, et  les  considéraient  même  comme  un  mojren  décoratif. 
Les  poutres  (fig.  1]  avaient  en  général  peu  de  portée  dans  les  murs, 


mais  étaient  soulagées  par  des  corbeaux  de  pierre  plusoumoinssaillants. 
Si  ces  poutres  étaient  ornées  de  profils  sur  leurs  arêtes,  ceuz<ci  n'apparais- 
saient qu'au  delà  de  la  portée  sur  les  corbeaux.  Dans  les  planchers  les 
plus  anciens,  les  solives  posent  d'un  bout  seulement  sur  ces  poutres, 
ainsi  qu'il  est  figuré  en  B  ;  de  l'autre,  dans  une  rainure  pratiquée  dans  la 
muraille,  dans  des  trous  ou  sur  une  lambourde  C,  comme  on  le  voit 
en  D,  laquelle  lambourde  est  posée  elle-même  sur  des  corbelets  ou  un 


[    PLAFOND   ]  —   200  — 

profil  continu.  Comme  il  arrivait  fréquemment  que  ces  solives  se  con- 
tournaient, n'étant  maintenues  ni  par  des  tenons,  ni  par  des  chevilles, 
on  posait  alors  entre  leurs  portées,  sur  les  poutres  et  les  lambourdes, 
des  entreloises  E  formant  clefs  et  chevillées  obliquement.  Ce  moyen  roi- 
dissait  beaucoup  les  solivages  et  les  poutres.  Les  enlrevous  des  solives 
posées  anciennement  tant  pleins  que  vides,  ou  étaient  enduits  sur  bar- 
deaux, ou  bien  garnis  de  merrains  G  posés  transversalement.  Les  joints  de 
ces  merrains  étaient  masqués  par  des  couvre-joints  H,  qui  formaient  entre 
les  solives  comme  autant  de  petits  caissons.  Sur  ces  merrains  on  étendait 
une  aire  de  plâtre  ou  de  mortier  I,  puis  le  carrelage  K.  Les  bois  de  ces 
plafonds  restaient  rarement  apparents  ;  ils  étaient  habituellement  cou- 
verts de  peinture  en  détrempe  qu'on  pouvait  renouveler  facilement.  On 
voit  encore  bon  nombre  de  ces  plafonds  des  xiu*  et  xiv*  siècles  sous  des 
lattis  plus  modernes,  dans  d'anciennes  maisons.  Quelquefois  les  poutres 
et  les  solives  elles-mêmes  sont  très-délicatement  moulurées. 

Ce  système  de  planchers  employait  une  grande  quantité  de  bois  et 
exigeait  des  solives  d'un  assez  fort  équarrissage  :  car,  nous  l'avons  dit 
déjà,  on  posait  ces  solivages  tant  pleins  que  vides.  Il  se  prêtait  parfaite- 
ment à  couvrir  des  pièces  longues,  de  grandes  salles,  des  galeries;  mais 
pour  des  chambres,  des  pièces  à  peu  près  carrées,  il  n'offrait  pas  la 
rigidité  que  l'on  cherche  dans  des  pièces  très-habitées  et  garnies  de 
meubles  lourds.  On  essaya  donc  au  xiv'  siècle  de  remplacer  ce  système 
si  simple  par  un.  autre  d'un  effet  plus  agréable  et  présentant  plus  de 
rigidité.  Ainsi  (fig.  2],  une  salle  étant  donnée,  dont  le  quart  est  tracé 
en  ABCDj'^deux  poutres  principales  E  étaient  posées.  Quatre  cours  de 
poutrelles  F,  formant  entreloises,  venaient  s'assembler  à  repos  dans  ces 
poutres  et  des  cours  de  solives  G  s'assemblaient  de  môme  dans  les  pou- 
trelles. En  H,  nous  donnons  la  coupe  de  ce  plancher  faite  sur  ab.  Les 
poutrelles  reposaient  le  long  des  murs  sur  des  corbeaux  I,  et  des  lam- 
bourdes K  engagées  dans  une  rainure  remplissaient  les  intervalles  entre 
les  poutrelles  et  recevaient  les  abouts  des  solives.  Les  assemblages  des 
pièces  de  ce  plafond  sont  tracés  en  L.  La  poutre  est  profilée  en  P,  avec  les 
repos  des  poutrelles  en  M.  Celles-ci, N,  possèdent  un  tenon  à  queue-d'aronde 
quis'embrève  dans  le  repos  M,  et  des  repos  R  qui  reçoivent  les  tenons  S 
des  solives  également  taillées  à  queue-d'aronde.  Des  planches  d'un  pouce 
et  demi  étaient  posées  en  long  sur  les  solives  et  maintenues  par  les  lan- 
guettes T.  Ce  système  d'embrévements  à  queue-d'aronde  donnait  beau- 
coup de  rigidité  au  plancher,  empêchait  l'écartement  et  le  chantour- 
nementdes  bois.  Les  pièces  moulurées  formaient  une  suite  de  caissons 
d'une  apparence  très-riche  et  très-agréable.  Nous  avons  vu  des  plafonds 
ainsi  construits  dans  des  maisons  des  petites  villes  de  Saint-Antonin  et  de 
Cordes,  qui  n'avaient  souffert  aucune  altération.  Ces  plafonds,  de  beau 
chêne  ou  môme  de  sapin,  n'avaient  jamais  été  décorés  de  peintures  et 
présentaient  un  lambris  d'une  belle  couleur.  Non  contents  de  les  décorer 
de  moulures,  les  architectes  les  enrichirent  encore  de  sculptures.il  existe 


dans  une 

2 


_   201    —  [   PLAPOMD  1 

de  lu  rue  du  Marr,  n"  1,  à  Reims,  un  magniQque  pla- 


fODd  de  bois  sculpté  du  XV  siècle,  conçu  suivaiU  ce  principe,  tl  qui  esl 

vu.  —  26 


[    PLAFOND   ]  —    202   — 

aillant  une  œuvre  de  menuiserie  que  de  charpenlerie  ^  Il  recouvre  une 
salle  de  15  mètres  de  longueur  sur  6"*, 50  de  largeur,  et  se  divise  en  cinq 
travées  séparées  par  six  poutres,  les  deux  d'extrémités  formant  lambour- 
des. La  figure  3  donne  une  partie  d'une  de  ces  travées,  Tensemble  du 
plafond  étant  tracé  en  A.  Entre  les  poutres  Psont  posées  les  solives  S  avec 
tenons  à  leurs  extrémités.  Les  solives  sont  roidies  par  des  entretoises  E. 
Des  panneaux  B  remplissent  les  intervalles.  Ces  panneaux  sont  décorés 
de  parchemins  plies.  Les  poutres  sont  sculptées  latéralement  et  sous 
leur  parement;  des  culs-de-lampe  sont  rapportés  sous  les  abouts  des 
solives. 

Des  détails  sont  nécessaires  pour  expliquer  l'assemblage  et  la  décora- 
tion de  ce  plafond  ;  nous  les  donnons  dans  la  figure  U.  En  A,  est  tracée  la 
moitié  du  profil  des  poutres;  la  ligne  ponctuée  a  indique  la  portée  de  la 
solive  B.  Les  culs-de-lampe  C  ont  leur  tailloir  pincé  en  b  sous  cette 
portée.  Les  entretoises  D  sont  arrêtées  sur  les  solives,  ainsi  que  l'indique 
le  tracé  perspectif  D'  ;  un  épaulement  E,  légèrement  incliné,  reçoit  leur 
about.  En  G,  nous  donnons  une  coupe  sur  les  solives,  avec  Tabout  de 
la  poutre  près  de  sa  portée.  En  supposant  le  solivage  enlevé,  la  poutre 
présente  le  tracé  H.  On  voit  ainsi  que  les  culs-de-lampe  sont  indépen- 
dants et  laissent  passer  derrière  leur  extrémité  inférieure  les  moulures 
sculptées  sur  les  poutres.  Ce  détail  explique  assez  combien  ce  plafond, 
partie  charpenterie,  partie  menuiserie,  présente  de  roideur;  son  aspect 
est  agréable  sans  trop  préoccuper  le  regard,  ce  qui  est  important,  car  les 
architectes  du  moyen  âge  et  môme  ceux  de  la  renaissance  ne  pensaient 
pas  encore  à  ces  compositions,  majestueuses  aux  yeux  des  uns,  grotesques 
aux  yeux  de  beaucoup  d'autres,  dont  on  a  couvert  les  plafonds  depuis 
le  xvii'  siècle,  compositions  qui,  h  tout  prendre,  ne  sont  que  des  plâ- 
trages peints  et  dores  sur  des  lattis,  accrochés  avec  des  crampons  de  fer, 
des  apparences  masquant  une  grande  pauvreté  de  moyens  sous  une  cou- 
verte de  moulages  rapportés,  simulant  des  marbres  et  des  bronzes,  voire 
quelquefois  des  tentures  ! 

Dans  la  construction  de  leurs  planchers,  et  par  conséquent  de  leurs 
plafonds,  les  maîtres  du  moyen  âge  étaient  toujours  vrais  ;  ils  montraient 
et  paraient  la  structure.  Il  y  avait  plus  de  mérite  à  cela,  pensons-nous, 
qu'à  mentir  sans  vergogne  aux  principes  élémentaires  de  la  construction. 
On  se  préoccupait  d'abord  des  combinaisons  des  pièces  de  charpente, 
puis  on  cherchait  à  les  décorer  en  raison  même  de  cette  combinaison. 

Dans  les  provinces  méridionales  de  la  France,  on  employait  aussi  les 
plafonds  rapportés  et  cloués  sur  les  solives;  c'est-à-dire  que  sous  le  soli- 
vage on  clouait  des  planches,  et  sur  ces  planches  des  moulures  formant 
tics  compartiments  décorés  de  peintures.  Ces  sortes  de  plafonds  étaient 
d'une  grande  richesse,  et  en  môme  temps  présentaient  la  légèreté  que 

*  M.  Tliicrol,  architecte  à  KciiiiS;  a  bien  voulu  relever  pour  nous  ce  plarond  avec  le 
plus  ^^rand  soin. 


l'œil  aime  à  trouver  dans  les  parties  supérieures  d'une  pièce.  Ce  procédé 


[   PLAFOND   J  —    20Û    — 

a  été  encore  employé  pendant  la  renaissance,  et  le  plafond  de  la  galerie 
de  François  I",  à  Fontainebleau,  en  donne  un  charmant  exemple  '. 


<  Ce  plofond  a  été  milhearfugcnieDt  remanié.  Nou!  parlons  de  celui  qni  eiistail 
■Tinl  ISaS.  A  VenlM,  on  Tojt  encore  de  beiux  plafonds  eiécutée  d'aiirèi  ce  lystème.  On 
es  trouve  >uui  en  Eapigne,  et  notaninient  à  Tolède.  Lei  hdieli  do  TouIoum  an  préxa- 
tainit  encore  qoelquei-nnt  il  ;  a  peu  d'année». 


—  205  —  [  ruFOND  ] 

Notre  siècle,  qui  est  un  peu  trop  pénétré  de  la  conviction  qu'il  invente 

chaque  jour,  ne  doute  pas  que  les  plafonds  composés  de  voûtaîns  de 

briques  posés  sur  des  solivages  de  bois  ou  fer  sont  une  innovation  ;  or,  voici 

(Bg.  5,  en  A)  un  plafond  posé  dans  une  maison  de  la  fin  du  xv*  siècle,  à 


Chartres,  rue  Sainl-Père,  qui  nous  donne  une  combinaison  de  ce  genre. 
Les  solives  B  sont  posées  sur  l'angle  et  scellées  dans  les  murs  ;  sur  leurs 
plats  b  sont  bourdes  des  voûtains  de  briques  posés  en  épi.  Ces  briques  ont 
1  centimètres  d'épaisseur  sur  10  centimètres  de  câté.  Les  reins  C  sont 
remplis  de  maçonnerie  sur  laquelle  pose  le  carrelage  D.  Les  solives 
ont  33  centimètres  de  c6té  (un  pied)  et  placées  sur  la  diagonale;  elles  of- 
frent une  grande  raideur.  Ce  plafond,  d'une  portée  assez  faible,  produit 
QD  très-bon  effet,  et  peut  facilement  6tre  décoré  et  maintenu  propre.  A 
Troyes,  dans  l'hôtel  de  l'Aigle,  dit  de  Mauroy,  rue  de  la  Trinité,  il  existe 
un  plafond  du  x  V  siècle,  entièrement  de  bois  (voyez  le  tracé  G),  qui  pré- 


[   PLAFOND   ]  —  206  — 

sente  des  solives  refendues  E  suivant  leur  diagonale,  et  posées  comme  le 
fait  voir  la  figiire  5.  Dans  l'angle  rentrant  formé  par  la  juxtaposition  de 
ces  solives  sont  clouées  des  chanlattes  I,  puis  sur  le  tout  des  madriers  K. 
en  travers.  Ces  solives  s'assemblent  dans  des  poutres,  dont  nous  donnons 
la  demi -section  en  L.  Quelquefois  les  angles  saillants  de  ces  solives  refen- 
dues sont  chanfreinés,  ce  qui  donne  au  plafond  une  apparence  de  légè- 
reté peu  commune.  La  mode  du  majestueux  (car  le  majestueux  est  une 
des  modes  les  plus  durables  en  ce  pays,  qui  en  change  si  volontiers)  a 
délruit  ou  recouvert  de  lattis  beaucoup  de  ces  plafonds  du  moyen  âge 
ou  de  la  renaissance.  Il  faut  être  à  la  piste  des  démolitions  de  nos  plus 
vieux  hôtels  pour  découvrir  sous  des  plâtrages  des  combinaisons  souvent 
très-ingénieuses.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  lors  de  la  démolition  de 
l'hôtel  de  la  Trémoille,  à  Paris,  nous  avons  vu  sous  des  lattis  recouverts 
de  moulures  de  plâtre,  des  solivages  très-délicatement  travaillés,  posés 
sur  des  poutres  et  formant  une  suite  de  gracieux  caissons  carrés.  C'était 
une  combinaison  analogue  à  celle  donnée  dans  la  figure  3,  si  ce  n'est 
que  les  entretoises  étaient  assemblées  à  tiers  de  bois  avec  les  solives  et 
laissaient  des  intervalles  parfaitement  carrés.  Chacun  de  ces  intervalles 
élait  rempli  par  un  panneau  sculpté  d'arabesques;  le  tout  avait  été  peint 
et  doré.  L'Angleterre,  plus  conservatrice  que  nous  de  ses  vieux  édifices 
{ce  qui  ne  l'empêche  pas  d'être  à  la  tête  des  idées  de  progrès),  pos- 
sède encore  de  beaux  plafonds  des  xv*  et  xvi*  siècles,  en  bois  mouluré  et 
sculpté.  Si  les  portées  des  poutres  étaient  très-longues,  celles-ci  étaient 
souvent  armées,  c'est-à-dire  composées  de  deux  moises  pinçant  deux 
pièces  inclinées  formant  arbalétriers  ou  surmontées  de  deux  véritables 
arbalétriei's  noyés  dans  l'épaisseur  du  solivage  et  du  carrelage.  Des 
étriers  de  fer  forgé  et  orné  suspendaient  la  poutre  aux  deux  arbalétriers; 
ces  étriers  contribuaient  à  la  décoration  de  la  poutre,  et  les  moulures 
entaillées  sur  ses  arêtes  vues  s'arrêtaient  au  droit  des  ferrures.  On  voit 
fréquemment  des  plafonds  figurés  ainsi  dans  des  vignettes  de  manuscrits 
du  XV*  siècle. 

Comme  on  se  fatigue  de  tout,  même  des  choses  qui  ne  sont  justifiées 
ni  par  la  raison  ni  par  le  goût,  nous  pouvons  espérer  voir  abandonner 
un  jour  les  lourds  plafonds  à  voussures  et  à  gros  caissons,  à  figures 
ronde  bosse  et  à  draperies  entremêlées  de  guirlandes  et  de  pots,  si  fort 
en  vogue  depuis  le  règne  de  Louis  XIV,  et  revenir  aux  plafonds  dont 
la  forme  serait  indiquée  par  la  structure,  qu'elle  soit  de  bois  ou 
de  fer. 

Il  faut  observer  ici  que  dès  le  xv*  siècle,  entre  les  solives  des  planchers, 
on  faisait  souvent  des  entrevous  en  plâtre  enduits  sur  bardeaux,  posés 
sur  tasseaux  cloués  aux  deux  tiers  de  l'épaisseur  de  la  solive,  tant 
pour  empêcher  la  poussière  de  tamiser  entre  les  languettes  des  planches 
de  recouvrement  que  pour  éviter  la  sonorité  des  planchers  entièrement 
dé  bois.  Ces  entrevous  étaient  peints  et  même  quelquefois  décorés  de 
reliefs  en  plâtre.  On  voit  quelques  plafonds  de  ce  genre  dans  de  vieilles 


-    207   —  [  PLATRE   ] 

maisons  d'Orléans.  Au-dessus  des  entrevous,  on  laissait  un  isolement, 
puis  on  posait  des  bardeaux  sur  les  solives,  et  Ton  formait  des  augets,  éga- 
lement en  plâtre,  dans  lesquels  on  tassait  le  cran,  la  marne  ou  môme 
la  terre  destinés  à  recevoir  le  carrelage. 

PLATE-BANDE,  s.  f.  On  appelle  ainsi  un  linteau  appareillé  en  claveaux. 
La  plate-bande,  ou  réunion  de  pierres  horizontalement  posées  sur  deux 
pieds-droits,  étant  en  principe  de  construction  un  appareil  vicieux,  les 
architectes  du  moyen  âge  ne  Tout  guère  plus  employée  que  les  Grecs. 
Les  Grecs  n'admettaient  pas  lare,  et  s'ils  avaient  à  franchir  un  espace 
entre  deux  piliers,  deux  pieds-droits  ou  deux  colonnes,  ils  posaient 
sur  les  points  d'appui  verticaux  un  monolithe  horizontal.  Les  Ro- 
mains procédèrent  de  même  dans  la  plupart  des  cas,  bien  qu'ils  eussent 
déjà  appareillé  des  linteaux  et  qu'ils  en  aient  fait  ainsi  de  véritables 
plates-bandes.  Les  architectes  du  moyen  âge,  sauf  de  très-rares  excep- 
tions mentionnées  dans  l'article  Construction  et  Fenêtre,  ont  toujours 
repoussé  le  linteau  composé  de  claveaux.  S'ils  craignaient  une  rupture, 
ils  bandaient  au-dessus  un  arc  de  décharge.  Nous  sommes  moins  scru- 
puleux, et  nous  posons  dans  nos  édifices  publics  ou  privés  autant  de 
plates-bandes  qu'il  y  a  de  baies  ou  de  travées  fermées  horizontalement; 
seulement  nous  avons  le  soin  de  soutenir  cet  appareil  vicieux  au  moyen 
de  fortes  barres  de  fer. 

Alors  pourquoi  ne  pas  employer  des  monolithes?  N'omettons  pas  de 
mentionner  ici,  encore  une  fois,  les  plates-bandes  de  nos  grands  monu- 
ments, comme  la  colonnade  du  Louvre,  le  Garde-Meuble,  la  Madeleine, 
le  Panthéon,  dont  les  claveaux  sont  enfilés  dans  des  barres  de  fer  sus- 
pendues par  des  tirants  à  des  arcs  supérieurs.  Les  architectes  du  moyen 
âge,  on  le  comprend,  ne  pouvaient  s'astreindre  à  mentir  de  cette 
sorte  aux  principes  les  plus  vrnis  et  les  plus  naturels  de  la  construc- 
tion, et  c'est  pour  cela  que  plusieurs  les  considérèrent  comme  des  gens 
naïfs. 

PLATRE,  s.  m.  Gypse  cuit  au  four,  broyé,  et  se  combinant  rapidement 
avec  l'eau  de  manière  à  former  un  corps  solide,  léger,  assez  dur,  et  très- 
mauvais  conducteur  du  calorique. 

C'est  un  préjugé  de  croire  que  les  constructeurs  du  moyen  âge  n'ont 
pas  employé  le  plâtre.  Cette  matière,  au  contraire,  était  admise  non-seu- 
lement dans  les  constructions  privées,  mais  aussi  dans  les  édifices  pu- 
blics. C'est  qu'en  efTet  le  plâtre  est  une  excellente  matière,  la  question 
est  de  remployer  â  propos. 

Le  plâtre  pur,  mélangé  avec  la  quantité  d'eau  convenable,  dès  qu'il 
commence  à  durcir  (ce  qui  a  lieu  presque  immédiatement  après  le  mé- 
lange), gonfle  et  prend  un  volume  plus  considérable  que  celui  qu'il  avait 
à  l'état  liquide.  A  mesure  que  l'eau  s'évapore  et  lorsqu'il  se  dessèche,  il 
perd  au  contraire  de  son  volume.  Ce  retrait,  on  le  comprend,  peut  être 


(   PLATRE  ]  —   208    — 

dangereux  dans  nombre  de  cas;  il  produit  des  tassements.  Aussi  les 
constructeurs  du  moyen  âge  n*ont-iIs  jamais  employé  le  plâtre  dans  la 
grosse  maçonnerie,  dans  ce  que  nous  appelons  la  Itmousinerie^  ni  (sauf 
des  cas  très-rares)  pour  remplir  les  lits  ou  joints  des  pierres.  Ils  posaient 
toujours  leurs  assises  de  pierre  à  bain  de  mortier^  et  pour  leurs  blo- 
cages entre  les  parements,  ils  n'employaient  jamais  que  le  mortier 
avec  du  gros  sable.  Il  arrivait  cependant  parfois  qu'il  n'était  pas  pos^ 
sible  de  poser  des  claveaux,  par  exemple,  à  bain  de  mortier,  lorsque  les 
cintres  avaient  une  très-grande  portée  et  que  les  arcs  étaient  très-épais; 
alors  on  coulait,  dans  les  joints,  du  bon  plâtre.  C'est  ainsi  qu'avaient  été 
bandés  primitivement  les  claveaux  des  arcs  de  la  rose  occidentale  de  la 
cathédrale  de  Paris;  et  il  faut  dire  que  le  plâtre  employé  était  excellent, 
car  les  lames  de  coulis  s'enlevaient  comme  de  minces  tablettes  d'un 
centimètre  d'épaisseur,  sans  se  briser. 

C'était  principalement  dans  les  intérieurs  que  les  architectes  du  moyen 
âge  employaient  le  plâtre,  pour  faire  des  entrevous  et  des  aires  sur  les 
planchers,  pour  hourder  des  pans  de  bois,  des  cloisons,  pour  faire  des 
enduits.  La  plupart  des  pans  de  bois  de  refend  des  maisons  des  xiv  et 
xv^  siècles  sont  hourdés  en  plâtre.  Nous  avons  vu  même  parfois  des  baies, 
donnant  d'une  pièce  dans  l'autre,  découpées  dans  du  plâtre.  Dans  l'ar- 
ehevôché  de  Narbonne,  sous  le  passage  de  la  porte  d'entrée,  il  existe  une 
petite  rose  du  xiv*^  siècle,  en  plâtre,  moulurée  sur  des  fentons  de  fer  et 
donnant  dans  la  grande  salle  voisine.  On  faisait  aussi  à  cette  époque  des 
manteaux  de  cheminée  en  plâtre  mouluré  et  sculpté  (voy.  CuEMiNéB),des 
corniches  d'appartements,  des  cloiets^y  des  doubles  baies  qu'on  fermait 
d'étoffes.  Très-anciennement,  pendant  l'époque  mérovingienne  et  carlo- 
vingienne  primitive,  on  avait  fait  des  cercueils  de  plâtre,  et  dans  les 
fouilles  de  vieux  cimetières  on  en  retrouve  de  nombreux  débris.  On  em- 
ployait aussi  le  plâtre  tamisé  très-fin  pour  faire  des  enduits  sur  la  pierre 
et  môme  sur  le  bois,  afin  de  pouvoir  y  appliquer  des  peintures.  Le  moine 
Théophile  parle  de  nombreux  ouvrages  de  bois  dans  lesquels  le  plâtre 
joue  un  rôle  important.  Le  plâtre  pur  non  falsifié  acquiert  une  grande 
dureté,  il  est  brillant  dans  la  cassure,  très-blanc  et  résistant.  Or,  les 
gens  du  moyen  âge,  naïfs  comme  chacun  sait,  n'avaient  pas  découvert 
tous  les  procédés  modernes  à  l'aide  desquels  on  falsifie  cette  excellente 
matière,  et  leurs  enduits  de  plâtre  sont  d'une  beauté  remarquable. 
Toutefois  le  plâtre,  même  bon,  ne  résiste  pas  aux  agents  atmosphé- 
riques, et  il  ne  peut  et  ne  doit  être  employé  qu'à  l'intérieur  ou  dans  des 
lieux  bien  abrités. 

^  Le  clotet  était  une  séparation  établie  à  demeure  ou  provisoirement  dans  une  gr&ode 
salle.  Beaucoup  de  grandes  salles  de  châteaux  avaient  ainsi  des  clotets  qui  formaient 
autant  de  cabinets  où  l'on  pouvait  se  retirer.  Ces  clotets  n'avaient  ^uèrc  que  2  mètres 
de  bauteur,  sans  plafond.  Ou  les  rempla(;a  plus  tard  par  des  paravents,  empruntés  aot 
divisions  que  les  Chinois  établissent  instantanément  dans  leurs  logis. 


—  209  —  [  PLOMBBRIJB  ] 

PLOMBERIE,  S.  f.  Ouvrages  en  plomb  battu  ou  fondu,  destinés  à  cou- 
vrir les  édifices,  à  conduire  les  eaux,  à  revêtir  des  charpentes  exposées 
à  Tair.  La  plomberie  remplit  un  rôle  important  dans  Tarchitecture  du 
moyenâge;  c'était  d'ailleurs  une  tradition  antique,  et  l'on  ne  peut  fouiller 
un  édifice  gallo-romain  sans  découvrir,  dans  les  décombres,  quelques 
débris  des  lames  de  plomb  employées  pour  le  revêtement  des  chéneaux 
et  même  des  combles.  Sous  les  rois  mérovingiens,  on  couvrait  de  plomb 
des  édifices  entiers,  églises  on  palais.  Saint  Éloi  passe  pour  avoir  fait 
couvrir  l'église  Saint-Paul  des  Champs  de  lames  de  plomb  artistement 
Iravaillées.  Eginhard  '  écrit,  dans  une  de  ses  lettres,  qu'il  s'occupe  de 
la  couverture  de  la  basilique  des  martyrs  Marcellin  et  Pierre  :  a  Un  achat 
d  de  plomb,  dit-il,  moyennant  une  somme  de  cinquante  livres,  fut  alors 
«  convenu  entre  nous.  Quoique  les  travaux  de  l'édifice,  ajoute-t-il,  ne 
«  soient  pas  encore  assez  avancés  pour  que  je  doive  m'occuper  de  la  cou- 
«  veriure,  cependant  la  durée  incertaine  de  cette  vie  semble  nous  faire 
«  un  devoir  de  toujours  nous  hâter,  afin  de  terminer,  avec  l'aide  de 
«  Dieu,  ce  que  nous  avons  pu  entreprendre  d'utile.  Je  m'adresse  donc  à 
«  votre  bienveillance  dans  l'espoir  que  vous  voudrez  bien  me  donner  des 
«  renseignements  sur  cet  achat  de  plomb m  Frodoard,  dans  son  his- 
toire de  l'église  de  Reims  ^,  rapporte  que  l'archevêque  Hincmar  fit  cou* 
vrir  de  plomb  le  toit  de  l'église  Notre-Dame.  Plus  tard,  à  la  fin  du 
xu*  siècle,  l'évéque  de  Paris,  Maurice  de  Sully,  laisse  par  testament 
cinq  mille  livres  pour  couvrir  de  plomb  le  comble  du  chœur  de  l'église 
cathédrale  actuelle.  L'industrie  du  plombier  remonte  donc  aux  premiers 
siècles  du  moyen  Age,  et  se  perpétua  jusques  à  l'époque  de  la  renais- 
sance,- sans  déchoir.  Cette  industrie  cependant  présente  dans  l'exécu* 
tion  certaines  difficultés  sérieuses  dont  nous  devons  entretenir  nos  lec« 
leurs  avant  de  faire  connaître  les  divers  moyens  qui  ont  été  employés 
pour  les  résoudre.  Le  plomb^  comme  chacun  sait,  est  un  métal  très* 
lourd,  très^malléable,  doux,  se  prêtant  parfaitement  au  martelage  ;  mais 
par  cela  même  qu'il  est  malléable  et  lourd,  il  est  disposé  toujours  à 
s'affaisser  ou  à  déchirer  les  attaches  qui  le  retiennent  à  la  forme  de  bois 
qu'il  est  destiné  à  couvrir.  Le  travail  du  plombier  doit  donc  tendre  à 
maintenir  les  lames  de  plomb  qu'il  emploie  d'une  façon  assez  complète 
pour  résister  à  l'affaissement  causé  par  la  pesanteur.  A  ce  point  de  vue, 
les  anciennes  couvertures  sont  très-judicieusement  combinées.  Déplus,  la 
chaleur  fait  singulièrement  dilater  ce  métal,  de  même  que  l'action  du 
froid  le  rétrécit.  S'il  n'est  pas  laissé  libre,  s'il  est  attaché  d'une  manière 
fixe,  il  se  boursoufle  au  soleil  et  arrache  les  attaches  pendant  les  grands 
froids.  Il  faut  donc  :  1^  qu'en  raison  de  son  poids,  il  soit  maintenu  éner- 
giquement  pour  ne  pas  s'affaisser  ;  2^  qu'il  soit  libre  de  se  dilater  ou  de 
se  resserrer,  suivant  les  changements  de  température.  D'autres  difficultés 

1  Ë^imhardi  epùiola,  xlvi,  ad  abbatem, 
'  Chap.  v. 

vu.  —  27 


[  PLOMBBRIK  ]  —  210   — 

se  présentent  lors  de  l'emploi  du  plomb  dans  les  couvertures.  Autrefois 
on  n'employait  que  le  plomb  coulé  sur  sable  en  tables  plus  ou  moins 
épaisses;  ce  procédé  a  l'avantagé  de  laisser  au  métal  toute  sa  pureté  et 
de  ne  point  dissimuler  les  défauts  qui  peuvent  se  manifester,  mais  il  a 
l'inconvénient  de  donner  aux  tables  des  épaisseurs  qui  ne  sont  pas  par- 
faitement égales,  de  sorte  que  la  dilatation  agit  inégalement  où  que  les 
pesanteurs  ne  sont  pas  partout  les  mêmes.  Le  plomb  laminé  qu'on 
emploie  assez  généralement  aujourd'hui  est  d'une  épaisseur  uniforme, 
mais  le  laminage  dissimule  des  brisures  ou  des  défauts  qui  se  mani- 
festent bientôt  sous  l'action  de  l'air,  et  qui  occasionnent  des  infiltrations. 
De  plus,  le  plomb  laminé  est  sujet  à  se  piquer  y  ce  qui  n'arrive  pas  habi- 
tuellement au  plomb  coulé.  Ces  piqûres  sont  faites  par  des  insectes  qui 
perforent  le  plomb  de  part  en  part,  et  forment  ainsi  autant  de^trous  d'un 
millimètre  environ  de  diamètre,  à  travers  lesquels  l'eau  de  pluie  se  fait 
jour.  Nous  n'avons  jamais  eu  à  signaler  de  ces  sortes  de  perforations  dans 
des  vieux  plombs  coulés,  tandis  qu'elles  sont  très -fréquentés  dans  les 
plombs  laminés.  Nous  laissons  aux  savants  le  soin  de  découvrir  la  cause 
de  ce  phénomène  singulier.  Un  autre  phénomène  se  produit  avec  l'em- 
ploi du  plomb  pour  revêtir  du  bois.  Autrefois  les  bois  employés  dans  la 
charpente  et  le  voligeage  avaient  longtemps  séjourné  dans  l'eau  et  étaient 
parfaitement  purgés  de  leur  sève;  aujourd'hui,  ces  bois  (de  chêne)  sont 
souvent  mal  purgés  ou  ne  le  sont  pas  du  tout'  :  il  en  résulte  qu'ils  con- 
tiennent une  quantité  considérable  d'acide  pyroligneux  (particulièrement 
le  bois  de  Bourgogne),  qui  forme  avec  le  plomb  un  oxyde,  de  la  céruse, 
dès  que  le  métal  est  en  contact  avec  lui.  L'oxydation  du  plomb  est  si  ra- 
pide dans  ce  cas,  que^  quelques  semaines  après  que  le  métal  a  été  posé 
sur  le  bois,  il  est  réduit  à  l'état  de  blanc  de  céruse,  et  est  bientôt  percé. 
Nous  avons  vu  des  couvertures,  faites  dans  ces  conditions,  qu'il  a  fallu 
refaire  plusieurs  fois  en  peu  de  temps,  jusqu'à  ce  que  le  plomb  eût 
absorbé  tout  l'acide  contenu  dans  les  fibres  du  bois.  Des  couches  de 
peinture  ou  de  brai  interposées  entre  le  bois  et  le  métal  ne  suffisent 
même  pas  pour  empêcher  cette  oxydation,  tant  le  plomb  est  avide  de 
l'acide  contenu  dans  le  chêne.  Les  constructeurs  du  moyen  Âge  n'avaient 
pas  été  à  même  de  signaler  ce  phénomène  chimique,  puisque  leurs  bois 
n'étaient  jamais  ihis  en  œuvre  que  purgés  compietement.de  leur  sève,  et 
leurs  couvertures  ne  présentent  point  trace  de  blanc  de  céruse  lorsqu'on 
en  soulève  les  tables. 

Il  en  est  de  la  couverture  de  plomb  comme  de  beaucoup  d'autres 
parties  de  la  construction  des  bâtiments  ;  nous  sommes  un  peu  trop 
portés  à  croire  à  la  perfection  de  nos  procédés  modernes,  et  trop  peu 

'  Autrefois  tous  les  bois,  outre  leur  séjour  dans  Teau,  n'arrivaient  sur  les  chantiers 
qu'après  avoir  flotté;  aujourd'hui,  les  transports  parchemins  de  fer  nous  amènent  des 
bois  qui  n'ont  pas  séjourné  du  tout  dans  l'eau  et  qui  contiennent  toute  leur  sève.  De  là 
des  inconvénients  très-graves. 


—  211    —  [  PLOMBERIE  ] 

smwieux  de  nous  enquérir  de  Texpérience  acquise  par  nos  devanciers. 
La  plomberie  est  d'ailleurs  si  intimement  liée  à  l'art  de  la  charpenterie, 
que  si  Ton  veut  couvrir  en  planches,  il  est  nécessaire,  avant  tout,  de 
s'enquérir  de  la  qualité  et  de  la  provenance  du  bois  à  employer.  Les  gens 
du  moyen  âge,  peut-être  par  suite  des  traditions  de  l'antiquité,  appor- 
taient un  soin  minutieux  dans  l'approvisionnement  et  la  mise  en  œuvre 
du  bois;  ils  n'éprouvaient  pas,  par  conséquent,  les  désappointements  que 
nous  éprouvons  aujourd'hui  en  mettant  au  levage  des  bois  verts  et  qui 
n'ont  jamais  été  baignés  dans  l'eau  courante.  On  reconnaîtra  du  moins 
que  cette  expérience,  raisonnée  ou  non,  est  bonne  et  qu'il  faut  en  tenir 
compte. 

Les  plombs  employés  pendant  le  moyen  âge  contiennent  une  assez 
notable  quantité  d'argent  et  d'arsenic;  les  nôtres,  parfaitement  épurés, 
n'ont  pas  la  qualité  que  leur  donnait  cet  alliage  naturel,  et  sont  peut-être 
ainsi  plus  sujets  à  se  piquer  et  à  s'oxyder.  Nous  avons  encore  vu  en 
place,  en  1835,  avant  l'incendie  des  combles  de  la  cathédrale  de  Chartres, 
les  plombs  qui  en  formaient  la  couverture  datant  du  xiii*  siècle.  Ces 
plombs  étaient  parfaitement  sains,  coulés  en  tables  d'une  épaisseur  de 
0',00/i  environ,  revêtus  extérieurement  par  le  temps  d'une  patine 
brune,  dure,  rugueuse,  brillante  au  soleil.  Ces  plombs  étaient  posés  sur 
volige  de  chêne,  et  les  tables  n'avaient  pas  plus  de  0'",60  de  largeur. 
Elles  étaient  d'une  longueur  de  S'^ySO  environ,  clouées  à  leur  tête  sur 
la  volige  avec  des  clous  de  fer  étamé  à  très-larges  têtes  ;  les  bords  laté- 
raux de  chacune  de  ces  tables  s'enroulaient  avec  ceux  des  tables  voi- 
sines, de  façon  à  former  des  bourrelets  de  plus  de  0",0/i  de  diamètre; 
leur  bord  inférieur  était  maintenu  par  deux  agrafes  de  fer,  afin  d'empê- 
cher le  vent  de  le  retrousser.  Voici  (fig.  1)  un  tracé  de  cette  plomberie. 

Ainsi  les  tables  étaient  fixées  invariablement  à  la  tête  en  A  ;  leurs 
bords,  relevés  perpendiculairement  au  plan,  ainsi  qu'on  le  voit  en  B, 
étaient  enroulés  Tun  avec  l'autre  et  très-solidement  maintenus  latérale- 
ment par  les  bourrelets  C.  Ces  bourrelets  enroulés  n'étaient  pas  telle- 
ment serrés^  qu'ils  empêchassent  la  dilatation  ou  le  retrait  de  chaque 
feuille.  Le  bord  inférieur  des  tables  était  arrêté  par  les  agrafes  G,  dont 
la  queue  était  clouée  sur  la  volige.  Au  droit  de  chaque  recouvrement  de 
feuilles,  l'ourlet  était  doublé,  bien  entendu,  et  formait  un  renflement  L 
EqD,  nous  donnons,  au  quart  de  l'exécution,  la  section  d'un  bourrelet. 
C'est  suivant  ce  principe  que  le  comble  de  l'église  Notre-Dame  de  Châ- 
lons-sur-Marne  est  couvert,  et  cette  couverture  date^  dans,  ses  parties 
anciennes,  de  la  fin  du  xiii*  siècle.  Ici  les  feuilles  de  plomb  étaient 
gravées  de  traits  remplis  d'une  matière  noire  formant  des  dessins  de 
figures  et  d'ornements  ;  on  voit  encore  quelques  traces  de  cette  décora- 
tion. Des  peintures  et  des  dorures  rehaussaient  les  parties  plates  entre 
ces  traits  noirs;  car  il  faut  observer  que  presque  toutes  les  plomberies 
du  moyen  âge  étaient  décorées  de  peintures  appliquées  sur  le  métal  au 
moyen  d'un  mordant  très-énergique. 


[   PIOMBEHIH   ]  —  212  — 

Les  chéneaux  de  plomb  du  moyen  âge  sont  également  posés  il  dilata- 
tion libre,  sans  soudures  et  il  ressauts.  Leur  bord  extérieur  n'est  pas  tou- 
jours maintenu,  comme  cela  se  pratique  de  nos  jours,  par  des  madriers 


de  chêne,  mais  il  s'appuie  sur  des  tringles  horizontales  de  fer  rond, 
portées  à  dislanee  assez  rapprochées  par  des  équerres  à  tiges  foi^ées. 
Voici  (fig.  3],  en  A,  le  profit  d'une  de  ces  armatures,  et,  en  B,  sa  face 
vue  sur  la  corniche  de  couronnement.  Les  équerres  C  sont  scellées  dans 
la  tablette  de  corniche,  sous  la  sablière  S  du  comble;  les  tigettes  sont 
rivées  sur  la  tringle.  La  feuille  de  plomb  du  chéneau  fixée  en  a  suit  le 
contour  a'  a",  et  vient  s'enrouler  en  6,  laissant  voir  extérieurement  les 
équerres  qui  lui  servent  de  soutien. 


—    21  s   —  [  FLOHBBRIB    ] 

Ces  feuilles  de  plomb  de  ebéneau  sont  d'une  forte  épaisseur,  d'une 
longueur  qui  n'excède  guère  1",30  (fi  pieds],  et  sont  réunies  par  des 
ouriets,  ainsi  que  le  fait  voir  le  tracé  perspectif  G.  A  chaque  ourlet,  au 


fond  du  chéneau,  est  un  ressaut,  afin  d'empocher  les  eaux  de  passer 
entre  les  joints  des  feuilles,  on  d'être  arrêtées  par  les  saillies  des  ourlets. 
D'ailleurs  les  gargouilles  d'écoulement  sont  toujours  trës-rapprochées; 
de  deux  en  deux  feuilles,  par  exemple.  Les  constructeurs  du  moyen  Age 
avaient  probablement  observé  que  le  bois  entièrement  enfermé  dans  des 
lames  de  plomb,  sans  air,  ne  tarde  pas  à  s'échauffer  et  à  se  réduire  en 
poussière.  S'ils  faisaient,  dans  des  habitations,  des  chéneaux  de  bois,  ils 
laissaient  apparente  la  face  extérieure  du  ebéneau  en  la  recouvrant  seule- 
ment d'un  fort  relief,  ainsi  que  l'indique  la  figure  9,  pour  la  préserver 
de  l'action  directe  de  la  pluie.  Les  faces  des  chéneaux  de  bois  étaient 
habituellement  moulurées,  quelquefois  même  sculptées  et  couvertes  de 
peinture  '. 


'  Mont  MOH  Tn  des  reilet  d«  cbënMUi  de  c 
d'Oriéu),  de  Bour^f. 


genre  du»  dei  mtiioi»  de  Souen, 


[  PLOMBERIE   ]  —  214    — 

Si  les  plombiers  du  moyen  âge  apportaient  une  attention  scrupuleuse 
dans  la  façon  des  couvertures,  ils  excellaient  à  revêtir  les  bois  d'ouvrages 
de  plomberie,  à  repousser  les  plombs  au  marteau,  et  faisaient  de  cette 


industrie  une  des  décorations  principales  des  couronnements  d'édifices. 
Les  articles  Épi  et  Crête  donnent  quelques  exemples  de  ces  ouvrages  de 
plomberie  repoussée,  qui  rappellent  les  meilleurs  modèles  d'orfèvrerie  de 
l'époque.  Il  est  facile  de  voir,  par  l'irrégularité  môme  de  ces  sortes  d'ou- 
vrages^ qu'ils  étaient  exécutés  sans  modèles;  on  les  composait  en  décou- 
pant les  ornements  dans  des  tables  de  plomb  d'une  bonne  épaisseur,  et 
en  donnant  un  modelé  à  ces  découpures  plates,  au  moyen  de  petits  mar- 
teaux de  bois  de  différentes  formes.  Des  ornements  anciens,  que  nous 
avons  examinés  avec  le  plus  grand  soin,  nous  ont  mis  sur  les  traces  de 
celte  fabrication  très-simple,  mais  qui  exige  le  goût  d'un  artiste  et  la 
connaissance  des  développements  de  surfaces. 

Voulant,  par  exemple,  exécuter  en  plomb  repoussé  un  ornement  de  fleu- 
ron ou  d'épi,  tel  que  celui  qui  est  présenté  achevé,  en  A,  dans  la  figurée,  il 
fallait  se  rendre  compte  du  développement  de  ces  surfaces  sur  plan  droit, 
tracer  leur  contour  sur  une  feuille  de  plomb,  le  découper,  ainsi  que  le 
montre  la  figure  k  bis,  et  donner  peu  à  peu  à  cette  surface  découpée, 
plane,  le  modelé  convenable.  Ces  feuilles  (voy.  la  fig.  6)  se  rapportaient 
agrafées  et  soudées  sur  une  âme  de  plomb,  indiquée  dans  la  section  6 
faite  sur  ab.  Des  boxicles  de  plomb,  soudées  à  l'intérieur  de  la  tige  (voy. 
le  détail  C),  entraient  dans  dés  goujons  doubles  D  soudés  à  l'âme  et  placés 
en  d.  Des  tigetteà  de  fer  rond  e,  soudées  en  dehors  dans  lé  canal  formé 
par  le  modelé  des  tiges  des  feuilles,  donnaient  à  celles-ci  de  la  solidité 
et  se  terminaient  en  fleurette  de  plomb,  comme  on  le  voit  en  E.  L'épi  pré- 
senté ici  ayant  une  section  triangulaire,  le  développement  de  chacune 
des  trois  feuilles  devait  se  renfermer  dans  l'angle  BGH.  Dès  lorss  les 
trois  feuilles  étant  présentées  agrafées  et  soudées  à  la  base  de  leur  tige 
de  g  en  A,  on  écartait  les  feuilles  K,  de  manière  qu'elles  se  touchassent 
par  le  bout,  et  on  les  réunissait  par  un  point  de  soudure,  ce  qui 
donnait  de  la  solidité  et  du  roide  à  la  partie  supérieure.  Il  fallait  une 


—   215    —  [  PLOHBERIE  ] 

^nde  habitude  des  développements  de  surFaces  et  des  effets  qu'on 
pouvait  obtenir  par  le  modelé  d'un  objet  pian,  pour  découper  ces 
feuilles  à  coup  sûr  et  sans  g&cber  du  plomb.  Mais  jamais  gens  de  b&ti- 


ment  ne  se  sont  mieux  rendu  compte  des  développements  que  les  arti- 
sans du  moyen  Age.  Ces  travaux,  qui  nous  semblent  si  diraciles  à  nous 
qui  n'avons  acquis  à  aucune  école  l'habitude  de  ces  efTets,  étaient  un 
jeu  pour  eux  et  un  jeu  attrayant,  car  ils  cherchaient  sans  cesse  de 
nouvelles  difOcultés  à  Taincre  *.  Épargnant  les  soudures  dans  ces  sortes 

■  Stnt  trop  de  fanité,  noos  poufoiu  dire  ((lie  noul  atoni  âU  del  premlen,  ikt  lSt7, 
i  exajer  de  faire  reviire  cette  induitrie,  complètement  abandoDDiïe  depuUle  xvi'tiècle, 
car  let  plomberiei  de  Venaitles,  p«r  exemple,  Boat  tooduei.  Nous  stoiu  été  Kcoiiilé  par 
un  homme  inlelUgent  et,  choie  plus  rue,  dl)po>é  k  \aiuer  de  cûU  le*  ronlinet,  H.  Du- 
rand, mort  depuit,  «prèi  atoir  le  premier  rendu  à  celte  belle  indiulrienne  partie  de  h 


[   PLOMBERIE   ]  —   216   -~ 

de  travaux,  ils  modelaieot  la  Teuille  de  métal  avec  un  goût  charmaDt, 
comme  on  modèlei'ait  de  l'argile,  et  lui  laissaient  l'apparence  qui  con- 
vient à  cette  matière,  sans  prétendre  simuler  de  la  pierre  ou  du  bois 
sculpté.  Avaient-ils,  par  exemple,  un  chapiteau  à  faire,  ils  formaient 


la  corbeille  A  (fig.  5],  puis  la  revàlaieut  de  crocbeU,  de  feuillages 
modelés  à  part,  soudés  et  agrafés  au  corps  principal^  ainsi  qu'on  le  voit 
dans  1»  section  B,  Mais  tout  cela  léger,  vif,  détaché,  comme  il  convient 
(t  du  métal.  La  corbeille  était  alors  déprimée  à  sa  partie  moyenne,  et  pré- 
sentait un  diamètre  moindre  que  celui  de  la  colonne,  afin  que  les  tiges 
rapportées,  par  leur  épaisseur  sur  l'àme,  n'excédassent  pas  le  diamètre  du 


—  M7  —  [  PLOiunn  ) 

m.  Souvent  ces  ornemenU  n'étaient  qu'agrafés,  ce  qui  évitait  toute 
brisure  et  facilitait  les  réparations.  De  petites  tiges  de  fer  soudées  à  l'in  - 
teneur  des^feuilles,  ou  crochets,  leur  donnaient  du  roide  et  les  empê- 
chaient de's'alTaîsser. 


Dans  tous  les  ouvragés  de  plomberie,  il  est  nécessaire  de  prévoir  les 
cas  de  réparation,  et  de  disposer  les  attaches,  les  agrafes,  les  ourlets, 
de  telle  façon  qu'il  soit  toujours  possible  d'enlever  facilement  une  partie 
détériorée  et  de  la  remplacer.  La  dilatation  du  plomb,  un  défaut  dans 
une  feuille,  les  coups  de  bec  des  corneilles,  qui  parfois  s'acharnent  à 
percer  une  table,  peuvent  nécessiler  le  remplacement  d'un  morceau  de 
plomb.  Les  plombiers  du  moyen  âge  avaient  prévu  ces  accidents,  car 
tous  leurs  plombs  sont  disposés  de  telle  façon  qu'on  les  peut  enlever 
par  lanieB  ou  par  fragments,  comme  on  enlève  des  tuiles,  des  faîtières  ou 

vu.  —  28 


[  PLOMBERIE  ]  —   218  — 

des  arêtiers  d'une  couverture  de  terre  cuite,  sans  attaquer  les  portions 
en  bon  état.  Si  les  plombs  revêtent  immédiatement  des  bois  façonnés^ 
comme  ceux  d'une  lucarne,  d'une  flèche,  les  lames  ne  sont  jamais 
réunies  par  des  soudures,  mais  par  des  ourlets  adroitement  placés,  par 
des  recouvrements  et  des  agrafes.  Une  colonne,  par  exemple,  sera  revê- 
tue ainsi  que  l'indique,  en  A,  la  figure  6;  des  profils  seront  garnis  ainsi 
qu'on  le  voit  en  B  B'.  Le  plomb,  suivant  les  contours,  prendra  du  roide 
par  suite  de  ces  retours  fréquents;  il  sera  attaché  à  la  tête  seulement 
en  6,  recouvert  par  les  feuilles  supérieures,  avec  agrafures,  et  recou- 
vrant de  la  même  façon  les  feuilles  inférieures.  Si  des  ornements  doivent 
être  adaptés  à  ces  moulures,  ils  seront  attachés  par-dessus  la  feuille, 
comme  on  le  voit  en  B',  c'est-à-dire  par  des  agrafes  c  et  par  des  points 
de  soudure  d. 

S'il  s'agit  de  poser  des  feuilles  sur  des  plans  verticaux,  comme  des 
jouées  de  lucarnes,  des  souches  de  flèches,  etc.,  afin  que  leur  poids 
n'arrache  pas  les  clous  de  tête,  ces  feuilles  s'agraferont  obliquement  les 
unes  avec  les  autres,  ainsi  qu'on  le  voit  en  D.  Des  agrafes  de  fer  ou  de 
cuivre  G  maintiendront  la  table  à  sa  partie  inférieure  et  l'empêcheront 
de  se  soulever.  Des  agrafures  de  plomb,  clouées  sur  le  bois,  seront 
prises  par  les  ourlets  et  empêcheront  les  tables  de  flotter.  De  grands 
poinçons  décorés  se  composeront  d'une  suite  de  cylindres  ou  de  prismes, 
qui  se  recouvriront  les  uns  les  autres  sans  soudures.  Ainsi  ces  poinçons 
pourront  être  démontés  et  remontés  sans  difficulté.  Une  barre  de  fer 
emmanchée  à  fourchette  sur  le  poinçon  de  charpente  maintiendra  verti- 
calement les  divers  membres.  Dans  les  plombs  repoussés  formant  déco- 
ration, la  soudure  ne  sera  employée  que  pour  réunir  des  ornements 
formés  de  deux  coquilles,  comme  des  bagues,  des  fleurs  ronde  bosse, 
ou  pour  attacher  des  feuilles,  des  tigettes,  des  fleurons. 

Vers  la  fin  du  xv**  siècle,  on  remplaça  quelquefois  les  ornements  d« 
plomb  repoussé  par  des  ornements  de  plomb  coulé  dans  des  moules  de 
pierre  ou  de  plâtre  ^  Mais  ces  ornements  coulés  sont  très-petits  d'échelle 
et  sont  loin  d'avoir  l'aspect  décoratif  des  plombs  repoussés.  Les  repous- 
seurs  de  plomb  faisaient  des  statues  de  toutes  dimensions  :  on  en  voit 
encore  sur  les  combles  des  cathédrales  d'Amiens  et  de  Rouen,  qui  datent 
du  commencement  du  xvi''  siècle.  Ces  figures  étaient  presque  toujoui's  em* 
bouties,  c'est*à-dire  frappées  sur  un  modèle  de  bois  ou  de  métal  par 
parties,  puis  soudées.  On  avait  le  soin  alors  de  tenir  le  modèle  ti*ès-maigre 
et  sec,  pour  que  l'épaisseur  de  la  feuille  de  plomb  lui  rendit  le  gras  qui 
lui  manquait. 

Ce  qui  donne  à  la  plomberie  du  moyen  âge  un  charme  particulier, 
c'est  que  les  moyens  de  fabrication  qu'elle  emploie,  les  formes  qu'elle 
adopte,  sont  exactement  appropriés  à  la  matière.  Gomme  la  charpente, 

'  Il  existe  encore  plusieurs  de  ces  moules  ;  on  en  voyait  quelques-uns  dans  THôlei* 
Dieu  de  Beaune,  qui  avaient  servi  à  couler  les  ornements  des  épis  des  combles. 


—  M9  —  [  FLOHBBBIE   ] 

comme  la  menuiserie,  la  plomberie  est  un  art  à  part,  qui  n'emprunte 


i  &  la  pierre,  ni  au  bois,  les  apparences  qu'il  rerfit.  La  plomberie  du 


[  PONT  1  —   220  — 

moyen  âge  est  traitée  comme  une  orfèvrerie  colossale,  et  nous  avons 
trouvé  des  rapports  frappants  entre  ces  deux  arts,  sinon  quant  aux 
moyens  d'attache,  du  moins  quant  aux  formes  admises.  L'or  et  les  cou- 
leurs appliquées  remplaçaient  les  émaux.  On  a  fait  encore  de  belle  plom< 
berie  pendant  le  xvi®  siècle,  bien  que  les  moyens  d'attache,  de  recou- 
vrement, fussent  alors  moins  étudiés  et  soignés  que  pendant  les  siècles 
précédents.  La  flèche  de  la  cathédrale  d'Amiens,  en  partie  recouverte 
de  plomb  au  commencement  du  xvi*  siècle,  en  partie  réparée  au  xvii', 
permet  d'apprécier  la  décadence  de  cet  art  pendant  l'espace  d'un  siècle. 
Les  plomberies  du  château  de  Versailles  et  du  dôme  des  Invalides  se 
recommandent  plutôt  par  le  poids  que  par  le  soin  apporté  dans  l'exécu- 
tion ;  tandis  que  les  plomberies,  malheureusement  rares,  qui  nous  restant 
des  xiii%  XIV*  et  xv*  siècles,  sont  remarquables  par  leur  légèreté  relative 
et  par  une  exécution  très-soignée.  Il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  devoir 
les  anciennes  plomberies  de  l'église  de  Notre-Dame  de  Châlons-sur- 
Marne,  de  la  cathédrale  de  Reims,  de  celle  d'Amiens,  de  l'hôtel  de 
Jacques  Cœur,  de  l'Hôlel-Dieu  de  Beaune,  de  la  cathédrale  de  Rouen, 
de  celle  d'Évreux',  les  nombreux  fragments  épars  sur  plusieurs  monu* 
ments  ou  hôtels.  Il  existait  encore  avant  la  fin  du  dernier  siècle  beau- 
coup  d'édifices  du  moyen  âge  qui  avaient  conservé  leurs  couvertures  de 
plomb.  Ces  plomberies  ont  été  enlevées  par  mesure  générale.  Il  ne  faut 
donc  pas  s'étonner  si  nous  n'en  trouvons  aujourd'hui  qu'un  petit  nombre 
d'exemples.  Constatons  toutefois  que  c'est  grâce  aux  études,  si  fort  atta- 
quées, des  arts  du  moyen  âge,  qu'on  a  pu  de  nos  jours  faire  revivre 
une  des  plus  belles  industries  du  bâtiment. 

POINÇON,  s.  m.  Pièce  de  charpente  verticale  qui  reçoit  les  extrémités 
supérieures  des  arbalétriers  d'une  ferme  ou  les  arêtiers  d'un  pavillon  et 
d'une  flèche.  (Voy.  Charpente,  FLÈcnB.) 

POITRAIL,  s.  m.  Pièce  de  bois  d'un  fort  équarrissage  posée  horizonta- 
lement sur  des  piles  ou  des  poteaux,  et  portant  une  façade  de  maison. 
(Voy.  Boutique,  Maison,  Pan  de  bois.) 

PONT,  s.  m.  {punz,  ponz).  Nous  diviserons  cet  article  en  plusieurs  par- 
ties :  il  y  a  les  ponts  de  pierre  ou  de  bois  fixes,  les  ponts  tomei$  (mobiles), 
les  ponts-levis  et  les  ponts  de  bateaux,  flottants,  de  charrettes. 

Les  Romains  ont  été  grands  constructeurs  de  ponts,  soit  de  pierre, 
soit  de  charpenterie,  et  dans  les  Gaule;  on  se  servit  longtemps  des  ponts 
qu'ils  avaient  établis  sur  les  rivières. 

Grégoire  de  Tours  rapporte  que  le  roi  Gontran  «  envoya  une  ambassade 

1  Les  plomberies  de  la  flèche  de  la  cathédrale  d'Évreux  ont  été  très-maladroitement 
restaurées  à  diverses  époques  ;  on  ne  découvre  au  milieu  de  ces  reprises  que  des  frag- 
ments, eiéculés  d'ailleurs  avec  finesse.  .  i^ 


—  221   —  [  PONT  ] 

(  à  Ghiideberi^  son  neveu,  pour  lui  demander  la  paix,  et  le  prier  de  venir 
((  le  voir.  Childebert  vint  le  trouver  avec  ses  grands,  et  tous  deux,  s'étant 
c  réunis  prèsdapont  appelé  le  pont  de  pierre,  se  saluèrent  et  s'embras- 
a  sèrent  ^  k>  Ce  pont  était  un  pont  Mti  par  les  Romains.  Toutefois  ceux- 
ci,  en  raison  de  l'abondance  des  bois  dans  les  Gaules,  durent  établir  un 
graldd  nombre  de  ponts  de  charpente  qui  subsistaient  encore  pendant  les 
premiers  siècles  du  moyen  âge,  car  les  ponts  de  pierre  bâtis  par.  les 
Romains,  encore  apparents,  sont  rares;  s'ils  eussent  été  nombreux,  on  en 
trouverait  les  traces  sur  nos  rivières. 

Les  Romains  établissaient  presque  toujours  des  arcs  ou  portes  monu- 
mentales, soit  aux  extrémités  des  ponts,  soit  au  milieu  de  leur  longueur. 
Ces  arcs  étaient  devenus,  pendant  les  siècles  de  paix  qui  suivirent  la 
conquête  définitive  du  sol  des  Gaules,  plutôt  des  motifs  de  décoration 
que  des  défenses.  Mais  dès  les  premières  invasions,  ces  portes  furent 
munies  de  crénelages,  et  peuvent  être  considérées  comme  le  point  de 
départ  de  ces  châtelets  où  forteresses  qui  garnissaient  toujours  les  ponts 
du  moyen  âge,  qu'ils  fussent  de  pierre  ou  de  bois. 
.  Il  ne  nous  reste  pas  de  ponts  de  pierre  du  moyen  âge  antérieurs  au 
xn* siècle^;  mais  à  cetteépoque  on  en  construisit  un  assez  grand  nombre 
et  dans  des  conditions  extrêmement  difficiles.  Un  des  plus  beaux  et  des 
plus  considérables  est  le  pont  de  Sainl-Bénezet,  à  Avignon.  La  légende 
prétend  qu'un  jeune  berger,  nommé  Petit  Benoit,  né  en  4161  dans  le 
Yivarais,  inspiré  d'en  haut^  s'en  vint  à  Avignon  en  1178,  et  fut  l'instiga- 
teur et  l'architecte  du  pont  qui  traversait  le  Rhône  à  la  hauteur  du 
rocher  des  Doms.  De  ce  pont,  il  reste  encore  quatre  arches  et  quelques 
piles  d'une  très-remarquable  structure.  Commencé  en  1178,  il  était 
achevé  en  1188;  sa  longueur  est  de  900  mètres,  et  la  largeur  de  son  ta- 
blier de  U  mètres  90  centimètres,  compris  l'épaisseur  des  parapets.  Pour 
résister  au  courant  du  Rhône  et  aux  débâcles  des  glaces,  les  piles  ont 
30  mètres  d'une  extrémité  à  l'autre,  et  se  terminent  en  amont  comme  en 
aval  par  un  éperon  très-aigu.  Il  faut  observer  que  sur  ce  point  le  Rhône 
est  très-rapide  et  se  divise  en  deux  bras  :  l'un  beaucoup  plus  large  que 
lautre;  le  plus  étroit,  qui  côtoie  le  rocher  des  Doms,  est  d'une  assez 
grande  profondeur.  Les  difficultés  d'établissement  de  ce  pont  étaient 
donc  considérables,  d'autant  qu'au  moins  une  fois  l'an,  les  crues  du 
Rhône  atteignent  en  moyenne  5  mètres  au-dessus  de  l'étiage.  Sans  dis- 
cuter sur  le  plus  ou  moins  de  réalité  de  la  légende  relative  au  berger 


*  Ub.  V,  cap.  xviii.  Pont^pierre,  ai^ourd'bni  Pompierre,  est  nn  -vUlage  lur  le  Mouion, 
près  de  la  Meuse  (Vosges). 

*  Dana  son  oorrage  sur  les  Droits  et  usages^  M.  A.  Cbampollion-Figeac  cite  uii  pont 
gothique  du  xi*  iièele,  dépendant  du  château  des  comtes  de  Champagne,  à  Troyes  ;  mais 
ce  pont/  comme  le  château  dont  il  dépendait,  est  démoli  depuis  biender  années,  et  la 
reproduction  qui  en  est  dotonée  dans  le  Voyage  archéologique  de  M.  Arnaud  est  due  à 
riiBtgisation  de  cet  auteur. 


[  PONT  ]  —  222  — 

Petit  Benoît,  il  parait  certain  que  ce  personnage  fut  le  chef  de  la  confré* 
rie  des  Hospitaliers  pontifes  qui  entreprit  la  construction  du  pont  d'Avi- 
gnon. Cette  confrérie,  au  xii"*  siècle,  était  instituée  pour  bâtir  des  ponts, 
établir  des  bacs,  et  donner  assistance  aux  voyageurs  sur  les  bords  des 
rivières  ^  Quoi  qu'il  en  soit,  le  pont  de  Saint-Bénezet,  savamment 
construit,  existerait  encore,  n'étaient  les  guerres  et  l'incurie  des  gens 
d'Avignon. 

Clément  YI  en  fit  reconstruire  quatre  arches.  Les  Catalans  et  lés  Ara^ 
gonais  le  coupèrent  en  1395,  pendant  le  siège  du  palais  des  Papes. 

En  4418,  les  Avignonais  firent  rétablir  l'arche  coupée;  niais,  soit  que 
l'ouvrage  ait  été  mal  fait,  soit  que  les  autres  parties  du  pont  ne  fussent 
pas  entretenues,  une  arche  s'affaissa  et  entraîna  la  chute  de  trois  autres 
en  1602.  En  1633,  il  en  tomba  deux  autres,  et  pendant  l'hiver  de  1670, 
sur  le  grand  bras,  on  constate  encore  la  chute  de  deux  arches^.  Ces  arches 
furent  tant  bien  que  mal  réparées  par  des  ouvrages  de  oharpenterie,  mais 
depuis  plus  d'un  siècle  ce  beau  monument  est  réduit  aux  quatre  arches 
qui  tiennent  au  chÂtelet  du  côté  de  la  ville.  Ce  pont  était  la  seule  voie 
permanente  de  communication  qui  existât  entre  le  territoire  papal  d'Avi- 
gnon et  le  territoire  français  du  Languedoc.  Dans  des  temps  reculés,  la 
ville  avait  étendu  sa  juridiction  dans  les  lies  du  Rhône  et  en  face  de  son 
territoire,  sur  tout  le  littoral  de  la  rive  droite  du  fleuve.  Ses  justiciers 
avaient  fait  dresser  leurs  fourches  patibulaires,  les  unes  devant  la  fon- 
taine de  Montaud,  les  autres  sur  le  rocher  au  nord  du  lieu  des  Angles, 
qu'on  appelle  encore  la  Justice.  Tant  que  les  rois  de  France  possédèrent 
la  ville  d'Avignon  indivisément  avec  les  comtes  de  Provence,  ils  n'appor- 
tèrent aucun  obstacle  à  cette  extension  de  la  juridiction  de  la  cité  ;  mais 
lorsqu'au  mois  de  septembre  1290,  Philippe  le  Bel,  par  suite  du  mariage 
de  Charles,  son  cousin,  avec  Marguerite,  fille  du  roi  de  Sicile,  comte  de 
Provence,  lui  eut  cédé  les  droits  de  suzeraineté  qu'il  avait  sur  Avignon, 
il  prétendit  faire  respecter  dans  l'avenir  ses  limites  territoriales;  en  con- 
séquence, ses  officiers  firent  jeter,  en  1S07,  les  fondations  de  la  tour  de 
Villeneuve,  qui  ferme  le  pont  du  côté  de  la  rive  droite.  Charles  II,  roi 
de  Sicile,  ise  plaignit  de  cet  acte  qu'il  considérait  comme  un  empiétement 
sur  des  droits  consacrés  par  Tusage,  en  alléguant  que  le  territoire  d'Avi- 
gnon s'étendait  au  littoral  de  la  rive  droite  du  Rhône.  Le  roi  de  France 
commit  son  sénéchal  de  Beaucaire  pour  faire  une  enquête  au  sujet  de 
cette  réclamation  ;  celui-ci  se  transporta  sur  les  lieux,  et  se  disposait 

^  La  confrérie  religieuse  des  Frères  hospitaliers  pontifes  prit  naissance  et  8*étAbUt 
d*abord  à  Manpas,  an  diocèse  de  GaTaillon,  dès  Tannée  1164,  d'après  les  Recherches 
historiques  de  l'abbé  Grégoire.  Petit  Benoît,  ou  saint  Béneiet,  fut  le  chef  de  cette  insti* 
^Uon,  et  aurait  commencé  ses  travaux  à  Maupas;  ce  serait  après  cette  première  œatre 
qu'il  aurait  entrepris  la  construction  du  pont  d'Avignon. 

.  '  Dans  le  recueil  des  Pkms  et  profils  des  principales  villes  et  lieux  considérables  de 
France^  pu  ie  àieur  Tassin  (1652),  est  donnée  une  vue  d'Avignon  avec  le  pont  Saint- 
Bénezet.  Deux  arches  manquent  dans  l'île  et  trois  sur  le  grand  bras. 


—  223  —  [  PONT  ] 

à  entendre  des  témoins,  lorsque  les  magistrals  d'Avignon  intervinrent, 
disant  :  Que  le  sénéchal  ne  pouvait  agir  au  nom  du  roi  de  France  dans 
an  lieu  qui  était  du  domaine  de  la  juridiction  du  roi  de  Sicile,  comte  de 
Provence.  Rodolphe  de  Meruel,  architecte  de  la  tour  de  Villeneuve,  n'en 
poussa  qu'avec  plus  d'activité  la  construction  de  cette  défense,  et  il  ne 
parait  pas  que  le  roi  de  France,  une  fois  bien  assis  sur  ce  point,  ait 
toléré  sur  la  rive  droite  du  fleuve  l'exercice  de  la  juridiction  avignonaise. 
Cette  juridiction  fut  exercée  néanmoins  pendant  quelque  temps  dans  les 
lies;  mais  après  avoir  si  bien  établi  ce  qu'ils  considéraient  comme  un 
droit,  les  officiers  du  roi  de  France  n'eurent  garde  de  s'arrêter  en  si  beau 
chemin,  et  s'opposèrent  à  tout  acte  de  juridiction  dans  les  îles  '.  Si  nous 
avons  rapporté  tout  au  long  cette  histoire  du  pont  d'Avignon  et  des  bâti- 
ments qui  le  fermaient  du  côté  de  la  France,  c'est  afin  de  faire  con-^ 
naître  que  les  difficultés  opposées  par  la  nature  n'étaient  pas  les  seules 
qu'il  y  avait  à  surmonter  dans  les  temps  féodaux,  s'il  s'agissait  de  bâtir 
un  pont.  £n  effet,  les  fleuves,  et  souvent  môme  de  minces  rivières,  for* 
maient  la  limite  entre  des  territoires  appartenant  à  divers  seigneurs,  et 
l'établissement  d'un  pont  détruisait  cette  limite;  chacun  alors  cher- 
chait à  fermer  cette  communication  d'un  territoire  à  l'autre  par  un  châ^ 
telet,  ou  bien  s'opposait  simplement  à  son  établissement.  La  division 
féodale,  bien  plus  encore  que  l'impuissance  des  constructeurs,  devenait 
un  obstacle  à  l'établissement  des  ponts. 

On  lie  pouvait  établir  des  forteresses  sur  les  ponts  que  sur  l'autorisa- 
tion des  fondateurs  ;  mais  il  fiiut  croire  que  la  nécessité  fit  souvent  en- 
freindre cette  condition,  car  nous  ne  connaissons  pas  de  pont  important 
du  moyen  âge  qui  ne  soit  défendu.  On  ne  pouvait  non  plus  y  établir  des 
péages  que  du  consentement  des  fondateurs  ^  Guillaume  le  Grand,  duc 
d'Aquitaine,  par  une  charte  de  998,  défend  pour  toujours  de  percevoir 
des  péages  au  passage  du  pont  royal,  a  Eudes,  comte  de  Chartres,  de 
a  Tours  et  dC'Blois,  fit  une  défense  analogue  en  1036.11  déclara  qu'ayant 
«fait  bâtir  un  pont  à  Tours  dans  le  seul  but  de  faire  une  action  méri- 
«  toirc  pour  le  salut  de  son  âme,  il  ne  voulait  pas  qu'il  y  fût  perçu  des 
«droits  d'aucune  espèce^.  »)  Il  n'entrait  vraisemblablement  pas  dans  la' 
pensée  des  fondateurs  du  pont  d'Avignon  d'y  établir  des  défenses,  au 
moins  du  côté  de  la  rive  droite,  et  cependant  nous  voyons  qu'un  siècle 

1  Archives  municipales  cT Avignon;  procès  du  Rhône ^  t.  I,  p.  65.  Nous  devons  ces  ren* 
seignements  au  savant  archiviste  de  la  préfecture  de  Vaucluse,  U.  Achard,  qui  possède 
lur  Avignon  et  le  comtat  Yenaissin  des  notes  précieuses  dont  il  a  bien  voulu  nous  per- 
mettre de  faire  usage. 

^  «  Une  charte  »,  dit  M.  A.  Ghampoilion-Figeac,  dans  son  recueil  intitulé  :  Droits  et 
usages  (Paris,  1860),  «  une  charte  de  l'empereur  Frédéric,  de  l'année  1158,  et  un  acte 
•  relatif  à  l'abbaye  de  Saint-Florent  (coU.  de  Camps),  de  l'année  ^1162,  pour  un  pont 
«  bâti  sur  la  Loire,  constatent  encore  ces  deux  faits  »  (la  défense  d'élever  des  f<Mrteresses 
sur  les  ponts  ou  d'y  percevoir  un  péage  quelconque  sans  autorisation  des  fondateurs)... 

>  Ibid.,  p.  125. 


[    PONT  ]  —  224  — 

après  sa  construction,  le  roi  de  France  plante  sur  cette  rive  une  forte- 
resse qui  en  défend.i'etitrée  ou  la  sortie,  et  que  les  papes,  cinquante  ans 
après,  bâtissent  un  châteiet  sur  la  rive  gauche.  Ainsi  ce  pont,  d'uUlilé 
publique  s'il  en  fut,  vit  ses  deux  issues  fermées  par  les  deux  seigneurs 
qui  occupaient  chacune  des  rives. 

Les  péages  perçus  au  passage  des  ponts  étaient  ordinairement  aCTectés 
à  leur  entretien;  mais  on  comprend  que  ces  ressources  étaient  souvent 
détournées  de  leur  emploi,  aussi  la  plupart  de  ces  ponts  étaient  mal 
entretenus.  La  plupart  de  ceux  qui  nous  restent  accusent  des  dégrada- 
tions profondes,  et  qui  datent  de  plusieurs  siècles.  <c  En  temps  de  guerre, 
a  le  seigneur  d'épée  avait,  dans  bien  des  provinces  de  France,  le  droit 
«  de  faire  démolir  les  ponts,  même  ceux  à  la  construction  desquels  il 
«n'avait  pas  contribué;  mais  il  fallait  un  cas  de  salut  commun.  Cepen- 
a  dant  il  était  nécessaire  d'obtenir  une  permission  spéciale  du  seigneur 
«  d'épée  pour  pouvoir  réédilier  ce  pont  démoli  dans  un  but  d'utilité 
<i  momentanée'.»  C'est  ainsi  que  beaucoup  de  ponts  du  moyen  âge  furent 
coupés,  et  ne  furent  réparés  que  provisoirement,  ce  qui  contribua  encore 
à  leur  ruine.  Le  pont  de  Saint-Bénezet  se  trouvait  précisément  dans  ce 
cas.  Ce  qu'il  en  reste  nous  permet  d'en  étudier  et  d'en  décrire  la  con- 
struction. Les  arches  avaient  de  20  à  25  mètres  d'ouverture,  et  étaient  au 
nombre  de  dix-huit.  Dans  l'île  qui  sépare  les  deux  bras  duRhône,  la  chaussée 
était  percée  d'arches,  aussi  bien  que  sur  les  deux  cours  d'eau.  Sur  le  grand 
bras,  le  pont,  du  côté  de  Villeneuve,  formait  un  angle  bbtûs,  comme  pour 
mieux  résister  à  l'effort  du  courant.  Mais  nous  reviendront  tout  à  l'heure 
sur  cette  disposition  générale.  Voici  (flg.  1),  en  A,  le  géométral  d'unedes 
arches,  avec  deux  des  piles.  Il  est  à  remarquer  que  sur  quatre  piles  qui 
existent  encore  entières,  il  en  est  deux  qui  sont  construites  suivant  le 
tracé  B  et  deux  suivant  celui  C.  Sur  l'une  de  celles  conformes  au  profil  C, 
la  plus  rapprochée  de  la  ville,  est  bâtie  la  petite  chapelle  dédiée  à  saint 
Nicolas,  dans  laquelle  étaient  déposées  les  reliques  de  saint  Bénezet.  Le 
soi  de  cette  chapelle  est  placé  à  4", 50  au-dessous  du  tablier  du  pont,  et 
l'on  y  descend  par  un  escalier  pratiqué  partie  en.encotbeilement,  partie 
aux  dépens  de  l'épaisseur  du  pont,  ainsi  que  le  fait:voir  le  pian  D  K  Pour 
passer  devant  la  chapelle,  il  n'était  laissé  au  tabUer  en  £  qu'une  largeur 
de  2  mètres,  compris  l'épaisseur  du  bahut.  Par  une  arcade  on  pouvait 
voir  du  tablier  l'intérieur  de  la  chapelle,  et  une  autre  arcade  en  contre- 
bas ouvrait  celle-ci  vers  l'aval,  sur  l'éperon.  L'autre  pile,  construite  de 
même  avec  des  trompes,  ne  semble  pas  avoir  été  destinée  à  recevoir  un 
autre  édicule  ^  ;  peut-être  ne  formait-elle  qu'une  gare  bien  nécessaire 
sur  un  point  aussi  étroit  et  aussi  long.  Ces  piles  avec  trompes  alter- 

1  M.  A.  ChampoUion-Figeac,  Droits  et  usages,  p.  13i. 
^  Ce  plan  est  fait  à  la  fois,  et  sur  le  tablier,  et  sur  la  chapelle  en  contre-bos. 
3  II  n'est  fait  mentioa  que  d'une  chapelle  sur  le  pont  d'Avignon  dans  tous  les  docu- 
ments que  nous  avons  pu  consulter. 


(  POHT  ] 


naient  iii-obableineut  avec  celles  qui  c'en  possédaient  pas,  et  qui  sont 

VII.  —  29 


[  PONT  ]  —  226  — 

conformes  au  profil  B.  Les  arches  ne  sont  pas  tracées  suivant  un  arc  de 
cercle,  mais  forment  une  ellipse,  ainsi  que  le  montre  la  figure,  obtenue 
au  moyen  de  trois  centres.  C'était  un  moyen  de  donner  plus  de  puis- 
sance aux  reins  des  arcs,  et  de  permettre  rétablissement  des  trompes 
avec  escaliers.  Les  piles  qui  possèdent  des  trompes  étaient  percées  de 
trois  arcades,  au  lieu  d'une  seule,  au-dessus  des  éperons  (la  chapelle  bou- 
chant l'arcade  centrale  dans  la  pile  C).  Cette  précaution  était  bien  néces- 
saire pour  donner  une  issue  aux  crues  du  fleuve,  car  les  eaux  s'élèvent 
parfois  jusqu'au  niveau  G  *. 

En  H,  nous  donnons  la  section  d'une  arche,  avec  le  profil  en  travers 
de  la  pile  B.  Ces  arches  sont  construites  au  moyen  de  quatre  rangées  de 
claveaux  de  70  centimètres  de  hauteur  juxtaposés.  Ce  sont  de  véritables 
arcs-doubleaux  parfaitement  appareillés,  dont  les  lits  se  suivent,  mais 
qui  ne  se  liaisonnent  point  entre  eux.  Ils  ne  sont  rendus  solidaires  que 
par  le  massif  de  maçonnerie  qui  les  surmonte  et  les  charge.  Il  est  à  croire 
que  les  maîtres  pontifes  avaient  voulu  en  cela  copier  un  monument 
romain  assez  voisin,  l'aqueduc  du  Gard,  dont  les  arches  maltresses  sont 
construites  suivant  ce  système.  En  K,  nous  présentons  un  tracé  perspectif 
des  trompes  posées  en  a  à  deux  des  quatre  piles  existantes,  avec  l'arran- 
gement de  l'escalier  en  encorbellement  qui  permet  de  descendre  dans 
la  chapelle. 

Nous  ne  savons  aujourd'hui  comment  le  pont  d'Avignon  se  terminait 
du  côté  de  la  ville,  lorsqu'il  fut  construit  à  la  fin  du  xii*  siècle.  Très-élevé 
au-dessus  du  sol  des  rues,  il  aboutissait  déjà  probablement  à  une  défense 
d'où  l'on  descendait  dans  la  cité.  Au  xiv*  siècle,  les  papes  le  terminèrent 
par  un  nouveau  châtelet  très-fort  qui  défendait  l'entrée  de  la  ville;  mais 
si  l'on  ne  voulait  pas  entrer  dans  la  cité,  ou  si  les  portes  du  châtelet  se 
trouvaient  fermées,  on  pouvait,  du  tablier  du  pont,  descendre  sur  le  quai 
qui  longe  le  rempart,  par  un  large  emmarchement  placé  en  amont. 

Du  côté  du  Languedoc  on  se  heurtait,  en  traversant  le  pont,  contre  la 
tour  formidable  de  Villeneuve  et  ses  défenses  accessoires;  on  entraitdans 
l'enceinte  de  la  forteresse,  ou  bien,  tournant  à  droite  et  passant  par  une 
porte,  on  entrait  dans  l'enceinte  extérieure  de  Villeneuve.  La  figure  2 
présente  un  aspect  général  du  pont  d'Avignon,  avec  le  coude  qu'il  for- 
mait vers  le  milieu  du  grand  bras.  Au  bas  de  la  figure  est  le  châtelet 
actuel  bâti  par  les  papes.  En  A,  est  l'île  traversée  par  le  pont,  et  souvent 
inondée;  à  l'extrémité  supérieure,  la  tour  de  Villeneuve.  Toute  la  con- 
struction du  pont,  sauf  les  revêtements  des  éperons  et  les  arches,  est 
faite  en  très-petit  appareil  assez  semblable  à  celui  qui  revêt  les  tympans 
de  l'étage  supérieur  de  l'aqueduc  du  Gard.  Les  massifs  sont  bien  pleins 
et  maçonnés  avec  soin,  le  mortier  excellent.  La  pierre  provient  des  car- 
rières de  Villeneuve  et  n'est  pas  d'une  très-bonne  qualité.  Il  est  à  croii*e 
que  si  ce  pont  eût  été  entretenu  comme  le  pont  Saint-Esprit,  bâti  peu 

1  Notamment  en  1856* 


t  POBT  ] 


après,  il  se  fâtconservé  jusqu'à  dos  jours,  car  il  était  établi  dans  d'excel- 


[  PONT  ]  —  228  — 

lentes  conditions,  et  presque  toutes  ses  piles  posaient  sur  le  roc  vif;  mais, 
ainsi  qu'on  Ta  vu  plus  haut,  les  hommes  contribuèrent  autant  que  les 
eaux  terribles  du  Rhône  à  le  détruire.  Depuis  Tépoque  où  Ton  dut  renon- 
cer à  se  servir  de  ce  moyen  de  traverser  le  fleuve,  on  a  établi  en  aval  un 
pont  de  bois  souvent  endommagé  par  les  crues  du  Rhône,  et  sur  le  petit 
bras,  depuis  trente  ans,  un  pont  suspendu  dont  la  durée  est  fort  com- 
promise. En  jetant  les  yeux  sur  notre  figure  2,  on  observera  que  le  pont 
d'Avignon  ressemble  assez  à  une  passerelle  de  planches  posée  sur  des 
bateaux.  Les  frères  pontifes^  pour  résister  à  l'action  puissante  du  courant 
du  Rhône  sur  ce  point,  surtout  pendant  les  crues,  n'avaient  rien  imaginé 
de  mieux  que  d'établir  en  pierre  et  à  demeure  ce  que  le  sens  vulgaire 
indique  de  faire  lorsqu'on  établit  un  pont  de  bateaux,  et  ce  n'était  pas 
trop  mal  imaginé. 

Dans  le  pays  de  Saint-Savourin  du  Port,  sur  le  Rhône,  appartenant  à 
l'abbaye  de  Cluny,  un  abbé  de  cet  ordre,  Jean  de  Tensanges,  fit  com- 
mencer en  1265  le  pont  Saint-Esprit,  sur  lequel  on  passe  encore  au- 
jourd'hui. Trente  années  furent  employées  à  sa  construction.  La  largeur 
de  son  tablier  est  de  5  mètres,  et  sa  longueur  de  1000  mètres  environ; 
le  nombre  de  ses  arches  est  de  vingt-deux.  Celles-ci  sont  plein  cintre,  et 
n'offrent  pas  la  particularité  dans  leur  tracé  qu'on  observe  au  pont  de 
Saint-Bénezet.  Elles  sont  cependant  construites  au  moyen  de  rangs  de 
claveaux  juxtaposés.  Dans  les  tympans,  des  arcades  permettent  aux  crues 
du  fleuve  de  trouver  passage.  Le  pont  Saint-Esprit  fut  la  dernière  œuvre 
des  frères  hospitaliers  pontifes.  Dès  lors  le  relâchement  de  cet  ordre 
contribua  à  sa  complète  décadence.  Il  faut  dire  qu'à  dater  du  xiii*  siècle, 
dans  les  constructions  civiles  et  religieuses,  les  écoles  des  maîtres  des 
œuvres  laïques  avaient  remplacé  partout  les  corporations  religieuses,  les 
villes  comme  les  seigneurs  n'avaient  plus  besoin  de  recourir  aux  frères 
constructeurs  de  ponts  et  autres.  Le  pont  Saint-Esprit  forme  un  coude 
à  Topposite  du  courant  sur  le  grand  bras  du  Rhône,  comme  le  pont 
d'Avignon.  Il  était  encore  fermé  à  ses  deux  extrémités  par  des  portes 
au  xviL®  siècle,  et  aboutissait  du  côté  du  bourg  à  une  défense  assez  impor- 
tante du  xiv*'  siècle,  qui,  plus  tard,  fit  corps  avec  la  citadelle  qui  com- 
mandait le  cours  du  fleuve  en  amont.  On  peut  prendre  une  idée  de  ces 
défenses  en  jetant  les  yeux  sur  la  gravure  donnée  dans  la  Topographie 
de  la  Gaule  ^. 

Parmi  les  ponts  du  xii'  siècle  que  nous  possédons  encore  en  France, 
il  faut  citer  le  vieux  pont  de  Carcassonne,  bâti  par  les  soins  de  la  ville 
en  1184.  Le  péage  de  ce  pont  était  destiné  à  son  entretien.  Ses  arches 
sont  plein  cintre,  bâties  par  claveaux  reliés,  mais  non  juxtaposés  comme 

I  Edit.  de  Francrort,  grafures  de  Mcrian.  —  Deux  arches  du  pont  Saint-Esprit  ont  été 
détruites  depuis  peu  pour  être  remplacées  par  une  arche  de  fonte  de  fer^  afin  de  faciliter 
le  passage  des  bateaux.  Il  a  fallu  arracher  à  grand'peine  la  plie  supprimée,  dont  U  ma- 
çonnerie était  excellente. 


—  229  -r  l  PONT  ] 

ceux  du  poul  d'A  vignon.  Ses  éperons,  aigus  en  aval  comme  en  amont,  s'é- 
lèvent  jusqu'au  Uiblier^  et  forment  des  gift^es  fort  utiles,  ee  tablier  n'ayant 
pas  plus  de  5  mètres  de  largeur.  Il  était  autrefois  défendu  du  côté  opposé 
ù  la  cilé(rive  gauche)  par  une  tôto  de  pont  formidlible  qm  enveloppait  à 
pea  près  tout  le  faubourg  actuel.  Une  chapelle  du  Sv^  siècle  estaoBolée 
à  sa  première  culée,  en  amont  de  ce  côté.  Sur  1^  rive  de  la  cité,  H  se  re- 
liait aux  défenses  de  cette  forteresse  par  une  ligne  de  courtines  flan- 
quées. Ce  pont  sert  encore  aujourd'hui,  bien  qu'il  ^<rtt  depui»* longtemps 
fort  mal  entretenu. 

Le  pont  vieux  de  Béziers  date-  à  peu  près  de  la  nênie  époque.  Les 
arches  sont  plein  cintre,  celle  du  milieu  plus  élevée  que  les  autres,  de 
sorte  que  le  tablier  forme  deux  pentes  peu  prononcées.  Les  tympans  de 
re  pont  sont  évidés  par  des  arcades  en  prévision  des  crues  de  l'Hérault, 
et  ses  piles,  plates  du  côté  d'aval,  sont  en  éperon  du  côté  d'amont. 
Nous  donnons  (ilg.  3)  l'arche  centrale  de  ce  pont,  avec  son  plan  en  A, 
et  un  détail  B^  indiquant  la  construction  des  avant-becs  et  des  arches 
du  côté  d'amont.  Son  tablier  a  5", 60  de  largeur.  Les  tabliers  des  ponts 
d'Avignon  et  de  Saint-Esprit  sont  de  niveau,  ce  qu^explique  d'ailleurs 
l'énorme  longueur  de  ces  ponts;  mais  les  ponts  du  moyen  âge,  d'une  lon- 
gueur ordinaire,  présentent  ordinairement  deux  pentes,  l'arche  centrale 
étant  plus  élevée  et  plus  large  que  les  arches  latérales,  afln  de  faciliter  la 
navigation,  et  de  laisser  au  milieu  des  rivières  un  débouché  plus  large 
et  plus  élevé  aux  crues.  Cependant  il  est  clair  que  les  architectes  cher- 
chaient, autant  que  faire  se  pouvait,  à  éviter  ces  pentes,  et  beaucoup  de 
leurs  tabliers  sont  presque  de  niveau  du  moment  que  la  situation  des 
lieux  leur  permettait  d'établir  des  quais  et  des  culées  élevés.  Toutefois, 
alors  qu'ils  n'étaient  pas  forcés  d'évider  les  tympans  en  prévision  de  fortes 
crues,  ils  se  servaient  des  éperons  des  piles  pour  former  des  gares  d'évi- 
tement,  et  ce  programme  leur  a  fourni  de  bons  motifs  d'architecture.  Les 
exèdres  du  Pont-Neuf  à  Paris  sont  une  tradition  de  cette  disposition^ 
qui,  du  reste,  date  de  l'antiquité. 

Il  était  pourvu  à  l'entretien  des  ponts^  dit  M.  le  baron  de  Girardot  ^ 
«  au  moyen  des  péages  appelés  poniage,  pontonage^  ponlenage,  pontonatge, 
«  enOn  ùilleiie  ou  branchiette^  à  cause  du  billot  ou  de  la  branche  d'arbre 
«  où  l'on  attachait  la  pancarte  indicative  des  droits  à  payer.  Le  péage  se 
tt  percevait  pour  le  passage  en  dessus,  ou  pour  le  passage  en  dessous. 
«  Un  droit  sur  le  sel  transporté  par  bateaux  fournissait  à  l'entretien  coû- 
«  teux  du  pont  Saint-Esprit  et  des  enrochements,  sans  cesse  renouvelés, 
«  qui  préservaient  les  piles  des  affouillements  à  redouter,  à  cause  de  la 
«  rapidité  du  fleuve.  Les  péages  sur  les  ponts  très-anciens  avaient  été  éta- 
«  blis  de  l'autorité  des  seigneurs  ;  mais,  lorsque  le  pouvoir  royal  eut 
a  avancé  son  (Buvra^  de  centralisation^  le  roi  seul  put  en  établir  à  son 

'•  Voyes  l'article  substantiel  sur*  les  pontSj  publié  par  oe  savant  arcbéologue,  dans  les 
Annales  archéologiques^  t.  Vil,  p.  17  et  sniv. 


[   PONT  )  —  230  — 

a  proni  ou  à  celui  des  engagistes  du  domaine,  soit  des  cessionnaires  â 
a  litre  d'inféodation  ou  d'octroi. Les  seigneurs  hauts  justiciers  ne  furent 
a  maintenus  dans  leur  droit,  à  cet  égard,  qu'en  justifiant  d'une  très- 
«  ancienne  possession.  » 


A- 


"C^r 


T^' 


% 


Le  seigneur  était  tenu,  moyennant  le  péage,  d'entretenir  les  ponts; 
mais  souvent  le  pont  détruit,  on  continuait  à  percevoir  le  droit,  sinon 
sur  le  pont,  du  moins  sur  la  navigation  ;  de  sorte  que  des  ponts  en  ruine 
qui  devenaient  déjà  un  obstacle  pour  les  mariniers,  étaient  encore  pour 
eux  une  occasion  de  payer  un  droit  de  passage,  a  Dans  l'origine,  ajoute 
a  M.  le  baron  de  Girardol,  le  droit  de  péage  emportait  l'obligation  d'assu- 
a  rer  aux  voyageurs  la  sûreté  de  leurs  personnes  et  de  leurs  effets;  en 
«  cas  de  vol  ou  de  meurtre,  le  seigneur  était  tenu  d'indemniser  la  vic- 
«  time  ou  ses  ayants  droit.  On  cite  les  arrêts  rendus  dans  ce  sens  contre 


—  231   —  [  PONT    ] 

«le  sire  de  Crèvecœur  en  1254,  le  seigneur  de  Vicilon  en  1269,  et 
tt  d'autres  de  cette  même  époque  ;  quelques-uns  môme  contre  le  roi, 
«  pour  des  vols  commis  sur  sa  justice  (1295).  Toutefois  cette  responsa- 
«  bilité  n'avait  lieu  que  pour  le  jour  et  non  pour  la  nuit.  »  Ceci  explique 
comment  tous  les  ponts  du  moyen  âge  sont  munis  de  postes  qui  per- 
mettaient d'abord  de  percevoir  le  péage,  puis  de  maintenir  la  police  sur 
leur  parcours  et  dans  les  environs.  Beaucoup  de  ces  tours  et  châtelets 
qui  munissent  les  issues  des  ponts,  et  quelquefois  leur  milieu,  sont  donc 
de  véritables  corps  de  garde  et  bureaux  de  péage.  Cependant,  le  plus 
habituellement,  il  faut  voir  dans  ces  logis  de  véritables  défenses,  si,  par 
exemple,  les  ponts  donnent  accès  dans  des  bourgs  ou  villes  défendus. 
C'est  ainsi  que  le  vieux  pont  de  Saintes,  démoli  aujourd'hui,  mais  que 
nous  avons  vu  à  peu  près  entier  il  y  a  vingt-cinq  ans,  formait,  sur  la 
Charente,  un  obstacle  formidable,  soit  contre  les  bateaux  arrivant  avec 
une  intention  hostile ,  soit  contre  des  partis  se  présentant  par  la  rive 
droite.  Ce  pont  était  bâti  sur  des  piles  romaines,  et  présentait  même  en* 
core  sur  l'une  d'elles,  vers  la  rive  droite,  une  porte  antique  formant  arc 
triomphal  à  deux  ouvertures'.  La  vue,  figure  &,  donne  une  idée  de  la 
disposition  générale  de  ce  pont  défendu  par  une  suite  d'ouvrages  impor- 
tants. D'abord,  du  côté  du  faubourg  des  Dames,  situé  sur  la  rive  droite 
de  la  Charente,  se  présentait  une  première  porte  ;  puis  venait  l'arc 
romain,  crénelé  dans  sa  partie  supérieure  pendant  le  moyen  âge  ;  puis, 
du  côté  de  la  ville,  une  tour  à  section  ovale  à  travers  laquelle  il  fallait 
passer^;  puis,  enfin,  la  porte  de  la  ville,  flanquée  de  tourelles.  De  la  porte 
sur  le  faubourg  des  Dames  à  l'arc  antique,  le  pont  était  construit  en 
bois,  ainsi  que  de  la  grosse  tour  à  la  porte  de  la  ville,  de  sorte  que  le 
tablier  de  ces  fragments  de  pont  pouvant  être  facilement  enlevé^  toute 
communication  entre  la  ville  et  le  faubourg,  ou  la  ville  et  la  grosse  tour, 
était  interrompue.  Les  arches  du  pont  reconstruit  au  moyen  âge  sur  des 
piles  romaines  étaient  en  tiers-point,  et  le  tablier  du  pont  peu  relevé  au 
centre.  La  grosse  tour,  non-seulement  défendait  le  pont,  mais  comman- 
dait la  porte  de  la  ville  en  cas  qu'elle  fût  tombée  au  pouvoir  d'un  ennemi 
débarquant  sur  la  rive  gauche,  et  dominait  le  cours  du  fleuve.  Le  para* 
pet  du  pont  était  autrefois  crénelé,  afin  de  permettre  à  la  garnison  de  la 
tour  de  barrer  absolument  la  navigation.  Ces  défenses  ne  remontaient 
pas  au  delà  de  la  fin  du  xiv'  siècle.  Quant  au  pont  lui-même,  il  datait 
de  plusieurs  époques,  autant  que  les  reprises  successives  faites  dans 
les  arches  permettaient  de  le  reconnaître  ^.  Le  pont  de  Saintes,  bien 

1  Gel  arc  de  triomphe,  déposé  pièce  à  pièce,  lorsque  la  démolition  du  pont  fut  dcflni' 
tiTemcnt  résolue,  a  été  remonté  sur  les  bords  mêmes  du  fleuve,  par  les  soins  de  lu  com- 
mtssioa  des  monuments  historiques  et  sous  la  direction  de  M.  Clerget,  architecte. 

'  Cette  tour,  ù  la  fin  tlu  xvi^  siècle,  servait  de  prison  municipale. 

>  1^  grosse  tour  et  la  poi;tc  de  la  ville  furent  démolies  après  les  guerres  de  religion  ; 
elles  sont  parfaitement  indiquées  dans  une  vue  cavalière  du  recueil  de  157A  :  Civitates 
orbvt  ierr. 


(    PUHT   ] 


j—i;'       ^*i;y  f^/j 


que  privé  de  sa  grosse  tour  et  de  ses  défenses  vers  la  ville,  ne  laissait  pas, 


—  233  —  [  PONT  ] 

il  y  a  vingt  aos.  de  présenter  un  véritable  intérêt;  il  a  été  démoli  sans 
raison  sérieuse  et  remplacé  par  un  pont  suspendu  qui,  bien  entendu, 
devra  bientôt  ôtre  refait,  la  durée  de  ces  sortes  de  ponts  ne  dépassant 
guère  un  demi- siècle. 

Nos  vieilles  villes  françaises,  qui  la  plupart  présentaient,  il  y  a  peu  de 
temps,  un  caractère  particulier^  et  qu'on  aimait  à  visiter  ainsi  parées 
encore  de  leurs  monuments,  ont  laissé  détruire,  sous  l'influence  d'un 
engouement  passager,  bien  de  précieux  débris.  Espérons  que  leurs  con- 
seils municipaux,  mieux  instruits  de  leurs  véritables  intérêts,  conserve- 
ront religieusement  les  restes  de  leur  ancienne  splendeur,  respectés  par 
le  temps,  quand  ces  restes  d'ailleurs  ne  peuvent  en  aucune  façon  entra- 
ver les  développements  de  l'activité  moderne,  et  sont  un  attrait  pour  les 
voyageurs.  L'arc  romain  de  Saintes,  si  précieux  sur  le  pont,  fait  aujour- 
d'hui sur  la  rive  la  plus  étrange  ligure,  et  semble  être  un  édifice  échoué 
là  par  hasard. 

La  ville  de  Cahors  n'a  heureusement  pas  encore  détruit  son  merveil- 
leux pont  de  la  Calendre,  l'un  des  plus  beaux  et  des  plus  complets  que 
nous  ait  légués  le  xiii^  siècle.  La  construction  du  pont  de  la  Calendre 
remonte  à  l'année  1251,  et  mérite  une  étude  spéciale.  Ce  pont  se  reliait 
aux  murailles  de  la  ville,  commandait  le  cours  du  Lot,  et  battait  les  col- 
lines qui  sont  situées  sur  la  rive  opposée.  La  ville  de  Cahors  possédait 
trois  ponts  à  peu  près  bâtis  sur  le  même  modèle  ;  le  pont  de  la  Calendre 
est  celui  des  trois  qui  est  le  mieux  conservé.  Il  se  compose  de  six  arches 
principales  en  tiers-point,  fort  élevées  au-dessus  de  l'étiage.  Sur  la  pile 
centrale  et  les  deux  piles  extrêmes  (fig.  5),  s'élèvent  trois  tours  :  celle 
du  centre  carrée  et  les  deux  extrêmes  sur  plan  barlong.  Du  tablier  du 
pont,  des  escaliers  crénelés  permettent  de  monter  au  premier  étage  de 
ces  tours.  La  ville  est  située  en  A.  Sur  la  rive  opposée  en  B  se  dressent, 
abruptes,  des  collines  calcaires  assez  hautes.  On  arrivait  au  pont  latéra- 
lement, en  suivant  le  cours  du  Lot,  soit  en  amont,  soit  en  aval,  ainsi 
qu'on  le  voit  en  C.  II  fallait  alors  franchir  une  porte  défendue  par  un 
cbâtelet  D,  qui  commandait  la  route  et  les  escarpements  inférieurs  de  la 
colline  B.  Cette  porte  double  donnait  entrée  à  angle  droit  sur  le  tablier 
du  pont,  en  avant  de  la  première  tour  Ë.  Les  parapets  de  cette  première 
travée  étaient,  crénelés,  et  communiquaient,  d'un  côté,  par  un  escalier 
également  crénelé  F,  avec  les  défenses  supérieures  du  cbâtelet.  Il  fallait 
alors  franchir  la  teur  E,  bien  défendue  dans  sa  partie  supérieure  par  des 
mâchicoulis,  et  par  une  porte  avec  mâchicoulis  intérieur.  La  porte  E 
franchie,  on  entrait  sur  la  première  moitié  du  pont  commandée  par  la 
tour  centrale  G,  à  laquelle  on  montait  par  un  escalier  contenu  dans  un 
ouvrage  construit  sur  l'un  des  avant-becs.  Cette  tour  centrale  était  de 
même  fermée  par  une  porte.  Celle-ci  franchie,  on  entrait  sur  la  seconde 
moitié  du  tablier,  commandée  parla  troisième  tour  H,  munie  à  son  som- 
met de  mâchicoulis.  Du  côté  de  la  ville^  une  dernière  porte  I  défendait  les 
approches  de  cette  troisième  tour,  à  laquelle  on  montait  par  un  escalier 

VII.  —  30 


[  TOUT  1  —  2S4  — 

créaelé  posé  sur  un  arc-boutant.  Les  avant-becs  servaient  de  gares  d'6vi- 


tement,  et  étaient  crénelés  de  manière  ù  flanquer  le  pont  et  à  battre  U 


—  235  —  [  PONT  ] 

rivière.  Tous  ces  ouvrages,  sauf  le  châlelct  D  »  et  les  crêtes  crénelées  des 
parapets  des  avant-becs,  sont  encore  intacts,  et  présentent,  comme  on 
le  voit,  un  fort  bel  ensemble.  La  conslruclion  est  faile  en  bons  matériaux; 
les  claveaux  des  arches  sont  extradossés,  ce  qui  est  une  condition  de  soli- 
dité et  d'élasticité.  Nous  observons,  à  ce  propos,  que  les  ponts  romairs, 
aussi  bien  que  ceux  du  moyen  âge,  présentent  toujours  des  arcs  extra- 
dossés, et  ce  n*est  pas  sans  raison.  En  effet,  lorsque  de  lourds  fardeaux 
passent  sur  les  arches,  pour  peu  qu'elles  aient  une  assez  grande  portée, 
il  se  produit  dans  les  reins  un  mouvement  sensible  de  trépidation  :  si  les 
claveaux  sont  indépendants  de  la  construction  des  tympans,  ils  conser- 
vent leur  élasticité  et  ne  peuvent  répercuter  au  loin  Tébranlement  ;  mais 
si  au  contraire  ces  claveaux  sont  à  crossettesou  inégaux,  c'est-à-dire  s'ils 
sont  plus  épais  dans  les  reins  qu'à  la  clef,  le  mouvement  oscillatoire  se  pro- 
duit sur  toute  la  longueur  du  pont,  et  fatigue  singulièrement  les  piles.  On 
peut  observer  ce  fait  sur  le  pont  Louis  XVI,  à  Paris,  bâti  par  le  célèbre 
ingénieur  Perronet.-  Lorsqu'un  chariot  lourdement  chargé  passe  sur 
Tarche  centrale,  on  en  ressent  un  ébranlement  sensible  sur  toute  la  Ion-, 
gueur  du  pont.  Pour  obvier  au  danger  de  cette  oscillation,  l'ingénieur 
Perronet  avait  pour  habitude  de  cramponoér  en  fer  les  queues  des  cla- 
veaux; mais  s'il  assurait  ainsi  la  solidarité  de  toutes  les  parties  du  pont, 
il  plaçait  un  agent  destructeur  très-actif  dans  la  maçonnerie,  agent  qui 
\ài  ou  tard  causera  des  désordres  notables.  Les  arcs  extradossés,  suivant 
la  méthode  romaine  et  du  moyen  âge,  ont  au  contraire  l'avantage  de 
rendre  chaque  arche  indépendante,  d'en  faire  un  cerceau  élastique  qui 
peut  se  mouvoir  et  osciller  entre  deux  piles  sans  répercuter  cette  oscilla- 
tion plus  loin.  Nos  ingénieurs  modernes,  mieux  avisés,  en  sont  revenus 
à  cette  méthode;  mais  cela  prouve  que  les  constructeurs  du  moyen  âge 
avaient  acquis  l'expérience  de  ces  sortes  de  bâtisses.  On  pourra  leur  re- 
procher d'avoir  multiplié  les  piles  et  resserré  d'autant  les  voies  de  navi- 
gation ;  mais  il  faut  considérer  que  si  les  ponts  du  moyéti  âge  étaient  faits 
pour  établir  des  communications  d'une  rive  d'un  fleuve  à  l'autre,  ils 
étaient  aussi  des  moyens  de  défense,  soit  sUr  la  voie  de  terre,  soit  sur  la 
voie  fluviale,  et  que  la  multiplicité  de  ces  piles  facilitait  singulièrement 
cette  défense.  D'ailleurs  ces  ponts  ne  s'élevaient  pas,  comme  les  nôtres, 
dans  l'espace  de  deux  ou  trois  ans.  La  pénurie  des  ressources  faisait  qu'on 
mettait  dix  et  vingt  ans  à  les  construire;  dès  lors  il  ne  fallait  pas  que  la 
fermeture  d'une  arche  pût  renverser  les  piles  voisines,  et  celles-ci  de- 
vaient être  assez  fortes  relativement  et  assez  rapprochées,  pour  résister 
aux  poussées.  C'est  la  nécessité  où  l'on  se  trouvait  de  bâtir  ces  ponts  par 
parties  qui  faisait  adopter  dans  quelques  cas  la  courbe  en  tiers-point 
pour  les  arches,  cette  courbe  poussant  moins  que  la  courbe  plein  cintre. 
Le  pont  de  la  Galendre,  h  Cahors,  possède  des  avant-becs  en  aval 
comme  en  amont,  et  par  conséquent  des  gares  flanquantes  et  d'évitemeht 

1  De  ce  chàtelet  il  ne  reste  que  les  parties  bas 


[  POKT  ]  —  23C  — 

sur  les  deux  côlés  du  tablier.  C'est  encore  une  raison  de  défense  qui  a 
motivé  cette  disposition,  car  partout  où  les  ponts  n'ont  pas  cette  impor- 
tance au  point  de  vue  militaire,  s'il  est  pratiqué  des  avanl-becs  aigus  en 
amont,  tes  piles  sont  plates  du  cùté  d'aval,  comme  par  exemple  au  pont 
de  Sdint-Éticnne,  à  Limoges,  décrit  par  M.  Félix  de  Vemeilh  dans  les 
Atmain  archéologique»  '.  Ce  savant  archéologue,  auquel  nous  devons  des 
travaux  si  précieux  sur  les  monuments  français  du  moyen  Age,  a  obsené 
aussi  que  dans  plusieurs  de  ces  ponts  du  Limousin  ,  dont  les  piles  sont 
très-épaisses  relativement  aux  travées  des  arches,  ces  piles  ne  sont  sou- 
vent composées  que  d'un  parement  de  granit,  au  milieu  duijuri  est  pi- 
lonné un  massif  de  terre.  C'était  là  un  moyen  économique  dont  nom 
avons  pu  constater  l'emploi,  et  qui  remonte,  pensons-oons,  h.  une  assez 
haute  antiquité,  car  des  restes  de  piles  romaines  nous  ont  présenté  la 
même  particularité.  Les  avant-becs  de  plusieurs  ponts' du  Limousin 
donnent  en  section  horizontale,  non  poiat  a*  angle  aigu  ou  droit,  mais 
une  courbe  en  tiers-point,  ce  qui  avait  l'aTanlage  de  permettre  le  gbsse- 
ment  de  l'eau  courante  et  de  donaer  plus  de  force  à  ces  éperons;  car  il 
est  clair  (flg.  6),  que  la  seclion  A  présente  une  plus  grande  surface  que 
la  section  B,  par  conséquent  plus  de  poids  et  de  résistance. 


in 


flevenons  au  pont  de  Cahors.  On  remarquera  (fig  5)  que  les  escaliers 
extérieurs  conduisant  aux  tours  sont  ouverts  du  côté  de  la  ville,  le  long 
du  parapet,  de  telle  sorte  que  si  le  chAtelet  D  était  pris,  fermant  la  porte 
de  la  tour  E,  les  défenseurs  pouvaient  accabler  les  assaillants  et  recevoir 
des  rçnforts  de  la  ville.  Seul  l'escalier  de  la  tour  centrale  G  est  pratiqué 
dans  un  exhaussement  de  l'avant-bec  ;  son  entrée  étant  placée  sous  le 
passage,  mais  masquée,  bien  entendu,  par  la  porte  qui  fermait  ce  pas- 
sage. L'escalier  de  la  dernière  tour  H  est  en  cooimunication  avec  le  cré- 
nelage  du  poste  I,  et  le  poste,  fermé  du  côté  de  U  ville,  était  d^tiné  k 
présenter  un  premier  obstacle  aux  assaillants  qui  auraient  pu  faire  une 
descente  sur  la  rive  de  ce  cûlé.  Nous  donntins  (flg.  7)  une  vue  perspec- 
tive à  vol  d'oiseau  de  la  tour  E  sur  la  rive  opposée  à  la  ville  et  de  ses  dé- 
pendances. Outre  le  cbAtelet  extérieur  A,  une  défense  basse  formait  télé 
de  pont  sur  cette  rive,  empêchait  de  débarquer  près  de  la  tour,  et  pré- 


—  237  —  [  pour  1 

seotait  un  premier  obstacle  sur  la  route  B.  On  remarquera  dans  cette 
figure  la  disposition  des  mAcbicoulis  avec  petits  arcs  plein  cintre.  Cha- 


cun de  ces  arcs  est  porté  par  une  console  composée  de  quatre  assises  en 
encorbellement  qui  reçoivent  une  languetle  de  maçonnerie  dans  la  hau- 
teur du  coffre,  de  sorte  que  chaque  arc  fait  un  assommoir  séparé  s'ou- 


[  PONT  ]  —  238  — 

vrant  par  une  baie  dans  l'étage  supérieur.  Au-dessus  des  mâchicoulis, 
couverts  par  de  grandes  dalles,  sont  percés  quatre  créneaux  très-rappro- 
chcs,  permettant  le  tir  de  l'arbalète  suivcint  un  angle  plus  ou  moins 
ouvert.  Le  premier  et  le  second  étage  sont  chucun  percés  d'une  seule 
archère  sur  chaque  face.  L'avanl-bec  qu'on  voit  dans  notre  figure  in- 
dique le  système  adopté  par  le  maître  de  l'œuvre  pour  élever  la  construc- 
tion. Ces  avant-becs  sont  percés  parallèlement  au  tablier,  à  la  hauteur  de 
la  naissance  des  arches ,  de  passages  au-dessous  desquels  on  voit  trois 
trous  destinés  à  poser  des  sapines  en  travers,  et  un  petit  plancher  for- 
mant passerçUe.  Les  cintres  des  arches  étaient  eux-mêmes  posés  dans 
des  trous  de  scellement  restés  apparents.  Ainsi  le  service  des  maçons 
se  faisait  par  cette  passerelle  à  travers  les  avant- becs.  Sur  cette  passerelle 
les  matériaux  étaient  bardés,  enlevés  par  des  grues  mobiles  et  posés  sans 
nécessiter  aucun  autre  échafaudage.  Comme  le  fait  observer  M.  Félix  de 
Verneilh,  dans  la  notice  citée  plus  haut,  les  ponts  du  moyen  âge  étaient 
sujets  à  être  coupés  pendant  les  guerres  continuelles  de  ces  temps; 
c'était  là  encore  une  raison  qui  obligeait  les  constructeurs  de  donner 
aux  piles  une  forte  épaisseur,  car  il  ne  fallait  pas,  si  l'on  était  dans  la 
nécessité  de  couper  une  arche,  que  les  autres  vinssent  à  fléchir.  Mais 
aussi  en  prévision  de  cette  éventualité,  beaucoup  de  ponts  de  pierre 
avaient  des  travées  mobiles  en  bois.  Nous  avons  vu  tout  à  l'heure  que  le 
pont  de  Saintes  possédait  deux  portions  de  tabliers  de  charpente  :  Tun 
du  côté  du  faubourg,  l'autre  du  côté  de  la  ville.  Certains  ponts  de  pierre 
étaient  munis  de  véritables  ponts-levis  :  tels  étaient  ceux  de  Poissy, 
d'Orléans,  deCharenton,  de  laGuillotièreàLyon,  de  Montereau,  etc.  Par- 
fois aussi  les  ponts  ne  se  composaient  que  de  piles  de  maçonnerie  avec 
tabliers  de  charpente  couverts  ou  découverts. 

Les  exemples  que  nous  venons  de  donner  démontrent  assez  Tim- 
portance  des  ponts  pendant  le  moyen  âge  comme  moyen  de  communi- 
cation et  comme  défense.  Certains  ponts  plantés  au  confluent  de  deux 
rivières  se  reliaient  à  de  véritables  forteresses  :  tel  était,  par  exemple,  le 
pont  de  Montereau.  Vers  l'an  1026,  un  comte  de  Sens  avait  fait  construire 
sur  l'extrémité  de  la  langue  de  terre  qui  se  trouve  au  confluent  de  l'Yonne 
et  de  la  Seine  un  donjon  carré  très-fort  qui  servit  de  point  d'appui  à  un 
vaste  châtelet,  auquel  aboutissait  le  pont  traversant  les  deux  rivières. 
Ce  pont  était  en  outre  fermé  à  ses  deux  extrémités  par  des  portes  forti- 
flées.  Cet  ensemble  de  défenses  existait  encore  au  xvii*'  siècle^  ainsi  que 
le  démontre  la  gravure  de  Mérian  ^ 

Le  pont  d'Orléans,  sur  la  disposition  duquel  il  reste  de  curieux  docu- 
ments, est,  au  point  de  vue  de  la  défense-,  un  exemple  à  consulter.  Tout 
le  monde  sait  de  combien  de  faits  d'armes  il  fut  le  témoin  lors  du  siège 
entrepris  en  1^28  par  les  Anglais.  Or  voici,  au  moment  de  ce  siège, 
quels  étaient  les  ouvrages  qui  faisaient  de  ce  pont  une  défense  impor- 

.'  Topogr,  GalHœj  '  ■ 


—  289  —  [  PONT  ] 

tante.  Placé  sur  la  route  qui  reliait  le  nord  au  midi  de  la  France  il  la 

i  OKL.EAfi-S 


distance  la  plus  rapprochée  de  Paris,  il  était  essentiel  de  le  bien  munir. 


[    PONT  ]  —   2^0  — 

A  l'époque  donc  où  les  Anglais  vinrent  assiéger  Orléans,  ceux-ci,  suL 
vant  la  rive  gauche,  se  présentèrent,  le  12  octobre  1428,  par  la  Sologne, 
devant  le  boulevard  des  Tourelles  (fig.  8 ,  situé  en  A).  Ce  boulevard 
n'était  alors  qu*un  ouvrage  de  terre  et  de  bois.  Le22,ils  s'en  emparèrent, 
et  les  habitants  d'Orléans  abandonnèrent  le  fort  des  Tourelles  B,  pour  se 
retirer  dans  la  bastille  Saint-Antoine  F,  située  dans  Tile,  après  avoir  eu  la 
précaution  de  couper  l'arche  I  de  cette  partie  du  pont.  Les  Anglais,  de 
leur  côté,  coupèrent  Tarche  K.  Les  gens  d'Orléans  établirent  à  la  hâte  un 
boulevard  de  bois  à  la  Belle-Croix,  en  C.  Ce  fut  dans  cet  espace  étroit 
qu'eurent  lieu  quelques-uns  des  faits  d'armes  de  ce  siège  mémorable. 
La  bastille  Saint-Antoine  F  était  précédée  d'une  chapelle  D  placée  sous  le 
vocable  de  ce  saint,  et  d'une  aumônerie  E  destinée  à  recevoir  les  pèlerins 
et  voyageurs  attardés.  En  H  était  la  porte  de  la  ville,  et  en  G  le  châtelet. 
Après  la  levée  du  siège,  l'ouvrage  des  Tourelles  fut  réparé,  ainsi  que  le 
boulevard  A.  Cette  fois,  ce  boulevard  fut  revêtu  de  pierre,  ainsi  que  le 
fait  connaître  un  plan  sur  parchemin  dressé  par  un  sieur  Fleury,  arpen- 
teur, en  1543,  et  reproduit  en  fac-similé  par  M.  Jollois,  dans  son  Histoire 
du  siège  d'Orléans  *. 

Un  second  pont-levis  était  pratiqué  en  avant  de  la  porte  H  de  la  ville. 
Une  vue  perspective  à  vol  d'oiseau  (fig.  9)  présente  l'entrée  du  pont 
d'Orléans,  avec  son  boulevard  sur  la  rive  gauche,  du  côté  de  la  Sologne, 
après  les  réparations  faites  depuis  le  siège  de  U28.  Plus  tard,  en  1591 
et  1592'^,  on  reconstruisit  ce  boulevard  A  avec  casemates  en  forme  de 
ravelin  à  doubles  tenailles,  ainsi  que  des  fouilles  récentes  l'ont  fait  re- 
connaître. Mais  alors  la  porte  des  Tourelles  existait  encore.  Le  boulevard 
reproduit  dans  notre  figure  9  était  entouré  d'un  fossé  rempli  par  les 
eaux  de  la  Loire,  et  muni  d'un  pont-levis  s'abattant  parallèlement  à  la 
rivière. 

Un  second  pont-levis  séparait  (comme  au  temps  du  siège)  le  boulevard 
du  fort  des  Tourelles.  Ce  fut  en  effet  en  voulant  défendre  ce  pont-levis, 
attaqué  par  les  gens  d'Orléans,  après  la  prise  du  boulevard,  que  périt  le 
capitaine  anglais  et  quelques  hommes  d'armes  avec  lui.  Jeanne  Darc  y 
lit  mettre  le  feu  au  moyen  d'un  bateau  chargé  de  matières  combustibles. 
L'existence  de  ce  pont-levis  en  1428  ne  saurait  donc  être  douteuse.  Ce 
qu'on  appelait  la  Belle-Croix,  située  en  C  sur  l'avant-bec  d'une  des  piles 
du  pont,  était  un  monument  de  bronze,  consistant  en  un  crucifix  érigé 
sur  un  piédestal  orné  de  bas-relief  représentant  la  sainte  Vierge,  saint 
Pierre,  saint  Paul,  saint  Jacques,  saint  Etienne,  et  les  évêques  saint 
Aignan  et  saint  Ëuvertc.  Il  était  en  effet  d'un  usage  général  de  placer 
une  croix  sur  le  milieu  des  ponts,  pendant  le  moyen  âge.  En  avant  du 

1  Histoire  du  siège  iV Orléans ^  par  M.  Jollois,  ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées, 
1833,  petit  in-folio,  avec  la  Lettre  à  MM,  tes  membres  de  la  Société  des  antiquaires  de 
France,  1834. 

-^  Comptes  de  la  ville. 


—   241    —  [    POKT  ] 

boulevard  desToarellesétaîtsitué  le  couvent  des  Augustins,  quelesbabi* 


Unis  (l'Orlémis  jetèrent  bas  à  l'arrivée  des  Anglais,  pour  débarrasser 
les  abord-i  du  chitelet.  Ccpeniiant  ce  monastère  était  lui-même  entouré 


[   PONT   ]  —  2(l2   — 

d'une  clôture  et  d'un  fossé,  et  pouvait  servir  de  défense  avancée.  On  n'ar- 
rivait donc  devant  l'entrée  du  pont  d'Orléans,  comme  devant  l'entrée  du 
pont  de  la  Calendre  à  Gahors,  que  latéralement. 

On  conçoit  quelles  difûcultés  le  régime  féodal  devait  apporter  dans  la 
construction  des  ponts.  Ce  n'était  ni  la  science  pratique,  ni  la  hardiesse, 
ni  même  les  ressources  qui  manquaient  lorsqu'il  était  question  d'établir 
un  pont  sur  un  large  cours  d'eau,  mais  bien  plutôt  le  bon  vouloir  d'au- 
torités intéressées  souvent  à  rendre  les  communications  d'un  pays  à 
l'autre  difficiles.  On  reconnaît,  par  les  exemples  déjà  donnés,  que  si  les 
ponts  réunissaient  deux  rives  d'un  fleuve,  on  cherchait  à  accumuler  sur 
leur  parcours  le  plus  d'obstacles  possible.  On  possède  sur  la  construc- 
tion du  pont  de  Montauban  des  documents  complets  et  étendus  qui 
démontrent  assez  quels  étaient  les  obstacles  de  toute  nature  opposés  à 
ces  sortes  d'entreprises.  Dès  114^,  le  comte  de  Toulouse,  Alphonse  Jour- 
dain, en  donnant  aux  bourgeois  de  Montauriol  l'autorisation  de  fonder 
la  ville  de  Montauban  sur  les  bords  du  Tarn,  insère  dans  la  charte  de 
fondation  cette  clause  :  «  Les  habitants  dudit  lieu  construiront  un  pont 
a  sur  la  rivière  du  Tarn,  et,  quand  le  pont  sera  bâti,  le  seigneur  comte 
a  s'entendra  avec  six  prudhommes,  des  meilleurs  conseillers^  habitants 
((  dudit  lieu,  sur  les  droits  qu'ils  devront  y  établir,  afin  que  ledit  pont 
a  puisse  être  entretenu  et  réparé  ^  »  Mais  la  ville  naissante  était  trop 
pauvre  pour  pouvoir  mettre  à  exécution  une  pareille  entreprise.  Puis 
vinrent  les  guerres  des  Albigeois,  qui  réduisirent  ce  pays  à  la  plus  aiTreuse 
détresse.  Ce  n'est  qu'en  126/!i  que  les  consuls  de  Montauban  prennent  des 
mesures  financières  propres  à  assurer  la  construction  du  pont  sur  le  Tarn. 
En  1291,  la  ville  achète  l'île  des  Gastillons  ou  de  la  Pissolte,  pour  y  as- 
seoir plusieurs  des  piles  de  l'édifice.  C'était  à  l'un  des  rois  qui  ont  le  plus 
fait  pour  établir  l'unité  du  pouvoir  en  France,  qu'il  était  réservé  de  com- 
mencer définitivement  cette  entreprise  ^.  Philippe  le  Bel,  étant  venu  à 
Toulouse  pour  terminer  les  différends  qui  existaient  entre  le  comte  de 
Foix  et  les  comtes  d'Armagnac  et  de  Comminges,  chargea  de  la  construc- 
tion du  pont  de  Montauban  deux  maîtres,  Etienne  de  Ferrières,  châtelain 
royal  de  la  ville,  et  Mathieu  de  Verdun,  bourgeois,  en  soumettant  tous 
les  étrangers  passant  à  Montauban  à  un  péage  dont  le  produit  devait  être 
exclusivement,  réservé  au  payement  des  frais  de  construction,  et  en  ac- 
cordant aux  consuls,  aux  mêmes  fins,  une  subvention  (130/i).  Le  roi  toute- 
fois imposa  comme  condition  de  bâtir  sur  le  pont  trois  bonnes  et  fortes 
tours  «dont  il  se  réservait  la  propriété  et  la  garde  ».  Deux  de  ces  tours 
devaient  s'élever  à  chaque  extrémité,  la  troisième  au  milieu  ^.  Ce  ne  fut 

1  Art.  26  de  la  charte  de  fondation  de  Montauban,  Archives  de  Montauban^  liTrc  Rouge, 
fol.  verso  105. 

^  Voyez  rexcellente  notice  sur  le  pont  de  Montauban,  donnée  par  M.  Devais  aîné  dans 
les  Annales  archéologiques^  t.  XVI,  p.  39. 

9  Archives  de  Montauban f  liasse  D,  n<*  16,  liv.  des  Serments,  folio  102. 


—  2/43   —  [   rONT  ] 

cependant  qu'après  des  vicissitudes  de  tontes  sortes  que  Tenlreprise  put 
être  achevée  ;  les  sommes  destinées  à  la  construction  ayant  été,  à  diverses 
reprises,  détournées  par  les  consuls.  Les  travaux  furent  terminés  seule- 
ment vers  1335.  Ce  pont  est  entièrement  bâti  de  brique;  sa  longueur 
est  de  250", 50  entre  les  deux  culées.  Son  tablier  est  parfaitement  hori- 
zontal et  s'élève  de  18  mètres  au-dessus  des  eaux  moyennes  du  Tarn.  Il 
se  compose  de  sept  arches  en  tiers-point  de  22  mètres  d'ouverture  en 
moyenne,  et  de  six  piles  dont  l'épaisseur  est  de  8", 55,  munies  d'avant- 
becs  en  amont  comme  en  aval,  et  percées  au-dessus  de  ces  éperons  de 
longues  baies  en  tiers-point  pour  faciliter  le  passage  des  eaux  pendant  les 
crues.  Les  briques  qui  ont  servi  à  la  construction  de  ce  pont  sont  d'une 
qualité  excellente,  et  portent  5  centimètres  d'épaisseur  sur  UQ  centi- 
mètres de  longueur  et  28  centimètres  de  largeur  K 

La  tour  la  plus  forte  était  située  du  côté  opposé  à  la  ville  ;  ces  tours 
extrêmes  étaient  carrées  et  couronnées  de  plates-formes  avec  mâchicou- 
lis et  créneaux.  La  tour  centrale,  bâtie  sur  l'arrière-bec  d'aval,  était  trian- 
gulaire, et  possédait  un  escalier  à  vis  descendant  jusqu'à  une  poterne 
percée  au  niveau  de  la  rivière  du  côté  de  la  ville.  Cet  escalier  donnait  en 
outre  accès  sur  l'avant-bec  de  la  même  pile,  au  niveau  du  seuil  des  baies 
ogivales  posées  à  travers  les  autres  piles.  Là  était  disposée  une  bascule 
qui  portait  une  cage  de  fer  destinée  à  plonger  les  blasphémateurs  dans 
le  Tarn.  Suivant  l'usage,  une  chapelle  avait  été  disposée  au  niveau  du 
tablier  dans  la  tour  centrale,  et  était  placée  sous  le  vocable  de  sainte 
Catherine. 

Nous  ne  ferons  que  citer  ici  un  certain  nombre  de  ponts  de  pierre  du 
moyen  âge  qui  méritent  de  fixer  l'attention.  Ce  sont  les  ponts  :  de  Rouen, 
rebâti  à  plusieurs  reprises,  et  démoli  pendant  le  dernier  siècle;  de 
l'Arche,  démoli  depuis  peu,  et  qui  datait  de  la  fin  du  xiii"  siècle,  bien 
qu'il  eût  été  coupé  et  réparé  plusieurs  fois  pendant  les  xiv*  et  xv*  siècles  ; 
de  Poitiers,  avec  deux  portes  fort  belles  à  chacune  de  ses  extrémités,  et 
dont  on  possède  de  bonnes  gravures;  deNevers,  démoli  il  y  a  peu  d'an- 
nées; de  Tours;  d'Auxcrre,  qui  possédait  une  belle  tour  à  l'une  de  ses 
extrémités,  et  que  l'abbé  Lebeuf  a  encore  vue;  de  Blois,  de  Tonnerre; 
de  Sens,  terminé  du  côté*  de  la  ville  par  une  tour  considérable  ;  de 
Mâcon,  etc.  Il  est  certain  que  le  système  féodal  était  le  plus  grand  obstacle 
à  l'établissement  des  ponts,  au  moins  sur  les  larges  cours  d'eau  ;  mais  que 
le  cas  échéant,  les  maîtres  du  moyen  âge  savaient  parfaitement  se  tirer 
d'aflaire  lorsqu'une  volonté  souveraine  et  que  des  ressources  suffisantes 
les  mettaient  à  môme  de  construire  ces  édifices  d'utilité  publique.  L'éta- 
blissement des  grands  ponts  était  habituellement  dû  à  l'intervention 
directe  du  suzerain,  et  c'était  en  efi'et  un  des  moyens  matériels  propres 
à  rendre  efiective  l'autorité  royale  dans  les  provinces.  Ainsi  voyons-nous 
qu'à  Montauban,  le  roi  Philippe  le  Bel,  en  accordant  des  subsides  pour 

'  Nous  devons  ces  détails  à  M.  Olivier,  architecte  du  dépurtement. 


[  PONT  ]  —  24&  — 

la  construction  du  pont,  met  pour  condition  que  les  trois  tours  demeu- 
reront en  la  possession  de  ses  gens. 

Bien  entendu,  entre  toutes  les  villes  du  royaume,  Paris  possédait  plu- 
sieurs ponts  dès  une  époque  très-reculée.  Dubreul  *  nous  a  laissé  This- 
toire  de  ces  ponts  modifiés,  détruits,  refaits  bien  des  fois,  soit  en  bois, 
soit  en  pierre.  Une  des  causes  de  la  ruine  des  ponts  de  Paris,  était  ces 
maisons  et  ces  moulins  dont  on  permettait  l'établissement  sur  les  piles 
et  les  arches.  Les  plus  anciens  de  ces  ponts  étaient  le  pont  au  Change 
et  le  Petit-Pont,  le  premier  ayant  une  bastille  vers  la  rue  Saint-Denis, 
appelée  le  grand  Ghâtelet,  l'autre  Vers  la  rue  Saint-Jacques,  appelée  le 
petit  Ghâtelet.  Bien  que  les  deux  châtelets  existassent  déjà  du  temps  de 
Philippe-Auguste,  puisque  les  comtes  de  Flandre  et  de  Boulogne  y  furent 
tenus  prisonniers  après  la  bataille  de  Bouvines,  cependant  ces  deux  dé- 
fenses avaient  été  rebâties  en  grande  partie,  sinon  en  totalité,  à  la  fin  du 
xiii*  siècle  et  au  commencement  du  xiv*  siècle,  après  les  crues  terribles 
de  1280  et  de  1296,  qui  ruinèrent  les  deux  ponts. 

A  la  suite  de  ce  désastre,  le  Petit-Pont  fut  refait  en  pierre,  en  131ft, 
au  moyen  d'amendes  prélevées  sur  des  juifs.  Quant  au  pont  au  Change, 
on  se  contenta  de  le  réédifier  en  bois.  Le  pont  Notre-Dame,  dont  quel- 
ques historiens  font  remonter  la  construction  vers  le  milieu  du  xiv*  siècle, 
fut  refait  aux  frais  de  la  ville,  en  1/^13.  Cette  reconstruction,  probable- 
ment en  bois,  menaçait  ruine  en  IWO,  puisque,  le  13  février  de  cette 
année,  le  parlement,  par  un  arrêt,  décida  que  ce  pont  serait  entièrement 
rétabli.  Ce  projet  ne  fut  point  suivi  d'exécution,  et  en  1M8  le  pont 
Notre-Dame  s'écroula  avec  toutes  les  maisons  qui  le  bordaient.  «Ce pont 
<(de  bois,  dit  un  chroniqueur^,  contenoit  dix-huit  pas  en  largeur  et 
0  estoit  soutenu  sur  dix-sept  rangées  de  pilotis,  chacune  rangée  ayant 
«trente  pllliers;  Tespoisseur  de  chacun  de  ces  pilliers  estoit  un  peu  plus 
«d'un  pied,  et  avoient  en  hauteur  quarante-deux  pieds.  Ceux  qui  pas- 
«  soient  pardessus  ce  pont,  pour  ne  point  voir  d'un  costé  ny  de  l'autre  la 
((rivière,  croyoient  marcher  sur  terre  ferme,  et  sembloient  estre  au  mi- 
«  lieu  d'une  rue  de  marchands,  car  il  y  avoit  si  grand  nombre  de  toutes 
((  sortes  de  marchandises,  de  marchands  et  d'ouvriers  sur  ce  pont,  et 
«  au  reste  la  proportion  de  maisons  estoit  tellement  juste  et  égale  en 
((  beauté,  et  excellence  des  ouvrages  d'icelle,  qu'on  pouvoit  dire  avec  vé- 
«rité  que  ce  pont  méritoit  avoir  le  premier  lieu  entre  les  plus  rares 
«ouvrages  de  France.  » 

A  la  suite  du  sinistre  du  15  octobre  1&98,  le  peuple  de  Paris  accusa 
ses  magistrats  d'incurie  et  de  malversation ,  et  ceux-ci  furent  menés  en 
prison  ;  après  quoi  la  plupart  furent  condamnés  à  des  amendes  plus  ou 
moins  fortes.  Il  fallut  songer  à  reconstruire  le  pont  Notre-Dame.  Les 

1  Le  Théâtre  des  antiquités  de  Paris,  1612,  p.  235  et  suiv. 

'  Gaguin,  De  gesiis  Francorum,  Paris,  1522,  in-8,  folio  303,  verso.  —  C.  Malingre, 
p.  219  des  Annales  générales  de  la  ville  de  Paris ^  1640,  in-folio. 


—   245   —  [   FONT   ] 

deux  maîtres  des  œuvres  de  l'hôtel  de  ville,  Colin  de  la  Chesnaye  pour 
la  maçonnerie,  et  Gautier  Hubert  pour  la  charpente,  furent  chargés  de 
l'entreprise,  et  on  leur  adjoignit  Jean  de  Doyac,  Didier  de  Félin,  Colin 
Biart,  André  de  Saint-Martin,  ainsi  que  deux  religieux,  Jean  d'EscuUaint 
et  Jean  Joconde.  Ces  deux  derniers  étaient  chargés  du  contrôle  de  la 
pierre  de  taille.  Toutefois  et  contrairement  à  l'opinion  de  Sauvai,  Colin 
de  la  Chesnaye  et  Jean  de  Doyac  avaient  été  commis  à  la  superinteridance 
de  l'œuvre.  «  Seize  hommes,  pris  dans  les  différents  quartiers  de  la  ville, 
«travaillaient  sous  leurs  ordres,  et  comme  marque  du  pouvoir  souverain 
«qu'ils  exerçaient,  Colin  de  la  Chesnaye  et  Jean  de  Doyac  portaient  un 
«bâton  blanc'.  » 

Le  28  mars  1&99,  les  premières  pierres  du  pont  Notre-Dame  furent 
posées  par  le  gouverneur  de  Paris  et  les  magistrats  municipaux.  Les  tra- 
vaux furent  terminés  au  mois  de  septembre  1512.  Deux  rangs  de  maisons 
régulières  d'aspect  garnissaient  les  deux  côtés  de  ce  pont,  et  celles-ci  ne 
furent  démolies  qu'en  1786. 

Beaucoup  trop  de  gens  avaient  été  appelés  à  participer  à  la  construc- 
tion du  pont  Notre-Dame  ;  il  en  résulta  des  changements  dans  la  direc- 
tion de  l'œuvre  et  des  avis  différents  qui  retardèrent  l'entreprise.  Il  faut 
lire  à  ce  sujet  la  curieuse  notice  publiée  par  M.  Le  Roux  de  Lincy,  la- 
quelle donne  tout  au  long  les  avis  demandés  par  les  magistrats  munici- 
paux à  diverses  personnes  considérées  comme  compétentes  :  les  unes 
sont  pour  les  pilotis,  les  autres  les  considèrent  comme  inutiles  ;  naturel- 
lement les  charpentiers  penchent  pour  les  pilotis,  les  maçons  pour  les 
blocages.  Cependant  ce  pont  était  fort  bon  et  fort  beau,  il  y  a  encore 
quelques  années,  et  il  ne  semble  pas  qu'il  fût  très-nécessaire  de  le 
reconstruire  *. 

;  Au  moment  de  la  reconstruction  du  pont  Notre-Dame,  c'est-à-dire  au 
commencement  du  xvi*  siècle,  on  prenait  cette  habitude,  si  fort  en  hon- 
neur aujourd'hui,  de  consulter  quantité  de  gens  de  métier  ou  d'amateurs 
officieux  en  matières  de  travaux  publics  ;  on  accumulait  ainsi  des  avis, 
des  procès-verbaux  qui  ont  certes  un  grand  intérêt  pour  nous  aujour- 
d'hui, mais  qui,  au  total,  n'étaient  guère  profitables  à  l'œuvre  et  entraî- 
naient souvent  en  des  dépenses  inutiles.  En  cela  l'histoire  de  la  construc- 
tion du  pont  Notre-Dame  rappelle  passablement  celle  de  beaucoup  de 
nos  édifices  modernes.  On  faisait  évidemment  moins  de  bruit  et  l'on 
noircissait  moins  de  papier  autour  de  nos  vieux  ponts  du  moyen  âge, 
commencés  presque  tous  avec  des  ressources  infimes  et  continués  sans 

»  Registres  de  Vhâtei  de  viiie.  H,  1778,  fol.  28,  r«.  (Voyez  les  Recherches  historiques 
sur  la  chute  et  la  reconstruction  du  pont  Notre-Dame  à  Paris,  par  M.  Le  Roux  de  Lincy» 
Biblioth,  de  Vécole  des  chartes,  2«  série,  1.  II,  p.  32.) 

^  S'il  faut  s'en  rapporter  à  une  note  écrite  sur  la  couverture  du  livre  Roug^c  du  Ghà- 
teletde  Paris,  la  dépense  du  pont  Notre-Dame  à  Paris  se  serait  élevée  à  205  380  livres 
&  sous  h  deniers  tournois.  Sauvai^  contestant  ce  chiffre,  sans  d'ailleurs  donner  ses  preuves, 
prétend  que  la  dépense  s'éleva  à  1  160  684  livres. 


[   PONT   ]  —  2û6  — 

hruit,  avec  persistance,  jusqu'à  leur  aclièvement.  Cependanl  ces  ponts 
étaient  solides  et  parfois  trës-bardîs ,  puisque  plusieurs  d'entre  eux, 
comme  celui  de  Saint-Esprit  par  exemple,  excitent  notre  admiration. 

Les  piles  des  ponts  du  moyea  Age  étaient  élevées  au  moyea  de  bâUr- 
deauxet  rarement  sur  pilotis.  On  cherchait  au  fond  du  Oeuve  un  lit  solide, 
cl  l'on  bâiissnit  dessus.  Si  l'on  enfonçait  des  pilotis,  c'était  en  amont  des 
avant-becs,  lorsque  les  fonds  étaient  sablonneux  et  pour  éviter  les  alTouil- 
lements.  C'est  ainsi  que  sont  construites  les  piles  du  pont  de  la  Guillo- 
tière  à  Lyon,  qu'élaienl  fondées  celles  du  Petit-Pont  à  Paris,  du  pont  de 
l'Arche  et  du  pont  de  Rouen.  Quant  aux  arches,  nous  avons  vu  que  celles 
des  ponts  Saint-Rénezet  et  Saint-Esprit  sont  composées  de  rangs  de  cla- 
veaux juxtaposés,  non  liaisonnés.  Quelques  arches  de  pont,  d'une  ouver- 


iO 


lure  médiocre,  notamment  dans  le  Poilon,  sont  construites  au  moyen 
d'arcs -doubleaux  séparés  par  un  intervalle  rempli  par  un  épais  dallage 
au-dessous  du  tablier,  ainsi  que  l'indique  la  figure  10.  Ces  arcs- doubleaux 
sont  alors  posés  en  rainure  dans  les  piles  et  conservent  une  parfaite 
élasticité.  Les  eaux  pluviales  qui  s'inflllrent  toujours  à  travers  le  pavage 


-   2tll   —  [  PONT  ] 

passent  facilement  entre  les  joints  des  dalles,  el  ne  salpétrent  pas  les 
reins  des  arches,  comme  cela  n'a  que  trop  souvent  lieu  lorsque  celles-ci 
sont  pleines'.  Ce  système  d'arches  a  encore  l'avantage  d'être  léger,  de 
moins  charger  les  piles,  et  d'être  économique,  puisqu'il  emploie  un  tiers 
de  moins  de  matériaux  clavés.  Les  tympans  au-dessus  de  ces  arcs-dou- 
bleaas  sont  élevés  en  moellon  ou  en  pierre  tendre,  et  peuvent  être  trës- 
racilement  remplacés,  sans  qu'il  soit  nécessaire  d'interrompre  la  circu- 
lation. Les  exemples  de  ponts  construits  d'après  ce  système  paraissent 
appartenir  au  commencement  du  xm'  siècle,  ou  peut-être  même  à  la 
fin  du  xir. 

Pourdiminuer  la  dépense  considérable  que  nécessite  un  pont  construit 
avec  des  arches  de  pierre,  on  prenait  quelquefois  le  parti  de  n'élever 
que  des  piles  en  maçonnerie  sur  lesquelles  on  posait  un  tablier  de  bois. 


Tel  avait  été  construit  le  pont  traversant  la  Loire  il  Nantes  (fig.  11).  Sur 
les  avant-becs  de  ce  pont  s'élevaient  de  petites  maisons  louées  b.  des 
marchands  *■  Entre  quelques-unes  des  piles  avaient  été  établis  des  mou- 
lins ;  car  il  est  à  observer  que  presque  tous  les  ponts  bâtis  très-proches 
des  cités  populeuses,  ou  compris  dans  leur  enceinte,  étaient  garnis  de 
maisons,  de  boutiques  el  de  moulins.  La  place  était  rare  dans  les  villes 
du  moyen  âge,  presque  toutes  encloses  de  murs  et  de  tours,  et  les  ponts 

'  Oa  rsmtrquera  que  la  plupart  des  lieui  pont*  préienlent  d»  altérationt  très-pro< 
loatitt  dan)  Ici  clavBaui  intermédiaires,  tanilis  que  ceux  do  tâte  fontiatacti,  pnrce  qu'ils 
wnl  plus  ficilement  séché)  par  l'nir. 

*  Ce  pont  cxisldit  encore  dans  cet  état  vers  le  milieu  du  ivii*  siècle;  noiu  ne  savons 
precisémert  h  quelle  époque  il  a\ait  été  élevé.  {Voyci  la  Topographie  de  la  Gmie,  Kfav. 
<l-j  Uénan.) 


{    PONT   ]  —   2il8   — 

élanl  naturellement  des  passages  Irès-fréquenlés,  c'était  à  qui  cherchait 
à  se  placer  sur  ces  parcours.  Les  ponts  de  Paris  étaient  garnis  de  mai- 
sons, et  formaient  de  véritables  nies  traversant  le  fleuve.  Ce  fut  même 
l'établissement  de  ces  maisons,  dont  la  voirie  ne  se  préoccupait  pas  assez, 
qui  contribua  à  la  ruine  de  ces  ponts.  S'il  fallait  se  maintenir  sur  l'ali- 
gnement des  deux  côtés  de  la  voie,  sur  la  rivière  on  posait  des  bâtisses 
en  encorbellement,  on  creusait  des  caves  et  des  réduits  dans  les  piles, 
et  les  parois  de  ces  ponts  devaient  bientôt  se  déverser.  Lorsque  la  démo- 
lition des  maisons  qui  garnissaient  les  ponts  Notre-Dame  et  Saint-Michel 
à  Paris  fut  eiïectuée,  il  fallut  réparer  l,es  parements  extérieurs  et  les  tym- 
pans des  arches  jusqu'au  droit  des  piles,  chaque  habitant  ayant  peu  à 
peu  creusé  ces  tympans  ou  altéré  ces  parements. 


Les  ponts  de  boisjouent  un  rôle  important  dans  l'architecture  du  moyen 
âge,  leur  établissement  étant  facile  el  peu  dispendieux.  Nous  trouvons 
encore  la  tradition  des  ponts  rie  bois  gaulois  en  Savoie.  Dans  cette  con- 
trée, pour  traverser  un  torrent,  sur  les  pentes  escarpées  qui  forment 
son  encaissement,  on  amasse  quelques  blocs  do  grosses  pierres  en  ma- 
nière de  culées,  puis  (lig.  12)  sur  cet  enrochement  on  pose  des  troncs 


—    249   —  [   PONT   ] 

d'arbres,  alternativement  perpendiculaires  et  parallèles  à  la  direction  du 
ravin,  en  encorbellement.  On  garnit  les  intervalles  laissés  vides  entre  ces 
troncs  d'arbres,  de  pierres,  de  façon  à  former  une  pile  lourde,  homo- 
gène, présentant  une  résistance  suffisante.  D*une  de  ces  piles  à  Tautre  on 
jette  deux,  trois,  quatre  sapines,  ou  plus,  suivant  la  largeur  qu'on  veut 
donner  au  tablier,  et  sur  ces  sapines  on  cloue  des  traverses  de  bois.  Cette 
construction  primitive,  dont'chaquejour  on  fait  encore  usage  en  Savoie, 
rappelle  singulièrement  ces  ouvrages  gaulois  dont  parle  César,  et  qui  se 
composaient  de  troncs  d'arbres  posés  à  angle  droit  par  rangées,  entre  les- 
quelles on  bloquait  des  quartiers  de  roches.  Ce  procédé,  qui  n'est  qu'un 
empilage,  et  ne  peut  être  considéré  comme  une  œuvre  de  charpenterie, 
doit  remonter  à  la  plus  haute  antiquité  ;  nous  le  signalons  ici  pour  faire 
connaître  comment  certaines  traditions  se  perpétuent  à  travers  les  siècles, 
malgré  les  perfectionnements  apportés  par  la  civilisation,  et  combien 
elles  doivent  toujours  fixer  l'attention  de  l'archéologue. 

Ces  sortes  d'ouvrages  devaient  sembler  barbares  aux  yeux  des  Ro- 
mains, si  excellents  charpentiers,  et  nous  les  voyons  encore  exécuter  de 
nos  jours  au  milieu  de  populations  en  contact  avec  notre  civilisation. 
C'est  que  les  travaux  des  hommes  conservent  toujours  quelque  chose  de 
leur  point  de  départ,  et  que  dans  l'âge  mûr  des  peuples  on  peut  encore 
retrouver  la  trace  des  premiers  essais  de  leur  enfance.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  que,  dans  un  ordre  beaucoup  plus  élevé,  nous  voyons  les  char- 
pentiers à  Rome  exécuter  des  charpentes  considérables  à  l'aide  de  bois 
très-courts.  C'était  là  une  méthode  adoptée  par  les  armées  romaines.  Ne 
pouvant  en  campagne  se  procurer  des  engins  propres  à  mettre  au  le- 
vage de  très-grandes  pièces  de  bois,  ils  avaient  adopté  des  combinaisons 
de  charpenterie  qui  leur  permettaient  de  construire  en  peu  de  temps  des 
ouvrages  d'une  grande  hauteur  ou  d'un  grand  développement.  Ces  tra- 
ditions romaines  s'étaient  encore  conservées  chez  nous  pendant  les  pre- 
miers siècles  du  moyen  âge,  où  les  difficultés  de  transport  et  de  levage 
faisaient  qu'on  employait  des  bois  courts  pour  exécuter  des  travaux  de 
charpente,  surtout  en  campagne.  Villard  de  Honnecourt  donne  le  croquis 
d'un  pont  fait  avec  des  bois  de  vingt  pieds  '.  «  Ar  chu  »,  écrit-il  au  bas  de 
son  croquis,  a  fait  om  ou  pont  desor  one  aive  de  fus  de  xx  pies  d  lonc  *.  » 
Le  moyen  indiqué  par  Villard  de  Honnecourt  est  très-simple,  et  rappelle 
les  T)uvrages  de  charpenterie  que  nous  voyons  exprimés  dans  les  bas- 
reliefs  de  la  colonne  Trajane  et  de  l'arc  de  Septime-Sévère.  Villard  élève 
deux  culées  en  maçonnerie  (fig.  13),  auxquelles  il  scelle  d'abord  les  cha- 
peaux B  des  deux  potences  Â.  Les  contre-fiches  de  ces  potences  assem- 
blées dans  les  poteaux  D  sont  roidies  par  les  moises  E.  Sur  les  chapeaux 

*  Album  de  Villard  de  Honnecourt,  manuscrit  publié  en  fac-similé,  J.-B.  Lassus  et 
A.  Dareel,  1858,  pi.  XXXVIII. 

'  «  Par  ce  moyen  rait-on  un  pont  par-dessus  une  eau  avec  des  bois  de  vingt  pieds  de 
«  long.  » 

vu.  —  32 


(  PONT  ]  —  2rto  — 

de  CCS  potences,  il  élève  les  poleaux  G,  H,  mainlonus  dans  tous  les  sens 
par  (les  croix  de  Saint-André.  Des  seconds  chapeaux  K  réunissent  la  tèlc 
de  ces  poleaux  et  sont  soulagés  par  des  contre-ilches  L  moisées  comme 
celles  du  dessous;  puis,  sur  ces  derniers  chapeaux,  il  pose  des  pièces 
Iiorizoutalcs  qui  réunissent  les  deux  encorbellements  et  les  emp&chenl 


de  douner  du  nez.  11  suffisait  de  clouer  des  madriers  sur  les  longrines.  En 
ne  prenant,  pour  exécuter  cet  ouvrage,  comme  le  dit  Villard,  que  des 
bois  de  20  pieds,  on  peut  avoir  facilement  un  tablier  de  50  pieds  de  long, 
parfaitement  rigide.  Cela  parait  être  pour  notre  auteur  un  ouvrage  de 
campagne,  qu'il  surmonte  d'une  porte  à  chaque  bout. 

Quant  aux  ponts  de  bois  plantés  en  travers  de  grands  cours  d'eau, 
ils  se  composaient  de  rangées  de  pieux,  ordinairement  simples,  moisés 
et  armés  de  fortes  contre-Cches  eu  aval  et  en  amout.  Sur  ces  pieux,  on 


—   251   —  [  PONT   ] 

posait  des  chapeaux  qui  réunissaient  leur  tête,  puis  le  tablier  soulagé  par 
(les  liens.  Les  piles,  composées  de  rangs  simples  de  pieux,  avaient  cet 
avantage  de  n'opposer  aucun  obstacle  au  courant.  Des  gardes  triangu- 
laires fichées  en  amont  faisaient  dévier  les  glaçons  ou  les  corps  flottants 
qui  auraient  pu  entamer  les  piles. 

Gomme  les  armées  romaines,  celles  du  moyen  âge  ne  se  faisaient  pas 
faute  d'établir  des  ponts  fixés  sur  les  rivières  pour  passer  leurs  gens  et 
leurarroi.  Dans  la  Chanson  des  Saxons,  Charlemagne  fait  faire  un  pont 
sur  le  Rhône  :  a  Barons,  dit-il,  aux  chefs  assemblés  : 

((  Trop  est  Ru  ne  parfonde  por  mener  tel  hustin  : 

«  N'i  porroient  passer  palefroi  ne  roucin; 

«  Mes  .1.  chose  es^art  an  mon  cuer  et  destin, 

«  Par  coi  de  nostre  p^uerre  trarrons  ançms  à  fin  : 

a  .1.  pont  ferons  sor  Rune  par  fon  e  et  par  ang^in, 

«  Les  cstaches  de  chasncs,  les  planches  de  sapin  ; 

tt  .XXX,  toises  aura  an  travers  de  chemin. 

«  Puis  passerons  outre  tuit  ansamble  à  .  i .  brin, 

«  Et  ferons  la  bataille  c'on  le  verra  dou  Rin, 

«  Et  conquerrons  Soissoifrne  sor  la  gent  Guiteclin  ^  » 


C'est  un  poète  qui  parle,  et  nous  ne  citons  ses  vers  que  comme  Tex- 
pression  d'un  fait  général,  admis  dans  les  armées  du  moyen  âge. 

Les  ponts  de  bois  n'ayant  jamais  qu'une  durée  assez  limitée,  il  ne  nous 
reste  aucun  ouvrage  de  ce  genre  qui  soit  antérieur  au  xvi*  siècle,  et  nous 
ue  pouvons  en  prendre  une  idée  que  par  des  vignettes  de  manuscrits  ou 
des  gravures  des  xvi'  et  xvii'  siècles.  Si  l'on  veut  établir  des  ponts  de  bois, 
ou  il  faut  rapprocher  beaucoup  les  piles,  afin  de  ne  donner  aux  portées 
des  travées  du  tablier  qu'une  longueur  très-réduite,  et  éviter  ainsi  leur 
fléchissement  ;  ou  il  faut  armer  ces  tabliers  de  contre-fiches  assez  incli- 
nées  pour  résister  à  la  flexion,  et  alors  élever  beaucoup  les  têtes  des  piles 
au-dessus  du  niveau  de  l'eau  ;  ou  il  faut  suspendre  les  tabliers  à  un  sys- 
tème de  fermes.  Ce  dernier  parti  semble  avoir  été  adopté  ft'équemment 
pendant  le  moyen  âge.  Soient  (fig.  AU)  des  piles  de  trois  rangs  de  pieux 
espacés  de  12'°,00  d'axe  en  axe;  la  tète  de  ces  pieux,  ne  s'élevant  pas  à 
plus  de  2°", 00  au-dessus  du  niveau  de  l'eau,  on  posait  sur  ces  têtes  de 
pieux  des  longrines,  soulagées  en  A  par  les  fermes  B.  Ces  fermes,  légè- 
rement inclinées  l'une  vers  l'autre,  étaient  rendues  solidaires  au  moyen 
des  traverses  supérieures  C  et  des  croix  de  SaintrAndré  D.  Sur  ces  lon- 
grines E  on  posait  de  fortes  solives  F,  puis  les  madriers  formant  le  tablier. 
Ces  ouvrages  présentaient  une  grande  rigidité,  mais  ne  pouvaient  sub- 
sister fort  longtemps  sans  se  détériorer,  et  n'étaient  guère  jetés  que  sur 
des  cours  d'eau  dont  les  crues  n'étaient  pas  considérables. 

*  Chanson  des  Seucons,  chap.  cxvni. 


[  PONT  ]  —  252  — 

Dubreul  S  parlant  du  pont  Saint-Michel  à  Paris,  dit  qu'il  était  de  bois 
et  avait  été  construit  en  1384  par  Hugues  Aubriot,  lors  prévôt  de  Paris. 
Ce  ponlétait  garni  de  plusieurs  maisons.  Le  pont  Notre-Dame,  bâti  en  U14, 


JU 


-<=r 


suivant  le  même  auteur  2,  d'après  le  rapport  de  Robert  Gaguin  «  n*étoil 
«  que  de  bois,  ayant  en  longueur  70  pas  û  pieds,  et  en  largeur  18  pas  ;  de 
a  deux  costezetsur  lequel  estoient  basties  60  maisons  esgalesen  structure 
«  et  hai|lteur,  lequel  après  avoir  subsisté  92  ans  seulement,  tumba  en  la 
«rivière  Tan  1499,  le  vendredi  25  octobre...  » 

Ainsi  que  nous  Tavons  vu  précédemment,  certains  ponts  de  pierre 
possédaient  des  travées  de  bois  mobiles,  soit  pour  intercepter  la  commu- 
nication d'une  rive  à  l'autre,  soit  pour  laisser  passer  les  bateaux.  Ces 


*  Le  Théâtre  des  antiquités  de  Paris ^  p.  241, 
'  Page  243. 


—  253  —  [  POKT  J 

portions  de  tabliers  en  charpente  étaient  relevées  au  moyen  de  châssis 
à  contre-poids,  ainsi  que  cela  se  pratique  encore  aujourd'hui,  ou  bien 
roulaient  sur  des  iongrines  :  on  appelait  les  premiers  des  ponts  tomeis, 
et  les  seconds  des  postis  '.  Les  premiers  étaient  de  véritables  ponts-levis. 
Il  est  à  remarquer  que  le  pont-levis,  tel  qu'on  l'entend  aujourd'hui, 
adapté  à  une  porte  de  ville  ou  de  château^  n'a  été  mis  en  pratique  que 
vers  le  commencement  du  xiv*  siècle,  jusqu'alors  les  ponts  torneis 
étaient  disposés  en  manière  de  bascule  ^. 

Si,  vers  la  fin  du  xiii*  siècle,  on  établissait  déjà  des  ponts-Ievis,  ceux-ci 
étaient  isolés  et  ne  tenaient  pas  aux  portes  mêmes,  ainsi  que  cela  s'est 
pratiqué  depuis.  Ils  faisaient  partie  des  ouvrages  avancés  en  bois,  tenaient 
à  la  barrière,  mais  n'étaient  point  disposés  dans  la  maçonnerie  des 
portes.  Cependant,  dès  une  époque  reculée,  on  employait  souvent  les 
ponts  ou  passerelles  roulant  sur  des  Iongrines,  particulièrement  dans 
les  provinces  méridionales.  Ces  sortes  de  ponts,  dont  nous  donnons  un 
géométral  latéral  en  Â  (fig.  15),  se  composaient  de  deux  pièces  de  bois 
parallèles  B,  au-dessous  desquelles  étaient  adaptés  des  rouleaux.  Un  ta- 
blier de  madriers  était  cloué  sur  ces  pièces  de  charpente.  Quatre  poulies 

1  Du  mot  latin  positus, 

^  Moult  s'esforce  li  forsencz 

De  faire  fossez  et  trancliiées. 
Tôt  entor  lui  à  sis  arcliiécs 
Fait  un  fossé  d'evc  parfont, 
Riens  n'i  piict  entrer  qui  n'afont. 
Dcsor  fu  li  ponz  tornciz 
Moult  bien  tornez  toz  coleiz. 

{Homan  du  Renart,  vers  18474  et  suiv.) 

Clos  fu  de  murs  et  de  fossez 
Dont  Tevc  coroit  tôt  entor. 
Un  pont  torneiz  par  desor. 

(A6iV/.,  vers  21994  et  suiv.) 

Chevauchant  lei  une  riviorc 
S'an  vindrent  jusqu'au  herberjage, 
Et  an  lor  ot  par  le  passage 
Un  pont  torneiz  avale. 


{Li  Romans  de  la  charrette.) 

En  la  chaucie  fu  grans  li  fereis, 
Li  queos  Guillanmes  moult  durement  le  fist, 
Il  s'aresta  sor  le  pont  tomeis 
Et  vit  Begon,  moult  fièrement  li  dist... 
{Li  Romans  de  Garin  le  Lo/œratn,  t.  ÎI,  p.  175,  édit.  Techener,  1833.) 


[  PONT  ]  _  25Ù   — 

C,  dont  les  essieux  étaient  fortement  scellés  à  deux  murs  latéraux,  rece- 
vaient deux  chaînes  fixées  à  des  anneaux  D  tenant  aux  poutres.  Ces 
chaînes  s'enroulaient  sur  un  treuil  E  dont  le  pivot  tournait  dans  des 
douilles  fixées  de  même  à  ces  murs  latéraux.  Sous  les  pièces  de  bois  B 
mobiles  étaient  scellées  deux  poutres  G  fixes,  sur  lesquelles  roulaient  les 

1S 


\ 

petits  rouleaux.  Ku  tournant  le  treuil  de  a  en  c,  on  faisait  avancer  le  ta- 
blier mobile,  qui  franchissait  le  fossé  F,  et  venait  s'appuyer  sur  la  pile 
en  H;  en  le  tournant  de  a  en  b,  on  faisait  rentrer  ce  tablier  sous  le  pas- 
sage de  la  porte.  La  queue  I  du  tablier  servait  de  contre-poids,  et  permet- 
tait toujoure  de  passer  sur  la  chambre  du  treuil  lorsque  la  passerelle  était 
avancée.  Un  tracé  perspectif  P  fera  mieux  saisir  ce  mécanisme  très- 
simple.  Pour  ie  rendre  plus  intelligible,  nous  avons  supposé  que  le  mur 
latéral  M,  dans  lequel  sont  scellées  les  poulies  et  les  douilles  du  treuil, 
est  démoli;  nous  avons  enlevé  de  même  la  maçonnerie  supérieure  de 
l'une  des  tours  flanquantes  N,  entre  lesquelles  s'avance  la  passerelle. 
Dans  la  figure  perspective,  le  tablier  est  supposé  rentré.  On  établissait 
beaucoup  de  ces  sortes  de  ponts  dans  les  ouvrages  italiens  du  xv*  siècle, 
ainsi   que    le  constate  l'ouvrage   si  curieux    de  Francesco   di  Giorgio 


—  255  —  [  PONT  ] 

Martini  \  et  dans  nos  fortiûcations  faites  au  moment  de  l'application 
de  Tartillerie  à  feu. 

On  reconnaît  l'emploi  de  divers  systèmes  de  ponts  à  bascule  devant 
les  portes  du  moyen  âge.  Quelquefois  ces  ponts  sont  disposés  de  manière 
à  s'abaisser,  d'autres  fois  ils  se  relèvent.  Dans  les  provinces  de  TEst,  et 


16 


sur  les  bords  du  Rhin,  on  adoptait  fréquemment  les  ponts  à  bascule 
présentant  la  disposition  indiquée  dans  la  figure  16.  Ces  ponts  se  com- 
posaient de  deux  poutres  principales  A,  reliées  par  des  traverses  et  des 
croix  de  Saint-André.  La  partie  antérieure  B  du  tablier  était  garnie  de 
madriers.  Deux  rainures  R  ménagées  dans  la  maçonnerie,  ainsi  que  l'in- 
dique la  figure  16  bis,  permettaient  à  la  partie  postérieure  des  poutres  A 
de  s'abaisser  au  niveau  du  tablier  de  maçonnerie  C  pratiqué  sous  le  pas- 
sage de  la  porte.  Alors  le  tablier  B  était  horizontal,  et  pour  le  maint^ir 

• 

*  Traitato  di  archit,  civ,  e  milit,  di  Fmncisco  di  Giorgio  Martini,  archit,  senese  del 
leco/o  XV,  publié  pour  la  première  fois  par  le  chevalier  Cesare  Saluzzo.  Turin,  18ili. 


[  PONT  1  —  25e  — 

dans  celte  position,  sous  chacune  des  poutres  étaient  disposées  deux  so- 
lives D,  glissant  sur  deux  rouleaux  E.  Lorsqu'on  voulait  arrêter  le  tablier 
et  l'empêcher  de  basculer,  il  suffisait  de  pousser  le  levier  de  fer  F,  pivo- 
tant sur  un  bouton  en  G,  et  dont  la  fourchette  était  engagée  entre  deux 
chevilles.  Le  levier  amené  à  ta  ligne  verticale,  aiasi  que  notre  figure  l'in- 


dique, les  solives  Dallaient  s'engager. dans  deux  entailles  I  pratiquées  à 
la  léte  de  la  dernière  pile.  Le  tracé  K  indique  la  disposition  de  la  four- 
chette du  levier  en  coupe.  Si  l'on  voulait  faire  basculer  le  pont,  en  tirant 
sur  la  vingtaine  h,  on  amenait  le  levier  F  en  f.  Alors  la  solive  D  quittait 
son  entaille  1,  et  en  lâchant  sur  le  treuil  M,  la  pesanteur  de  la  partie  an- 
térieure du  tablier  mobile  faisait  incliner  celui-ci  suivant  la  hgne  NO  ; 
l'extrémité  P  des  poutres  s'élevait  en  p,  et  le  passage  était  coupé.  Pour 
ramener  le  pont  à  la  ligne  horizontale,  on  appuyait  sur  le  treuil  M,  et 
avec  la  main,  en  montant  sur  le  gradin  H,  et  en  repoussant  les  leviers, 
on  calait  le  pont.  Les  rainures  R  (voy,  la  figure  16  bis)  étaient  assez 
larges  pour  permettre  aux  poutres  de  pivoter,  et  pour  faciliter  la  ma- 
nœuvre des  leviers.  On  voit  encore  à  Bâle  une  porte  disposée  pour  rece- 
voir un  pont  combiné  suivant  ce  système.  Une  herse  S  (voy.  fig.  16)  des- 
cendait jusqu'au  tablier,  soit  placé  horizontalement,  soit  incliné. 

D'autres  ponts  basculaient  en  se  relevant,  ainsi  que  le  fait  voir  la 
figure  17.  L'extrémité  A  du  tablier  antérieur,  si  l'on  voulait  donner 
passage,  tombait  sur  la  dernière  pile,  et,  pour  cak'r  le  pont  dans  cette 
position,  une  solive  B,  roulant  sur  une  poutrelle  scellée  C,  se  manœu- 
vrait au  moyen  du  levier  D.  En  attirant  à  sui  le  levier  en  d,  on  déca- 
lait le  tablier,  et  en  lâchiml  sur  le  treuil  T,  les  contre-poids  G  faisaient 
basculer  le  pont,  amenant  l'extrémité  B  en  b.  Un  tablier  incliné  fixe  E 
conduisait  au  tablier  mobile,  lorsque  celui-ci  était  abaissé  au  moyen 
du  treuil  T.  . 


—  257  —  [  pour  ] 

Ces  ponts  avaient  été  adoptés  au  monoient  de  l'emploi  de  l'artillerie 
à  feu,  afin  d'éviter  les  bras  et  chaînes  des  ponts-ievis  que  l'assiégeant 
pouvait  détruire  avec  le  canon.  Us  remplissaient  le  même  office,  et  ne 
laissaient  rien  voir  de  leur  mécanisme  à  l'extérieur.  Le  pont  h  bascule 
(fig.  17)  se  composait  de  deux  poutres  avec  traverses  et  madriers,  cha- 
cune des  extrémités  postérieures  des  deux  poutres  étant  munie  d'une 
chaîne  s'enroulant  sur  un  treuil.  Nous  avons  l'occasion,  dans  l'article 
Porte,  de  revenir  sur  ces  ponts  mobiles,  et  particulièrement  sur  les 
ponls-levis  adaptés  à  la  maçonnerie. 


^un 


L'usage  des  ponts  de  bateaux  remonte  aux  premiers  temps  du  moyen 
âge;  c'était  là  une  tradition  antique  qui  ne  s'était  jamais  effacée.  Égin- 
hard,  dans  la  Vie  de  Charles  et  de  Karl oman,  raconte  que  le  premier  de 
ces  princes  avait  fait  établir  un  pont  de  bateaux  sur  le  Danube  pour  s'en 
servir  pendant  la  guerre  contre  les  Huns  '. 


*  «  Rei  aulcin,  proptor  bclluiii  cuin  H  unis  susceptuin  in  Bajodria  sodens,  pontcm  navQ. 
«lem  quoinDaoubio  ad  id  bcUum  Uleretur,  «diticavit....  n  (Xaro/i»,  dccicii.) 

VU.    —  33 


[  PONT  ]  —  258  — 

Au  siège  de  Château-Gaillard,  Philippe-Auguste  fit  faire  un  pont  sur  la 
Seine,  composé  de  pieux  inclinés  contre  le  courant,  et  sur  lesquels  on 
posa  un  tablier  de  charpente.  Trois  grands  bateaux,  surmontés  de  hautes 
tours,  défendaient  ce  pont^  Dans  sa  chronique,  Guillaume  Guiurt  parle 
d'un  pont  de  bateaux  jeté  sur  la  Lys  et  retenu  par  des  cordages  : 

«  A  main,  ne  sai,  droite  ou  esclenche, 
CI  Au  plus  vistement  qu'il  puet  trenche 
«  Les  cordes  à  quoi  l'on  le  haie; 
«  Li  ponz  comme  foudre  dévale  ; 
«  Bas  descent  ce  qui  iert  deseure  ^.  » 

Au  siège  de  Tarascon,  le  duc  d'Anjou  et  du  Guesclin  firent  faire  un 
pont  de  bateaux  sur  le  Rhône. 

Froissart  raconte  comment  les  Flamands  avaient  établi  un  ponl  de 
nefs  et  de  clayes  sur  l'Escaut,  devant  Audeuarde  ^. 

Philippe  de  Commines  dit  comment  le  comte  de  Charolais  et  ses  alliés 
jetèrent  un  pont  de  bateaux. et  de  tonneaux  sur  la  Seine,  près  deMoret. 

((  Ilfaisoit(le  comte  de  Charolais)  mener  sept  ou  huit  petits  bateaux 
cr  sur  charrois,  et  plusieurs  pippes,  par  pièces,  en  intention  de  faire  un 
a  pont  sur  la  rivière  de  Seine,  pour  ce  que  ces  seigneurs  n'y  avoient 
«  point  de  passage  ^  »  Plus  loin  le  même  auteur  décrit  ainsi  la  façon 
d'un  large  pont  jeté  par  le  comte  de  Charolais  sur  la  Seine,  près  de  Cha- 
renton.  «  Il  fut  conclu  en  un  conseil,  que  l'on  feroit  un  fort  grand  pont 
a  sus  grands  bateaux:  et  couperoit-on  l'eslroit  du  bateau,  et  ne  s'asser- 
((  roit  le  bois  que  sur  le  large  :  et  au  dernier  couplet  y  auroit  de  grandes 

c(  ancres  pour  jeter  en  terre ,  et  fut  le  pont  achevé,  amené  et 

ce  dressé,  sauf  le  dernier  couplet,  qui  tournoit  de  costé,  prest  à  dresser, 

a  et  tous  les  bateaux  arrivés  ^ d  C'était  là  un  pont  de  bateaux  avec 

partie  mobile,  que  le  courant  faisait  dévaler  au  besoin  sur  la  rive  occu- 
pée par  l'ennemi. 

Quand  le  duc  de  Bourgogne  attaqua  les  Gantois,  en  l/!i52,  il  fit  établir 
un  pont  flottant  sur  l'Escaut,  devant  Termonde  ;  il  fit  mander  «  ouvriers 
«  de  toutes  pars  pour  faire  un  pont  sur  tonneaux,  à  cordes  et  à  planches; 
«  et,  pour  defl^endre  ledict  pont,  fit,  outre  l'eaue,  faire  un  gros  bolovart 
«  de  bois  et  de  terre  • » 

Dans  son  Histoire  du  roy  Charles  VII ^  Alain  Chartier  rapporte  qu'un 
parti  de  Français  et  d'Écossais,  près  de  la  Flèche,  fit  sur  la  Loire  un  pont 


1  Guillaume  le  Breton,  la  Philippide,  chant  VII«. 
'  Branche  des  royaux  lignages,  yen  A883  et  suiv. 
3  Chronique  de  Froissart,  livre  II,  chap.  lviii  et  clix. 
*  Mém.  de  Pbil.  de  Commines,  liv.  I,  chap.  vi. 
^  Ibid,,  liv.  I,  chap.  x. 
^  Mém,  d'Olivier  de  la  Marche,  liv.  I,  chap.  xxv. 


—  259  —  [   POBCHB   ] 

de  charrettes  attachées  les  unes  aux  autres,  et  garnies  de  madriers  par* 
dessus  ^ 

Ces  exemples  suffisent  pour  démontrer  que  les  ponts  de  bateaux  ont  été 
usités  pendant  le  moyen  âge  >,  soit  pour  servir  à  poste  fixe,  soit  pour 
faciliter  le  passage  des  armées.  Ces  sortes  de  ponts  préoccupèrent  fort  les 
ingénieurs  militaires  pendant  le  xvi'  siècle  ;  les  ouvrages  qu'ils  nous  ont 
laissés  présentent  quantité  de  moyens  plus  ou  moin»  pratiques  employés 
poQr  rendre  rétablissement  de  ces  ponts  facile,  et  pour  les  jeter  rapide- 
ment sur  une  rivière  ennemie;  On  dierchait^ûloisà  rendre  les  pontons 
transportables,  et,  à  cet  effet,  on  les  composait  de  plusieurs  caisses 
étanches  qui  s'accrochaient  les  unes  aux  autres. 

PORCHE,  s.  m.  Les  plus  anciennes  églises  chrétiennes  possédaient, 
devant  la  nef  réservée  aux  fidèles,  un  porche  ouvert  ou  fermé,  destiné 
à  contenir  les  catéchumènes  et  les  pénitents.  Cette  disposition  avait  été 
empruntée  aux  basiliques  antiques,  qui  étaient  généralement  précédées 
d'un  portique  ouvert.  Lorsqu'il  n'y  eut  plus  de  catéchumènes  en  Occi- 
dent, c'est-à-dire  lorsque  le  baptême  étant  donné  aux  enfants,  il  ne  fut 
plus  nécessaire  de  préparer  les  nouveaux  convertis  avant  de  les  intro- 
duire dans  l'église,  l'usage  des  porches  n'en  resta  pas  moins  établi,  et 
ceux-ci  devinrent  même,  dans  certains  cas,  des  annexes  très-importantes, 
de  vastes  vestibules  souvent  fermés,  pouvant  contenir  un  grand  nombre 
de  personnes  et  destinés  à  divers  usages.  Il  faut  reconnaître  même  que 
rhsîbitttrie  de  construire  des  porches  devant  les  églises  allas'afTaiblissant 
à  dater  du  xiri*  siècle;  beaucoup  de  monuments  religieux  en  sont  dé- 
pourvus depuis  cette,  époque,  notamment  la  plupart  de  nos  grandes 
cathédrales,  tandis  que  jusque  vers  le  milieu  du  xii*  siècle,  on  ne  conce- 
vait pas  une  église  cathédrale,  conventuelle  ou  paroissiale,  sans  un  porche 
au  moins,  devant  l'entrée  majeure. 

Les  porches  paraissent  avoir  été  adoptés  dans  nos  plus  anciennes  églises 
du  moyen  âge.  C'était,  dans  l'Église  primitive,  sous  les  porches  ou  ves- 
tibules des  basiliques,  qu'on  enterrait  les  personnages  marquants,  les 
empereurs*,  les  évéques.  Aussi  l'usage  d'encenser  ces  lieux  et  d'y  chanter 
des  litanies  s'était-il  conservé  dans  quelques  diocèses,  car  il  faut  obser- 
ver qu'avant  le  xii'  siècle,  les  lois  ecclésiastiques  interdisaient  d'enterrer 
les  morts  dans  l'intérieur  même  des  églises.  Sous  les  porches  étaient  alors 
placés  les  fonts  baptismaux,  des  fontaines  dans  lesquelles  les  fidèles  fai- 
saient leurs  ablutions  avant  d'entrer  dans  la  nef;  les  exorcismes  se  pra- 
tiquaient aussi  sous  les  porches.  Il  était  défendu  d'y  tenir  des  plaids  et  de 
s'y  rassembler  pour  affaires  temporelles.  On  y  exposait,  à  certaines  occa- 

*  Alain  GbarUer,  Hist.  de  Charles  VU,  1421. 

^  Voyei  quelques-uns  de  ces  ponts  de  bateaux  et  de  barriques  reproduits  dans  le  traité 
De  re  miiitari,  de  Robertus  Valturius  (Paris,  1534). 
^  Voyez  Eusèbe,  lib.  IV,  cap.  li,  De  vita  Constmtinù 


[    PORCHE   ]  —  26f0   — 

stons,  des  reliques  et  de  saintes  images,  a  Les  porches  des  églises^  dit 
a  Thiers,  sont  des  lieux  saints  :  1^  à  cause  des  reliques  ou  des  images 
((  qui  y  sont;  2*  à  cause  qu'ils  sont  le  lieu  de  la  sépulture  des  fidèles  ; 
((  3"*  à  cause  qu'ils  sont  destinés  à  de  saints  usages;  k^  à  cause  qu'ils  font 
((  partie  des  églises  ;  5^  à  cause  qu'ils  sont  ainsi  appelés  par  les  conciles 
«  et  par  les  auteurs  ecclésiastiques  K  n 

;  Guillaume  Durand  observe  «  que  le  porche  de  l'église  signifie  le  Christ 
a  par  qui  s'ouvre  pour  nous  l'entrée  de  la  Jérusalem  céleste;  il  est  appelé 
(S,  aussi  portique  {poi^tieus),  delà  porte  (ei;>oWa),  ou  de  de  qu'il  est  ouvert 
tf  à  tous  comme  un  port  {à  poriu)  '.  o 

Toutefois  les  porches  des  églises  ne  conservèrent  pas  toiyours,  peu* 
dant  le  moyen  âge,  ce  caractère  sacré  ;  nous  en  avons  la  preuve  dans  les 
réclamations  des  chapitres  ou  des  religieux  au  sujet  des  usages  profanes 
auxquels  on  les  faisait  servir.  Dans  le  recueil  des  arrôts  du  parlement  de 
i.292,  nous  trouvons  une  plainte  du  doyen  et  du  chapitre  de  Baye  contre 
le  châtelain,  lequel  tenait  depuis  longleaips  ses  plaids  sous  le  porche  de 
réglise.  Il  est  enjoint  au  bailly  de  Vermandois  de  défendre  audit  châte- 
lain de  tenir  â  l'avenir  ses  assemblées  dans  ce  lieu,  nonobstant  qu'il  les  y 
eût  tenues  depuis  longtemps,  s'il  est  bien  constaté  que  ce  porche  fait 
partie  de  l'église  et  sert  de  cimetière  ^. 

C'est  probablement  pour  prévenir  ces  abus  que  les  grands  établisse- 
ments de  Cluny  et  de  Citeaux  élevèrent  devant  leurs  églises  des  porches 
absolument  fermés  dès  le  commencement  du  xii'  siècle  ;  d'ailleurs  ces 
porches  devaient  servir  h  des  cérémonies  ou  à  des  usages  qui  uécessi* 
talent  une  clôture,  comme  nous  le  verrons  bientôt.  Quantité  de  porches 
d'églises  cathédrales  et  paroissiales  servaient  même  de  marchés,  et  les 
auteurs  ecclésiastiques  s'élèvent  trop  souvent  contre  cet  abus  pour  qu'il 
n'ait  pas  été  fréquent.  Encore  aujourd'hui  voyons-nous  qu'on  y  établit 
des  boutiques  volantes,  en  certains  lieux,  les  jours  de  foire,  et  que  des 
chapitres  y  tolèrent  la  vente  d'objets  de  piété. 

Les  porches  primitifs  du  moyen  âge,  en  Occident,  c'est-à-dire  ceux 
bâtis  du  VIII*  au  XI*  siècle,  se  présentent  généralement  sous  la  forme  d'un 
portique  tenant  toute  la  largeur  de  l'église  et  ayant  peu  de  profondeur. 
Cependant  certains  porches  d'églises  dépendant  de  monastères  ou  même 
de  collégiales  sont  disposés  sous  une  tour  plantée  devant  la  nef.  Tel  était 
le  porche  de  l'église  abbatiale  de  Saint-Germain  des  Prés  à  Paris,  doht  il 
ne  reste  que  bien  peu  de  traces,  et  qui  datait  de  l'époque  carlovingienne; 
tels  sont  encore  ceux  de  l'église  abbatiale  de  Saint-Savin  près  Poitiers, 
de  la  cathédrale  de  Limoges  et  de  la  collégia4e  de  Poissy,  qui  tous  trois 
appartiennent  aux  i\*  ctx*  siècles.  Alors  ces  porches  formaient  une  entrée 
défendue,  et  étaient  quelquefois  précédés  d'un  fossé,  comme  celui  de 

* 

*  Ùifsert,  iur  les  porches  deségfise\„tChnp.  vu,  p.  67,  sommaire. 

'  Rationai,  lib.  I,  cap.  i,  §  xx. 

3  Les  Oiim,  ann.  mccxcii,  arr.  2.  •        *  /  •  ' 


—  261  —  [  PORcnE  ] 

Sainl-Savin^  par  exemple.  Les  perches  des  églises  Notre-Dame  du  Port 
à  CiermoQl,  de  Chamaillières  (Puy-de-Dôme),  Sainl-Étienne  de  Nevers, 
de  la  cathédrale  de  Glermont,  sont  bâtis  sur  plan  barlong  et  sont  fermés; 
ils  devaient  être  couronnés  par  deux  tours.  Quelques  églises  carlovin- 
giennes,  comme  la  Basse-Œuvre  de  Beauvais,  étaient  précédées  de  por- 
ches non  voûtés,  de  portiques  couverts  de  charpentes  apparentes,  et 
sur  lesquels  la  nef  et  ses  bas  côtés  s'ouvraient  largement.  Vers  la  fin  du 
Ml*  siècle,  la  plupart  de  ces  dispositions  primitives  furent  profondément 
modifiées,  et  la  tendance  générale  était  de  supprimer  les  porches  plantés 
devant  la  façade  principale  «pour  les  réunir  aux  nefs,  ce  qui  ferait  croire 
qu'alors  les  cérémonies  auxquelles  les  porches  étaient  réservés  tombèrent 
en  désuétude.  Un  peu  plus  tard,  vers  le  milieu  du  xiii*  siècle,  on  bâtit 
au  contraire  beaucoup  de  porches  devant  les  entrées  latérales  des  églises, 
et  notamment  des  cathédrales,  comme  à  Chartres,  à  Bourges,  à  Châlons- 
sur-Marne^  puis  on  se  mit,  vers  la  fin  de  ce  siècle  et  pendant  le  xiv*,  à  en 
élever  devant  les  entrées  majeures;  mais  tous  ces  porches  sont  alors 
ouverts  et  ne  sont  que  des  abris  destinés  aux  fidèles  à  l'entrée  ou  à  la 
sortie  de  Téglise.  Ils  n'ont  plus  le  caractère  sacré  qu'on  observe  dans  les 
porches  primitifs  et  ne  servent  que  rarement  de  lieux  de  sépulture. 

Pour  suivre  un  ordre  méthodique,  nous  diviserons  cet  article  en  por- 
ches d^éylises  fermés,  ant-églises  ou  northex,  porches  ouverts  sous  des  clo- 
chers, porches  annexes  ouverts,  pofches  de  constructions  civiles. 

Porches  fermés.  —  Nous  ne  pensons  pas  qu'il  y  ait  en  France  de 
porches  antérieurs  à  celui  de  l'église  latine  de  Saint-Front  de  Péri- 
gueux,  dont  on  reconnaît  encore  les  traces.  Ce  porche,  de  forme  carrée, 
avait  10", 30  de  longueur  sur  9",65  de  largeur.  Il  était  couvert  par  une 
charpente  à  deux  égouts,  avec  pignon  de  maçonnerie  sur  la  face  anté- 
rieure. Une  large  arcade  plein  cintre  en  formait  l'entrée.  De  sa  décoration 
extérieure,  très-simple  d'ailleurs,  il  ne  reste  que  des  fragments.  Ce  por- 
che, antérieur  au  x*  siècle,  est  décrit  et  gravé  dans  l'ouvrage  de  M.  Félix 
de  Verneilh  sur  Y  architecture  byzantine  en  France  '.  Cette  disposition  de 
salle  précédée  d'un  pignon  sur  la  face,  contraire  à  la  forme  adoptée  pour 
les  portiques  des  premières  basiliques  latines,  indique  une  modifica- 
tioi>  déjà  fort  ancienne  dans  le  plan  des  porches  sur  le  sol  de  la  France, 
modification  dont  malheureusement  nous  ne  pouvons  connaître  le  point 
de  départ,  faute  de  monuments  existants;  elle  n'en  est  pas  moins  très- 
importante  à  constater,  puisque  nous  voyons  qu'à  partir  du  x*  siècle, 
la  plupart  des  églises  abbatiales  sont  précédées  de  vastes  porches  fer- 
més, présentant  une  véritable  0fi/-é^/i5e  souvent  à  deux  étages  et  devant 
répondre  à  des  besoins  nouveaux. 

L'ordre  de  Cluny  s'empara  de  cette  disposition  et  en  fit  le  motif  de 
monuments  remarquables  à  tous  égards.  Un  des  porches  fermés  les 
plus  anciens  appartenant  à  cet  ordre,  est  celui  de  l'église  de  Tournus;ii 

»  Paris,  1851. 


[  poRCflE  ]  —  262  — 

se  compose  (flg.  1)  à  rez-de-chaussée  d'une  nef  centrale  à  trois  travées  avec 
bas  côtés.  Cette  nef  centrale  est  fermée  par  des  voûtes  d'arête  avec  arcs- 
doubleaux  ;  les  nefs  latérales  sont  couvertes  par  des  berceaux  perpendi- 
culaires aux  murs  latéraux,  reposant  sur  les  arcs-doubleaux  A.  On  entrait 


dans  ce  narthex  par  une  porte  B,  donnant  sur  une  cour  précédée  d'une 
enceinte  fortifiée.  La  façade  elle-même  du  porche  était  défendue.  Deux 
tours  s'élèvent  sur  les  deux  premières  travées  C.  Du  narthex,  on  pénètre 
dans  l'église  par  la  porte  D  et  les  deux  arcades  E;  De  gros  piliers  cylin- 
driques isolés  et  engagés  reçoivent  les  sommiers  des  voûtes.  Au  premier 
étage,  ce  vaste  narthex  forme  une  église  avec  nef  élevée,  voûtée  en  ber- 
ceau et  collatéraux  voûtés  en  demi-berceaux  (flg.  2).  Des  meurtrières 
s'ouvrent  à  la  partie  inférieure  de  cette  salle,  éclairée  par  des  fenêtres 
percées  dans  les  murs  de  la  haute  nef  et  dans  le  pignon  antérieur.  La 
coupe  transversale  que  nous  donnons  ici  est  prise  en  regardant  vers  l'en- 
trée. En  A,  sont  .les  souches  des  deux  tours  ^  Toute  la  construction  est 
élevée  en  moellon  smillé  ou  enduit.  Du  côté  de  l'église,  une  arcade 
est  percée  dans  le  mur  pignon,  au  niveau  du  sol  du  premier  étage,  et 
permet  de  voir  ce  qui  se  passe  dansla  nef.  La  même  disposition  se  retrouve 


1  Voyex,  pour  de  plus  amples  détails,  les  gravures  faites  d'après  les  relevés  de' 
M.  Questel,  dans  les  Archives  des  monuments  historiques,  publiées  sous  les  auspices 
de  Son  Exe.  le  Ministre  d'État 


—   263   —  f   JPORCHE    ] 

à  Vézelày.  Dans  les  églises  abbatiales  de  Tordre  de  Cluny,  ces  narthex 
supérieurs^  ces  chapelles  placéesau-dessus  du  grand  porche  fermé,  étaient 
habituellement  placés  sous  le  vocable  de  Tarchange  saint  Michel.  Mais 
quelle  était  la  destination  de  cette  salle  ou  chapelle  placée  au-dessus  des 


2 


narthex?  Dans  l'ancien  pontifical  de  Chalon-sur-Saône,  on  lisait:  alnqùi- 
busdam  ecclesiis  sacerdos  in  aliquo  altari  foribus  proximiori  célébrât  mis- 
samy  JU88U  epmopiy  pœniicntibuè  ante  fores  ecdesiœ  comiitutis.  n  Cette  cha- 
pelle supérieure  était-elle  destinée  aux  pénitents?  A  Vézelay,  le  premier 
étage  du  porche  ne  règne  qu'au  fond  et  sur  les  collatéraux;  il  était  pos- 
sible alors  aux  pénitents  ou  aux  pèlerins  placés  sur  Taire  du  rez-de- 
chaussée  d'entendre,  sinon  de  voir  l'office  divin  qui  se  disait  sur  la 
tribune;  à  Tournus^  il  eût  fallu  que  les  pénitents  montassent  dans  le 
narthex  haut  pour  ouïr  la  messe.  A  Cluny,  le  porche  ou  Tant-église,  qui 


[    PORCHE   ]  —   264  — 

n'avait  pas  moins  de  35  mètres  de  longueur  sur  27  mètres  de  largeur, 
mais  dont  la  construction  ne  remontait  pas  au  delà  du  commencement 
du  XIII*  siècle,  ne  possédait  pas  de  premier  étage  ni  de  tribune,  mais  un 
autel  et  une  chaire  à  prêcher  se  trouvaient  placés  près  de  la  porte  d'en- 
trée de  la  basilique.  De  cette  chaire,  comme  de  la  tribune  du  narthex 
de  Vézelay,  ne  préparait-on  point  les  nombreux  pèlerins  qui  remplissaient 
le  porche,  ou  même  les  pénitents,  à  se  pénétrer  de  la  sainteté  du  lieu, 
avant  de  leur  permettre  d'entrer  dans  l'église?  L'affluence  était  telle 
au  xii*"  siècle  dans  les  églises  de  l'ordre  de  Gluny,  à  certaines  occasions, 
que  l'on  comprend  assez  comment  les  religieux  n'ouvraient  pas  tout 
d'abord  les  portes  du  temple  à  la  foule  qui  s'y  rendait,  afin  d'éviter  le 
désordre  qui  n'eût  pas  manqué  de  s'élever  au  milieu  de  pareilles  cohues. 
Ces  grands  narthex  nous  paraissent  être  un  lieu  de  préparation;  peut- 
être  aussi  servaient-ils  à  abriter  les  pèlerins  qui,  venus  de  loin,  arrivaient 
avant  l'ouverture  des  portes,  et  n'avaient  ni  les  moyens  ni  la  possibilité 
de  se  procurer  un  asile  dans  la  ville.  Ne  voit-on  pas,  la  nuit  qui  précède 
certaines  grandes  fêtes  à  Rome,  les  gens  venus  de  la  campagne  passer  la 
nuit  sous  les  portiques  de  Saint-Pierre  ? 

Le  porche  de  l'église  abbatiale  de  Tournus  date  du  xv  siècle;  c'est  le 
plus  ancien  parmi  ceux  appartenante  Tordre  de  Cluny. 

La  nef  de  l'église  clunisienne  de  Vézelay  actuelle,  bâtie  vraisemblable- 
ment par  l'abbé  Artaud  et  consacréeen  1104,  ne  possédait  primitivement 
qu'un  porche  bas,  peu  profond,  dont  on  voit  encore  les  traces  du  côté  du 
nord.  Cette  nef  fut  restaurée  et  reconstruite  même  en  grande  partie  par 
l'abbé  Renaud  de  Semur,  vers  1120  ^  Le  porche  dut  être  construit  peu 
après  la  mort  de  cet  abbé,  soit  par  Tabbé  Albéric,  soit  parTabbé  Ponce, 
de  1130  à  ll&O  ^  car,  à  dater  de  cette  époque,  le  monastère  de  Vézelay 
eut,  jusqu'en  1160  environ,  des  luttes  si  cruelles  à  soutenir,  soit  contre 
les  comtes  de  Nevers,  soit  contre  ses  propres  vassaux,  qu'il  n'est  pas 
possible  d'admettre  que,  pendant  ces  temps  calamiteux,  les  religieux 
aient  eu  le  loisir  d'entreprendre  une  aussi  vaste  construction.  D'ailleurs 
les  caractères  archéologiques  de  l'architecture  de  ce  porche  lui  assignent 
la  date  de  1130  à  lUO. 

La  construction  du  porche  de  Vézelay  est  certainement  une  des  œuvres 
les  plus  remarquables  du  moyen  Age.  Ce  porche  est  fermé,  et  présente, 
comme  celui  de  Tournus,  une  ant-église  de  25  mètres  de  largeur  sur 
21  mètres  de  longueur  dans  œuvre.  Nous  en  donnons  le  plan  (fig.  3)  en 
A  au  niveau  du  rez-de-chaussée,  en  B  au  niveau  des  tribunes,  car  l'espace 


*  Cet  abbé  éUil  neveu  de  saint  Hugues,  abbc  de  Cluny;  il  fut  fait  archevêque  de  Lyon 
vers  il26,  et  fut  inhume  à  Cluny.  Sa  tombe,  placée  près  de  la  colonne  la  plus  proche  du 
maître  autel,  portait  cette  inscription  :  «  Hic  :  requiescit  :  Renaid  :  II:  quondam  :  abbas  : 
et:  reparaior  Vezeliacensù  :  et  :  postca  :  archieplK.,»*  » 

-  Voyef  la  notice  de  M.  Chcresl,  Congrès  scientif,  d'Auxerre,  186Ô,  t.  U  p.  1»3. 
D'après  ccltt:  noiitîe^  lu  porche  do  Véielay  aurait  été  consacré  en  1132. 


—  2(i5  —  [  runcuE  J 

CD  monte  de  Tond  ;  scuU,  les  collatéraux  E,  E,  E  forment  galeries,  et 
l'espace  F,  large  tribune  au-dessus  de  l'ancienne  porte  de  la  nef.  On  ne 
pouvait  monter  aux  galeries  el  à  la  tribune  que  par  deux  escaliers  G, 
partie  de  bois,  partie  pratiqués  dans  l'épaisseur  du  mur  de  face.  Deux 
tours  s'élèvent  sur  les  deux  premières  travées  des  collatéraux  H.  A  partir 
du  niveau  des  galeries,  vers  12(iO,  on  refit  la  grande  claire-voië  K 
[voy.  PiGNOiT,  flg.  9],  pour  mieux  éclairer  probablement  celte  grande 


salle.  Au  niveau  de  la  tribune,  trois  baies  L  s'ouvrent  sur  lu  nef  de 
l'église  (voy.  AncuiTEcruns  religieuse,  Qg.  21).  Un  autel  était  autrefois 
placé  en  0  sur  cette  tribune.  Les  instructions  aux  pèlerins  ou  pénitents 
rassemblés  à  rez-de-chaussée  pouvaient  se  faire  du  baut  de  la  balustrade 
qui  dot  la  tribune  en  M  '.  Avantta  construction  du  porche,  les  trois  baies 


I  Vojei  les  coupc«  tmiisTeranlc  cl  langllutlinolc  <lc  ce  porche  dans  les  Archivei  (/» 
mmumenli  hù(orviuei>,  publiées  sous  tes  auspicc»(tcSon  Exe.  le  MInirtrc  il'b'Iat.  Vojci 
««Ml  la  ooupc  Iransvcrsule  réduite   du  purcbc  du  Vùielu},  ilan>  l'urlick  Akcuitecti're 

HELICISL'SE,    Wf.  23. 

VU.  —  34 


(  POUCiiE  ]  —  266  — 

ouvertes  sur  la  tribune  élaient  des  fenêtres  sans  vitraux  comme  toutes 
les  autres  fenêtres  de  Téglise  ;  celle  du  milieu  se  terminait  en  cul-de- 
liiMir,  et  peut-être  recevait-elle  une  statue.  La  porte  principale  G  de  ce 
porche  est  surmontée  d'un  grand  bas-relief  représentant  :  le  Christ  entouré 
des  vingt-quatre  vieillards  et  des  élus  dans  le  tympan,  la  Madeleine  par- 
fumant les  pieds  de  Jésus,  et  la  résurrection  de  Lazare  dans  le  linteau. 
Les  chapiteaux  intérieurs  sont  très-richement  sculptés  et  d'une  finesse 
d'exécution  remarquable.  Autrefois  les  grandes  voûtes,  ainsi  que  celles 
des  tribunes,  étaient  entièrement  peintes.  Nous  présentons  (fig.  h)  une 
vue  perspective  de  l'intérieur  de  ce  porche,  prise  de  la  galerie  qui  tra- 
verse la  façade.  On  observera  que  la  voûte  sur  la  tribune  possède  des  arc:; 
ogives.  C'est  peut-être  le  premier  exemple  qu'il  y  ait  en  France  de  ce 
genre  dcslruclure,  les  autres  voûtes  du  narthex  étant  d'arêtes  très-sur- 
haussées  (voy.  Ogive,  fig.  3,  U  et  5),  L'ensemble  de  cet  intérieur  est  d'une 
proportion  admirable;  et  les  travées  étudiées  par  un  maître  consommé 
(voy.  Travée).  Il  ne  parait  pas  qu'on  ait  jamais  enseveli  personne  sous  ce 
porche,  et  les  fouilles  que  nous  avons  été  à  même  d'y  pratiquer  n'ont 
laissé  voir  nulle  trace  de  sépulture. 

Le  vestibule,  narthex  ou  porche  fermé  de  l'église  abbatiale  mère  de 
Cluny  était  plus  vaste  encore  que  celui  de  Vézelay,  mais  ne  possédait  ni 
tribune  ni  galeries  voûtées  supérieures.  C'était  une  grande  salle  avec  bas 
côtés,  à  laquelle  on  arrivait  par  deux  degrés  de  13  mètres  de  largeur. 
Deux  tours  s'élevaient  en  avant  des  cinq  travées  que  contenait  le  narthex, 
et  laissaient  entre  elles  un  porche  ouvert.  Le  porche  fermé  de  Cluny  avait 
35  mètres  de  longueur  sur  27  mètres  de  largeur  dans  œuvre;  des  piliers 
cannelés^  suivant  la  méthode  de  la  haute  Bourgogne,  du  Lyonnais  et  de 
la  haute  Marne,  portaient  les  voûtes  des  collatéraux.  Au-dessus  s'élevait 
un  triforium  également  à  pilastres,  puis  les  hautes  voûtes  en  arcs  ogives, 
avec  fenêtres  plein  cintre  dans  les  tympans.  Les  clefs  de  la  haute  voûle 
étarent  à  33  mètres  au-dessus  du  pavé.  Ce  fut  le  vingtième  abbé  de 
Cluny,  Roland  I",  qui  éleva  en  1220  *  ce  magnifique  narthex,  dont  notre 
vue  perspective  (fig.  5)  ne  peut  donner  qu'une  faible  idée.  Tous  les  arcs 
de  cette  construction  sont  en  tiers-point^  seules  les  fenêtres  sont  fermées 
par  des  pleins  cintres.  Au  fond,  on  voyait  apparaître  Tancienne  façade 
de  l'église,  avec  sa  porte  principale  et  sa  petite  galerie  aveugle  supé- 
rieure, au  milieu  de  laquelle  étaient  percées  les  baies  qui  éclairaient  la 
chapelle  de  Saint-Michel,  prise  aux  dépens  de  l'épaisseur  du  mur  et 
portée  sur  un  cul-de-lampe  du  côté  de  la  nef.  Quatre  figures  d'apôtres 
en  bas-relief  décoraient  le  tympan  sous  le  formeret  de  la  grande  voûte 
du  porche. 

Pourquoi  ce  vaste  porche  ne  fut-il  élevé  qu'en  1220?  Doit-on  voir  ici 
l'exécution  d'un  nouveau  programme,  ou  bien  un  ajournement  d'un 
programme  primitif?  Près  d'un  siècle  auparavant,  l'église  abbatiale  de 

'  Voyez  Mubilloii,  Annaki  onlin,  S.  bene'fidi,  t.  V,  p.  252. 


-  267  —  I  PoncnE  ] 


Vézelay  étèvo  un  rinrlhex  fermé  dans  des  ditnensjons  à  pen  près  sem^ 


[  PoacuE  1  _  268  — 

blables  à  la  place  d'un  porche  bas  et  élroil.  Ces  grands  porches  fermé» 
n'étaient  donc  pas  prévus  dans  les  dispositions  premières  des  églises 
cJunisiennes,  et  cependant,  k.  Tournus,  le  narthex  est  de  construction 


primitive  ou  peu  s'en  Taut.  Ce  n'est  que  pendant  la  seconde  moitié 
du  su*  siècle  que  les  clunisiens  de  ta  Chanté -sur-Loire  élèvent  de  même 
un  porche  fermé  sur  des  dimensions  aussi  vastes  au  moins  que  celui  de 
l'église  mère  de  Cluny.  Il  jr  a  donc  lieu  de  croire  que  ce  programme  ne 


—  269   —  [  PORCHE  ] 

fat  adopAé  chez  ces  religieux  que  pendant  le  xn*  siècle,  et  qu'il  était  des- 
tiné à  pourvoir  à  TafOuence  extraordinaire  des  fidèles  dans  les  églises  de 
cet  ordre;  ce  qui  n'a  pas  lieu  de  surprendre,  lorsqu'on  songe  qu'à  cette 
époque,  les  églises  clunisiennes  étaient  les  lieux  les  plus  vénérés  de  toute 
la  chrétienté,  et,  comme  le  dit  le  roi  Louis  VII,  dans  une  charte  donnée 
au  monastère  de  Cluny,  les  membre»  les  plus  nobles  de  son  royaume.  L'éten- 
due, la  richesse  des  porches  fermés  des  grandes  églises  clunisiennes, 
ne  furent  dépassées  ni  môme  atteintes  dans  les  autres  églises  cathédrales 
ou  monastiques.  • 

Les  cisterciens  établirent  aussi  des  porches  fermés  devant  leurs  églises, 
mais  ceux-ci  sont  peu  étendus,  bas,  et  affectent  autant  la  simplicité  que 
ceux  de  l'ordre  de  Cluny  manifestent  les  goûts  luxueux  de  leurs  fonda- 
teurs. D'ailleurs  les  porches  des  églises  cisterciennes  ne  sont  pas  absolu- 
ment clos  comme  ceux  des  églises  clunisiennes  ;  ils  présentent  généra- 
lement des  ouvertures  à  l'air  libre  comme  des  arcades  d'une  galerie  de 
cloître,  et  ressemblent  plutôt  à  un  portique  profond  qu'à  une  salle.  Il  pa- 
raîtrait ainsi  que  saint  Bernard  voulait  revenir  aux  dispositions  des  églises 
primitives  et  retrouver  le  narthex  des  basiliques  de  l'antiquité  chrétienne. 
Ces  porches  cisterciens  sont  écrasés,  couverts  en  appentis  et  ne  sont 
jamais  flanqués  de  tours  comme  les  porches  des  églises  bénédictines 
(voy.  Architecture  religieuse).  Percés  d'une  seule  porte  en  face  de  celle 
de  la  nef,  ils  sont  ajourés  ^ur  la  face  antérieure  par  des  arcades  non 
vitrées  et  non  fermées,  s'ouvrant  au-dessus  d'un  bahut  assez  élevé.  Tel 
est  encore  le  porche  parfaitement  conservé  de  l'église  cistercienne  de 
Pontigny  (Yonne),  dont  nous  donnons  le  plan  flg.  6.  Ce  porche,  bâti  pen- 
dant la  seconde  moitié  du  xii*  siècle  ',  se  compose  de  trois  travées  en 
largeur  et  de  deux  en  profondeur;  il  n'occupe  que  la  largeur  de  la  grande 
nef.  Des  deux  côtés,  en  A,  sont  deux  salles  fermées  qui  étaient  destinées 
aux  besoins  de  l'abbaye.  Des  voûtes  d'arête  sans  nervures  couvrent  ce 
porche  et  viennent  reposer  sur  deux  colonnes.  Une  porte  extérieufe  B 
correspond  à  la  porte  principale  C  de  la  nef,  et  des  deux  côtés,  en  D,  s'ou- 
vrent, sur  un  large  et  haut  bahut,  deux  arcades  divisées  par  des  colon- 
nettes  accouplées.  Tout  cet  ensemble,  y  compris  les  deux  salles ,  est 
couvert  par  un  comble  en  appentis  avec  demi-croupes  aux  deux  extré- 
mités. Au-dessus  du  comble  du  porche  est  percée  une  énorme  fenêtre 
dans  le  grand  pignon  ;  elle  éclaire  la  nef.  A  l'extérieur,  la  construction 
de  ce  porche  est  d!un  aspect  froid  et  triste.  A  l'intérieur,  les  chapiteaux 
des  colonnes  sont  ornés  de  sculptures  d'une  simplicité  toute  puritaine, 
et  le  tympan  de  la  porte  de  l'église  n'est  décoré  que  d'une  croix  en  relief. 
La  figure  7  présente  la  coupe  longitudinale  du  porche  de  l'église  de  Pon- 
tigny, et  fait  assez  voir  combien  les  moines  de  l'ordre  de  Citeaux  s'étaient, 
en  plein  xii'  siècle,  éloignés  des  programmes  splendides  adoptés  par  les 

•  .  • 

I  L'église  de  Pontigoy  fut  en  grande  partie  élevée  aux  dépens  de  ThibauH  fe  Grand 
comte  de  Champagne,  de  1150  à  1190.' 


[  pjnciie  ]  —  270  — 


olunisiens.  Dans  le  déparlement  de  l'Aube,  l'église  du  village  de  Mousser 
possédc  un  porche  complet  établi  sur  les  données  rislerricnnes.  Il  Tormc 


un  appentis  bas,  non  voûté,  au  milieu  duquel  s'ouvre  la  porte  ;  deux 
arcades  à  droite  et  h  gauche,  posées  sur  un  babut,  éclairent  cet  appentis. 


Ces  arcades  sont  plein  cintre,  jumelles,  reposant  sur  une  piletie  ou  une 
colonne.  Une  cinquième  baie  pareille  s'ouvre  du  cAlé  sud.  La  construc- 
tioQ  est  d'une  estrâme  simplicité,  et  paratl  remonter  à  l'origine  de  l'ordre 


—  271   —  [  FORCUB  ] 

de  CIteaux'.  Cependant  la  sécheresse  et  la  froideur  de  ces  exemples  ne 
furent  pas  longtemps  imitées,  et  dès  le  commencement  du  xiii*  siècle^  les 
porches  des  églises  élevées  sous  l'inspiration  des  moines  de  Citeaux  étaient 
déjà  empreints  d'un  goût  plus  élégant.  Il  existe  encore  à  Moutier  (Yonne) 
un  de  ces  porches  fermés  en  manière  de  portique,  élevé  sur  les  données 
des  porches  cisterciens.  Comme  à  Pontigny,  le  porche  de  l'église  de  Mou« 
tier,  qui  date  du  commencement  du  xiii'  siècle,  s'ouvre  extérieurement 
par  une  porte  centrale  accompagnée  de  quatre  arcades,  deux  à  droite, 
deux  à  gauche,  posées  sur  un  bahut.  Ces  arcades  ont  été  fermées  au 
XV'  siècle  par  des  claires-voies  de  pierre.  Un  joli  porche  offrant  une 
disposition  analogue  précède  encore  aujourd'hui  la  façade  de  l'église 
de  Toury  (Loiret).  Il  date  de  1230  environ.  Ce  porche  (Gg.  8)  n'e^^t  qu'un 


8 


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portique  étroit,  rappelant  assez  une'galerie  de  cloître;  il  est  percé  de  trois 
portes  entre  lesquelles  s'ouvre  une  arcature  posée  sur  un  bahut.  En  A^ 
nous  donnons  le  plan  de  détail  de  cette  arcature.  Trois  archivoltes  en 
tiers-point  reposent  sur  les  piles  B  et  les  colonnettes  jumelles  C.  Des  petits 
arcs  plein  cintre  avec  tympans  forment  la  claire-voie  et  sont  portés  sur 
les  colonnettes  D  simples.  La  figure  9  donne  la  moitié  de  l'élévation  de 
ce  porche,  ainsi  que  sa  coupe  E  faite  sur  la  claire-voie  '.  Beaucoup  de  ces 
porches  en  forme  de  portiques  et  en  appenlis  ont  été  établis  pendant 
les  xiii%  XIV*  et  xv«  siècles,  devant  des  façades  de  petites  églises  parois- 
siales plus  anciennes  ;  mais  habituellement  ils  sont  d'une  extrême  sim- 
plicité, ne  se  composent  que  de  pilettes  de  pierre  ou  de  poteaux  posés 


<  Le  plan  de  cette  église  est  donne  dans  Touvrage  de  M.  Arnaud,  Voyage  archéoio^ 
gique  dans  le  département  de  VAube^  1^37. 

^  Ces  dessins  nous  ont  été  Touruis  par  M.  Siiu\ageol,  l'un  de  nos  plus  habiles  graveurs 
d'architecture.  Ils  ont  été  rclc\és  avec  une  exactitude  minutieuse . 


[  puitcliE  I  —  'i^i  — 

sur  un  bahul  et  porlanl  un  comble  à  une  seule  penle.  Ces  églises  étaient 
toujours  entourées  de  cimetières,  et  les  porches  servaient  alors  à  donner 
l'absoute  et  à  mettre  à  l'abri  les  personnes  qui  assistnient  aux  enterre- 
ments. Us  ne  formaient  d'ailleurs,  comme  le  montre  le  dernier  exemple, 
qu'une  clôture  facile  à  franchir,  d'autant  que  les  portes  ne  paraissent 
pas,  dans  beaucoup  de  cas,  avoir  été  jamais  munies  de  vantaux.  Un  des 
plus  vastes  parmi  ces  sortes  de  porches  clos,  est  certainement  celui  qui 


précède  la  façade  de  la  petite  église  conventuelle  de  Sairtt-Pére-sous- 
Vézelay,  et  qui  fut  élevé  vers  la  fln  du  xiil'  siècle,  remanié  pendant  les 
XIV*  et  XV*.  Ce  porche  s'ouvre  sur  la  face  antérieure  par  trois  baies  qui  ne 
paraissent  pas  disposées  pour  recevoir  des  grilles  ou  des  vantaux  de  bois; 
latéralement  il  était  ajouré  par  des  baies  vitrées  posées  sur  un  bahut,  de 
manière  à  garantir  tes  fidèles  contre  le  vent  et  la  pluie. 

Cette  construction  est  couverte  par  six  voûtes  en  arcs  ogives  reposant 
sur  des  piles  engagées  et  sur  deux  piliers  isolés.  Un  tombeau,  qui  date 
de  l'époque  la  plus  ancienne  de  sa  construction,  est  placé  à  la  gauche 
de  la  porte  centrale  de  l'église.  D'autres  sépultures  étaient  disposées  sous 
son  dallage.  Les  figures  en  bas-reliçf  des  donateurs  sont  sculptées  en 
dedans  de  l'entrée  :  c'est  un  noble  personnage  de  la  localité  et  sa  femme. 
Malheureusement  cette  construction,  qui,  dans  l'origine,  devait  être  trè»- 
riche  et  très-gracieuse,  a  été  fort  mutilée  et  ne  présente  que  des  débris 
remaniés.  Le  porche  de  Saint-Père  est  comme  une  transition  entre  les 
porches  absolument  clos  des  clunisiens  et  les  porches  ouverts.  Il  parti- 
cipe plutôt  de  l'église  que  de  l'extérieur  :  c'est  évidemment  encore  un 
lieu  sacré.  Il  nous  amène  à  parler  des  porches  franchement  ouverts,  bien 
qu'ayant  encore  une  importance  considérable  par  rapport  aux  édiUces 
religieux  qu'ils  précèdent.  Mais,  avant  de  nous  occuper  des  porches 


—  273   —  [   PORCHE  ] 

ouverts,  nous  ne  devons  pas  omettre  ici  un  monument  d'un  grand  intérêt, 
quoique  d'une  date  assez  récente.  H  s'agit  du  porche  de  l'église  de  Ry  «. 
Cette  église  est  totalement  dépourvue  de  style,  c'est  un  vaisseau  bar- 
long  du  XV"  siècle,  sans  caractère.  Latéralement  à  la  nef,  est  bâti  du  côté 
sud  un  porche  de  bois,  clos,  richement  sculpté  et  d'une  conservation 


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parfaite.  Nous  en  donnons  le  plan  (fig.  10)  et  une  vue  perspective 
(fig.  11)  2.  Ce  joli  porche  date  de  la  première  moitié  du  xvi*  siècle  ;  il  est 
entièrement  construit  en  bois  de  chêne  eWrepose  sur  un  bahut  de  pierre. 
La  charpente  du  comble  est  lambrissée  en  tiers-point  avec  entraits  appa- 
rents seulement  au  droit  de  la  croupe,  ainsi  que  le -fait  voir  le  plan.  La 
baie  d'entrée  ne  parait  pas  avoir  jamais  été  munie  de  vantaux,  ni  les 
claires-voies  de  grilles.  C'est  donc  un  abri  donnant  sur  le  cimetière,  et 
qui  semble  avoir  été  élevé  par  un  seigneur  du  lieu,  peut-être  pour  servir 
de  sépulture.  La  sculpture  en  est  très-délicate  et  des  meilleures  de 
l'époque  de  la  renaissance  normande.  Ce  petit  monument,  qui  compte 
aujourd'hui  plus  de  trois  cents  ans  d'existence,  et  qui,  bien  entretenu, 
pourrait  encore  durer  plus  d'un  siècle,  fait  assez  voir  combien  les  ouvrages 
de  charpenterie  établis  avec  soin  et  dans  de  bonnes  conditions  se  con- 
servent à  l'air  libre. 

En  examinant  les  vignettes  des  manuscrits  du  xv*  siècle,  il  est  facile 


>  Ry  est  un  village  situé  à  20  kilomètres  de  Rouen. 

-  C'est  encore  à  robligeance  de  M.  Sauvageot  que  nous  devons  les  dessins   de  ce 
porche. 

VIL   —  35 


[  PORCHE  ]  —  27^1   — 

de  constater  qu'il  existait  benucoiip  de  ces  porches  en  charpente,  priaci- 
palenienl  dans  ies  villes  du  Nord.  Ces  porches  de  bois  étaient  toujours 
peints  et  rehaussés  de  dorures.  Habituellement  ils  ne  se  composent  que  de 


deux  bahuts  latéraux  portant  des  poteaux  et  une  couverture  lambrissée. 
Quelquerois  aussi  paraissent-ils  suspendus  au-dessus  des  portes  comme 
des  dais  et  soutenus  seulement  par  des  consoles. 

POBGHEs  OUVERTS.  —  On  sait  les  querelles  qui,  pendant  le  xii°  siècle, 
s'élevèrent  entre  les  abbés  de  Vézelay  et  les  évoques  d'Aulun.  Ces  der- 
niers construisaient  alors  la  belle  cathédrale  que  nous  admirons  encore 
aujourd'hui,  et  qui,  par  son  caractère,  son  style  particuliers,  résume  celte 
architecture  religieuse  de  la  haute  Bourgogne,  de  la  Haute-Marne  et 
d'une  partie  du  Lyonnais. 


—  275  —  [  PORCBE   ] 

La  cathédrale  d'Autun  était  à  peine  achevée,  vers  il  W,  qu'on  élevait 
un  porche  vaste  devant  sa  façade  principale.  Ce  porche  couvre  un  em- 
marchement  comprenant  la  largeur  de  la  nef  et  des  collatéraux.  Il  est  sur- 
monté de  deux  tours  et  d*une  salle  au  premier  étage,  couverte  jadis  par 
une  charpente  apparente.  Clos  latéralement,  le  porche  de  Saint-Lazare 
d*Autun  s'ouvre  devant  l'entrée  centrale  de  l'église  par  un  énorme  ber- 
ceau qui  enveloppe  l'archivolte  de  la  porte.  Celte  disposition  est  d'un 
effet  grandiose,  d'autant  que  les  linteaux  et  le  tympan  de  cette  porte  sont 
couverts  de  flgures  sculptées  d'un  style  étrange,  énergique  et  d'une  exé- 
cution remarquable.  La  figure  12  donne  le  plan  de  ce  porche  à  rez-de- 
chaussée,  en  A,  tel  qu'il  avait  été  conçu  et  très-probablement  exécuté  pri- 


32 


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mitivement,  et  en  B,  tel  qu'il  fut  reconstruit  vers  1160.  Actuellement  le 
mur  de  clôture  latéral  faisant  pendant  au  mur  C  est  percé  d'arcs  en  tiers- 
point  avec  arcature  portée  sur  des  colonnettes,  surmontés  de  fenêtres 
non  vitrées.  Deux  tours  s'élèvent  sur  les  deux  premières  travées  des  col- 
latéraux. Dans  l'origine  (voy.  le  plan  A),  le  porche  ne  devait  pas  s'étendre 
devant  les  portes  latérales  D,  et  le  berceau  qui  le  couvrait  portaitsur  deux 
murs  épais,  ouverts  latéralement  par  deux  baies  E.  Aujourd'hui  les  tra- 
vées des  collatéraux  sont  couvertes  par  des  voûtes  d'arête. 

Deux  escaliers  à  vis,  s'ouvrant  sur  la  nef  des  deux  côtés  de  la  porte 
centrale,  montent  à  la  salle  supérieure.  La  coupe  transversale  faite  sur 
ab,  cd  (fig.  13),  indique,  en  A,  la  disposition  primitive  du  porche,  et  en 
B,  la  disposition  actuelle.  On  remarquera  la  grande  niche  voûtée  en  cul- 
de-four  réservée  dans  le  pignon,  au  premier  étage,  et  flanquée  de  deux 
portes. 

Cette  salle  du  premier  étage  mérite  un  examen  attentif,  car  elle  indique 
un  programme  particulier  aux  églises  de  celte  partie  de  la  France.  Nous 
avons  vu  qu'à  Vézelay  il  existe  de  même,  au-dessus  de  la  grande  porte. 


[   POHfllE  ]  —   276  — 

une  niche  assez  profonde  pour  recevoir  une  statue  colossale  assise,  ou 
même  un  petit  aulel.  A  Cluny,  il  j  avait  au-dessus  de  la  porte  centrale 
une  niche  s'ouvrant  à  l'intérieur,  avec  cul-de-lampe  en  façon  de  balcon 
saillant,  dans  laquelle  était  un  petit  uut«l  placé  sous  le  vocable  de  saint 
Michel  archange.  A  l'intérieur  de  la  façade  de  l'église  Saint-Andochede 


Saulieu,  on  voit  encore  une  disposition  analogue,  et  cette  église  est  con- 
temporaine de  la  cathédrale  d'Autun.  Le  soubassement  de  la  grande 
niche  de  la  façade  de  la  cathédrale  d'Autun  est  engagé  aujourd'hui  dans 
l'épaisseur  de  la  voûte  du  porche,  et  les  deux  portes  qui  l'accompagnent 
à  droite  et  à  gauche,  donnant  la  sortie  des  deux  petits  escaliers  à  vis,  ont 
leurs  seuils  en  contre-bas  du  sol  de  la  salle.  Évidemment  ces  deux  portes 
ne  pouvaient  s'ouvrir  dans  le  vide,  elles  devaient  donner  sur  un  sol  ;  donc, 
lors  de  ta  construction  de  la  nef,  on  avait  déjà  projeté  un  porche  plus  ou 
moins  profond  avec  premier  étage.  Cette  hypothèse  est  d'autant  plus 


—  277  —  [  PORCHE  ] 

admissible,  qu'il  existe  encore  au-dessus  delà  niche  les  rampants  d'un 
comble  bas  qui  devait  couvrir  la  salle  de  ce  porche  projeté,  non  achevé, 
ou  bientôt  remplacé  par  le  porche  actuel.  Le  porche  primitif,  d'après  la 
disposition  durampantdu  comble  ancien,  ne  devaitcouvrir  que  la  grande 
porte  et  ne  s'étendait  pas  devant  les  collatéraux.  Lorsqu'on  se  décida  à 
construire  le  grand  porche  actuel,  qui  comprend  la  largeur  totale  de  la 
façade,  il  fallut  élever  les  rampants  du  comble  et  boucher  la  partie  infé- 
rieure des  trois  fenêtres  qui  éclairent  la  voûte  de  la  nef  et  qui  sont  percées 
dans  le  grand  pignon.  Notre  coupe  transversale  (iig.  13)  indique  donc, 
en  A,  la  disposition  présumée  du  porche  primitif,  et  en  B,  celle  du  por- 
che actuel.  Après  cette  modification,  la  grande  niche,  en  partie  engagée 
dans  la  voûte,  perdant  une  partie  de  sa  hauteur,  ne  paraît  plus  avoir  été 
utilisée,  car  la  partie  supérieure  du  porche  ne  fut  jamais  achevée  ;  mais 
celte  niche,  décorée  de  jolis  pilastres  cannelés,  percée  d'une  seule  ou- 
verture très-petite  donnant  sur  la  nef,  accompagnée  de  ces  deux  portes 
communiquant  aux  deux  escaliers  à  vis,  avait  certainement  une  destina- 
tion. Devait-elle  contenir  un  autel,  comme  la  niche  intérieure  de  la  façade 
de  Cluny,  ou  comme  celle  extérieure  du  porche  de  Vézelay?  Cela  parait 
probable.  Mais  à  quelles  cérémonies  étaient  réservés  ces  autels  placés  au 
premier  étage  au-dessus  des  porches,  ou  sur  une  tribune  intérieure  ? 
Voilà  ce  qu'aucun  texte  ne  nous  apprend  jusqu'à  ce  jour. 

Dans  notre  coupe,  la  ligne  ponctuée  G  indique  le  niveau  du  sol  exté- 
rieur en  avant  du  porche;  on  se  rendra  compte  de  l'effet  grandiose  que 
produit  ce  vaste  emmarchement  couvert,  terminé  par  ce  portail  si  large- 
ment composé.  Le  porche  actuel  est  évidemment  une  œuvre  d'imitation, 
inspirée  peut-être  du  porche  de  Vézelay,  mais  qui  altère  le  caractère 
primitif  du  monument,  rappelant  ces  charmantes  constructions  romano- 
grecques  du  v*  siècle,  découvertes  par  M.  le  comte  Melchior  de  Vogué 
entre  Antioche  et  Alep.  Il  n'est  pas  douteux  que  les  maîtres  du  xii*  siècle, 
de  certaines  provinces  de  France,  avaient  vu  ces  monuments  et  qu'ils 
les  imitaient  non-seulement  dans  les  profds  et  l'ornementation,  mais 
aussi  dans  certaines  dispositions  générales.  Quelques-unes  de  ces  églises 
romano-grecques  possèdent  d'ailleurs  des  porches  avec  tribune  au-dessus 
et  clochers  latéraux. 

Nous  croyons  devoir  donner  (fig.  \U)  le  plan  de  la  salle  supérieure  du 
porche  d'Autun,  avec  ses  deux  escaliers  et  portes.  L'arcature  aveugle 
portée  sur  des  pilastres  à  l'intérieur,  derrière  la  niche,  et  qui  règne  avec 
le  Iriforium  de  la  nef,  est  percée  de  deux  baies  A  au  droit  des  escaliers. 
Pourquoi  ces  baies?  Quant  aux  portes  B,  elles  s'ouvrent  sous  les  combles 
des  bas  côtés  de  la  nef.  Ces  singularités  nous  prouvent  que  nous  igno- 
rons sous  quelles  données  religieuses  ont  été  érigés  les  porches  de  nos 
églises  du  xii^  siècle,  qui  subissaient  plus  ou  moins  l'influence  de  l'ordre 
de  Cluny;  il  y  a  là  un  sujet  d'études  que  nous  recommandons  à  nos 
archéologues  et  qui  nous  paraît  digne  de  fixer  leur  attention.  Évidem- 
ment, à  cette  époque,  les  porches  ont  eu  une  importance  considérable, 


[  PORCHE  ]  —  278  — 

et  Ton  n'aurait  pas  construit  devant  un  grand  nombre  d'églises  conven- 
tuelles, cathédrales  ou  paroissiales,  des  appendices  aussi  importants,  s'ils 
^'avaient  pas  dû  répondre  à  un  besoin  sérieux.  Observons  d'ailleurs  que 
ces  porches  s'élèvent,  sauf  de  rares  exceptions,  dans  un  espace  de  temps 
assez  limité,  de  1130  à  1200. 

En  F,  est  tracé  le  plan  de  la  salle  supérieure  du  porche  primitif  d'Au- 
tun,  et  en  G,  le  plan  de  cette  salle  après  la  reconstruction  du  porche 
actuel  ;  construction  qui,  comme  nous  l'avons  dit,  ne  fut  point  terminée. 


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La  cathédrale  d'Autun  n'est  pas  la  seule  qui  ait  été  précédée  de  porches 
importants  avec  premier  étage.  Ce  n'est  qu'au  xiii'  siècle,  lors  de  la 
reconstruction  de  ces  grands  monuments  de  nos  cités,  qu'on  a  renoncé 
complètement  à  ces  dépendances.  La  cathédrale  du  Puy  en  Velay  pos- 
sède un  porche  ouvert,  du  xii* siècle,  avec  grand  emmarchement,  ou  plutôt 
l'église  elle-même  n'était  qu'un  immense  porche,  dont  le  degré  arrivait 
au  pied  de  l'autel.  La  partie  antérieure  de  la  cathédrale  de  Chartres  laisse 
voir  encore  le  plan  et  la  disposition  d'un  porche  profond,  avec  salle  supé- 
rieure, qui  ne  fut  supprimé  qu'au  xni'  siècle. 

L'église  abbatiale  de  Saint-Denis  possédait  un  vaste  narthex  très- 
ouvert  du  côté  de  la  nef,  et  fermé  du  côté  extérieur,  mais  surmonté  d'une 
salle  voûtée.  La  petite  église  de  Saint-Leu  d'Esserent  conserve  encore 
son  porche  fermé  du  xii'  siècle,  avec  salle  supérieure;  or,  ces  construc- 
tions datent  de  11^0.  Mais  voici  (fîg.  15)  un  porche  plus  ancien  que  le 
porche  actuel  de  la  cathédrale  d'Autun,  et  qui  présente  une  disposition 
plus  franche  encore  et  non  moins  monumentale.  C'est  le  porche  de 
l'église  de  Châtel-Montagne  (Allier).  La  construction  de  ce  porche  est 


—   279   —  f   POBCHE    ] 

très-peu  postérieure  à  celle  de  l'église;  elle  date  de  1130  environ  *,  et 
conserve  une  apparence  entièrement  romane.  Plante  sur  le  sommet  d'un 
escarpement,  le  porche  de  l'église  de  ChAtel-Montagne  est  précédé  d'un 
degré  de  5  mètres  de  largeur,  avec  parvis  ;  il  présente,  au  droit  de  la  nef, 
une  grande  arcade,  et  an  droit  des  collatéraux,  deux  arcades  étroites 
ouvertes  de  cûté  pour  donner  plus  de  force,  en  a,  à  sa  maçonuerie  qui 

15 


reçoit  la  charge  du  pignon.  Latéralement  sont  ouvertes  deux  autres 
arcades  larges  laissant  entiers  les  contre-forts  qui  butent  les  construc- 
tions de  la  nef.  Un  escalier  b,  pris  aux  dépens  du  collatéral  méridional  de 
la  nef,  permet  de  monter  à  une  salle  élevée  sur  te  porche,  et  qui  s'ouvre 

■  Le  »tj\e  ronuD  s'est  conscriv  dans  cctle  partie  de  In  France  beaucoup  plui  Ijrd  que 
data  Ici  proTÏuces  du  Nord  «t  de  l'Esl.  Aniié  rapidcincut,  dès  lu  fin  du  il*  sîi-clc,  i  une 
très-grande  perfectioD,  il  n'tsl  pas  mélange  d'influence!  i;olliii]iies  vers  le  milieu  du 
iir  siècle,  coDifliu  le  roman  ilc  Bourgogne,  île  la  Daule-Marne,  de  la  Champagne  el  <lu 
Berrj.  Peudaat  la  seconde  moiltc  du  m'  siècle.  Ici  monuments  de  l'Auvei^ne  retardent 
■te  cinquante  aui. 


[    PORCUE   ]  —    280    — 

sur  l'intérieur  en  Riaaiùre  de  tribune.  La  ligure  16  présente  l'élévaUon 
extérieure  de  ce  porche,  qui,  avec  ses  constructions  supérieures,  forme 
la  façade  de  l'édiOce.  Le  caractère  de  celte  architecture  est  tout  em- 
preint d'un  bon  style  dont  nous  retrouvons  les  éléments  dans  l'architec- 
ture roinano-grecque  des  environs  d'Anlioche.  Mais  ici  les  matériaus 
((,'ranitj  sont  petits,  tandis  que  ceux  qui  ont  servi  à  élever  les  monuments 
byzantins  de  Syrie  sont  grands  et  largement  appareillés.  Les  fenêtres 
ouvertes  dans  les  arcs  supérieurs  de  cette  façade  éclairent  la  tribune; 

10 


l'arc  milieu  forme  le  tracé  du  berceau  intérieur.  Nous  donnons  (flg.  17} 
la  coupe  longitudinale  de  ce  porche,  avec  l'amorce  de  la  nef,  et  (lig.  18) 
sa  face  latérale  '.  Si  la  construction  est  simple  et  bien  ordonnée,  on 
remarquera  que  les  proportions  sont  des  plus  heureusement  trouvées. 
On  reconnaît,  daus  ce  joli  édifice,  la  trace  d'un  art  très-avancé,  délicat, 
étudié;  et  cependant  l'église  de  Châlel-Montagne  est  située  au  milieu 
d'une  des  contrées  les  plus  sauvages  de  la  France.  Aujourd'hui,  dans  ces 

<  ijei  ilvesiDi  de  ce  porche  doub  ont  élé  founiU  |Hir  M,  Millel,  charg-c  de  1«  re«tiDrl 
liuii  du  l'ëglisc  de  Cliàlcl-Moulagnc. 


—   281    —  [  PORCMB  J 

montagnes,  on  a  peine  à  réunir  quelques  ouvriers  capables  d'exécuter 
la  bâtisse  la  plus  vulgaire.  Mais  tes  provinces  du  Centre,  au  xii'  siècle, 
étaient  un  foyer  d'art,  actif,  développé,  possédaient  une  école  d'archi- 
tectes qui  nous  ont  bissé  de  cbarmanles  compositions,  des  construc- 
tions bien  entendues,  solides  et  d'un  excellent  style. 

Ces  arcbitecles  étaient  certainement  alors  des  religieux,  et  leur  école 
suivit  la  décadence  à  laquelle  ne  purent  se  soustraire  les  anciens  ordres 
monastiques  vers  la  fln  du  xii'  siècle. 

n 


V 


La  salle  du  premier  étage  du  porche  de  Cbâtel -Montagne  forme  une 
tribune  de  laquelle  on  peut  voir  ce  qui  se  passe  dans  la  nef,  tandis  que 
dans  les  exemples  précédemment  donnés,  ces  salles  supérieures  sont 
presque  entièrement  closes  du  côté  de  la  nef.  A  quel  usage  était  destinée 
cette  tribune?  Nous  pensons  qu'elle  donnait,  comme  les  salles  fermées, 
une  chapelle  spéciale,  et  qu'un  autel  était  disposé  contre  labalustradc, 
car  nous  voyons  encore,  sur  la  tribune  de  l'église  de  Montréal,  en  Bour- 
gogne, un  autel  de  la  fmdu  xi[' siècle  ainsi  disposé  (voy.  Tribuiib}.  Mais 
(au  xii°  siècle)  les  orgues  n'étaient  pas  des  instruments  d'une  assez 
grande  dimension  pour  occuper  ces  espaces;  les  chantres  se  tenaient 
dans  le  chœur  ou  sur  les  jubés,  oiaia  non  sur  des  tribunes  élevées  près 

vil.  —  36 


[   FORCBE   ]  —   282   — 

de  l'enlrée.  Uaelques  auteurs  ont  prétendu  que  ces  tribunes  étaient  ré- 
servées au.'ï  femmes;  mais  les  Temmes,  en  nombre  relativement  considé- 
rable à  l'église,  n'auraient  pas  trouvé  là  une  place  suffisante;  d'ailleiirs 
tous  les  testes  sont  d'accord  pour  dire  qu'elles  occupaient  un  des  c6lés 
de  la  nef  depuis  les  premiers  temps  du  moyen  ûge.  La  tradition,  dans 
quelques  lociditcs,  affecle  ces  tribunes  aux  pénitents,  et  nous  croyons 
que  la  tradition  s'approche  de  la  vérité.  Nous  admettons  qu'un  autel 


était  habituellement  placé  dans  ces  salles  ouvertes  sur  la  nef  ou  sur  le 
dehors,  ou  complètement  fermées;  que  ces  autels  étaient  orientés  comme 
l'est  celui  de  la  tribune  de  Montréal,  et  qu'il  était  réservé  à  des  céré- 
monies spéciales  auxquelles  assistaient  des  pénitents  ou  des  fidèles  rece- 
vant une  instruction  préparatoire.  Mais  nous  devons  avouer  que  ce  sont 
là  des  hypothèses,  et  que  nous  n'avons  point  de  preuves  positives  à  four- 
nir pour  les  appuyer. 

Non  loin  d'.\utun  est  une  église  conventuelle  du  xii'  siècle,  Paray-le- 
Monial,  possédant  un  porche  qui  paraît  être  antérieur  à  la  construction 
de  l'église  actuelle.  Le  plan  de  ce  porche  (tlg.  19)  est  régulier;  il  présente 
sur  sa  face,  à  rcz-de-chausséc,  trois  arcades  ouvertes,  et  sur  ses  côtés, 
deux  arcades.  Deux  piliers  composés  chacun  de  quati-e  colonnes  portent 
les  six  voûtes  d'arCtc  qui  forment  ce  rez-de-chaussée.  Deux  tours, 
comme  à  Aulun,  surmontent   les  deux  premières  travées  B,  et  portent 


—  283  —  [  PORcnE  ] 

ctsset  imprudemment  sur  ces  deux  faisceaux  de  colonnes  '.  On  voit  que 
ce  porche  n'est  pjis  placé  dans  l'axe  de  la  nef  A,  rebâtie  sur  un  autre  plan. 
Il  est  surmonté,  au  premier  étage,  d'une  salle  voûtée  en  berceaux  repo- 
sant sur  des  archivoltes,  ainsi  que  le  fait  voir  la  coupe  (fig.  20).  Cette  salle 
ne  fait  pas  tribune  sur  la  nef,  elle  est  fermée  cl  ne  s'ouvre  de  ce  cûté 
que  par  une  feuôtre  G  dont  l'appui  est  posé  à  2  mètres  au-dessus  du  sol. 
Les  porches  établis  sur  ce  plan  ont  donc  été  adoptés  assez  fré- 
quemment dans  cette  partie  de  la  Francej  c'est-à-dire  dans  le  voisinage 


de  l'abbaye  de  Cluny;  nous  voyons  (|ue  ces  plans  persistent  pendant  le 
xiii*  siècle.  Le  beau  porche  de  l'église  Notre-Dame  de  Dijon  fut  élevé 
vers  1230,  sur  ces  données,  c'est-à-dire  avec  trois  arcades  ouvertes  sur 
la  façade,  deux  piles  isolées  intérieures  portant  six  voûtes  d'arôle,  une 
salle  supérieure,  et  deux  tours  qui  n'ont  point  été  achevées, 

La  disposition  de  ce  porche  est  remarquable.  Bâti  de  bons  matériaux, 
bien  qu'avec  économie,  il  est  peut-être  l'expression  la  plus  franche  de 
l'architecture  bourguignonne  de  la  première  moitié  du  xiii'  siècle,  si 
originale,  si  aiidacieusemenl  combinée.  Il  n'a  manqué  aux  architectes  de 
celte  école  que  de  pouvoir  mettre  en  œuvre  des  matériaux  d'une  rigidité 
absolue,  comme  le  granit  ou  même  la  fonte  de  fer.  Telle  était  la  har- 
diesse de  ces  artistes,  qu'ils  osaient,  avec  des  pierres  calcaires,  d'une 
grande  résistance  il  est  vrai,  mais  cependant  susceptibles  d'écraseraeni, 

■  M.  Millel,  cliargé  de  la  reslaurntion  du  cliirmaiit  édifice,  a  ilù  remplacer  tes  colonnes 
qni  l'ctaicnt  écraséca;  il  a  placé  au  milieu  <!«■  leur  groupe  une  colonne  île  granit,  el  a  pu 
ainti  cnnscrrer  à  ce  narthei  toute  son  élance,  (Vojci  Ici  Archives  de*  n 
toriques,  publiécH  mus  le*  auspices  tir  .'^n  Eic,  le  Miiiiulre  d'ÉlaL) 


[  PORCnB  ]  —  28Ù  — 

parce  qu'elles  étaient  basses  entre  lits,  élever  des  maçonneries  d'un  poids 
considérable  sur  des  piles  très-gréles;  suppléant  à  l'insuffisance  de  ces 
matériaux  par  la  combinaison  savante  des  pressions  et  des  résistances. 


L'architecte  du  porche  de  Nr>tre>Dame  dé  Dijon  s'était  posé  un  pro- 
blème nouveau.  Ayant  été  à  même,  par  les  exemples  précédents,  d'ob- 
server le  mauvais  efTet  que  produisaient  les  deux  contre-forts  séparant  les 


—  285  —  f    PORCHE  ] 

trois  arcades  des  façades  de  porches,  il  supprima  ces  contre-forts  et  les 
remplaça  par  un  système  de  cheyalement  en  pierre.  L'idée  était  ingé- 
nieuse, hardie  et  sans  précédents.  De  cette  manière  aucun  obstacle  ne 
séparait  les  trois  arcades,  la  poussée  des  arcs-doubleaux  intermédiaires 
était  butée  par  le  chevalement,  et  le  poids  des  angles  internes  des  deux 
tours  reposait  sur  deux  piles  jumelles  comme  sur  un  chevalet.  Quelques 
défauts  dans  l'exécution  firent  rondir  ces  piles  vers  les  deux  arcs  laté- 
raux; et  soit  que  ce  mouvement  se  fût  produit  pendant  la  construction, 
Boit  que  les  ressources  aient  fait  dé^iut,  on  n\icheva  point  les  deux 
tours.  Elles  ne  s'élèvent  aujourd'hui  que  jusqu'à  la  hauteur  de  la  nef. 
Quoi  qu'il  en  soit,  et  laissant  de  côté  les  imperfections  de  détail  qui 
produisirent  ces  mouvements,  en  théorie  l'idée  était  neuve  et  féconde 
en  résultats.  Aussi  ce  porche  est-il  un  des  plus  beaux  qu'on  ait  élevés  à 
cette  époque  et  bien  supérieur  comme  conception  aux  porches  romans 
que  nous  avons  donnés  dans  les  exemples  précédents.  Telle  se  montre 
souvent  cette  architecture  du  xiii'  siècle  à  son  origine,  pleine  de  res- 
sources, abondante  en  idées,  mais  parfois  incomplète  dans  l'exécution. 
Aussi  n'est-ce  pas  par  une  imitation  irréfléchie  qu'on  doit  en  faire  l'ap- 
plication de  nos  jours,  mais  par  une  recherche  attentive  des  idées  qui 
ont  produit  son  développement  si  rapide  et  de  ses  théories  fertiles  en 
déductions.  Du  porche  de  Notre-Dame  de  Dijon  il  serait  aisé,  avec  quel- 
ques modifleations  de  détail  et  en  employant  des  matériaux  plus  rigides 
que  ceux  mis  en  œuvre,  de  faire  un  édifice  aussi  gracieux  d'aspect,  aussi 
léger,  mais  irréprochable  sous  le  rapport  de  la  structure.  Pour  cela,  il 
suffirait  de  baisser  la  naissance  des  archivoltes  latérales,  et  d'élever  les 
piliers  en  hauts  blocs  de  pierre  très-résistante.  Atteindre  un  résultat  avec 
des  moyens  imparfaits,  mais  laisser  deviner  Tidée  nouvelle,  l'invention, 
c'est  déjà  beaucoup  pour  ceux  qui  observent  et  veulent  mettre  leurs 
observations  à  profit  :  car  il  est  plus  facile  de  perfectionner  des  moyens 
d'exécution  en  architecture  que  de  trouver  un  principe  neuf  et  fournis- 
sant des  conséquences  étendues. 

La  salle  supérieure  du  porche  de  Notre-Dame  de  Dijon  forme  tribune 
sur  la  nef. 

Le  plan  de  ce  porche,  dont  la  figure  21  donne  la  moitié,  montre  com- 
ment l'architecte  a  su  éviter,  en  A,  les  contre-forts  extérieurs.  Les  deux 
piles  D  forment  le  chevalement  qui  reçoit  le  mur  de  face  de  la  tour 
plantée  sur  la  travée  B  au  droit  du  contre-fort  C,  et  qui  contrebute  les 
voûtes  du  porche.  En  G,  sont  ouvertes  de  grandes  fenêtres  dont  l'appui 
est  très-relevé  au-dessus  du  sol.  Dans  la  hauteur  du  premier  étage,  une 
galerie  (voy.  Galerie,  fig.  6)  se  dresse  au  devant  du  mur  delà  tour,  de  E 
en  F,  et  vient  aboutir  à  des  tourelles  H  disposées  en  encorbellement  sur 
les  contre-forts  Cet  contenant  les  escaliers  qui  permettent  de  monter  aux 
étages  supérieurs  de  ces  tours.  La  disposition  des  voûtes  de  ce  porche 
est  très-savamment  combinée.  Nous  en  avons  indiqué  le  système  à  l'ar- 
ticle Construction  (voy.  fig.  52  et  53).  Sur  lés  extrados  des  archivoltes 


I  pouciiK  j  —  286  — 

L  clj  portées  par  les  piles  isolées  Tormant  chevalement,  sont  bandés  des 
berceaux  M  et  N  qui  viennent  retomber  sur  un  linteau-sommier  K.  On 
remarquera  que  l'arcbitecte  a  posé  fe  mur  de  la  tour,  non  pas  à  l'aplomb 
(le  ces  berceaux,  mais  un  peu  vn  retraite,  ainsi  que  l'indique  la  planta- 
tion du  conlrc-fort  C,  alln  de  Taire  des  piles  A  et  I*  de  véritables  éperons. 


En  effel,  ces  piles  ne  sont  pas  sorties  de  leur  aplomb  sur  le  nu  de  la 
façade;  les  piles  A  et  P  se  sont  légèrement  inclinées  vers  les  travées 
latérales  par  suite  de  la  poussée  des  grands  arcs  L,  D,  et  parce  que  les  nais- 
sances des  arcs  J  n'étaient  pas  placées  assez  bas,  0"''<nt  aux  piles  R,  bien 
que  chargées  par  les  angles  des  tours,  elles  ont  conservé  leur  aplomb, 
grâce  à  la  disposition  ingénieuse  des  arcs  des  voûtes. 

L'cfTet  extérieur  et  intérieur  de  ce  porche  est  des  plus  heureux;  les  pro- 
fils, la  sculpture,  sont  du  meilleur  slyle, 

Il  faut  citer  aussi  parmi  les  grands  porches  ouverts,  bâtis  en  Bour- 
gogne pendant  le  xtii°  siècle,  celui  de  l'église  Notre-Dame  de  Beaune. 


—  287  —  [  PORCHE  ] 

Ce  porche  est  ouvert  sur  la  face  par  trois  arcades,  et  latéralement,  de 
chaque  côté,  par  deux  autres.  Deux  colonnes  isolées  portent ,  comme 
à  Notre-Dame  de  Dijon,  les  six  voûtes.  Le  porche  de  Notre-Dame  de 
Beaune  n'a  pas  élé  achevé  dans  sa  partie  supérieure  et  ne  devait  pas  être 
surmonté  de  tours.  Sur  la  façade  occidentale  de  l'église  Notre-Dame  de 
Semur  en  Auxois  est  planté  un  porche  ouvert  par  trois  arcades,  mais 
ne  possédant  que  trois  voûtes  en  arcs  ogives,  et  étant  par  conséquent 
dépourvu  de  colonnes  isolées.  Ce  porche,  fermé  latéralement,  date  du 
commencement  du  xiv*  siècle  et  n'a  été  achevé  qu'au  xv*  siècle. 

Le  porche  de  la  sainte  Chapelle  du  Palais  à  Paris  doit  être  classé  parmi 
les  grands  porches  ouverts.  Comme  le  bâtiment  auquel  il  est  accolé,  ce 
porche  est  à  deux  étages,  et  forme  une  sorte  de  vaste  loge  ouverte  sur 
l'une  des  cours  du  Palais  K 

Porches  ouverts  sous  clochers. —  Il  était  assez  naturel,  lorsqu'on  pré- 
tendait élever  un  clocher  sur  la  façade  principale  d'une  église,  de  prati- 
quer un  porche  à  rez-de-chaussée.  Dans  les  provinces  de  l'Ouest,  du 
Centre  et  du  Midi,  dès  le  xi*  siècle,  on  avait  pour  habitude  de  construire 
de  grosses  tours  carrées  devant  l'entrée  occidentale  des  églises;  la  partie 
inférieure  de  ces  tours  servait  de  porche*.  A  l'article  Clocher  (fig.dl  etW), 
nous  donnons  le  grand  porche  élevé  sur  la  façade  occidentale  de  l'église 
abbatiale  de  Saint-Benoît-sur-Loire.  Ce  porche,  qui  date  du  xi*  siècle,  se 
compose  d'un  quinconce  de  piles  épaisses.,  portant  des  voûtes  d'arête 
romaines  ^.  Il  occupe  une  surface  considérable  et  est  surmonté  d'une 
grande  salle  ouverte,  comme  le  rez-de-chaussée,  sur  trois  de  ces  faces 
et  présentant  de  même  un  quinconce  de  piles.  Le  clocher  devait  s'élever 
sur  les  quatre  piles  centrales.  Dans  le  même  article  (fig.  7],  on  voit  aussi 
le  plan  du  porche  de  la  cathédrale  de  Limoges,  qui  date  du  xi"*  siècle, 
ouvert  primitivement  sur  les  faces  et  supportant  un  clocher.  La  partie 
inférieure  du  clocher  de  l'église  de  Lesterps  (Charente)  présente  un 
porche  dont  la  disposition  rappelle  le  porche  de  Saint-Benoît-sur-Loire 
(voy.  Clocher,  fig.  ^3  et  ixU)y  mais  qui  date  du  xii*  siècle. 

Ces  programmes  ne  se  retrouvent  pas  dans  l'Ile-de-France,  danslaNor- 
mandie,dans  la  Bourgogne  et  la  Champagne.  Les  porches  sous  clochers  de 
rile-dc- France  sont  généralement  fermés  latéralement,  comme  le  porche 
occidental  de  l'église  abbatiale  de  Saint-Germain  des  Prés,  etcomme  celui 
de  l'église  de  Créteil  près  Paris  ^.  Le  porche  de  l'église  de  Créteil  était, 
il  y  a  peu  de  temps,  parfaitement  conservé  ;  son  aspect  était  monu- 


>  Voyez  Chapelle,  fig.  1  et  2;  Palais,  fig.  2  et  3. 

*  Voyez,  à  l'arliclc  Clocher,  la  carte  des  diverses  écoles  de  clocliers  (fig.  61),  dans  la- 
qucUe  il  est  démontré  que  deux  prototypes  de  ces  clochers,  à  Périgueux,  à  Brantôme,  en- 
voient des  rameaux  jusqu'à  Caliors,  Toulouse,  le  Puy,  Loches,  Saint-Benoît-sur-Loire,  etc. 

3  Voyelles  ensembles  et  les  détoils  de  ce  porche  dans  YAixhUecture  du  v«  au  xvi" 
siècip^  par  Gailhabaud. 

*  Cet  édilke  u  été  fort  altéré  il  y  a  peu  d'années. 


[  PoRCHi;  ]  —  288  — 

mental.  Il  élait  ouvert  par  une  arcade  sar  saface  antérieure  et  voAtéen 
lierceau .  Ce  n'est  qu'un  abri  devant  l'entrée  de  l'église  ;  long,  élroil,  fermé 
latéralement,  U  tient,  lieu  d'un  de  ces  tambours  qu'on  érige  de  uolre 


temps  derrière  les  portes.  Sa  construction  remonte  à  la  seconde  moitié 
du  XI'  siècle.  Nous  en  donnons  le  plan  (fig.  22)  et  la  coupe  longitudinale 
(fig.  2S). 


Les  arcades  uniques  de  ces  porches,  ouvertes  sur  le  dehors,  étaient 
fermées  par  des  voiles,  si  l'on  s'en  rapporte  i  d'anciennes  peintures  et  à 
des  bas-reliefs  antérieurs  au  xut*  siècle;  et  l'on  voit  encore  les  corbelets 


—  2ê9  —  [  PoncuE  J 

saillants  ou  les  trous  qui  servaient  à  poser  la  tringle  de  bois  à  laquelle 
étaient  suspeodues  ces  sortes  de/ portières  d'étoffe. 

Sous  le  clocher  de  Téglise  de  Saint- Savin,  près  de  Poitiers,  il  existe  un 
porche  de  la  même  époque,  entièrement  revêtu  à  l'intérieur  de  peintures 
remarquables,  de  porche,  plus  simple  comme  architecture  que  celui  de 
Créteil,  présente  d'ailleurs  une  disposition  analogue  ^  Le  clocher  occi- 
dental de  l'église  collégiale  de  Poissy  s'éJève  sur  un  porche  d'une  date 
ancienne  (commencement  du  xi'  siècle);  il  s'ouvre  de  môme  sur  la  voie 
publique  par  une  seule  arcade  et  est  voûté  en  berceau  plein  cintre'. 

Si  l'on  pénètre  dans  les  provinces  du  centre,  à  Tulle,  à  la  Châtre,  on 
voit  des  porches  sous  clochers  avec  trois  arcades  ouvertes,  l'une  en  face 
de  l'entrée,  deux  latéralement.  Ces  porches  datent  de  la  fin  du  xii*  siècle 
et  participent  des  dispositions  admises  pour  les  porches  sous  clochers 
du  Limousin  et  du  Périgord. 

Parmi  les  porches  les  plus  remarquables  élevés  sous  l'influence  de  ces 
deux  écoles,  mais  qui  ne  possèdent  pas  cependant  les  piles  intérieures 
que  nous  voyons  dans  les  porches  de  Limoges,  de  Lesterps  et  de  Saint- 
Benoit-sur-Loire,  il  faut  citer  celui  de  l'église  abbatiale  de  Moissac 
(Tarn-et-Garonne). 

La  structure  de  ce  porche  est  d'un  grand  intérêt  pour  l'histoire  de 
l'art.  Elle  date  de  deux  époques  assez  rapprochées  l'une  de  l'autre, 
du  commencement  et  du  milieu  du  xii'  siècle. 

La  ligure  2U  en  retrace  le  plan  à  rez-de-chaussée.  Primitivement,  ce 
porche  s'ouvrait  du  côté  du  midi,  en  C,  par  une  large  arcade  en  tiers-point. 
Du  côté  de  l'ouest,  en  D,  et  du  côté  du  nord ,  en  E,  il  s'ouvrait  sur  des 
dépendances  de  l'abbaye,  sur  des  cloîtres,  et  était  fermé  par  des  vantaux. 

Une  troisième  porte  F,  avec  trumeau  central,  donnait  accès  dans 
la  nef  de  l'église.  Peu  après  sa  construction,  c'est-à-dire  vers  1150,  on 
ajouta,  au  grand  porche  p'ortant  un  gros  clocher,  un  second  porche  ou 
abri  extérieur  G,  richement  décoré  de  bas-reliefs  et  de  sculptures  d'un 
très-grand  style  (voy.  Statuaire).  On  éleva  les  piliers  H  et  les  contre- 
forts L  Ces  constructions  accolées  servirent  à  porter  un  chemin  de  ronde 
crénelé  qui  défendait  l'entrée  de  l'église.  La  figure  25  donne  le  plan  de 
la  salle  bâtie  au-dessus  du  porche,  et  sur  les  piles  de  laquelle  devait 
s'élever  un  clocher  qui  ne  fut  pas  terminé.  La  différence  des  teintes  du 
plan  indique  la  construction  première  et  les  adjonctions  faites  au  milieu 
du  xii*  siècle  pour  recevoir  les  crénelages  à  deux  étages  sur  le  porche 
extérieur  en  K,  et  à  un  seul  chemin  de'  ronde  sur  les  côtés  L  et  M. 
C'était  une  tentative  assez  hardie,  au  commencement  du  xii*  siècle,  que 
de  couvrir  une  salle  de  10  mètres  de  côté  par  une  seule  voûte  qui  ne 

1  Voyet  Monographie  de  t église  de  Saint-Savin,  publiée  par  les  soins  du  Mioislre  de 
rinstnictioii  publique. 

s  II  fmit  citer  aussi  un  de  ces  porches  conservé  sous  le  clocher  occidental  de  l'église 
Saint-Sévelrin  de  Bordeaui,  et  qui  date  du  commencement  du  xn®  siècle. 

vu.  —  37 


[  POBCHB  ]  —  290  — 

fùl  pas  une  coupole,  et  l'architecte  du  porche  de  Moissac  résolut  ce  pro- 
blème en  constructeur  habile.  La  voûte  du  pez-de-chaussëe  est  en  arcs 
d'ogive,  c'est-à-dire  composée  de  formerets  et  de  deux  arcs  diagonaux 

24 


( 

\,  I    ./■■■:-.■    I"    '"'■ 

larges,  A  section  rectangulaire,  sur  lesquels  reposent  les  quatre  triangles 
de  la  voûte  maçonnés  en  moellons  smillés.  La  voûte  de  la  salle  baute  est 
composée  de  douze  arcs  tendant  à  un  œil  central  réservé  pour  le  pu- 
sage  des  cloches.  Notre  coupe  (fig.  26),  faite  sur  la  ligne  AB  du  plan  du 
rez-de-chaussée,  explique  cette  structure.  Le  détail  N  indique  l'appareil 


—  SftI   —  [  rOKCHE  ] 

des  pierres  coinposant  la  clef  de  la  voûte  du  rez-de-chaussée^car  les  ares 
diagonaux  sont  maçonnés  en  pierres  d'un  faible  échantillon).  Quant  aux 
arcs  de  la  voûte  du  premier  étage,  qui  peut  bien  passer  déjà  pour  une 


^â 


voûte  dans  le  mode  gothique,  les  diagonaux  sont  plein  cintre,  et  les  huit 
autres,  partant  des  piles  intermédiaires,  sont  des  portions  de  cercle.  On 
observera  que  ces  huit  arcs  intermédiaires  sont  posés  obliquement  sur  les 
chapiteaux  des  piles,  tandis  que  les  tailloirs  de  ces  chapiteaux  ont  leurs 
faces  parallèles  aux  côtés  du  carré.  Déjà  cependant  les  tailloirs  des  arcs 


[   PORCHE  ]  —  293  — 

diagonaux  sont  posés  suivant  )a  direction  de  ces  arcs  (voyez  le  plan, 
tlg.  25).  Ces  deux  salles  basse  et  haute  sont  d'un  effet  monumental  qui 
produit  une  vive  impression.  La  construction,  quoique  rude,  en  est  biea 


exécutée  et  n'a  subi  aucun  mouvement.  Les  adjonctions  faites  au  mi- 
lieu du  XII'  siècle,  si  intéressantes  qu'elles  soient,  ont  alléré  la  physio- 
nomie grandiose  de  l'extérieur  de  ce  porche  et  ont  assombri  celte 
belle  salle  supérieure,  dont  nous  ne  connaissons  pas  la  destination,  et 


—  29S  —  [  FOECHB  ] 

qui  s'ouvrait  si  largement  sur  les  dehors.  La  nef  de  TégUse  ayant  été 
rebâtie  au  commencement  du  xv*  siècle  sur  un  plan  analogue  à  celui 
de  la  cathédrale  d'Alby,  il  est  difficile  aujourd'hui  de  savoir  comment 
cette  salle  supérieure  s'arrangeait  avec  la  nef  primitive.  Toutefois  les 
trois  arcades  Py  bouchées  en  brique  lors  de  la  reconstruction  du  xv'  siècle, 
s'ouvraient  nécessairement  sur  la  nef  ancienne,  et  mettaient  la  salle  haute 
en  communication  directe  avec  celle-ci  sans  interposition  de  vitraux. 
Mais  nous  avons  déjà  vu,  par  quelques-uns  des  exemples  de  porches  sur- 
montés de  salles,  donnés  dans  cet  article,  que  les  nefs  n'étaient  guère 
fermées  par  des  vitraux,  surtout  dans  les  provinces  du  Centre  et  du  Midi, 
avant  la  fin  du  xii*  siècle. 

Les  porches  sous  clochers  sont  rares  à  dater  du  commencement  du 
XIII*  siècle  dans  l'architecture  française.  Cependant  nous  citerons  celui 
de  l'église  de  Larchant  (Seine-et-Marne)  K  La  Normandie  en  présente 
quelques-uns  qui  datent  des  xiv*  et  xv'  siècles;  nous  mentionnerons 
comme  un  des  plus  remarquables  celui  de  la  tour  de  l'église  Saint- 
Pierre,  àCaen^ 

Sur  les  bords  dii  Rhin  et  dans  les  contrées  environnantes,  cette  dispo- 
sition se  continue  assez  tard.  Le  porche  de  la  cathédrale  de  Fribourg 
ouvert  sous  le  clocher  occidental  est  fort  beau.  Intérieurement  il  est  orné 
de  bonnes  figures  représentant  les  Arts  libéraux,  de  grandeur  naturelle, 
le  Christ,  les  vierges  sages,  les  vierges  folles,  le  sacrifice  d'Abraham, 
saint  Jean-Baptiste,  sainte  Marie  l'Égyptienne,  etc.  Ce  porche  n'est  ou- 
vert que  par  une  arcade  sur  la  face,  les  côtés  sont  clos  et  décorés'  par  ces 
statues  dont  nous  venons  dé  citer  les  principales. 

Parlant  des  porches  sous  clochers,  on  ne  saurait  passer  sous  silence 
les  porches  si  bien  disposés  sous  les  tours  projetées  de  la  façade  de 
l'église  Saint- Ouen,  à  Rouen. 

Ces  tours,  qui  devaient  être  d'une  dimension  colossale,  ne  furent  éle- 
vées que  jusqu'à  la  hauteur  de  20  mètres  environ  au-dessus  du  sol.  Lors- 
qu'il fut  question  d'achever  la  façade  de  l'église  Saint-Ouen  en  1840, 
on  n'osa  continuer  l'œuvre  commencée  sur  des  dimensions  aussi  consi- 
dérables; on  rasa  donc  les  souches  des  deux  clochers,  et  l'on  perdit  ainsi 
une  des  dispositions  des  plus  originales  et  des  plus  ingépieuses. parmi 
toutes  celles  qu'avait  conçues  le  moyen  ftge  à  son  déclin,  car  ces  tours 
dataient  du  xv'  siècle. 

Elles  s'élevaient. sur  deux  porches  posés  diagonalement  et  donnant 
entrée  de  biais  dans  les  deux  collatéraux.  Le  plan  de  ces  porches  est 
gravé  dans  l'ouviage  de  Pugin  sur  les  monuments  de  la  Normandie, 
auquel  nous  renvoyons  nos  lecteurs^.  La  position  oblique  des  porches 
de  l'église  Saint-Ouen  avait  permis  de  les  ouvrir  sur  l'extérieur  par 

>  Voyei  les  Monumenh  de  Seine-et-Marne,  par  MM.  Aufuuf  re  et  Ficbot. 
*  Voyei  Pugin,  Spécimens  of  ihe  arthiteetural  Ant,  of  Normandy^ 
3  Voyez,  à  l'article  ABcnmcnTRE  aiLiciErsB,  la  flgnre  62. 


[  PORCHE  ]  —  294  — 

deux  baies  abritées ,  tendant  au  centre  d'un  large  parvis  formé  parla 
saillie  xles  tours.  On  évitait  ainsi  les  courants  d'air  dans  l'église,  les  portes 
extérieures  des  porches  et  celles  donnant  dans  les  collatéraux  n'étant 
pas  placées  en  face  Tune  de  l'autre.  La  foule  des  fidèles,  en  sortant  par 
les  deux  portes  latérales  et  la  porte  centrale,  "se  trouvait  naturellement 
réunie  sur  l'aire  de  ce  parvis,  sans  qu'il  pût  en  résulter  de  l'encoYiibre- 
ment.  Il  y  a  lieu  de  s'étonner  que  cette  disposition  si  bien  trouvée  et  d'un 
si  heureux  effet  n'ait  pas  été  suivie  dans  la  construction  de  quelques-- 
unes de  nos  églises  modernes,  d'autant  qu'elle  peut  s'accommoder  à  tous 
les  styles  d'architecture. 

Porches  d'églises  annexes. — C'est  à  dater  de  lafinduxii'  siècle  que  les 
porches  accolés  aux  façades  principales  ou  latérales  des  églises  deviennent 
très-fréquents.  Pourquoi  ?  Avant  cette  époque,  les  églises  les  plus  impor^ 
tantes  étaient  celles  qui  dépendaient  d'établissements  monastiques.  •  Ces 
églises,  comme  nous  l'avons  vu,  possédaient  des  porches  très-vastes  si 
elles  relevaient  de  l'ordre  de  Cluny,  en  forme  de  portiques  si  elles  rele* 
vaient  de  l'ordre  de  Glteaux,  plus  ou  moins  étendus  si  elles  ne  dépen- 
daient ni  de  l'un  ni  de  l'autre  de  ces  deux  ordres,  mais  faisant  partie  du 
plan  primitif  ou  complété  de  l'édifice  religieux.  Lorsque  ces  porches 
avaient  été  annexés,  ils  achevaient,  pour  ainsi  dire,  un  ensemble  de  con- 
structions conçues  d'après  une  idée  dominante.  Les  églises  paroissiales 
antérieures  à  1150  étaient  petites,  pauvres,  et  copiaient  plus  ou  moins 
les  grandes  églises  monastiques.  Avant  cette  époque,  les  cathédrales 
elles-mêmes  avaient  peu  d'étendue,  et  s'élevaient  également  sous  l'in* 
fluence  prédominante  des  édifices  dus  aux  ordres  religieux.  Mais  lorsque, 
vers  1160,  les  évoques  surent  recueillir  ces  immenses  ressources  qui  leur 
permirent  d'élever  des  églises  qui  pussent  rivaliser  avec  celles  des  ordres 
religieux,  et  même  les  dépasser  en  étendue  et  en  richesse,  ils  adoptèrent 
des  plans  qui  différaient  sur  bien  des  points  de  ceux  admis  par  les  moines. 
Plus  de  chapelles,  plus  de  porches  ou  de  narthex.  Les  cathédrales  prirent 
généralement  pour  type  un  plan  de  basilique,  avec  nef  centrale  et  bas 
côtés  ;  des  portes  largement  ouvertes  se  présentaient  sur  la  façade,  sans 
vestibule.  Il  semblait  que  le  monument  de  la  cité,  la  cathédrale,  voulût 
être  surtout  accessible  à  la  foule,  qu'elle  évit&t  tout  ce  qui  pouvait  faire 
obstacle  à  son  introduction.  C'était  un  forum  couvert,  dans  lequd  chacun 
était  appelé  sans  préparation,  sans  initiations.  Mais  bientôt,  ainsi  que 
nous  l'expliquons  ailleurs  ',  l'espoir  que  les  évèques  avaient  conçu  de 
devenir  les  chefs  politiques  et  religieux  de  la  cité  s'évanouit  en  face  de 
l'attitude  nouvelle  prise  par  le  pouvoir  royal.  Les  cathédrales  durent  se 
renfermer  dans  leur  rôle  purement  religieux  :  elles  élevèrent  des  cha- 
pelles, des  clôtures  autour  des  chœurs  ;  elles  crevèrent  leurs  longues  nefs 
pour  y  installer  des  transsepts,  et  enfin  elles  ajoutèrent  des  porches  de- 

1  Voyez  rarticle  Gathédaâlk,  t.  H,  p.  280  et  suiv.  t-  Voyes. aussi  tes  Entretwu  sur 
Varchitecture^  t.  I,  p.  263  et  suiv. 


—  295   —  [  PORGHB  ) 

vant  les  entrées.  Mais  cependant^  comme  si  Tidée  première  qui  les  avail 
fait  élever  dût  laisser  une  trace  perpétuelle,  ces  porches  se  dressèrent 
principalement  devant  les  entrées  secondaires  ou  latérales;  et  les  façades 
principales,  les  portails,  ouvrirent,  comme  dans  les  conceptions  primi-* 
tfves  de  ces  monuments,  leurs  larges  portes  sur  un  parvis  sans  porches 
ou  vestibules  extérieurs.  Nous  voyons  même  que  certaines  cathédrales 
dont  le  plan,  au  xii*  siècle,  avait  été  conçu  avec  un  porche  antérieur, 
comme  à  Chartres  par  exemple,  suppriment  ce  porche  au  commence- 
ment du  XIII'  siècle,  pour  ouvrir  les  portes  directement  sur  la  place 
publique.  Si  quelques  cathédrales,  ce  qui  est  rare  d'ailleurs,  possèdent 
des  porches  devant  leur  façade  principale,  comme  celle  de  Noyon  par 
exemple,  ces  porches  datent  de  la  fin  du  xiii'  siècle  ou  même  du  com- 
mencement du  XIV'  ;  car  nous  ne  pouvons  considérer  comme  des  porches 
les  larges  ébrasements  qui  précèdent  les  portes  occidentales  des  cathé*" 
drales  d'Amiens  et  même  de  Laon  '.  Ce  sont  là  des  portaihy  c'est-à'^dire 
des  portes  abritées. 

Vers  le  milieu  du  xiii'  siècle,  nous  voyons  au  contraire  élever  des 
porches  bien  caractérisés  devant  les  portes  secondaires  des  cathédrales. 
C'est  à  cette  époque,  vers  12&5,  que  Ton  bAtit  les  porches  latéraux  des 
cathédrales  de  Chartres,  de  Bourges,  de  Châlons-sur^Marne,  du  Mans, 
de  Bayeux,  et  qu'on  élève  souvent  ces  porches  devant  des  portes  qui 
n'avaient  pas  été  destinées  à  être  abritées.  Bientôt  cet  exemple  est  suivi 
dans  les  églises  conventuelles.  Pendant  les  xiv*  et  xv*  siècles,  on  élève 
quantité  de  porches  sur  les  flancs  de  ces  édifices.  Quant  aux  églises  pa- 
roissiales, dès  le  xin"  siècle,  leurs  portes  principales  comme  leurs  portes 
latérales  s'ouvrent  fréquemment  sous  des  porches. 

A  la  fin  du  xii'  siècle  et  au  commencement  du  xiii®  siècle,  deux  por- 
ches, l'un  du  côté  du  nord  et  l'autre  du  côté  méridional,  s'implantent 
devant  les  portes  secondaires  de  la  cathédrale  romane  du  Puy  en  Yelay^ 
et  ces  deux  porches  sont  surmontés  de  salles  ;  mais  ce  sont  des  hors- 
d'œuvre,  ne  se  raccordant  en  aucune  façon  avec  l'édifice  auquel  ils  se 
soudent,  tandis  qu'il  faut  voir  dans  les  porches  latéraux  de  la  cathédrale 
de  Chartres  des  conceptions  mises  en  harmonie  avec  le  monument  déjà 
construit.  Les  porches  nord  et  sud  plantés  devant  les  portes  du  trans- 
sept  de  la  cathédrale  de  Chartres  passent,  à  juste  titre,  pour  des  chefs- 
d'œuvre.  Ils  sont  composés  évidemment  par  des  artistes  du-  premier  ordre 
et  offrent  un  des  plus  beaux  spécimens  de  l'architecture  française  du 
milieu  du  xiii*  siècle.  Leur  plan,  leur  structure,  leur  ornementation,  la 
statuaire  qui  les  couvre,  sont  des  sujets  d'étude  inépuisables,  et  leur 

<  Il  faut  noter  ici  (voy.  GATâéDRALE,  fig.  19)  que  le  portail  ëe  la  cathédrale  d* Amiens 
n'a  pas  été  élevé  conformément  à  son  tracé  primitif.  Mais  en  admettant  même  ce  plan 
primitif,  nous  ne  pouvons  voir,  non  plus  qu*à  la  cathédrale  de  Laon,  dans  ces  ébrase- 
ments prononcés  des  portes,  ce  qui  constitue  un  porche,  c'est-à-dire  un  vestibule  ouvert 
ou  fermé. 


[   PORCHE   ]  —  296  — 

ensemble  présente  cette  harmonie  complète  si  rare  dans  les  œuvres  d'ar- 
chitecture. Celui  du  nord,  plus  riche  de  détails,  plus  complet  comme 
entente  de  la  sculpture,  plus  original  peut-être  comme  composition,  pro- 
duirait plus  d'effet,  s'il  était,  ainsi  que  celui  du  sud,  élevé  sur  un  grand 
emmarchement  et  exposé  tout  le  jour  aux  rayons  du  soleil.  Dans  l'ori- 
gine, ces  deux  porches  étaient  peints  et  dorés;  leur  aspect,  alors,  devait 
être  merveilleux.  C'est  lorsqu'on  examine  dans  leur  ensemble  et  leurs 
détails  ces  compositions  claires,  profondément  étudiées,  d'une  exécution 
irréprochable,  qu'on  peut  se  demander  si  depuis  lors  nous  n'avons  pas 
désappris  au  lieu  d'apprendre  ;  si  nous  sommes  les  descendants  de  ces 
maîtres  dont  l'imagination  féconde  était  soumise  cependant  à  des  règles 
aussi  rigoureuses  que  sages  ;  et  s'il  n'y  a  pas  plus  d'art  et  de  goût  dans  un 
de  ces  chefs-d'œuvre  que  dans  la  plupart  des  pâles  et  froids  monuments 
élevés  de  nos  jours. 

La  somme  d'intelligence,  de  savoir,  de  connaissance  des  effets,  d'ex- 
périence pratique,  dépensée  par  ces  deux  porches  de  Notre-Dame  de 
Chartres,  suffirait  pour  établir  la  gloire  de  toute  une  génération  d'artistes  ; 
et  ce  qu'on  ne  saurait  trop  admirer  dans  ces  œuvres,  c'est  combien  alors 
les  arts  de  l'architecture  et  de  la  sculpture  avaient  su  faire  une  alliance 
intime,  combien  ils  se  tenaient  étroitement  unis. 

Nous  ne  croyons  pas  nécessaire  de  donner  ici  des  figures  de  ces  por- 
ches publiés  dans  maints  ouvrages  *,  gravés,  lithographies  et  photogra- 
phiés bien  des  fois.  Nous  passerons  à  l'étude  d'exenaples  non  moins 
remarquables,  mais  peu  connus.  L'église  Saint-Nicaise  de  Reims  avait 
été  bâtie  par  l'architecte  Libergier,  mort  en  4263  ^;  c'était  un  des  plus 
beaux  monuments  religieux  de  la  Champagne.  D'une  construction  sa- 
vante, l'église  Saint-Nicaise  montrait  ce  qu'était  devenue  cette  archi- 
tecture champenoise  au  milieu  du  xiu'  siècle,  un  art  mûr.  Sur  la  façade 
de  cette  église  s'ouvraient  trois  portes  :  l'une  centrale,  dans  l'axe  de  la 
grande  nef,  les  deux  autres  dans  l'axe  de  chacun  des  bas  côtés.  Nous 
reviendrons  tout  à  l'heure  sur  ces  portes  secondaires.  La  porte  cen- 
trale était  précédée  d'un  porche  peu  profond,  élevé  entre  les  deux 
contre-forts  butant  les  archivoltes  de  la  nef,  et  recevant  le  poids  des 
angles  des  deux  clochers.  Là  figure  27  nous  montre  en  A  le  tracé  du 
plan  de  ce  porche,  avec  l'échelle  en  pieds.  D'un  axe  d'un  contre-fort  à 
l'autre  on  comptait  hO  pieds.  Les  contre-forts  avaient  8  pieds  de  face  ; 
on  comptait  également  8  pieds  pour  l'ouverture  des  arcades  B,  et 
16  pieds  pour  l'ouverture  de  l'arcade  centrale;  pour  la  profondeur  du 

1  Voyes  la  Mtmopiiphie  de  la  caihédraie  de  Chartres,  par  M.  Latsus.  —  L*onYrage  de 
M.  Gailbabaud,  sur  rarehiiecture  du  v*  au  xyi'  sièck,  —  Les  exemples  de  décoratûm 
de  M.  Gaucherel. 

*  La  tombe  de  Tarchitecte  Libergier  est  aujourd'hui  placée  dans  la  cathédrale  de 
Reims  ;  elle  était,  avaat  la  démolition  de  l'église  Saint-Nicaise^  placée  dans  ce  monu- 
ment. 


—  297  —  [  PoaCBB  ] 

ptecbe,  qui  n'était  qu'un  abri,  A  pieds.  Ainsi  les  quatre  colonnes  isolées 


XI   •; 


et  engagées  a,  b,  c,  d,  divisaient  l'espace  ad  en  trois  parties  égales,  et  ces 

Yii.  —  38 


[  POAGHS  ]  —  296  — 

quatre  colonnes  portaient  trois  archivoltes  surmontées  de  gAbles  (voy. 
l'élévation  G).  Chacune  de  ces  archivoltes  inscrivait  un  triangle  équila- 
téral,  et  les  gables  eux-mêmes  étaient  tracés  suivant  les  deux  c6tés  d'un 
triangle  équilatéral.  Si  l'arcade  centrale,  était  entièrement  à  jour,  celles 
des  deux  côtés  étaient  à  moitié  occupées  pas  l'épaisseur  des  contre-fortSi 
ainsi  que  le  n^ontre  notre  plan  en  E  et  en  E'.  Quant  à  l'ébrasement  de  la 
porte,  il  était  disposé  de  telle  façon,  qu'en  K  il  existait  une  boiserie  for- 
mant tambour  ou  double  porte.  En  G,  est  tracée  la  coupe  du  porche 
sur  Im.  La  figure  28  donne  la  vue  perspective  du  porche  central  de 
l'église  Saint-Nicaise  de  Reims.  Si  simple  par  son  plan,  cette  composi- 
tion était,  en  élévation,  d'une  grande  richesse,  mais  sans  que  les  détails 
nuisissent  en  rien  à  l'ensemble  des  lignes.  D'abord  Tarchitecte  avait  eu 
l'idée  nouvelle  de  donner  à  ses  porches  l'aspect  d'une  de  ces  décorations 
qu'on  dispose  devant  les  façades  d'églises  les  jours  de  grandes  céré- 
monies. Sans  contrarier  la  structure  principale  de  l'architecture,  ces 
arcades  surmontées  de  gables  forment  une  sorte  de  soubassement  déco- 
ratif occupant  toute  la  largeur  de  l'église  et  percé  de  baies  au  droit  des 
portes.  C'était  comme  un  large  échafaudage  tout  garni  de  tapisseries  ; 
car  on  remarquera  que  les  nus  de  ce  soubassement  sont  ornés  de  fins 
reliefs  fleurdelisés  qui  leur  donnent  l'aspect  d'une  tenture.  Derrière 
cette  architecture  légère,  et  qui  semble  élevée  pour  une  fête,  se  voyaient 
les  portes  richement  décorées  de  l)as-reliefs.  Celle  centrale ,  dont  nous 
donnons  la  vue  perspective  (fig.  28),  portait  sur  son  trumeau  la  statue  de 
saint  Nicaise;  dans  son  tympan,  le  Christ  assis  sur  le  monde  au  jour  du 
jugement,  avec  la  Vierge  et  saint  Jean  à  ses  côtés  et  des  anges  adorateurs  ; 
au-dessous,  d'un  côté,  les  élus;  de  l'autre,  les  damnés,  dont  quelques- 
uns  sont  emmenés  en  enfer  dans  un  chariot.  Dans  les  écoinçons,  deux 
anges  sonnent  de  la  trompette.  Les  douze  apôtres  étaient  placés,  non 
comme  des  statues  dans  des  niches,  mais  comme  des  groupes  de  per- 
sonnages dans  les  deux  enfoncements  pratiqués  des  deux  côtés  des  pieds- 
droits  de  la  porte.  On  voit  comme,  d'une  disposition  extrêmement  simple 
comme  plan,  l'architecte  Libergier  avait  su  faire  un  ensemble  très-déco- 
ratif et  facile  à  suivre  d'un  coup  d'œil  ^  Les  deux  porches  donnant  dans 
l'axe  des  collatéraux  ne  se  composaient  chacun  que  d'une  seule  arcade 
percée  entre  les  deux  gros  contre-forts  des  clochers.  Cette  arcade,  sur- 
montée d'un  gable,  comme  celles  du  porche  central,  avait  12  pieds  d'ou- 
verture (2  toises).  Mais  comme  ces  portes  latérales  étaient  celles  qui 
servaient  habituellement  (la  porte  centrale  n'étant  ouverte  que  pour  les 

>  L'église  Saint-Nicaise  a  été  démolie  depuis  la  (in  du  dernier  siècle.  En  ordonnant 
cette  démolition,  les  gens  de  Reims  ont  privé  lenr  ville  et  la  France  d'un  des  pins  beaux 
monuments  de  l'art  an  xiii*  siècle.  Heureusement  les  documents  sur  cet  édifice  ne  font 
pu  trop  défaut;  on  en  possède  des  plans  et  quelques  gravures,  entre  autres  celle  de  la 
façade,  qui  est  un  véritable  chef-d'œuvre  et  qui  est  due  au  graveur  rémois  de  Son.  Cette 
pièce  mte  date  de  1626. 


—  299  —  [  MAC»   ] 

procesMons  ou  pour  laisser  écouler  U  foule),  lenrs  porches  avaient  plus 
de  profondeur  (une  UHse),  et  k  l'intérieur  étaieot  disposés  des  Umbours 


à  demeure,  Irès-ingénieusement  combinés.  Le  plan  (Ug.  39)  fait  Toir  la 
disposition  de  ces  tambours  en  A,  et  l'entrée  des  escaliers  des  clochers, 
entrée  qui  se  trouvait  aussi  en  dehors  de  l'église,  quoique  ^rantie  par 
la  porte  extérieure.  Les  espaces  A,  B,  étaient  couverts  par  des  berceaux 
en  tiers-point  comme  les  archivoltes,  et  les  tympans  des  portes  décorés 


[  poRcuï  1  —sou- 

de bas-reliefs  dans  des  quatre-feuilles  et  des  lobes,  corame  celui  de  la 
parle  centrale.  Les  nus  D  étaient  couverts  des  mêmes  semis  fleurdelisée 
en  petit  relief.  Libergier  paraît  fitre  le  premier  qui  ail  eu  l'idée  défaire 
ainsi  des  porches,  des  hors-d'œuvre  rappelant  ces  ouvrages  provisoires 
qu'on  élève  devant  les  portails  des  églises  h  l'occasion  de  cerlaines  so- 
lennités. Cette  idée  fut  développée  plus  tard  avec  plus  ou  moins  de  bon- 
heur, mais  sans  qu'on  ait,  nous  semble-t-il,  dépassé  ce  premier  essai. 


Cependant' à  Troyes,  dans  la  même  provinlee,  il  existe  encore  deux 
porches  d'une  disposition  très-remarquable  (levant  les  portes  du  Irans- 
septde  l'église  Saint-Urbain  ■.  Ces  porches  sont  de  véritables  dais  sou- 
tenus par  des  arcs-boutants  reportant  la  ppussée  et  la  charge  de  leurs 
voûtes  sur  des  contre-forts  extérieurs  isolés.  Le  plan  de  l'un  de  ces  por- 
ches, en  tout  semblables  entre  eux  [flg;  30],  indique  celte  disposition. 
L'espace  ABCD  est  voûté.  Ces  deux  voûtes  reposent  sur  le  mur  du 
transsept  et  sur  les  trois  piles  B,  Ë,  C.  Tt-ois  arcs-boutants  G,  E,  H  repor* 
lent  la  poussée  extérieure  de  ces  voûtes  sur  les  trois  contre-forts  1,  K,  L. 
La  légèreté  de  cette  construction,  éltvée  en  liais  de  Tonnerre  d'une 
excellente  qualité,  est  surprenante.  Ces  deux  voûtes  ont  réellement 
l'apparence  d'un  dais  suspendu,  car  leur  saillie  laisse  à  peine  voir  les 
frêles  colonnes  qui  les  reçoivent.  Quant  aux  contre-forts  I,  K,  L,  malgré 
leur  importance  relative.  Ils  sont  tellement  hors  d'œuvre  (les  deux  con- 
tre-forts I,  L,  étant  d'ailleurs  au  droit  de  ceux  de  l'égliseO,  M),  qu'ils  ne 
paraissent  pas  appartenir  au  porche  et  que  l'œil  ne  s'y  arrête  pas.  En  P, 

<  Nai]«  aians  très-iouTent  locca%\oa  de  parler  de  celte  jolie  jgVie,  qui  préwnle  \t 
développement  le  ptiu  complet  et  le  plui  extnardinure  de  cette  architecture  cbampe- 
noise  du  nn*  «iècte  Ifoj.  ARcniTEcrvitE  uuontin,  GomrBrcnoH,  ttg.  <03,  103,  101, 
105, 106  ;  FntTM,  Pam).  . 


—  301  —  [  K)ACaB  ] 

nous  avops  tracé  à  l'échelle  de  0",05pour  mètre  l'une  descoloones  d'an- 
gle J^^Ç,  ét'e'h  R  le  détail  k  la  même  échelle  du  pilier  S  avec  sa  niche  T. 


Une  coupe  faite  sur  XV  [Hg.  31)  rend  compte  de  cette  singulière  struc- 
ture dont  le  géométrai  ne  peut  donner  qu'une  idée  très-incomplète.  En 
perspective,  les  contre-forts  et  les  arcs-boutants  ne  se  projettent  pas 
comme  dans  le  géométrai,  ils  se  séparent  du  porche,  le  laissent  indé- 
pendant. L'arc-boutant  A,  par  exemple,  à  un  plan  éloigné  et  butant  le 
premier  contre-fort  du  chœur,  ne  participe  pas  de  la  construction  du 
porche  <  ;  les  contre-forts  marqués  1  et  L  dans  le  plan  paraissent  se  rat- 
tadier  eus-mémes  à  l'église  et  non  au  porche.  Il  y  a  dans  cette  compo- 

>  C'Mt  riK-bouUnt  in>n)iij  Y  nir  le  pUin  (Apr.  30). 


[  PoncHE  )  —  303  — 

sition  une  entente  de  l'effet  que  ne  peut  rendre  un  géométnl  et  qu'ex- 
prime difflcilemenl  mAme  une  vue  perspective.  Hais  ce  qui  doit  attirer 


l'attention  des  architectes  dans  les  porches  de  l'église  Saînt-iJrbatii, 
c'est  la  grandeur  du  parti.  Malgré  leur  excessive  légèreté  et  la  téniùlé 
des  divers  membres  de  l'architecture  réduits  ft  leur  plus  fiiiblé  dimen- 


—  303   —  [   FORCHK  ] 

sioD,  ces  porches  sont  grands  d'écbelle  et  n'ont  pas  la  maigreur  qu'on 
reproche  à  beaucoup  d'édifices  élevés  à  la  fin  du  xiii*  siècle  et  au  com- 
meoGement  du  xiv.  L'élévation  faite  sur  la  ligne  ai  du  plan  (fig.  32)  fait 


asseï  voir  combien  cette  composition  est  lai^e,  claire ,  et  comme  les 
détails  sont  soumis  aux  masses.  Sur  les  deux  archivoltes  latérales 
sOBt..é)#vés  des  gables,  comme  sur  la  face  ;  et  les  combles  en  ardoises 


[  PORCHE  ]  —  304   — 

suivent  les  pentes  .de  cesgAbles,  de  sorte  que  les  eaux  s'écoulent  par  des 
caniveaux  posés  sur  les  arcs-boutants  et  par  les  gargouilles  posées  au 
devant  des  contre-forts  (voy.  la  coupe).  Par  derrière,  ces  combles  for- 
ment croupe  avec  chéneau,  afin  de  dégager  les  grandes  fenêtres  du  trans- 
sept.  Les  gables  indiquent  donc  la  forme  des  combles,  ce  qui  est  ration- 
nel. Au-dessus  des  deux  portes  percées  sous  le  porche  s'ouvrent  deux 
fenêtres,  ainsi  que  le  fait  voir  la  figure  32,  fenêtres  dont  les  meneaux 
se  combinent  adroitement  avec  les  gables  à  jour  qui  surmontent  ces 
deux  portes. 

La  construction  des  porches  de  SaintrUrbain  est  conçue  comme  celle 
de  toutes  les  autres  parties  de  cette  jolie  église;  c'est-à-dire  qu'elle  se 
compose  de  grands  morceaux  de  pierre  de  Tonnerre  formant  une  véri- 
table devanture  pour  les  archivoltes,  gables,  balustrades,  claires-voies  et 
clochetons,  et  d'assises  basses  pour  les  contre-forts.  Quant  aux  remplis- 
sages des  voûtes,  ils  sont  faits  en  petits  matériaux  K  Ces  porches,  comme 
toute  la  construction  de  l'église  Saint-Urbain,  élevée  d'un  seul  jet, 
datent  des  dernières  années  du  xin**  siècle,  et  sont  une  des  œuvres  les 
plus  hardies  et  les  plus  savantes  du  moyen  âge.  Le  xiv*  siècle  n'atteignit 
pas  cette  légèreté,  et  surtout  cette  largeur  de  composition,  dans  les 
œuvres  du  même  genre  qu'il  eut  à  élever.  Ainsi  le  porche  méridional 
de  l'église  Saint-Ouen  de  Rouen,  bâti  vers  la  fin  du  xiv*  siècle,  est  loin 
d'avoir  cet  aspect  ample  et  léger;  il  est  plus  lourd  et  surchargé  de  dé- 
tails qui  nuisent  à  l'ensemble.  Le  porche  occidental  de  l'église  Saint- 
Maclou,  à  Rouen,  est  certainement  un  des  plus  riches  qu'ait  élevés  le 
XV'  siècle,  mais  il  prend  toute  l'importance  d'une  façade,  et  ne  semble 
pas  avoir  cette  destination  spéciale  si  bien  indiquée  à  Saint-Urbain  de 
Troyes  \  La  disposition  du  porche  de  Saint-Maclou  a  cela  d'intéressant 
cependant^  qu'elle  se  prête  à  la  configuration  des  voies  environnantes,  et 
que  les  arcs  latéraux  forment  en  plan  deux  pans  coupés  très-obtus  avec 
l'arc  central,  pour  donner  à  la  foule  des  fidèles  un  accès  plus  facile. 

L'église  Saint-Germain  TAuxerrois,  à  Paris,  possède  un  porche  du 
commencement  du  xv*  siècle,  qui  est  parfaitement  conçu.  11  s'ouvre  sur 
'  la  face  par  trois  arcades  principales  qui  comprennent  la  largeur  de  la 
nef,  et  par  deux  arcades  plus  étroites  et  plus  basses,  au  droit  des  colla- 
téraux; une  arcade  semblable  de  chaque  côté,  en  retour,  donne  des 
issues  latérales.  Les  voûtes,  fermées  sur  les  deux  travées  extrêmes  plus 
basses,  sont  surmontées  de  deux  chambres  couvertes  par  deux  coudries 
aigus  et  éclairées  par  de  petites  fenêtres  percées  dans  les  tympans  rache- 
tant la  différence  de  hauteur  entre  les  grands  et  les  petits  arcs.  Une 
balustrade  couronne  cette  construction  couverte  en  terrasse,  sous  la  rose, 
dans  la  partie  centrale. 

'1  Pour  le  système  de  construcUon  ado|ité  à  Saint- tlfbaia  de  Troyes,  toyet,  à  Tartlck 
GoNstaucTioif,  les  fleures  it)3,  lOA,  105  et  106. 
^  Voyei  les  belles  photographies  que  MM.  Bissoa  f^éi^s  ont  faites  de  ce  poiWhei 


—  505   —  [   PORGHB  ] 

La  sculpture  et  les  détails  de  ce  porche,  bien  des  fois  retouchés  et 
depuis  peu  grattés  à  vif,  mauquent  de  caractère,  sont  mous  et  pauvres. 
Le  porche  de  l'église  Saint-Germain  l'Auxerrois  n'est  bon  à  étudier 
qu'au  point  de  vue  de  l'ensemble  et  de  ses  heureuses  proportions.  La 
porte  centrale  qui  s'ouvre  sur  la  nef  date  en  partie  du  siii*  siècle,  c'est 
le  seul  fragment  de  cette  époque  qu'on  retrouve  dans  tuut  l'édiQce, 
rebâti  pendant  les  xiV,  xy'  et  xvi'  siècles.  Le  parti  adopté  dans  la  con- 
struction de  ce  porche  nous  parait  remplir  assen  bien  les  conditions 
imposées  par  les  besoins  d'une  grande  église  paroissiale,  pour  que  nous 
en  présentions  ici  (fig.  33}  l'aspect  général. 


01 


Oo  observera  que  les  arcades  d'exlréoiités,  étant  plus  basses  que  celles 
centrales,  les  fidèles  réunis  sous  ce  vestibule  extérieur,  profond  d'ail- 
leurs, sont  parfaitement  abrités  du  vent  et  de  la  pluie,  bien  que  la  circu- 
lation soit  facile.  On  n'en  saurait  dire  autant  des  portiques,  péristyles 
ou  porches,  prétendus  classiques,  établis  au  de>'ant  des  églises  b&ties 
depuis  deux  siècles.  I^es  péristyles  de  Saint-Sulpice,  de  la  Madeleine,  de 
Saint-Vincent  de  Paul,  de  Notre-Dame  de  Loretle,  présentent  peut-être 
une  décoration  majestueuse,  mais  ils  sont,  contre  le  vent,  la  pluie  ou  le 
soleil,  un  obstacle  insuflisant. 

Sur  la  face  méridionale  de  l'église  collégiale  de  Poissy,  on  remarque 
encore  les  restes  d'un  joli  porche  du  xvi'  siècle  ;  mais  cet  appendice, 
reconstruit  vers  1821,  a  perdu  son  caractère.  Un  des  plus  beaux  porches 
élevés  à  cette  époque  est  sans  contredit  celui  qui  abrite  la  porte  méri- 

Tii.  —  59 


[   PORCHE  ]  — 306  — 

(lionale  de  la  cathédrale  d'Alby  ^  Ce  porche  est  un  véritable  dais  porté 
sur  des  piliers  en  avant  de  l'entrée  de  Téglise.  Il  s'élève  au  sommet  d'un 
grand  emmarchement  autrefois  défendu,  à  sa  partie  inférieure,  par  un 
ouvrage  fortifié  dont  on  voit  des  restes  assez  importants.  Nous  donnons 
(fig.  3^)  le  plan  du  porche  de  la  cathédrale  d'Alby  avec  Temmarchement 
qui  le  précède  et  la  défense  antérieure.  Les  arcades  A  et  B  s'ouvraient  sur 
une  vaste  plate-forme  entourée  de  murs  crénelés.  La  figure  85  présente 
une  vue  perspective  de  ce  porche  prise  du  côté  de  l'emmarchement. 

Le  porche  de  la  cathédrale  d'Alby  est  une  des  compositions  des  der- 
nières écoles  du  moyen  âge,  et  produit  un  merveilleux  effet  :  bâti  de 
pierre  blanche,  il  se  détache  sur  le  ton  de  brique  de  l'église  et  sur  le  ciel 
de  la  manière  la  plus  pittoresque;  sa  position,  si  bien  choisie  au  sommet 
d'un  long  degré,  en  fait  l'enlrée  la  plus  imposante  qu'on  puisse  ima- 
giner. Autrefois  une  longue  et  haute  claire-voie  vitrée  s'ouvrait  au-des- 
sus de  la  porte^  sous  la  voûte  du  porche,  et  donnait  une  grande  lumière 
dans  l'église,  d'ailleurs  très-sombre  ^. 

Nous  n'avons  pu,  dans  cet  article,  donner  tous  les  exemples  de  por- 
ches d'églises  qui  méritent  d'être  mentionnés;  nous  nous  sommes  borné 
à  reproduire  ceux  qui  présentent  un  caractère  bien  franc,  qui  accusent 
clairement  leur  destination,  et  dont  la  composition  offre  cette  originalité 
due  à  des  artistes  de  talent.  Les  églises  de  France  sont  certainement 
celles  qui  présentent  les  exemples  les  plus  variés,  les  mieux  entendus 
et  les  plus  grandioses  de  porches  du  moyen  âge.  En  Allemagne,  ils  sont 
rares;  en  Angleterre,  habituellement  bas  et  petits.  Mais  certainement, 
nulle  part  en  Europe,  ni  en  Italie^  ni  en  Espagne,  ni  en  Allemagne,  ni  en 
Angleterre,  on  ne  voit  des  porches  qui  puissent  être  comparés,  même  de 
loin,  à  ceux  de  Chartres,  de  Saint-Urbain,  de  Saint-Maclou,  de  la  cathé- 
drale d'Alby,  de  Saint-Ouen  de  Rouen,  et  de  Saint-Germain  l'Auxerrois. 

Porches  annexes  a  des  constructions  civiles.  —Les  articles  Escalier, 
Perron,  donnent  quelques  exemples  de  porches  combinés  avec  les  degrés 
principaux  des  palais  et  châteaux.  Sur  la  voie  publique,  il  n'était  pas 
possible  d'établir  des  porches  en  avant  des  maisons.  Celles-ci  possé- 
daient parfois  des  portiques  continus  ou  des  saillies  en  encorbellement 
formant  abri,  ou  encore  de  véritables  auvents  à  demeure  (vôy.  Auvent, 
Maison).  Les  porches  proprement  dits  eussent  gêné  la  circulation,  surtout 
dans  les  villes  du  moyen  âge,  dont  les  rues  sont  généralement  étroites. 
Quelquefois,  dans  les  cours,  un  pavillon  portant  son  angle  saillant  sur 
un  seul  pilier  formait  un  petit  porche  devant  une  entrée  ou  à  l'issue 
d'une  allée,  ainsi  que  le  fait  voir  la  figure  36  ^.  A  l'angle  d'une  place 

>  Voyez  Cathédrale,  fig.  50. 

'^  M.  Daiy,  architecte  diocésain  d'Alby,  a  été  depuis  peu  chargé  de  restaurer  ce  porche, 
et  s'est  acquitté  de  cette  tache  dilficile  avec  un  talent  remarquable. 

^  Voyei,  à  l'article  Maison,  le  plan  et  rélêvation  de  l'hôlel  de  la  Trémoille  (fig.  36 
et  37),  la  tourelle  formant  porche  à  rez-de-chaussée,  à  rentrée  de  l'allée  conduisant  au 
jal^in.  Voyez  aussi  Tarticle  Tourelle. 


[  FOHCBE  ] 


publique  OU  (l'un  carrefour,  on  Inissait  aussi,  d»DS  certains  cas,  sous  une 


maison,  un  espace  couvert  et  ajouré  sur  la  voie  publique;  mais  ces  abnt 


—  M9  —  [   PORCHE    ] 

étaient  des  loges  plutôt  que  des  porches,  on  en  étAblissait  près  des  mar- 
chés :  c'étaient  des  parloirs,  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  des  boarset, 
sur  une  petite  échelle  '. 


Cependant  les  vignettes  des  manuscrits  du  xv*  siècle  présentent  fré- 
quemment des  porches  assez  importants  devant  des  hàteU,  sur  la  voie 
publique  ;  et  ces  porches  sont  toujours  figurés  comme  étant  relativement 


très-ornes.  Un  beau  manuscrit  de  cette  époque,  appartenant  &  la  biblio- 
thèque de  Troyee  (n°  178),  donne  un  poi-che  d'b6tel  dont  voici  en  plan  la 
disposition  (fig.  37).  Le  porche  A  est  placé  à  l'angle  du  bâtiment  et  forme 
tambour  dans  l'intérieur.  L'élévation  perspective  fournie  par  le  manu- 

■  VojM  Lo». 


[   PORCHE  1  —    310  — 

scril  esl  reproduite  par  noire  figure  38,  Ce  porche  est  très-petit  d'échelle, 
ce  n'est  qu'un  abri  pouvant  contenir  quatre  personnes.  C'était  ce  qui 


convenait  à  l'entrée  d'une  habitation.  Au-dessus  de  la  console  portant  la 
retombée  du  gable  de  face,  est  placée  une  de  ces  statues  de  la  sainte 


—   311    —  [  POHGHB    ] 

Vierge,  si  fréquentes  dans  les  carrefours  des  villes  du  moyeo  ftgc  et  aux 
angles  des  rues. 

Mais  la  forme  des  porches  la  plus  habituellement  adoptée  deranl  les 
construclions  civiles,  telles  que  hospices,  maladreries,  maisons  de  réu- 
nion de  bourgeois,  habilulions  rurales,  est  celle  que  retrace  notre 
Ugure  39.  Ces  annexes  se  composaient  d'un  bahut  avec  pileltes  de  pierre 


sur  lesquelles  des  sablières  de  bois  portaient  une  charpente  lambrissée 
dont  l'écartement  n'était  maintenu  que  par  des  entraits  retroussés.  Lu 
légèreté  de  ces  sortes  de  constructions  n'a  pas  permis  qu'elles  arrivassent 
jusqu'à  nous,  et  s'il  en  reste  encore  quelques  débris,  c'est  qu'ils  ont  été 
engagés  au  milieu  de  bâtisses  plus  récentes.  Dans  les  contrées  du  Nord, 
en  Suède,  en  Angleterre  même,  on  a  continué  fort  tard  à  élever  des 
porches  suivant  ce  système;  aussi  en  trouve-t-on  encore  quelques-uns 
debout,  d'autant  que  les  charpentes  mises  en  ipuvre  étaient,  dans  ces 
pays,  beaucoup  plus  épaisses  que  celles  adoptées  en  France.  H  était 
d'usage  aussi,  dans  la  Flandre,  d'élever  des  porches  en  bois  en  avant 


[  PORT  ]  —   312   — 

des  ponts-levis  des  châteaux  et  manoirs,  afin  de  mettre  à  couvert  les  gens 
qui  attendaient  qu'on  leur  permit  d'entrer  ;  mais,  chez  nous,  ces  sortes 
d'ouvrages  ont  toujours  l'apparence  d'un  châtelet,  ou  tout  au  moins  d'un 
corps  de  garde  défendu  (voy.  Porte). 

Nous  n'avons  donné  qu'un  petit  nombre  des  exemples  que  fournissenlles 
porches  du  moyen  âge,  relativement  à  leur  abondance,  car,  ces  annexes 
devant  être  élevées  sur  des  programmes  non  uniformes,  il  était  naturel 
de  varier  leur  aspect,  autant  que  leur  structure  et  leur  disposition  géné- 
rale. Il  est  beaucoup  de  porches  importants  que  nous  avons  mentionnés, 
et  qui  demanderaient  une  étude  toute  spéciale  :  tels  sont  les  porches 
de  Notre-Dame  de  Chartres,  ceux  de  la  cathédrale  de  Bourges,  ceux 
de  Saint-Maclou  de  Rouen,  de  l'église  de  Louviers,  et,  parmi  les  porches 
beaucoup  plus  anciens,  ceux  de  Saint-Front  de  Périgueux,  des  églises  de 
l'Auvergne,  celui  de  Notre-Dame  des  Doms  à  Avignon,  etc.  Quant  aux 
annexes  en  dehors  des  portes,  qui,  pour  nous,  à  cause  de  leur  peu  de 
saillie,  ou  plutôt  à  cause  de  leur  liaison  intime  avec  l'édifice  auquel  elles 
appartiennent,  ne  sauraient  être  considérées  comme  des  porches,  nous 
les  classons  dans  les  portails. 

PORT,  s.  m.  11  ne  nous  reste  que  peu  de  traces  des  ports  maritimes 
établis  pendant  le  moyen  âge.  Les  dispositions  des  ports  changeant  sans 
cesse  par  suite  des  développements  du  commerce,  on  ne  doit  point  être 
surpris  de  ne  plus  trouver  des  ports  datant  de  plusieurs  siècles,  con- 
servés entier.  Cependant,  dès  le  xi*  siècle,  les  côtes  de  France  possé- 
daient des  ports  assez  importants.  Sans  parler  des  ports  de  la  Méditer- 
ranée, qui,  comme  celui  de  Marseille,  dataient  d'une  époque  très-reculée, 
on  comptait  encore  à  cette  époque  ceux  de  Fréjus,  d'Agde,  de  Narbonne, 
d'Antibes,  qui  pouvaient  réunir  un  grand  nombre  de  navires.  Tout  porte 
à  croire  que  le  port  antique  de  Marseille,  pratiqué  encore  pendant  le 
moyen  Âge,  occupait  la  place  du  vieux  port  de  cette  ville.  Sur  les  côtes 
de  rOcéan,  il  y  avait,  au  xii'  siècle,  des  ports  à  Bordeaux,  à  la  Rochelle, 
à  l'embouchure  de  la  Loire,  à  Brest,  et  dans  la  Manche,  à  Saint-Maio,  à 
Granville,  à  Cherbourg,  à  Caen,  à  Dieppe,  à  Boulogne,  à  Wissant 

Ces  ports  furent,  la  plupart,  étendus  et  protégés  par  des  travaux  im* 
portants  pendant  les  xiii''  et  xiv°  siècles.  On  voit  encore  à  l'entrée  des 
ports  de  Marseille  une  des  tours  qui  défendaient  le  goulet  du  port,  et  qui 
date  du  xiV  siècle.  A  l'entrée  du  port  de  la  Rochelle,  il  existe  aussi  une 
belle  tour,  dont  les  soubassements  sont  fort  anciens  et  dont  le  couronne- 
ment date  du  xiv''  siècle,  qui  défendait  le  chenal.  Elle  se  reliait  à  un 
ouvrage  élevé  de  l'autre  côté  du  goulet  fermé  par  une  sorte  de  herse. 
M.  Lisch,  architecte,  a  découvert  des  traces  très-intéressantes  de  ces 
défenses,  et  doit  en  faire  le  sujet  d'un  travail  qui  sera  rendu  public.  La 
même  ville  possède  un  beau  phare  datant  des  xiv«  et  xv*"  siècles,  lequel 
est  encore  entier,  bien  qu  il  ne  soit  plus  employé  à  cet  usage.  A  Aigues- 
Mortes,  le  roi  Louis  IX  fit  tout  d'abord  établir  à  l'entrée  du  port  qui  lui 


—   313   —  [  PORTAIL  ] 

servit  de  base  d'opérations  pour  ses  expéditions  d'outre-mer,  une  toiir 
très  importante  qui  était  couronnée  par  un  feu,  et  qui  est  connue  aujour- 
d'hui sous  le  nom  de  tour  de  Constance. 

Les  ports  étaient  fermés,  pendant  le  moyeu  âge,  par  des  chaînes  et 
môme  quelquefois  par  des  herses  qui  étaient  suspendues  entre  deux 
tours  séparées  par  le  chenal.  Il  faut  dire  qu'à  cette  époque,  les  navires 
du  plus  fort  tonnage  n'avaient  que  6  à  7  mètres  de  largeur  entre  bor- 
dages. 

L'emploi  des  jetées  était  dès  lors  habituel,  comme  il  l'est  de  nos 
jours,  soit  pour  abriter  les  passes  pendant  les  gros  temps,  soit  pour 
maintenir  la  profondeur  d'un  chenal  et  empêcher  son  ensablement. 
Les  soubassements  de  la  jetée  occidentale  de  Dieppe  sont  fort  anciens 
et  existaient  avant  le  xvi*  siècle,  puisque  à  cette  époque  cette  jetée 
fut  reconstruite  en  partie.  Mais  le  peu  de  ressources  dont  on  pou- 
vait disposer  alors  pour  entreprendre  les  travaux  dispendieux,  devenus 
si  fréquents  aujourd'hui,  faisait,  toutes  les  fois  que  la  disposition  des 
côtes  le  permettait,  qu'on  profitait  d'une  embouchure  de  cours  d'eau 
ou  d'un  étang  pour  faire  un  port;  et  alors,  au  besoin,  on  établissait  des 
canaux  de  communication  avec  la  mer  lorsque,  comme  cela  est  fré- 
quent pour  les  étangs  salés,  les  goulets  naturels  étaient  ensablés  ou 
même  bouchés  totalement.  C'est  ainsi  que  les  étangs  qui  formaient  le 
port  d'Aigues-Mortes  avaient  été  mis  en  communication  avec  la  haute 
mer.  C'est  ainsi  que  saint  Louis  avait  fait  creuser  le  canal  de  Bouc,  qui 
permettait  de  faire  entrer  des  navires  dans  l'étang  de  Berre,  près  de 
Marseille. 

PORTAIL,  s.  m.  Avant-porte.  Ébrasements  ménagés  extérieurement  en 
avant  des  portes  principales  des  églises  pour  former  un  abri.  Ce  qui  dis- 
tingue le  portail  du  porche,  c'est  que  le  portail  ne  présente  pas,  comme 
le  porche,  une  avancée  en  hors-d'œuvre,  mais  dépend  des  portes  elles- 
mêmes.  Bien  que  les  portes  des  cathédrales  de  Paris,  de  Bourges, 
d'Amiens,  de  Reims^  de  Rouen,  c^  Sens,  de  Senlis,  soient  abritées  par 
des  voussures  profondes  surmontées  même  de  gables^  comme  à  Amiens 
et  à  Reims,  cependant  on  ne  saurait  donner  à  ces  saillies  le  nom  de 
porches. 

Les  portails  de  nos  grandes  églises  ont  fourni  aux  architectes  du 
moyen  âge  des  motifs  splendides  de  décoration.  Ils  sont  ornés  habituel- 
lement de  nombreuses  statues,  de  figures  et  de  bas-reliefs,  sur  les  pieds- 
droits  en  ébrasement,  sur  les  voussures  et  dans  les  tympans  au-dessus 
des  portes.  Cette  disposition  des  portails  d'églises  appartient  à  notre  pays, 
à  l'architecture  issue  de  TIle-de-France  au  xii*  siècle,  et  certainement  on 
y  reconnaît  la  marque  d'un  sentiment  vrai  et  grand  de  l'art  décoratif. 
Entourer  ainsi  les  portes  principales  des  églises  d'un  monde  de  statues 
et  de  bas-reliefs  formant  parfois  une  suite  de  scènes  dramatiques,  c'est 
une  idée  hardie,  neuve,  et  qui  produit  un  grand  effet,  car  on  ne  saurait 

vn.  —  liO 


[  PORTE   ]  —   316   — 

fournir  une  place  plus  favorable  au  statuaire.  Les  ébrasements  obliques, 
éclairés  par  le  soleil  de  la  manière  la  plus  variée,  donnent  aux  sculptures 
un  relief  qui  semble  leur  prêter  la  vie.  Aussi  la  plupart  de  ces  grands 
portails,  tels  que  ceux  de  Notre-Dame  de  Paris,  de  Reims,  d'Amiens, 
forment  de  véritables  poèmes  de  pierre  qui  attirent  toujours  l'attention 
de  la  foule.  (Voy.  Cathédrale,  Porte.) 

PORTE,  s.  f.  Baie  servant  d'issue,  au  niveau  d'un  sol.  Toute  porte  se 
compose  de  deux  jambages^  d'un  linteau  ou  d'un  cintre.  Les  jambages 
possèdent  un  tableau  et  une  feuillure  destinée  à  recevoir  les  vantaux. 
Nous  diviserons  cet  article  en  portes  fortifiées  de  villes  et  châteaux  ;  en 
portes  de  donjons  et  tours  ;  en  poternes  ;  en  portes  d'abbayes  ;  en  portes 
d'églises  extérieures  et  intérieures;  en  portes  de  palais  et  maisons,  exté- 
rieures et  intérieures. 

Portes  fortifiées  tenant  aux  enceintes  de  villes,  châteaux,  manoirs. 
-^11  existe  encore  en  France  quelques  portes  romaines  et  gallo-romaines 
qui  présentent  les  caractères  d'une  issue  percée  dans  une  enceinte  et 
protégée  par  des  défenses.  Telles  sont  les  portes  de  Nimes,  d'Arles,  de  Lan- 
gres,  d'Autun  :  les  premières  antérieures  à  l'établissement  du  christia- 
nisme, celles  d'Autun  datant  du  iv«  ou  v"  siècle.  Ces  portes  sont  toutes 
dressées  à  peu  près  sur  un  même  plan.  Elles  consistent  en  deux  issues, 
l'une  pour  l'entrée,  l'autre  pour  la  sortie  des  chariots,  et  en  deux  pas- 
sages pour  les  piétons  ;  elles  sont  flanquées  extérieurement  de  deux  tours 
semi-circulaires  formant  une  saillie  prononcée.  Les  portes  d'Arroux  et 
de  Saint-André,  à  Autun,  sont  surmontées,  au-dessus  des  deux  arcs 
donnant  passage  à  travers  l'enceinte,  d'un  chemin  de  ronde  à  claire-voie, 
qui  pouvait  servir  au  besoin  de  défense.  Les  baies,  s'ouvrant  sur  la  voie 
publique,  n'étaient  fermées  que  par  des  vantaux  de  menuiserie,  sans 
herses  ni  ponts  mobiles  ^ 

La  porte  de  Saint-André,  à  Autun,  est  l'une  des  plus  complètes 
de  toutes  celles  que  nous  possédons  en  France ,  et  se  rapproche  de 
l'époque  du  moyen  âge  '.  Elle  est  d'ailleurs  entièrement  tracée  sur  le 
modèle  antique,  et  possède  deux  voles  A  (fig.  1),  deux  issues  pour  les 
piétons  B,  deux  tours  C,  servant  de  postes  militaires ,  avec  leurs  deux 
escaliers  D  montant  aux  étages  supérieurs  '.  On  retrouve  encore  sur 
la  voie^  en  A,  des  fragments  nombreux  de  ce  pavé  romain  en  gros  blocs 
irréguliers.  Au  droit  des  deux  poternes  B  étaient  établis  des  trottoirs,  et 
en  E  était  creusé  un  large  fossé  dont  on  aperçoit  encore  le  profil.  La  voie 

^  Les  traces  de  herses  .ipporontes  dans  les  pieds-droits  de  ces  portes  datent  dti 
moyen  âge. 

^  Ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  cette  porte  paraît  ne  pas  remonter  au  delà 
du  V*  siècle  4 

3  La  tour  de  droite  seule  existe  jusqu'au  niveau  du  sommet  de  la  porte,  mai»  son 
escalier,  dont  on  ne  voit  plus  que  ks  traces,  a  été  détruit. 


—   MS   —  [    FORTS   J 

formait  une  chaussée  qui  s'élendait  extérieurement  assez  loin  dans  la 
vallée,  comme  pour  mettre  en  évidence  les  arrivants.  L'ouvrage  princi- 


pal (flg.  2)  est  coDStruit  en  gros  blocs  de  grés  posés  jointifs,  sans  mor- 
tier,  suivant  la  méthode  romaine.  On  voit,  dans  notre  flgure2,  le  chemin 
de  ronde  supérieur  percé  d'arcades  d'outre  en  outre  et  communiquant 


avec  le  premier  étage  des  tours  et  le  chemin  de  ronde  des  courtines. 
Ces  tours  possédaient  encore  au-dessus  deux  autres  étages ,  réser- 
vés &  la  dérense,  l'un  couvert  par  une  voûte,  et  le  dernier  à  ciel 
ouvert.  On  y  arrivait  par  les  escaliers  à  double  rampe  indiqués  sur  le 
plan. 


[  PORTE   ]  —  316  — 

Nous  nous  sommes  souvent  demandé,  en  voyant  les  portes  des  villes 
de  Pompéi,  de  Nîmes,  d'Aulun,  de  Trêves,  toutes  si  bien  disposées  pour 
l'entrée  des  chariots  et  des  piétons,  pourquoi,  depuis  qu'on  a  prétendu 
revenir  aux  formes  de  l'antiquité  grecque  et  romaine,  on  n'avait  jamais 
adopté  ce  parti  si  naturel  des  issues  jumelles?  La  réponse  à  cette  ques- 
tion, c'est  que  Ton  s'est  fait  une  sorte  d'antiquité  de  convention,  lors- 
qu'on a  prétendu  en  prescrire  l'imitation.  Placer  un  pilier  dans  le  milieu 
d'une  voie  paraîtrait,  aux  yeux  des  personnes  qui  ont  ainsi  faussé  l'esprit 
de  l'antiquité,  se  permettre  une  énormité.  Beaucoup  d'honnêtes  gens 
considèrent  les  portes  Saint-Denis  et  Saint-Martin  à  Paris,  si  peu  faites 
pour  le  passage  des  charrois,  comme  étant  ce  qu'on  est  convenu  d'ap- 
peler une  heureuse  inspiration  d'après  les  données  de  l'antiquité.  Mais 
pour  l'honneur  de  l'art  antique,  jamais  les  Romains,  ni  les  Grecs  byzan- 
tins, ni  les  Gallo-Romains,  n'ont  élevé  des  portes  de  ville  aussi  mal  dis- 
posées. Leurs  portes  sont  larges,  doubles,  et  n'ont  jamais,  sous  clef,  une 
hauteur  supérieure  à  celle  d*un  chariot  très-chargé.  Elles  sont  accom- 
pagnées de  poternes,  ou  portes  plus  petites  pour  les  piétons,  profondes; 
c'est-à-dire  formant  un  passage  assez  long,  plus  long  que  celui  des  baies 
charretières,  afin  de  permettre  au  besoin  un  stationnement  nécessaire. 
Quelquefois  même  ces  poternes  sont  accompagnées  de  bancs  et  d'arcades 
donnant  sur  le  passage  des  chariots.  Telle  est,  par  exemple,  la  disposi- 
tion de  la  porte  dite  d'Auguste,  à  Nîmes. 

Les  tours  et  remparts  touchant  à  la  porte  de  Saint-André  d'Autun 
sont  construits  en  blocages  revêtus  extérieurement  et  intérieurement 
d'un  parement  de  petits  moellons  cubiques,  suivant  la  méthode  gallo- 
romaine.  Bien  que  les  détails  de  cette  porte  soient  médiocrement  tracés 
et  exécutés,  l'ensemble  de  cette  construction,  ses  proportions,  produi- 
sent l'elFet  le  plus  heureux. 

Mais  on  conçoit  que  ces  portes  n'étaient  pas  suffisamment  couvertes, 
fermées  et  défendues  pour  résister  à  une  attaque  régulière.  Il  est  vrai, 
qu'en  temps  de  siège,  on  établissait,  en  avant  de  ces  entrées,  des  ouvrages 
de  terre  et  bois,  sortes  de  barbacanes  qui  protégeaient  ces  larges  issues. 
Ces  ouvrages  de  terre,  avec  fossés  et  palissades,  s'étendaient  même  par- 
fois très-loin  dans  la  campagne,  formaient  un  vaste  triangle  dont  le 
rempart  de  la  ville  était  la  base  et  dont  le  sommet  était  protégé  par  une 
tour  ou  poste  de  maçonnerie.  A  Autun  même,  on  voit  encore,  de  l'autre 
côté  de  la  rivière  d'Arroux,  un  de  ces  grands  ouvrages  triangulaires  de 
terre,  dont  les  deux  côtés  aboutissaient  à  deux  ponts,  et  dont  le  sommet 
était  protégé  par  un  gros  ouvrage  carré  de  maçonnerie,  connu  aujour- 
d'hui sous  le  nom  de  temple  deJanns,  et  qui  n'était  en  réalité  qu'un  poste 
important  tenant  l'angle  saillant  d'une  tête  de  pont  Ce  qui  reste  de 
cette  tour  carrée  fait  assez  voir  qu'elle  était  dépourvue  de  portes  au 
niveau  du  rez-de-chaussée,  et  qu'on  ne  pouvait  y  entrer  que  par  une 
ouverture  pratiquée  au  premier  étage  et  au  moyen  d'une  échelle  ou  d'un 
escalier  de  bois  mobile. 


—   317   —  [   PORTE  ] 

Quand  le  sol  gallo-romain  fut  envahi  par  les  hordes  venues  du  nord- 
esl,  beaucoup  de  villes  ouvertes  furent  fortifiées  à  la  hâte.  On  détruisit 
les  grands  monuments,  les  temples,  les  arènes,  les  théâtres,  pour  faire 
des  remparts  percés  de  portes  flanquées  de  tours.  On  voit  encore  à 
Vésone  (Périgueux),  près  de  l'ancienne  cathédrale  du  x*  siècle,  une  de  ces 
portes.  Il  n'y  a  pas  longtemps  qu'il  en  existait  encore  à  Sens,  à  Bourges, 
et  dans  la  plupart  des  villes  de  l'est  et  du  sud-est  du  sol  gaulois.  Beau- 
coup de  ces  ouvrages  furent  môme  construits  en  bois,  comme  à  Paris, 
par  exemple. 

Quand  plus  tard  les  Normands  se  jetèrent  sur  les  pays  placés  sous 
la  domination  des  Garlovingiens,  les  villes  durent  de  nouveau  établir 
à  la  bâte  des  défenses  extérieures,  afin  de  résister  aux  envahisseurs.  Ces 
ouvrages  ne  devaient  pas  avoir  une  grande  importance,  car  il  ne  paraît 
pas  qu'ils  aient  opposé  des  obstacles  bien  sérieux  aux  assaillants;  les 
récits  contemporains  les  présentent  aussi  généralement  comme  ayant  été 
élevés  en  bois;  et  d'ailleurs  l'art  de  la  défense  des  places  n'avait  pas  eu 
l'occasion  de  se  développer  sous  les  premiers  Garlovingiens. 

Ce  n'est  qu'avec  l'établissement  régulier  du  régime  féodal  que  cet  art 
s'élève  assez  rapidement  au  point  où  nous  le  voyons  arrivé  pendant  le 
XII'  siècle.  Les  restes  des  portes  d'enceintes  de  villes  ou  de  châteaux 
antérieures  à  cette  époque,  toujours  modifiées  postérieurement,  indi- 
quent cependant  déjà  des  dispositions  défensives  bien  entendues.  Ces 
portes  consistent  alors  en  des  ouvertures  cintrées  permettant  exactement 
à  un  char  de  passer  :  c'est  dire  qu'elles  ont  à  peine  3  mètres  d'ouverture 
sur  Z  k  U  mètres  de  hauteur  sous  clef.  Il  n'était  plus  alors  question, 
comme  dans  les  cités  élevées  pendant  l'époque  gallo-romaine,  d'ouvrir 
de  larges  ouvertures  au  commerce,  aux  allants  et  venants,  mais  au  con- 
traire de  rendre  les  issues  aussi  étroites  que  possible,  afin  d'éviter  les 
surprises  et  de  pouvoir  se  garder  facilement.  De  grosses  tours  très-sail- 
lantes protégeaient  ces  portes. 

Nous  ne  trouvons  pas  d'exemple  complet  de  portes  de  villes  ou  châ- 
teaux avant  le  commencement  du  xii'  siècle.  Un  de  ces  exemples,  par- 
venu jusqu'à  nous  sans  altération  aucune,  se  vott  au  château  de  Garcas- 
sonne,  et  il  remonte  à  1120  environ.  Nous  donnons  (fig.  3]  le  plan  de 
cette  porte  à  rez-de-chaussée.  On  arrive  à  l'entrée  par  un  pont  défendu 
lui-même  par  une  large  barbacane  bâtie  au  xiii'  siècle  '.  Le  tablier  de  ce 
pont  Â,  dont  les  parapets  sont  crénelés  ^,  est  interrompu  en  B,  et  laisse 
en  avant  de  l'entrée  une  fosse  de  3  mètres  environ  de  longueur  sur 
3  mètres  de  largeur.  Un  plancher  mobile,  qu'on  enlevait  en  cas  de  siège, 
couvrait  ce  vide.  La  porte,  qui  n'a  pas  2  mètres  de  largeur  sur  2"',30  de 
hauteur,  est  surmontée  d'un  large  mâchicoulis,  fermée  par  une  herse  G, 
un  vantail  D  et  une  seconde  herse  Ë.  Un  poste  placé  dans  la  salle  F  de  la 

*  Nous  donnons  plus  loin  la  porte  de  cette  barbacane. 
^  Ce  pont  date  du  xiii*  siècle. 


[  POKTE  )  —   318  — 

lourde  ^uche  nvaîtson  entrée  en  G,  sons  le  passage.  Un  second  poste  H, 
placé  dans  la  tour  de  droite,  avait  son  entrée  sous  un  portique  donnant 
sur  la  cour  intérieure  du  château.  En  K,  est  un  très-large  fossé.  Des 
meurtrières  disposées  dans  les  deux  salles  F  et  H  commandent  l'entrée 


et  les  dehors.  On  ne  pouvait  monter  aux  étages  supérieurs  de  celte  porte 
que  par  des  escaliers  de  boîs  posés  le  long  du  parement  intérieur  de 
l'ouvrage  en  I.  Le  plan  (fig.  4)  est  pris  au  niveau  de  la  chambre  0  de  la 
seconde  bcrsc  tombant  dans  la  coulisse  P,  formant  aussi  mâchicoulis. 


On  arrive  k  cette  chambre  par  la  salle  L  et  par  l'escalier  M.  Deux  trous 
carrés  II,  percés  dans  le  sol  des  deux  salles  des  tours,  traversent  la  voûte 
des  salles  ilu  rez-de-chaussée  et  correspondent  à  deux  autres  trous 
percés  dans  les  voûtes  du  premier  étage,  de  manière  à  mettre  en  com- 


—  319  —  [   PORTE   ] 

muaication  les  défenseurs  postés  à  l'étage  supérieur  avec  les  servants  de 
la  seconde  herse  et  avec  les  gens  des  postes  inférieurs.  Ces  trous^  qui 
ont  0*" ,63  de  largeur  sur  0'^,5d  de  long,  permettaient  même  au  besoin  de 
placer  des  échelles.  Mais  ils  étaient  surtout  percés  pour  faciliter  le  com- 
mandement, qui  partait  toujours  de  la  partie  supérieure  des  défenses. 
La  tigure  5  présente  la  coupe  longitudinale  de  la  porte  faite  sur  Taxe. 
On  voit,  en  B,  Tintcrruption  du  tablier  du  pont;  en  G,  la  coulisse  de  la 
première  herse,  et  en  D,  la  coulisse  de  la  seconde.  La  première  herse 
est  manœnvrée  de  l'étage  supérieur,  en  E,  placé  immédiatement  sous  le 
plancher  réservé  aux  défenseurs.  La  seconde  herse  est  manœuvrée  de  la 
chambre  dont  nous  avons  donné  le  plan  (fig.  U).  Les  trous  des  hourds 
de  la  défense  supérieure  sont  apparents  en  G  *.  Devant  la  première  herse 
est  disposé  un  grand  mâchicoulis  ;  un  second  mâchicoulis  est  percé 
devant  la  seconde  herse.  En  H,  nous  donnons  la  coupe  de  la  chambre 
de  la  herse  faite  sur  la  ligne  abcd  du  plan  (flg.  U),  avec  les  salles  voûtées 
du  rez-de-chaussée  et  du  premier  étage.  La  coupe  (fig.  5)  montre  égale- 
ment les  escaliers  de  bois  qui  permettent  de  monter  de  la  cour  du  châ- 
teau» soit  à  la  chambre  de  la  herse,  soit  à  l'étage  supérieur.  Une  première 
porte  de  bois  était  disposée  en  avant  de  la  fosse,  sur  le  pont,  en  I,  afin  de 
commander  le  tablier  de  celui-ci.  Cet  espace  en  avant  de  la  première 
herse  était  abrité  des  traits  qu'auraient  pu  lancer  les  assaillants,  par  un 
petit  comble  en  appentis,  laissant  d'ailleurs  passer  les  projectiles  tom- 
bant du  premier  mâchicoulis.  Ainsi,  en  cas  d'attaque,  une  garde  postée 
sur  le  tablier  mobile  couvrait  d'abord  le  tablier  du  pont  fixe  de  pro- 
jectiles. Si  l'on  prévoyait  que  la  porte  I  allait  être  forcée,  on  faisait  tomber 
le  tablier  mobile.  Du  haut  de  la  tour  d'où  Ton  pouvait  facilement  voiries 
dispositions  de  l'attaque,  on  laissait  couler  la  herse,  on  fermait  le  vantail 
derrière  elle,  et  l'on  commandait,  au  besoin,  de  laisser  tomber  la  seconde 
herse.  Alors  toute  la  défense  agissait  du  haut,  soit  par  les  hourds,  soit 
par  les  meurtrières,  soit  parle  grand  mâchicoulis.  Si  l'on  voulait  prendre 
l'offensive  et  faire  une  sortie,  on  commandait  du  haut  de  lever  la  seconde 
herse,  on  massait  son  monde  sous  le  passage  de  la  porte,  on  préparait 
une  passerelle,  on  faisait  lever  la  première  herse  et  l'on  ouvrait  le  van- 
tail. Était-on  repoussé,  on  rentrait  quelquefois  ayant  l'ennemi  derrière 
soi  ;  mais  en  laissant  du  haut  tomber  la  première  herse,  on  séparait  ainsi 
les  assaillants  les  plus  avancés  de  la  colonne  massée  sur  le  pont  et  on  les 
faisait  prisonniers. 

La  iigure  6  est  une  vue  perspective  de  la  porte  prise  du  pont,  en  sup- 
posant la  défense  de  bois  et  son  appentis  enlevés.  Sur  les  flancs  des  tours 
on  voit  les  deux  corbeaux  destinés  à  porter  la  traverse  postérieure  de 
cet  appentis.  La  première  herse  est  supposée  levée  et  la  fosse  non 
fermée  par  son  tablier  mobile.  Sauf  les  herses  qui  ont  été  supprimées, 
mais  dont  toutes  les  attaches  et  les  moyens  de  suspension  sont  appa* 

'  Voyef  UouRD^  lig.  1. 


[   POBTE   ]  —  320   — 

rents,  celte  porlc  n'a  subi  aucune  dégradation.  Il  faut  ajouter  que  la 
fosse  a  été  remplacée  par  une  voûte  moderne.  Cette  construction  e»t 
faite  de  petites  pierres  de  grès  jaune  et  est  exécutée  avec  grand  sois. 


Les  salles  sont  voûtées  en  calotte  avec  de  petits  moellons  bien  taillés. 
Les  combles  qui  recouvrent  cette  entrée  ont  été  refaits  depuis  peu  daos 
la  forme  indiquée  sur  la  coupe  longitudinale. 


-    3!)    -  [  PMTE    ] 

Les  moyens  d'attaque  des  places  fortes  de  celte  époque  admis,  moyens 
qui  ne  consistaient  qu'en  un  travail  de  sape,  fort  long  et  périlleux  puis- 
qu'il était  impossible  de  battre  en  brèche  des  tours  et  courtines  dont  tes 
murs  avaient  une  forte  épaisseur,  faisaient  que  les  assaillants  cherchaient 


toujours  k  brusquer  un  assaut  ou  à  surprendre  l'ennemi.  Si  les  tours  et 
courtines  avaient  trop  de  relief  pour  qu'il  fût  possible  de  tenter  une 
escalade,  surtout  lorsque  les  parapets  étaient  garnis  de  hourds,  on 
essayait  de  s'introduire  dans  la  place  par  surprises  ou  par  une  attaque 
brusquée  sur  les  portes.  Dès  lors  les  assiégés  accumulaient  autour  de 
ces  portes  les  moyens  de  défense  ;  on  doublait  les  herses,  les  vantaux, 
les  obstacles,  et  l'on  séparait  les  treuih  de  ces  herses  afin  de  rendre  les 
trahisons  plus  difficiles.  Ainsi,  dans  l'excaiple  que  nous  venons  de  pré- 
senter, on  voit  que  la  première  herse,  celle  qui  ferme  l'issue  à  l'exté- 
rieur, est  manœuvrÉe  du  haut  ;  c'est-à-dire  de  l'étage  où  tous  les  défen- 
seurs de  la  porte  sont  réunis,  où  se  trouve  nécessairement  le  capitaine. 
Les  gens  chargés  de  cette  manœuvre,  ainiîi  entourés  du  gros  du  poste, 

vli.  —  il 


[  PORTE  ]  —   322  — 

sous  les  yeux  du  commandant,  pouvaient  difficilement  trahir.  La  cham- 
bre de  la  seconde  herse  est  lolalemcnt  séparée  du  premier  treuil.  Les 
hommes  chargés  de  manœuvrer  cette  seconde  herse  ne  voyaient  pas 
ce  qui  se  passait  à  l'extérieur,  et  ne  pouvaient  s'entendre  avec  ceux 
postés  au  premier  treuil.  Ils  pouvaient  môme  être  enfermés  dans  cette 
chambre.  On  évitait  ainsi  les  chances  de  trahison  :  car  il  faut  dire 
qu'alors  les  défenseurs  comme  les  assaillants  d'une  place  étaient  recrutés 
partout,  et  ces  troupes  de  mercenaires  étaient  disposées  à  se  vendre  au 
plus  offrant;  beaucoup  de  places  étaient  prises  par  la  trahison  d'un 
poste,  et  toutes  les  combinaisons  des  architectes  militaires  devaient  ten- 
dre à  éviter  les  relations  des  postes  chargés  de  la  manœuvre  des  ferme- 
tures avec  les  dehors,  à  les  isoler  complètement  ou  à  les  placer  sous  l'œil 
d{\  capitaine. 

Les  surprises  des  places  par  les  portes  étaient  si  fréquentes,  que  non- 
seulement  on  multipliait  les  obstacles^  les  fermetures  dans  la  longueur 
de  leur  percée,  mais  qu'on  plaçait,  au  dehors,  des  barbacanes,  des 
ouvrages  avancés  qui  en  rendaient  l'approche  difficile,  qui  obligeaient 
les  entrants  à  des  détours  et  les  faisaient  passer  à  travers  plusieurs 
postes. 

Aujourd'hui,  lorsqu'on  assiège  régulièrement  une  place,  on  établit  la 
première  parallèle  à  600  ou  800  mètres,  et  en  cheminant  peu  à. peu  vers 
le  point  d'attaque  par  des  tranchées,  on  établit  les  batteries  de  brèche  le 
plus  près  possible  de  la  contrescarpe  du  fossé  ;  les  assiégeants,  avec  l'ar- 
tillerie à  feu,  ne  se  préoccupent  guère  des  portes  que  pour  empêcher  les 
assiégés  de  s'en  servir  pour  fiire  des  sorties.  Mais  lorsque  l'attaque  d'une 
place  ne  pouvait  être  sérieuse  qu'au  moment  où  l'on  attachait  les  mi- 
neurs auxremparts,  on  conçoit  que  les  portes  devenaient  un  point  faible. 
L'attaque  définitive  étant  extrêmement  rapprochée,  toute  ouverture,  toute 
issue  devait  provoquer  les  efforts  de  l'assiégeant. 

En  étudiant  les  portes  fortifiées  des  places  du  moyen  Âge,  il  est  donc 
très-important  de  reconnaître  les  dehors  et  de  chercher  les  traces  des 
ouvrages  avancés  qui  les  protégeaient  ;  car  la  porte  elle-même,  si  bien 
munie  qu'elle  soit,  n'est  toujours  qu'une  dernière  défense  précédée  de 
beaucoup  d'autres. 

La  porte  de  Laon  à  Coucy-le-Chàteau  est,  à  ce  point  de  vue,  une  des 
plus  belles  conceptions  d'architecture  militaire  du  commencement  du 
moyen  âge.  Bâtie,  ainsi  que  les  remparts  de  la  ville  et  le  château  lui- 
même,  tout  au  commencement  du  xiii'  siècle  par  Enguerrand  IH,  sire  de 
Coucy  *,  elle  donne  entrée  dans  la  ville  en  face  du  plateau  qui  s'étend 


*'  litt  pftrio  de  Laon  à  Coucy  est  d'uno  date  un  peu  nriléricure  à  la  construction  du 
cbAlcau.  Naturellement  Tenceinte  de  la  \\\\c  dut  précéder  l'édification  du  château  et  du 
fameux  donjon;  celte  porte,  par  son  style  et  sa  structure,  appartient  aux  premières 
années  du  xm^  siècle.  Enguerrand  III  prit  possession  de  sa  seigneurie  >ers  1183,  et 
mourut  en  1242. 


—  35:i  —  1  POHTs  J 

du  côlé  de  Laon.  Cette  porte,  placée  en  face  de  la  langue  de- terre  qui 
réunit  le  plateau  à  la  ville  de  Coiicy,  donnait  une  entrée  presque  de 
niveau  dans  la  cité  ;  mais  à  cause  de  cette  situation  même,  elle  deman- 
dait à  être  bien  défendue,  puisque  cette  langue  de  terre  est  le  seul  point 
par  lequel  on  pouvait  tenter  d'attaquer  les  remparts,  dominant,  sur  tout 
le  reste  de  leur  périmètre,  des  escarpements  considérables.  Au  commen- 
cement du  XIII*  siècle,  voici  quel  était  le  système  défensif  des  abords  de 
cette  porte  (f)g.  7). 


En  A,  était  tracée  la  route  de  Laon,  reportée  aujourd'hui  en  B  ;  en  G, 
une  voie  descendant  dans  la  plaine  et  allant  vers  Cbauny  '.  En  D,  était 
une  grande  barbacane  dans  laquelle  se  réunissaient  les  deux  voies  pour 
atteindre  un  viaduc  E,  admirablement  construit  sur  arcades  en  tiers- 
point.  Ce  viaduc  aboutissait  à  une  tour 'G,  bâtie  dans  l'axe  de  la  porte  H. 
Du  point  de  jonction  F  des  roules  au  point  Ë,  ce  viaduc  s'élevait  par  une 
pente  sensible  vers  la  ville.  Il  était  de  niveau  du  point  E  au  seuil  de  la 
porte;  du  seuil  de  cette  porte  au  point  H  sous  le  couloir  de  l'entrée,  il 
existait  encore  une  pente.  Des  salles  inférieures  de  la  porte,  par  un  sou- 
terrain d'abord,  percé  sous  le  passage,  et  par  des  baies  percées  dans 
chacune  des  piles  du  viaduc,  on  arrivait  au  niveau  D  de  la  barbacane, 
sous  la  voie  supérieure.  Ainsi,  de  laTille,etsansouvrir  aucune  des  herses 
et  vantaux  de  la  porte  elle-même,  sans  abaisser  le  pont  &  bascule,  sans 

I  Celte  Toie  i;<it  encore   nppiircnle. 


[    PORTE   ]  —  326   ~ 

ouvrir  les  vantaux  des  baies  de  la  tour  G,  les  défenseurs  pouvaient  se 
répandre  dans  Tenceinte  de  la  barbacane,  se  porter  aux  issues  L  et  K,  à 
la  tour  du  coin  P,  et  sur  les  chemins  de  ronde  terrassés  garnis  de  palis- 
sades. Si  la  barbacane  était  forcée,  les  défenseurs  pouvaient  rentrer  dans  la 
ville,  sous  le  viaduc,  sans  qu'on  fût  obligé  d'ouvrir  les  vantaux  des  portes 
de  la  tour  G,  non  plus  que  les  herses  de  l'ouvrage  principal.  Plus  tard, 
vers  la  lin  du  xv*  siècle,  un  beau  boulevard  rjevêtu  et  encore  entier  fut 
construit  sur  l'emplacement  de  la  tour  G,  dont  les  substructions  restèrent 
engagées  ainsi  au  milieu  du  terre-plein  ;  le  viaduc  fut  maintenu  et  en 
partie  englobé  dans  les  maçonneries  du  boulevard.  Le  plan  (fig.  8)  donne 
l'ensemble  de  ces  constructions  successives.  Ce  plan  est  pris  au  niveau 
de  l'étage  inférieur  de  la  porte.  De  la  ville  on  descend,  par  deux  esca- 
liers A,  dans  deux  salles  basses  B,  et  de  ces  salles  dans  le  souterrain  G. 
On  suivait  le  viaduc  dans  sa  longueur  sur  des  ponts  volants  D,  posés 
d'une  pile  à  l'autre  jusqu'à  la  grande  barbacane  et  en  traversant  l'étage 
inférieur  de  la  tour  G.  Nous  verrons  tout  à  l'heure  le  détail  de  l'amorce 
de  ce  passage  avec  la  porte,  et  du  pont  à  bascule  placé  en  Ë.  Notre  plan 
donne,  en  teinte  plus  claire,  le  boulevard  construit  vers  la  fin  du 
XV*  siècle,  et  qui  est  d'un  grand  intérêt  pour  l'histoire  des  défenses 
appliquées  à  l'artillerie  à  feu  ^  Alors  les  ingénieurs  se  servirent  du 
passage  souterrain  pour  permettre  d'arriver  aux  galeries  inférieures  de 
ce  boulevard.  Ils  fermèrent  seulement  les  arcades  I  par  de  la  maçon- 
nerie et  comblèrent  le  passage  des  ponts  volants.  Vers  la  partie  détournée, 
le  viaduc  ne  servit  plus  que  de  pont  passant  sur  un  fossé,  pour  attein- 
dre, du  plateau,  le  niveau  de  la  plate-forme  du  boulevard  ^.  Les  es- 
paces R  formaient  fossé  séparant  le  plateau  de  la  ville  et  déclinant  à 
droite  et  à  gauche  vers  les  escarpements  naturels.  Les  galeries  infé- 
rieures du  boulevard,  indiquées  sur  le  plan,  étaient  percées  de  nom- 
breuses meurtrières  couvrant  le  fond  de  ce  foâsé  de  feux  croisés.  Get 
aperçu  de  l'ensemble  des  défenses  de  la  porte  de  Laon  à  Coucy  fait  assez 
connaître  l'importance  de  ce  poste  militaire,  et  comme  il  était  puis- 
-samraierit  dérendu.  Examinons  maintenant  la  porte  en  elle-même,  assez 
bien  «oriserVée  encore  aujourd'hui  pour  qu'on  puisse  juger  du  système 
îadopté  par  le  constructeur  *.  Le  plan  (fig.  8)  est  pris  au-dessous  du  pavé 
de  la  tille,  de  sorte  que  le  sol  des  deux  salles  formant  caves  non  voûtées 
•et  des  deux  salles  rondes  V  est  au-dessus  du  niveau  du  fond  du  fossé  K, 

■        •      • 

'     1  Voyez  MEUBTBiiRE,  fig.  11. 

'  ^  Nous  n'avons,  sur  la  tour  6,  aujourd'hui  enterrée  dans  te  boulevard  et  sons  la  route 
-actuelle  de  Laon,  que  des  données  vagues,  n'ayant  pu  faire  des  fouiUes  étendues.  Quant 
au  viaduc,  il  est  complet  et  se  distingue  même  au  milieu  des  adjonctions  du  xv*  siècle. 
'  Cette  porte  avait  été  terrassée  au  xvi'  siècle,  au  moment  des  guerres  de  religion., 
pour  pouvoir  placer  dé  l'artiUerie  au  sommet  des  tours.  Ces  rembUus  ont  été  eolevés,  il 
y  a  queVlues  années,  par  les  soin^  de  la  Commission  des  monuments  historiques,  ^  ce 
déblaiement  a  permis  de  découvrir  les  dispositions  anciennes  que  nous  présentons  dans 
cette  suite  de  gravures.  * 


—   325    —  [    POBTE   1 

On  ne  descendait  dans  ces  salles,  destinées  à  servir  de  magasins,  que  par 
des  trappes  percées  dans  le  plancher  el  dans  la  niche  P. 


I^  figure  9  donne  le  plan  de  la  porte,  au  niveau  du  pavé  àe  la  ville. 
Ce  plan  montre  le  passage  pour  les  chariots  et  les  piétons,  se  rétrécis- 
sant vers  l'entrée  extérieure. 


[  PonTF,  ]  —  32ti  — 

Ce  passage  esl  voûlé  en  berceau  tiers-point  en  A,  en  B  elen  C;  il  est 
couvert  par  un  pianolier  en  D.  En  E,  est  un  large  mâchicoulis  entre  deux 
herses.  L'entrée  F  se  fermait  par  le  pont  G  relevé,  et  en  J  était  une  porte 
A  deux  vantaux  avec  barres.  Du  couloir  D,  vers  la  ville,  on  entrait  par 
deux  portes  détournées  dans  deux  salles  J,  servant  de  corps  de  garde. 
On  obsenera  que  les  deux  entrées  dans  ces  salles  sont  disposées  de  telle 


K 


façon  que,  du  passage,  on  ue  puisse  voir  rinlérieur^des  postes,  ni  recon- 
naître, par  conséquent,  le  nombre  d'hommes  qu'ils  rontiennent.  Ces 
postes  sont  chauffés  par  deux  cheminées  K,  et  éclairés  par  deux  fenê- 
tres L  placées  au-dessus  des  deux  descentes  de  caves  marquées  A  sur  le 
plan  souterrain.  De  ces  deux  postes  J,  on  passe  dans  les  salles  circulaires 
M.  percées  chacune  de  trois  meurtrières,  deux  sur  le  fossé,  une  sur  le 
passage. 

En  N,  esl  une  des  trappes  donnant  dans  une  trémie  qui  correspond 
à  l'étage  en  sous-sol.  Deux  escaliers,  pris  dans  l'épaisseur  des  murs  des 
tours,  permettent  de  monter  au  premier  étage,  dont  le  plan  (fig.  10} 
présente  une  disposition  peut-être  unique  dans  l'art  de  fortifier  les 
portes  au  mo3'en  âge.  Les  deux  escaliers  que  nous  venons  de  signaler 
arrivent  en  A  dans  deux  couloirs  donnant  sur  le  chemin  de  ronde  K  des 
courtines,  et  dans  les  salles  rondes  B.  De  ces  salles  rondes  on  monte  au 
mâchicoulis  M  percé  entre  les  deux  herses,  par  deux  degrés  D.  Les 
salles  rondes  sont  percées  de  trois  meurtrières  chacune,  donnant  sur  le 


-    327   -  [   PORTE    ] 

dehors  ',  et  d'une  fenôtre  F  donnant  sur  la  ville.  Elles  soiil,  eu  outre, 
munies  de  cheminées  C.  Par  les  couloirs  E,  od  arrive,  soil  à  la  grande 
salle  S,  largement  éclairée  du  ci^të  de  la  ville  par  cinq  fenêtres,  soil  aus 
escaliers  à  vis  qui  montent  aux  défenses  supérieures.  Des  latrines  5ont 
disposées  en  L,  et  une  vaste  cheminée  s'ouvre  en  H.  Ou  conviendra.quo 
ces  dispositions,  soit  comme  défenses,  soit  comme  postes,  sont  remar- 


quablement entendues.  La  grande  salle  S,  ayant  22  mélrcs  de  longueur 
sur  8  nr:ètres  de  largeur,  pouvait  servir  de  dortoir  ou  de  lieu  de  réunion 
aune  garde  de  vingt-cinq  hommes,  sans  compter  les  défenseurs  veillant 
dans  les  corps  de  garde  du  rez-de-chaussée  et  dans  les  trois  étages  de 
salles  rondes.  Ainsi  un  poste  de  cinquante  à  soixante  hommes  pouvait 
facilement  tenir  dans  cet  ouvrage  en  temps  ordinaire,  et,  en  cas  d'atlaquc, 
il  était  aisé  de  doubler  ce  nombre  de  défenseurs  sans  qu'il  y  eût  encom- 
brement. Si  l'on  continue  à  gravir  les  deux  escaliers  à  vis,  on  arrive  au 
second  étage  (Rg.  11),  et  l'on  pénètre,  soit  dans  les  deux  salles  circu- 
laires A,  soit  dans  les  deux  échauguetles  B,  donnant  entrée  sur  un  che- 
min de  ronde  crénelé  C,  du  côté  de  la  ville,  et  permettant  aux  défen- 
seurs de  surveiller  les  abords  de  la  porte  i  l'intérieur.  Les  salles  A  sont 
percées  chacune  de  deux  meurlrières,  d'une  fenClre  F,  et  communi- 
quent au  jeu  <ie  la  hei-se,  situé  en  H,  cl  au  hourd  situé  en  D,  par  les  deux 
couloirs  G.  lin  montant  encore  par  les  escaliers  à  vis,  on  arrive  au  troi- 
sième éUge  (lig.  12),  qui  est  l'étage  spécialement  consacré  ù  la  défense. 

'  Vuji-i  Ukiithiëre,  Kg.  0. 


I    POBTE   ]  —   328    — 

Par  les  couloirs  A,  on  entre  dans  les  salles  circulaires  B,  on  passe  dans 
les  chemins  de  ronde  munis  de  hourds  C,  ou  sur  le  chemin  de  ronde 
intérieur  P.  Des  salles  circulaires,  ou  du  chemin  de  ronde  extérieur  C, 
on  arrive  au  jeu  du  pont-levis  situé  au-dessus  'du  hourd  protégeant  la 
porte. 

il 


Faisant  une  coupe  sur  l'axe  de  la  porte,  c'cst-à-dirc  sur  la  ligne  ac  de 
la  dernière  ligure,  on  obtient  la  ligure  13. 

Celte  figure  indique  les  principales  dispositions  de  cet  ouvrage.  A  est 
le  sol  de  la  ville.  On  observera  que  le  sol  du  passage  est  Irès-incliné  vers 
l'entrée,  afin  de  donner  plus  de  puissance  ji  une  colonne  de  défenseurs 
s'opposant  i^  des  assaillants  qui  auraient  pu  franchir  le  pont  et  soulever 
les  herses.  En  B,  on  voit,  en  coupe,  le  couloir  souterrain  aboutissant  à  la 
poterne  de  sortie  C,  laquelle  est  mise  en  communication  avec  tes  pas- 
sages pratiqués  à  travers  les  piles  du  pont.  Un  pont  à  bascule,  pivotant 
en  Cet  muni  de  contre-poids,  permettait,  une  fois  abaissé,  de  descendre 
les  degrés  D.  De  ce  point  il  fallait  faire  manœuvrer  un  second  pont  à 
bascule,  pour  franchir  les  intervalles  E,  F  entre  les  piles  D,  G,  H.  Et  ainsi, 
soit  par  des  ponts  à  bascule,  soit  par  des  passerelles  de  planches,  qu'on 
pouvait  enlever  facilement,  arrivait-on,  h  travers  la  tour  G  du  plan 
général  [flg,  7),  jusqu'à  la  grande  barbacano  D.  Le  tablier  I  du  pont 
(lig.  13)  était  interrompu  en  J  et  remplacé  par  un  pont-levis,  non  point 
combiné  comme  ceux  de  la  tla  du  xiii*  siècle  et  des  siècles  suivants, 
mais  composé  d'un  tablier  pivotant  en  K,  de  deux  arbres  L  pivotants,  et 
de  deux  chaînes  passant  à  travers  les  mâchicoulis  du  hourd  M;  là  ces 


—   329  —  [  PORTE'  ] 

chaînes  se  divisaient  chacune  en  deux  parties,  dont  l'une  s'enroulait  sur  un 
treuil  et  l'autre  était  terminée  par  des  poids.  C'était  donc  du  niveau  des 
hourds  N  qu'on  manœuvrait  le  poot-levis,  c'est-à-dire  au-dessus  des 
mâchicoulis  du  hourd  M.  Quant  aux  deux  herses,  on  les  manœuvrait  par 
un  treuil  unique  ;  les  chaînes  enroulées  en  sens  inverse  sur  ce  treuil  per- 


mettaient, au  moyen  d'un  mécanisme  très-simple,  de  lever  l'une  des  deux 
herses  avant  l'autre,  mais  jamais  ensemble.  Il  suffisait  pour  cela,  quand 
les  herses  étaient  abaissées,  et  ne  tiraient  plus  sur  le  treuil  par  consé- 
quent, de  décrocher  les  chaînes  de  la  herse  qu'on  ne  voulait  pas  lever, 
et  de  manœuvrer  le  treuil,  soit  dans  un  sens,  soit  dnns  l'autre.  L'une  des 
herses  levée,  on  la  calait,  on  décrochait  ses  chaînes,  on  rattachait  celles 
de  la  seconde,  et  Ton  manœuvrait  le  treuil  dans  l'autre  sens.  Il  n'est  pas 
besoin  de  dire  que  des  contre-poids  facilitaient  comme  toujours  le 
levage.  Pour  baisser  les  herses,  on  raccrochait  les  chaînes,  et  on  laissait 
aller  doucement  sur  le  treuil  l'une  des  herses,  puis  l'autre.  L'obligalion 
absolue  de  ne  lever  qu'une  des  deux  herses  à  la  fois  était  une  sécurité 
de  plus,  et  nous  n'avons  vu  ce  système  adopté  que  dans  cet  ouvrage. 

Mais  il  est  nécessaire  d'examiner  eu  détait  le  mécanisme  des  ponls 
et  des  herses. 

En  A  (fig.  U),  nous  donnons  le  plan  de  la  chambre  de  levage  des 
herses  au  niveau  a  de  la  coupe,  et  en  B,  le  plan  de  la  plate-forme  dé 
levage  du  pont,  au  niveau  à  de  la  même  coupe.  On  observera  d'abord 
que  l'intervalle  qui  sépare  les  deux  tours,  cl  qui  couvre  l'entrée,  donne 
en  plan  une  portion  de  cercle.  Deux  consoles  c  forment  saillie  sur  celte 

VII.  —  Û2 


[    POBTE    1  —   330   — 

portion  de  cylindre  et  portaient  un  hourd  de  bois  d,  dont  il  existe  en 
place  des  Tragments.  Ce  hourd  était  posé  sur  deux  pièces  de  bois  bori- 
zonlales  e,  et  consistait  en  un  empilage  d'épais  madriers  courbes  figurés 
en  E  dans  la  coupe.  De  chaque  c6té,  sur  les  flancs  des  tours,  étaient 


fixées  deux  poulies  F  destinées  à  diriger  les  deux  chaînes  du  pont  et  à 
les  empêcher  de  frotter,  soït  contre  le  hourd,  soit  contre  la  maçonnerie. 
Au-dessus  de  ces  poulies,  en  G,  les  chaînes  se  partageaient  en  deux  bran- 
ches ;  l'une,  celle  H,  allait  s'enrouler  sur  le  treuil  T,  au  moyen  de  la 


poulie  de  renvoi  A;  l'autre,  celle  I,  était  tendue  par  un  conlre-poids  K. 


[   PORTE   ]  —   332   — 

En  appuyant  sur  le  treuil  de  /*en  9,  on  enroulait  la  chaîne  et  Tgo  soule- 
vait le  pont.  Cette  manœuvre  était  facilitée  par  les  contre-poids- K.  Lors- 
que ce  contre-poids  était  descendu  en  /,  le  pont  était  complètement 
relevé.  Pour  l'abaisser^  on  appuyait  sur  le  treuil  en  sens  inverse.  Sur  le 
plan  B  est  indiquée  la  position  du  treuil,  et  par  des  lignes  ponctuées  la 
projection  horizontale  des  chaînes;  la  ferme  de  charpente  M  étant  posée 
en  m  sur  ce  plan.  Un  deuxième  mâchicoulis  existait  eu  p.  Pour  manœu- 
vrer les  deux  herses,  il  était  posé  à  droite  et  à  gauche  deux  solives 
jumelles  n  (voy.  le  plan  B)  sur  les  traverses  y  (voy.  la  coupe),  reposant 
elles-mêmes  sur  les  deux  épaulements  s  (voy.  le  plan  A).  Ces  solives 
jumelles  recevaient  chacune  deux  poulies  doubles  t^t'^  destinées  à  rece- 
voir, celle  ty  les  deux  chaînes  de  levage  et  de  contre-poids  de  la  herse 
extérieure  ;  celle  /',  les  deux  chaînes  de  levage  et  de  contre-poids  de  la 
herse  intérieure.  La  coupe  fait  voir  le  treuil  V,  avec  la  chaîne  de  levage 
de  la  herse  intérieure  accrochée  et  la  herse  0  levée,  son  contre-poids 
étant  par  conséquent  descendu;  la  chaîne  de  levage  de  la  herse  exté- 
rieure décrochée,  celle-ci  abaissée  et  son  contre-poids  R  à  son  point 
supérieur,  les  deux  chaînes  de  levage  s'enroulaient  sur  le  treuil  en  X 
(voy.  le  plan  A),  et  les  manivelles  étaient  fixées  en  Y.  Aujourd'hui  la 
construction  étant  conservée  jusqu'au  niveau  N,  les  scellements,  les 
corbeaux,  sont  visibles,  et  pour  la  partie  supérieure  nous  avons  retrouvé 
les  fragments  qui  en  indiquent  suffisamment  les  détails. 

Il  n*y  a  rien,  dans  ce  mécanisme,  qui  ne  soit  très-primitif;  mais  ce 
qu*il  est  important  de  remarquer  ici,  ce  sont  les  dispositions  si  parfaite- 
ment appropriées  au  besoin,  et  conservant  par  cela  même  un  aspect 
monumental,  qui  certes  n'a  point  été  cherché.  Il  est  évident  que  les 
architectes  auteurs  de  pareils  ouvrages  étaient  des  gens  subtils  et  réflé- 
chissant mûrement  à  ce  qu'ils  avaient  à  faire.  Sur  tous  les  points,  les 
passages,  les  issues,  sont  disposés  exactement  en  vue  du  service  de  la 
défense,  n'ont  que  les  largeurs  et  hauteurs  nécessaires,  et  Tarchilec- 
turc  n'est  bien  ici  que  l'expression  exacte  du  programme.  Cependant,  à 
l'extérieur,  l'aspect  de  cette  défense  est  imposant,  et  rappelle  sous  une 
autre  forme  ces  belles  constructions  antiques  des  populations  pri- 
mitives. 

La  figure  15  donne  l'élévation  extérieure  de  la  porte  de  Laon,  àCoucy, 
les  ponts  étant  supposés  abattus  et  les  herses  levées.  Les  hourds  de  bois 
de  cet  ouvrage  étaient  évidemment  permanents  et  portés  sur  des  con- 
soles de  pierre,  comme  ceux  du  donjon  du  château. 

Toute  la  maçonnerie  est  élevée  en  assises  de  pierres  calcaires  du  bas- 
sin de  l'Aisne,  d'une  exellente  qualité.  Parementées  grossièrement,  ces 
assises  sont  séparées  par  des  joints  de  mortier  épais,  et  l'aspect  rude  de 
ces  parements  ajoute  encore  à  l'cfTet  de  cette  structure  grandiose.  Quand 
on  compare  ces  ouvrages  de  Coucy,  le  donjon,  le  château,  la  porte  de 
Laon,  les  remparts  et  les  tours,  aux  travaux  analogues  élevés  vers  la  même 
époque  enltalie)  en  Allemagne  et  en  Angleterre^  c'est  alors  qu'on  peut 


-    333    -  [   POBTK    ] 

reconnaître  chez  nous  la  main  d'un  peuple  puissanl,  doué  d'une  séné  el 
(l'une  énergie  rares,  el  qu'on  se  demande,-  non  sans  quelque  tristesse, 
comment  il  se  fait  que  ces  belles  et  nobles  qualités  soient  mcronnués,  et 


qu'un  esprit  étroit  et  exclusif  ait  pu  parvenir  à  répudier  da  pareilles 
œuvres  en  les  rejetantdans  les  limbes  de  la  barbarie? 
Une  coupe  transversale,  faite  sur  l'axe  des  tours,  sur  les  passages 


[    POMK    ]  —    33?l   — 

ouverts  sur  le  mâchicoulis  et  sur  la  chambre  du  levage  des  herses  (flg.  16), 
montre  l'inlérieur  des  salles  circulaires  de  ces  tours,  les  passages  A  sur 
te  chemin  de  ronde  des  courtines,  la  coupe  B  des  hourds,  et  tout  le  sys- 
tème de  la  défense  à  l'intérieur. 


Une  deroière  Bgure  complétera  cet  ensemble,  sur  lequel  on  pourrait 
publier  un  volume  :  c'est  l'élévation  de  la  Face  intérieure  de  la  porte 
du  côté  de  la  ville  (flg.  17).  L'arcade  large,  à  doubles  claveaux,  qui  donne 
entrée  dans  le  passage,  est  d'un  effet  grandiose.  La  grande  salle  du  pre- 
mier étage  est  bien  accusée  par  ces  cinq  fenêtres  carrées  à  meneaux,  et  les 
deux  éc^auguettes  d'angle  épaulent  de  la  façon  la  plus  heureuse  cette 
structure  si  simple. 

Cette  façade,  créoel^  k  son  sommet^  fait  assez  voir  que  les  portes.de 


—   535   —  [   PORTE   ] 

places  bien  défendues  pouvaienlà  la  rigueur  tenir  lieu  de  petites  citadelles 
et  se  défendre  au  besoin  contre  les  citoyens  qui  eussent  voulu  capituler 
malgré  la  garnison.  Alors  la  porte  est  toujoui-s  un  poste  isolé,  commandé 
par  un  chef  sûr,  et  pouvant  encore  résister  en  cas  de  trahison  ou  d'esca- 

i7 


Inde  du  rempart.  Nous  faisons  ressortir,  à  l'article  Arcbitbgture  uiutaike, 
l'importance  de  ces  postes  isolés  dans  le  système  défensif  du  moyen  Age, 
et  il  ne  paraît  pas  nécessaire  de  revenir  ici  sur  ce  sujet. 

Laissant  de  côté,  pour  le  moment,  des  ouvrages  d'une  moindre  i m- 
porlance,  mais  de  la  même  époque,  c'est-à-dire  du  commencement  du 
XIII*  siècle,  nous  allons  examiner  comment,  dans  l'espace  d'un  siècle, 
ces  dispositions  avaient  pu  6tre  modiflées  dans  la  construction  de  portes 
(l'une  force  semblable. 

Sur  le  flanc  oriental  de  la  cité  de  Carcassonne,  il  existe  une  porle 
défendue  d'une  manière  formidable,  et  désignée  sous  le  nom  de  porte 


[   PORTE  ]  —  336  — 

Narbonnaise  ^  Celte  porte  et  tout  l'ouvrage  qui  s'y  rattache  avaient  été 
bâtis  par  Philippe  le  Hardi,  vers  1285,  lorsque  ce  prince  était  en  guerre 
avec  le  roi  d'Aragon. 

Nous  présentons  (fig.  18)  le  pian  général  de  x;ette  entrée,  avec  sa  bar- 
bacane  et  ses  défenses  environnantes^.  La  porte  Narbonnaise^  indiquée 
en  Ë,  n'est  pas  munie  d'un  pont-levis  ;  elle  s'ouvre  sur  le  dehors  de  plain- 
pied,  suivant  une  pente  assez  roide  de  l'extérieur  à  l'intérieur  et  d'après 
la  méthode  défensive  de  ces  ouvrages.  Les  ponts  mobiles  n'existaient 
qu'en  B,  sur  des  piles  traversant  un  large  fossé  en  dehors  de  la  barba- 
cane  A.  L'arrivant,  ayant  traversé  ce  pont,  se  présentait  obliquement 
devant  la  première  entrée  C  de  la  barbacane,  fermée  seulement  par  des 
vantaux.  Cette  entrée  C  était  flanquée  par  un  redan  D  de  l'enceinte  exté- 
rieure ,  qui  la  commandait  complètement.  Un  autre  redan  L,  avec  forte 
échauguette  sur  le  rempart  intérieur,  commandait  en  outre^  à  portée 
d'arbalète,  cette  entrée  C  '.  Se  détournant  vers  sa  gauche,  l'arrivant  se 
trouvait  en  face  de  la  porte;  Narbonnaise,  défendue  par  une  chaîne,  un 
mâchicoulis,  une  herse,  des  vantaux,  un  grand  mâchicoulis  intérieur  G, 
un  troisième  mâchicoulis  I,  une  seconde  herse  et  une  porte  de  bois.  Deux 
meurtrières  H  sont  percées  sur  le  passage  entre  les  deux  herses,  et  dépen- 
dent de  deux  salles  à  rez-de-chaussée  F,  dans  lesquelles  on  entre  par  les 
portes  V.  Ces  salles  sont  encore  percées  chacune  de  cinq  meurtrières. 
La  partie  attaquable  des  tours  de  la  porte  est  renforcée  par  des  éperons  ou 
becs  N,  percés  chacun  d'une  meurtrière  0.  Nous  avons  expliqué  ailleurs* 
la  destination  spéciale  de  ces  éperons  ou  becs.  Ils  obligeaient  l'assaillant 
à  s'éloigner  de  la  tangente,  et  le  plaçaient  sous  les  traits  des  assiégés.  Ils 
rendaient  nulle  l'action  du  bélier  sur  le  seul  point  oi!i  l'assiégeant  pou- 
vait le  faire  agir  avec  succès.  Percer  la  pointe  de  ces  becs  par  des  meur- 
trières au  ras  du  sol  extérieur,  était  encore  un  moyen  d'empêcher  l'at- 
taque rapprochée. 

Des  salles  F,  on  prenait  deux  escaliers  à  vis  qui  montaient  au  premier 
étage,  d'où  se  faisait  la  manœuvre  des  herses.  Sous  ces  salles  sont  pra- 
tiqués de  beaux  caveaux  pour  les  provisions. 

Des  palissades  de  bois  P  empêchaient  le  libre  parcours  des  lices  entre 
les  remparts  extérieur  et  intérieur,  et  ne  permettaient  pas  d'approcher 
du  pied  des  courtines  intérieures  en  M  et  en  K.  Les  rondes  seules  pou- 
vaient passer  par  les  barrières  N,  afin  de  faire  leur  service  de  nuit.  Une 
énorme  tour,  indiquée  au  bas  de  notre  figure,  et  dite  tour  du  Trésau*, 
commandait  ces  lices,  et  servait  encore  d'appui  à  la  porte  Narbonnaise 
en  battant' les  dehors  par-dessus  l'enceinte  extérieure. 

>  Voyez  Tarticlc  Architecture  militaire,  fig.  11,  cl  les  Archives  des  monamenh  IthiO' 
riffues. 
-  Ce  plan  ost  a  réchcUe  de  2  miilimctrcs  pour  mètre. 

5   Voyez  ÉCIIAVGCETTE,  fig.  6. 

^  Voyez  Architecture  militaire,  fig.  2A. 

»  Voyez  C0.XSTRUCTI05,  fig.  U9,  150,  151,  152,  153  et  IM. 


[   PORTE  ]  —  338  — 

La  figure  l!)  donne  le  plan  du  premier  étage  de  la  porte  Narbonnaise. 
Les  deux  escaliers  à  vis  que  nous  avons  vus  indiqués  à  rez-de-chaussée 
débouchent  dans  les  deux  salles  A ,  Ces  deux  salles,  voûtées  comme  celles 
du  rez-de-chaussée,  possèdent  une  cheminée  C  chacune,  avec  four.  De 
ces  deux  salles  on  peut  sortir  par  les  deux  portes  B,  sur  le  chemin  de 
roade  D,  s' élevant  jusqu'au  niveau  des  coursiëres  Ë  des  courtines,  par  de 

I  1^ 


grands  emmarcheraents.  Parles  deux  passages  G  on  entre  de  plain-pied 
dans  la  salle  centrale  F,  au  milieu  de  laquelle  s'ouvre  le  grand  mâchi- 
coulis carré  \.  En  supposant  que  les  assaillants  aient  pu  pénétrer  Jusqu'à 
la  seconde  herse,  en  Torçant  les  premiers  obstacles,  on  pouvait  les  acca- 
bler de  projectiles  et  de  matières  enflammées  ;  les  défenseurs  chargés  de 
cet  office  se  tenaient  en  arrière  dans  les  deux  réduits  K,  cl  étaient  ainsi 
parraitement  à  l'abri  des  traits  qui  auraient  pu  élre  lancés  par  les  enne- 
mis, ou  soustraits  à  la  fumée  et  aux  flammes  des  matières  accumulées 
dans  le  passage.  Par  les  deux  couloirs  détournés  L,  les  assiégés  se  ren- 
daient au  côté  du  mâchicoulis  antérieur  M.  De  cette  salle  F,  on  manœu- 
vrait la  première  herse  N  et  l'on  servait  le  troisième  mâchicoulis  0.  En 
continuant  à  monter  les  escaliers  H,  au-dessus  du  premier  étage,  on  ne 
débouche  nulle  part  et  l'on  arrive  à  un  précipice;  de  telle  sorte  que  des 
assaillants  ayant  pu  pénétrer  dans  ces  escaliers  ù  rez-de-chaussée,  trou- 
vant les  portes  fermées  et  barrées  au  premier  étage  et  continuant  à 
gravir  les  degrés  comme  pour  atteindre  l'étage  supérieur,  se  trouvaient 
pris  dans  une  véritable  souricière.  Pour  monter  au  deuxième  Stage,  celui 
de  ta  défense,  il  faut  traverser  les  salles  A,  et  aller  chercher  les  escaliers 
ii  vis  R  qui  seuls  montent  aux  crénelages.  Pour  servir  la  seconde  herse, 
il  fallait  franchir  les  portes  B  et  se  rendre  sur  la  plate-forme  P.  Les  ser- 
vants de  cette  seconde  herse  recevaient  des  ordres  du  dedans  par  une 
petite  fenêtre  percée  au-dessus  des  mâchicoulis  0.  Les  deux  salles  A  sont 


—  389  —  [  PORTE   ] 

percées,  sur  les  dehors,  Tune  de  trois  meurtrières,  l'autre  de  quatre,  et 
éclairées  du  côté  de  la  ville  par  deux  fenêtres.  Cette  description  fait  assez 
connaître  le  soin  minutieux  apporté  dans  l'établissement  de  cette  porte. 
Mais  la  coupe  longitudinale  fiiite  sur  ab,  que  nous  présentons  (flg.  20], 
rendra  encore  cette  description  plus  claire. 

Celte  coupe  nous  montre  en  A  la  chaîne  suspendue  d'un  côté  de  la 
porte  à  un  anneau  scellé  au  flanc  de  la  tour,  passant  dans  l'autre  tour 
par  un  orifice  et  retenue  par  une  barre  à  l'intérieur,  lorsqu'on  voulait 
la  tendre.  La  chaîne  était  un  obstacle  qu'on  apportait  en  temps  ordi- 
naire^ lorsque  les  herses  étaient  levées  et  les  vantaux  ouverts,  à  une 
troupe  de  cavalerie  qui  aurait  voulu  se  jeter  dans  la  ville.  Même  en 
temps  de  paix  on  craignait  et  l'on  avait  lieu  de  craindre  les  surprises.  En 
B,  est  le  premier  mâchicoulis  percé  en  avant  de  la  herse  et  figuré  dans 
le  plan  du  premier  étage  en  M.  En  C,  coule  la  première  herse,  servie 
dans  la  chambre  carrée  centrale.  En  D,  est  la  première  porte  de  bois,  à 
un  vantail,  ferrée,  barrée,  ainsi  que  le  fait  voir  la  figure.  En  E,  la  meur- 
trière commandant  le  passage,  et  au-dessus  le  grand  mâchicoulis  carré, 
central,  avec  l'un  des  réduits  décrits  dans  la  figure  précédente.  En  F,  le 
troisième  mâchicoulis  percé  en  avant  de  la  deuxième  herse  ;  en  G,  cette 
seconde  herse,  manœuvrée  du  dehors  et  abritée  par  un  auvent  P.  Enfin 
en  H,  les  derniers  vantaux.  De  la  salle  du  deuxième  étag€,  par  l'œil  I,  on 
pouvait  commander  la  manœuvre  .des  herses  ;  car  il  ne  faut  pas  oublier 
que  le  commandement  se  faisait  toujours  du  haut.  Uu  formidable  sys- 
tème de  mâchicoulis  doubles  en  bois  et  hourds,  défendait  en  outre, 
en  temps  de  guerre,  les  approches  de  la  porte.  Les  scellements  de  cet 
ouvrage  de  charpenterie  sont  aujourd'hui  parfaitement  visibles.  En  cas 
de  siège,  on  établissait  donc  en  avant  du  mâchicoulis  B  un  double  hour- 
dage,  avec  premier  mâchicoulis  K  et  second  mâchicoulis  L.  Ce  double 
hourd  était  couvert  et  crénelé  d'archères.  Il  formait  auvent  au-dessus 
d'une  niche  dans  laquelle  est  placée  une  fort  jolie  statue  de  la  sainte 
Vierge.  On  ne  pouvait  descendre  dans  ce  double  hourd  que  par  la  baie  N 
et  des  échelles  ;  de  telle  sorte  que  si  ces  hourds  étaient  pris  par  escalade, 
ou  brûlés,  l'assaillant  n'était  pas  pour  cela  maître  de  la  défense.  Dans  la 
partie  supérieure,  nous  avons  figuré  les  hourds  posés.  Toute  la  défense 
active  s'organisait  à  l'étage  supérieur  M,  l'étage  0  ne  servant  que  de  dépôt 
et  de  salle  de  réunion  pour  la  garnison.  Cette  salle  0  est  largement 
éclairée  par  de  belles  fenêtres»  du  côté  de  la  ville.  Nous  donnons  (fig.  21) 
le  plan  de  l'étage  M  supérieur,  dont  le  plancher  était  de  bois.  En  WN, 
sont  les  chemins  de  ronde  de  la  défense,  et  en  X  une  partie  des  hourds 
en  place  '. 

La  figure  22  présente  l'élévation  extérieure  de  la  porte  Narbonijaise, 
avec  son  grand  hourdage  de  bois  au-dessus  de  l'entrée  et  les  hourds  de 


1  Voyez  Fenêtre,  fig.  40, 
'2  Ce  planestÀ  0'n,002  pc 


,002  pour  mètre. 


[  PORTE  ]  —  3&0  - 


couronnement  posés  sur  la  tour  et  la  courtine  de  droite.  La  tour  de 


—    :(41    —  [   pOBTE    ] 

gauche  est  présentée  avec  ses  créneaux  à  Tolets,  en  temps  de  paix  ',  ToutD 
la  maçonnerie  de  cet  ouvrage  est  entièrement  élevée  en  belles  pierres  de 
grès,  gris  verdàlre,  d'une  bonne  qualité.  Les  assises  sont  ciselées  sur  les 
arêtes  des  lits  et  joints  avec  bossage  brut  sur  la  face  ;  les  lits,  très-bien 
dressés  et  posés  sur  couche  de  mortier  excellent,  ont  0",01  d'épaisseur 


en  moyenne.  L'aspect  extérieur  et  intérieur  de  cette  porte  est  des  plus 
imposants  et  les  salles  intérieures  admirablement  construites  avec  beaux 
parements  layés.  Il  ne  manquait  à  cette  construction,  pour  être  com- 
plète, que  les  combles,  qui  ont  été  rétablis  depuis  peu,  sous  la  direction 
de  la  Commission  des  monuments  historiques^. 

Avant  de  quitter  cet  édifice  si  remarquable  k  tous  égards,  il  est  néces- 
s.iire  de  rendre  compte  du  jeu  des  herses,  parfaitement  visible  encore. 

Nous  prenons  pour  exemple  la  seconde  herse,  celle  qui  est  manœu- 
vrée  extérieurement  sur  le  chemin  de  ronde  du  cûté  de  la  ville  (flg.  23). 
En  A,  la  herse  est  supposée  levée.  En  a,  sont  les  trous  de  scellement  des 
deux  jambetles  du  treuil  figuré  en  a'  dans  la  coupe  C.  On  voit  encore  en 
place  les  deux  gros  pitons  b  dans  lesquels  était  enfilée  une  barre  de  fer 
ronde  qui  était  destinée  à  maintenir  les  contre-poids  e,  lorsqu'ils  étaient 
abaissés.  En  outre,  deux  cales  e,  figurées  en  e*,  dans  la  coupe,  et  entrant 
dans  deux  trous  disposés  à  cet  effet,  soutenaient  la  herse  levée.  Les  scel- 
lements des  deux  pièces  de  bois  f  qui  étaient  destinées  à  supporter  les 
poulies  sont  intacts.  Lorsqu'on  voulait  baisser  la  herse  (vojez  en  B),  on 
appuyait  un  peu  sur  le  treuil  de  manière  à  enlever  facilement  les  cales  c 
et  à  faire  glisser  la  barrette  de  fer  passant  dans  les  pitons  b  ;  puis  on  lais- 
sait aller,  en  lâchant,  sur  les  deux  manivelles  du  treuil.  La  herse  tom- 
bée, on  décrochait  les  deux  barres  de  fer  g,  et  on  laissait  entrer  leurs 
leils  A  dans  deux  goujons  de  fer  encore  scellés  dans  la  muraille.  Ainsi 
devenait-il  impossible,  du  bas,  de  soulever  la  herse.  Deux  grands  cro- 
chets de  fer  scellés  en  l  supportaient  une  traverse  de  bois  à  laquelle  était 
suspendu  l'appentis  tracé  dans  la  coupe  (Gg.  20),  et  dans  laquelle  ve- 
naient s'assembler  les  pièces  de  charpente  f.  Les  contre-poids  rendaient 

'  Cette  éléTBlion  est  à  0*',002a  pour  mètre. 

*  Pour  de  ptiu  amples  délailB,  tojet  let  Archives  de*  monupitnlt  hùloriqaei  publiées 
•on*  let  auiplcei  du  iDiawtre  de  1*  HiImu  de  l'Empereur  et  dei  Beaui-Arl& 


l;  PORTE    ]  —    3?l2    — 

la  manœuvre  facile  à  deux  hommes  appuyant  sur  le  treuil.  Voulail-on 
relever  la  herse,  on  faisait  sortir  les  œils  h  des  barres  d'arrèlp  de  leurs 
goujons,  on  accrochait  ces  barres  aux  mailles  de  la  chaîne,  et  l'on  ap- 
puyai! sur  le  treuil.  Celte  manœuvre  était  simple  et  rapide.  La  première 


herse  s'enlevait  par  les  mêmes  moyens.  Il  s'agissait  seulement  d'avoir  des 
contre-poids  bien  équilibrés,  de  façon  à  empêcher  la  herse  de  gauchir  au 
levage  ou  à  la  descente. 

Il  ne  parait  pas  que  cet  ouvrage  ait  jamais  été  attaqué,  et,  depuis 
l'époque  de  sa  construction,  l'histoire  ne  signale  aucun  siège  en  règle 


-    3Ù3   —  [   TOBTE   ] 


de  la  cité  de  Carcassonae,  bien  qu'à  plusieurs  reprises  le  pays  ait  été 


[   PORTE    1  —  3a4   — 

envahi,  soit  par  les  troupes  du  prince  Noir,  soit  par  les  troupes  de 
l'Aragon,  soit  dans  des  temps  de  guerres  civiles.  C'est  qu'en  effet,  avec 
les  moyens  d'attaque  dont  on  disposait  au  moyen  âge,  la  cité  était  une 
place  imprenable,  et  la  porte  Narbonnaise,  la  seule  accessible  aux  char- 
rois, eût  pu  défier  toutes  les  attaques. 

Lorsqu'on  visite  cette  porte  dans  tous  ses  détails,  outre  la  beauté  de  la 
construction,  la  grandeur  des  dispositions  intérieures,  on  est  émerveillé 
du  soin  apporté  par  l'architecte  dans  chaque  partie  de  la  défense.  Rien 
de  superflu,  aucune  forme  qui  ne  soit  prescrite  par  les  besoins;  tout  esl 
raisonné,  étudié,  appliqué  à  l'objet.  Nous  ne  connaissons  aucun  édiûce 
qui  ait  un  aspect  plus  grandiose  que  cette  large  façade  plate  donnant  du 
côté  de  la  ville.  Ce  n'est  qu'un  mur  percé  de  fenêtres  et  de  meurtrières; 
mais  cela  est  si  bien  construit,  cela  prend  un  si  grand  air,  qu'on  ne  peut 
se  lasser  d'admirer,  et  qu'on  se  demande  si  la  scrupuleuse  observation 
des  nécessités  en  architecture  n'est  pas  un  des  moyens  les  plus  puis- 
sants de  produire  de  l'effet. 

Le  mode  d'attaque  des  places  devait  nécessairement  influer  sur  les  dis- 
positions données  aux  portes  fortifiées.  Lorsque  les  armées  assiégeantes 
n'avaient  pas  encore  adopté  des  moyens  réguliers,  méthodiques,  pour 
s'emparer  des  places,  il  est  clair  que  leurs  efforts  devaient  se  porter  sur 
les  issues.  La  première  idée  qui  venait  au  commandant  d'une  armée 
assiégeante,  dans  des  temps  où  l'on  ne  possédait  pas  des  moyens  des- 
tructifs organisés^  était  naturellement  d'entrer  dans  la  place  assiégée  par 
les  portes,  et  de  concentrer  tous  ses  moyens  d'attaque  sur  ces  points 
faibles  ;  aussi,  par  contre,  les  assiégés  apportaient-ils  alors  à  la  défense 
de  ces  portes  un  soin  minutieux,  accumulaient-ils  sur  ces  points  tous 
les  obstacles,  toutes  les  ressources  que  leur  suggérait  leur  esprit  subtil. 
Cependant,  déjà  vers  la  fin  du  xii*  siècle,  Philippe-Auguste  avait  su  faire 
des  sièges  réguliers ,  conduits  avec  méthode  et  à  l'instar  de  ce  que 
faisaient  les  Romains  en  pareil  cas.  Pendant  le  xiii'  siècle,  quelques 
sièges  bien  conduits  indiquent  que  l'art  d'attaquer  les  places  se  main- 
tenait au  point  oii  Philippe-Auguste  l'avait  amené  '  ;  mais  les  progrès 
sont  peu  sensibles,  tandis  que  l'art  de  la  défense  se  perfectionne  d'une 
manière  remarquable.  A  la  fin  du  xiti*  siècle,  la  défense  des  places  avait 
acquis  une  supériorité  évidente  sur  l'attaque,  et  lorsque  les  places 
sont  bien  munies,  bien  fortifiées,  elles  ne  peuvent  être  réduites  que  par 
un  blocus  étroit.  Mais  dès  le  commencement  du  xiv*  siècle,  les  engins 
s'étant  très-perfectionnés,  les  armées  agissant  avec  plus  de  méthode  et 
d'ensemble,  on  voit  apparaître  dans  l'art  de  la  fortification  des  modiû- 
cations  importantes.  D'abord  les  ouvrages  de  bois,  qui  occupent  une  si 
large  place  dans  les  forteresses  jusqu'alors,  disparaissent  ;  et  en  effet, 
à  l'aide  d'engins  puissants,  surtout  après  l'expérience  acquise  en  Orient 
pendant  les  dernières  croisades,  on  mettait  le  feu  à  ces  hourds,  si  bien 

I  Voyoz  l'article  SiAgk. 


—  345   —  [  PORTE  ] 

garnis  qu'ils  fusseat  de  peaux  fraîches  ou  de  feutres  mouillés.  On 
renonça  donc  d'abord  aux  hourds  de  bois  mobiles,  établis  seulement  en 
temps  de  guerre^  et  on  les  remplaça  par  des  hourds  de  pierre,  des  mâ- 
chicoulis ^  Puis  les  perfectionnements  apportés  dans  l'attaque  étaient 
assez  notables  pour  qu'on  ne  s'attachât  plus  à  forcer  les  portes:  on  pra- 
tiquait des  galeries  de  mine,  on  aifouillait  les  fondations  des  tours,  on 
les  étançonnait  avec  du  bois,  et,  en  mettant  le  feu  à  ces  soutiens,  on  fai- 
sait tomber  des  ouvrages  entiers.  On  possédait  des  engins  destructifs 
assez  puissants  pour  battre  en  brèche  des  points  saillants,  ou  pour  jeter 
dans  une  place  une  si  grande  quantité  de  projectiles  de  toutes  sortes,  des 
matières  enflammées,  infectantes,  qu'on  la  rendait  inhabitable.  Dès  lors 
la  défçnse  des  portes  prenait  moins  d'importance.  Il  ne  s'agissait  plus 
que  de  les  mettre  à  l'abri  d'un  coup  de  main,  de  les  bien  flanquer  et  de 
leur  donner  assez  de  largeur  pour  qu'une  troupe  pût  rentrer  facilement 
après  une  sortie,  ou  prendre  TofFensive  en  cas  d'un  échec  essuyé  par 
l'assiégeant. 

Ces  portes  étroites  et  basses  des  xii*  et  xiii*  siècles,  si  prodigieusement 
garnies  d'obstacles,  prennent  de  l'ampleur  ;  les  petites  chicanes  accumu- 
lées sous  leurs  passages  disparaissent,  mais  en  revanche  les  fianquements 
et  les  ouvrages  avancés  sont  mieux  et  plus  largement  conçus;  les  défenses 
extérieures  deviennent  parfois  ce  qu'on  appelait  alors  des  bastilles,  c'est- 
à-dire  de  véritables  forteresses  à  cheval  sur  un  passage. 

Philippe  le  Bel  fit  élever,  pendant  les  dernières  années  du  xiii*  siècle, 
en  face  d'Avignon,  une  citadelle  importante  ^,  ouverte  par  une  seule 
porte,  du  côté  accessible,  c'est-à-dire  au  midi,  en  face  de  la  petite  ville 
de  Villeneuve-lez-Avignon.  Cette  porte  est  flanquée  de  deux  grosses 
tours  couronnées  de  mâchicoulis.  Son  ouverture^  au  point  le  plus  étroit, 
est  de  4", 20,  largeur  inusitée  pour  les  portes  des  xu*  et  xiii"  siècles. 
Nous  en  donnons  le  plan  à  rez-de-chaussée  (flg.  24).  Entre  deux  arcs 
en  tiers-point  coule  une  première  herse  A,  derrière  laquelle,  en  B,  rou- 
lait une  porte  à  deux  vantaux.  En  G,  est  un  mâchicoulis,  devant  la 
seconde  herse  D,  derrière  laquelle  également  était  suspendue  une  seconde 
porte  à  double  vantail.  Les  mâchicoulis  de  couronnement  défendent  la 
première  herse.  On  pénètre  dans  les  deux  tours  par  les  portes  E,  fermées 
par  des  vantaux  à  coulisse,  manœuvres  des  salles  du  premier  étage. 
Les  deux  herses  A  et  D  se  manœuvraient  d'une  salle  voûtée  située  direc- 
tement au-dessus  du  passage;  deux  escaliers  à  vis  montent  du  rez-de- 
chaussée  aux  salles  du  premier  et  à  la  plate-forme  supérieure,  qui  est 
dallée  sur  voûtes.  Sur  cette  plate-forme,  au-dessus  de  la  salle  de  ma- 
nœuvre des  herses,  s'élève  un  châtelet  carré  voûté  en  berceau,  sur  la 
plate-forme  dallée  duquel  on  arrivait  par  une  échelle  de  meunier  pas- 
sant par  une  trappe  ménagée  au  centre  du  berceau.  Dans  cette  construc- 

*  Voyez  lIoL'RD,  MACuicoiuâ. 

-  Voyez  l'article  Po.nt,  où  il  est  parlé  de  ces  ouvrages  ù  propos  du  pout  Suint-Bciiezttl 
ci' An  ig  non. 

vu.  —  W 


[   PORTE   ]  _   3i6    — 

lion,  tout  ouvrage  de  charpenterie  avait  été  exclu,  atin  de  soustraire  celte 
défense  aux  chances  d'incendie.  La  construction  est  traitée  avec  un  soin 
extrême;  élevée  en  excellente  pierre  de  Villeneuve,  par  assises  réglées 
de  0",27  de  hauteur,  elle  n'a  subi  aucune  altération.  Les  voûtes  sont 
faites  avec  la  plus  grande  perfection,  épaisses,  bien  garnies  dans  les 
reins  par  une  maçonnerie  excellente.  Les  deux  escaliers  à  vis  donnent 
dans  des  chambres,  cachots  et  latrines,  placés  dans  les  épaulements  qui 
réunissent  ces  tours  aux  deux  courtines  voisines.  Sur  le  flanc  de  l'épau- 
lement  de  gauche,  on  voit  l'une  de  ces  descentes  de  latrines,  tombant 
sur  les  dehors.  Un  pont-levis,  d'une  époque  plus  récente,  avait  été  dis- 


posé en  avant  de  la  première  herse.  Les  abords  de  celte  porte  étaient 
primitivement  défendus  par  un  ouvrage  avancé,  sorte  de  barbacase  qui 
est  représentée  dans  la  figure  23,  donnant  l'élévation  extérieure  de  la 
porte  de  Villeneuve-lez-Avignon.  Cette  élévation  fait  voir,  au  centre,  le 
chAIclet  carré  qui  surmonte  la  plate-forme  et  les  couronnements  cré- 
nelés des  escaliers  à  vis  qui,  à  droite  et  à  giiuche,  servaient  de  guette  cl 
complétaient  la  défense  des  deux  pans  coupés.  Le  châtelet,  par  sa  po- 
sition dominante,  commandait  les  abords  et  pouvait  recevoir  un  ou  deux 
engin»  i^  longue  portée.  Des  engins,  pierriers,  mangonneaux,  pouvaient 
également  être  dressés  sur  les  plates-formes  dallées  des  tours.  Par  la 
suppression  des  combles  de  charpente  on  évitait  donc  les  incendies,  et 
l'on  rendait,  par  l'installation  des  machines  de  jet,  les  npproches  plus 


—  S(|7   —  [  TOBTE  ] 

diniciles;  car  res  engins  rernpHssAJenl  alors  l'ofllce  de  nos  pièces  de 
rempart.  Tout  porte  à  croire  que  les  deux  pans  coupés  qui  unissent  les 
lours  AUX  courtines  étaient  principalement  destinés  h  recevoir  de  ces 
formidables  machines  qui,  dans  cette  position,  battaient  les  assaillants 

2S 


qui  eussent  voulu  s'approcher  de  la  porte  par  les  flancs  des  deux  tours. 
C'était  ainsi,  en  effet,  qu'on  attaquait  les  portes  pendant  les  sièges, 
depuis  le  xir  siècle.  Les  assiégeants  se  gardaient  de  se  présenter  en  face 
de  ces  portes,  toujours  munies  sur  leur  Front.  Ils  formaient  leur  attaque, 


[    PORTE    ]  —    3'l**    — 

suivanl  une  lî^rn!  oblique,  en  se  couvrant  par  des  manlclels,  dos  épau- 
lemenls  et  des  galeries  de  bois,  conli-e  les  projectiles  des  nourlines; 
laissant  les  baiLacanes,  dont  ils  occupaient  les  défenseurs  par  des 
attaques  rapprochées,  ils  les  prenaient  laléialemenl,  et  arrivaient  ainsi 
à  la  base  îles  tours  des  portes,  au  point  le  plus  diniciie  à  défendre  '. 
C'était  en  prévision  de  ce  genre  d'attaque  queles  construclours   mili- 

H 


taires  faisaient  ces  becs  saillants,  ces  éperons  renforçant  les  tours  de 
portes  au  point  attaquable  et  obligeant  l'assaillant  à  s'éloigner  de  la 
tangente;  mais  dés  l'instant  qu'on  pouvait  munir  les  couronnementi 
des  tours  de  macbines  dejel  à  longue  portée,  ce  moyen  de  défense  rap- 
prochée devenait  superflu. 

Une  coupe  faite  suivanl  l'axe  du  passage  de  la  porte  de  Villeneuve 
Icï-Avignon  (flg.  26)  complétera  l'intelligence  de  ce  bel  ouvrage  d'un 

'  Vojret  l'uiiclc  Sitci. 


-^  'àU9  —  [  PORTE   ] 

aspect  vraiment  imposant.  Celle  coupe  B  indique  la  coulisse  de  la  pre- 
mière herse  en  C,  les  premiers  vantaux  en  /",  la  coulisse  de  la  seconde 
herse  en  D  elles  seconds  vantaux  en  e.  On  observera  que,  conformément 
à  l'usage  admis,  autant  que  la  configuration  du  terrain  le  permettait, 
le  sol  du  passage  s'élève  de  l'extérieur  à  l'intérieur.  Au-dessus  du  pas- 
sage, se  voit  la  chambre  de  manœuvre  des  deux  herses,  et  au-dessus  de 
cette  salle  le  châlelet  supérieur,  surmonté  d'un  engin  à  longue  portée. 
Devant  la  seconde  herse  D,  s'ouvre  un  mâchicoulis.  La  figure  A  donne  la 
coupe  transversale  du  passage  fait  sur  oAen  regardant  du  côté  de  l'entrée.  * 
En  E,  sont  encore  scellés  les  trois  anneaux  de  fer,  de  O^^ÎS  de  diamètre, 
qui  servaient  à  suspendre  les  poulies  nécessaires  à  la  manœuvre  des 
chaînes  de  la  première  herse. 

Mais  la  place  de  Villeneuve-lez-Avignon  est  située  sur  une  colline  de 
roches  abruptes,  et  sa  porte  s'ouvre  en  face  d'un  contre-fort  descendant 
vers  la  plaine.  Dans  une  pareille  situation,  il  n'est  besoin  ni  de  fossés, 
ni  d'ouvrages  avancés  très-forts,  car  l'assiette  du  lieu  offre  déjà  un  ob- 
stacle difficile  à  vaincre.  La  circulation  des  allants  et  venants  se  borne 
à  des  sorties  et  à  des  rentrées  d'une  garnison.  La  porte  que  nous  venons 
de  présenter  ci-dessus  est  donc  plutôt  l'entrée  d'un  château  que  d'une 
ville  populeuse  et  dont  les  issues  doivent  être  laissées  libres  tout  le  jour. 
Les  portes  de  la  ville  d'Avignon  étaient  bien,  au  xi\»  siècle,  des  ouvrages 
disposés  pour  une  cité  fortifiée,  mais  contenant  une  population  nom- 
breuse et  active. 

Les  remparts  d'Avignon  furent  élevés  de  13/i8àl364.  Ils  étaient  percés, 
soit  du  côté  du  Rhône,  soit  du  côté  de  la  plaine,  de  plusieurs  portes, 
parmi  lesquelles  nous  choisirons  la  porte  Saint-Lazare,  l'une  des  mieux 
conservées  et  sur  laquelle  nous  possédons  des  documents  complets  ^ 

La  porte  Saint -Lazare  d'Avignon  fut  détruite,  ou  du  moins  fort 
endommagée  par  une  inondation  formidable  de  la  Durance  en  1358. 
Elle  fut  reconstruite  sous  Urbain  V,  vers  136/i,  avec  toute  la  partie  des 
remparts  qui  s'étend  de  cette  porte  au  rocher  des  Doms,  par  l'un  des 
architectes  du  palais  des  Papes,  Pierre  Obreri,  si  l'on  en  croit  la 
tradition. 

Voici  (fig.  27)  le  plan  général  de  cette  porte,  avec  le  châlelet  qui  la 
couvrait.  Il  ne  reste  plus  aujourd'hui  de  ces  constructions  que  la  porte  A 
et  les  soubassements  d'une  partie  du  châlelet,  mais  des  dessins  complets 
des  ouvrages  avancés  nous  sont  conservés  *. 

Les  arrivants  se  présentaient  par  une  voie  B  sur  le  flanc  du  châlelet; 
ils  devaient  franchir  un  premier  pont-levis  G,  traverser  l'esplanade  du 
châlelet  diagonalement,  se  faire  ouvrir  une  barrière  D  ;  passer  sur  un 

>  G*est  à  robU}<eaucc  de  M.  Achard,  le  savant  archiviste  de  la  préfecture  de  Vaiicliisp, 
que  nous  devons  la  plus  grande  partie  des  renseignements  qui  nous  ont  aide  à  restituer 
celle  porte  dans  son  état  primitif. 

^  Les  dessins  appartiennent  à  M.  Achard,  qui  a  bien  voulu  nous  les  laisser  copier. 


[    PORTE   ]  _   350   — 

second  pont-levis  E,  entrer  dans  un  ouvrage  avancé  P  fermé  par  le  pont- 
levis  et  défendu  par  deux  échauguelles  avec  mâchicoulis  ;  se  présenter 
devant  la  porte  protégée  par  une  ligne  de  mâchicoulis  supérieurs,  par 
une  herse  et  par  un  second  mâchicoulis  percé  devant  les  vantaux.  1^ 


chAtelet  était  complètement  entouré  par  un  fossé  G  rempli  d'eau,  de 
même  que  le  grand  fossé  H  protégeait  les  remparts.  Ces  fossés  étaient 
alimentés  par  les  cours  d'eau  naturels  qui  cernaient  la  ville  sur  toute 
l'étendue  des  murailles  ne  faisant  pas  face  au  Rhône. 

Trois  tours  peu  élevées  flanquaient  le  chàtelet.  On  montait  à  l'étage 
supérieur  de  ces  tours  et  aux  crénelages  descourtines  par  les  escaliers  K. 
Une  vue  cavalière  (flg.  28),  prise  du  point  X  de  notre  plan,  fera  saisir 
l'ensemble  de  cette  porte  avec  ses  défenses  antérieures. 


Les  trois  tours  du  châtelet  étaient  voûtées  et  couvertes  par  des  plates- 
rormes  dallées  à  la  hauteur  du  crénelage. 


[   PORTE   ]  —    352   — 

Il  est  facile  de  voir  que  le  châtelet  était  ouvert  à  la  gorge  et  com- 
mandé parTavant-porte,  de  môme  que  cette  avant-porte  était  commandée 
par  la  tour  carée  couronnant  la  dernière  entrée.  Cet  ouvrage  était  donc 
déjà  construit  suivant  cette  règle  de  fortification,  que  ce  qui  défend  doit 
ôlre  défendu. 

La  coupe  longitudinale  faite  sur  la  porte  A  du  plan  et  Tavant-porte 
(fig.  29)  fait  saisir  les  détails  de  cette  défense.  En  B,  est  le  pont-levis 
abaissé  ;  en  G,  la  porte  qui  conduit  par  un  degré  pris  dans  l'épaisseur  de 
la  muraille  au  crénelage  de Tavant-porte  ;  en  D,  la  coulisse  de  la  herse; 
en  G,  le  mâchicoulis  qui  protège  les  vantaux  H;  en  I,  le  passage  couvert 
par  un  plancher.  La  herse  se  manœuvrait  du  palier  K,  auquel  on  montait 
par  un  escalier  L  posé  sur  la  saillie  du  mur  inférieur;  car  il  faut  noter 
que  le  mur  supérieur  M  est  beaucoup  moins  épais  que  le  mur  du 
rez-de-chaussée.  Get  escalier  L  servait  d'ailleurs  à  dégager  Tescalier 
marqué  I  sur  le  plan  général,  et  qui  aboutissait  en  retour  à  côté  de 
Tarcade  plein  cintre  portant  le  jeu  de  la  herse.  Du  palier  K,  en  prenant 
un  escalier  de  bois,  on  montait  àTétage  supérieur  sous  la  couverture,  et 
Ton  entrait  sur  le  chemin  de  ronde  du  crénelage  par  la  porte  P  ménagée 
dans  un  tambour  de  pierre  posé  à  Tangle  du  crénelage.  Ghacune  des 
portes  des  remparts  d'Avignon  était  munie  d'une  cloche,  afin  de  pouvoir 
prévenir  les  défenseurs  ou  les  habitants  en  cas  d'attaque  ou  de  surprise. 
Si  nous  faisons  une  section  transversale  sur  la  ligne  ab  de  la  figure  29  et 
du  plan  général,  en  regardant  rentrée  de  l'avant-porte,  nous  obtenons  le 
tracé  S.  Le  pont-levis  étant  relevé,  son  tablier  fermîiit  l'issue  T,  et  ses 
bras,  passant  à  travers  les  deux  rainures  V,  ainsi  qu'il  est  marqué  en  V 
sur  la  coupe  longitudinale,  ne  gênaient  nullement  la  défense.  Le  créneau 
milieu,  ses  deux  meurtrières,  restaient  libres,  et  les  deux  échauguettes 
latérales  J  flanquaient  la  porte.  De  la  salle  du  premier  étage  de  la  tour  on 
passait  sur  les  chemins  de  ronde  des  courtines  par  les  portes  N.  Du  côté 
de  la  ville,  un  simple  pan  de  bois  Y  percé  de  baies  fermait  les  étages 
supérieurs  de  la  tour. 

La  figure  30  donne,  en  A,  la  face  de  Touvrage  avec  Tavant-porte,  et  en 
B,  la  face  de  la  tour,  en  faisant  une  section  sur  l'ouvrage  avancé. 

La  porte  Saint-Lazare  d'Avignon  est  remarquable  déjà  par  la  simplicité 
des  constructions.  Ici  on  ne  voit  plus  cette  accumulation  d'obstacles 
dont  la  disposition  compliquée  devait  souvent  embarrasser  les  défenseurs. 
Les  portes  d'Avignon  ne  sont  pas,  il  est  vrai,  très-fortes,  mais  elles  ont 
bien  le  caractère  qui  convient  à  l'enceinte  d'une  grande  ville.  La  porte 
Saint-Lazare,  avec  son  boulevard  ou  barbacane  extérieure,  protégeait 
efficacement  un  corps  de  troupes  voulant  tenter  une  sortie  ou  étant 
obligé  de  battre  en  retraite.  On  pouvait,  sur  l'esplanade  du  boulevard, 
masser  facilement  cinq  cents  hommes,  protéger  leur  sortie  au  moyen  des 
flanquements  que  fournissaient  les  tours  ;  et  eussent-ils  été  repoussés, 
ils  trouvaient  dans  cette  enceinte  un  refuge  assuré,  sans  que  le  dés- 
ordre d'une  retraite  précipitée  pût  compromettre  la  défense  principale, 


—   Si3  —  [    POHTË  ] 

celle  de  la  porte  tenant  aux  courtines.  Enfin,  le  boulevard  fùt-il  tombé 
aux  mains  de  l'assiégeant,  les  défenses  étant  ouvertes  complètement  du 


cdté  delà  ville,  les  assiégés,  au  moyen  ëuitout  de  l'avanl-porle  crénelée, 
pouvaient  contraindre  l'assaillant  à  i>e  lenfernier  dans  les  trois  tours 

VII.  —65 


1"   POHTB   j  —  îJ'i   — 

rondes  el  à  laisser  l'esplanade  el  les  courtines  libres,  ce  qui  facilitait  un 
retour  agressif. 

La  disposition  des  portes  ouvertes  à  Iravers  une  simple  tour  carrée, 
sans  flanquements,  appartient  plus  particulièrement  h  la  Provence.  Il 
existait  à  Orange,  fi  Marseille,  et  il  existe  enrore  à  Carpentras,  à  Aigues- 


Mortcs,  des  portes  de  la  lin  du  xtii*  et  du  commencemenl  du  xiv*  siècle, 
percées  à  travers  des  tours  carrées  sans  échaugnettes  ou  tourelles  flan- 
quantes; tandis  que  les  ouvrages  de  ce  genre  qui  appartiennent  au 
domaine  royal  sont,  sauf  de  très-rares  exceptions,  munis  de  tours  rondes 
ou  dellanquements  prononcés.  . 

La  petite  ville  de  Villeneuve-sur-Yonne  possède  encore  une  très-jolie 
porte  du  commencement  du  .\iv'  siècle,  qui,  par  la  disposition  de  ses 
flanquements,  mérite  d'Être  signalée  entre  beaucoup  d'autres. 


— 355   —  [   PORTE   ] 

Cette  porte,  modinée  au  xvi'  siècle,  dans  sa  partie  supérieure,  par  de 
nouvelles  loilurcs,  laisse  cependant  voir  toutes  ses  dispositions  primi- 
tives, La  figure  31  en  donne  le  plan. 


En  A,  était  un  ponl-levis  flanqué  par  deux  tourelles  angulaires  forman 
éperons  el  pleines  dans  leur  partie  inférieure.  En  B,  était  un  large  mâ- 
chicoulis, bouché  aujourd'hui,  qui  protégeait  la  première  herse  C.  Des 
vantaux  de  bois  formaient  le  passage  en  E.  En  G,  est  la  seconde  herse 
précédée  d'un  second  mâchicoulis,  et  en  1  une  .seconde  paire  de  van- 
taux. On  montait  aux  étages  siipérieurs  de  la  porte  et  aux  courtines 
par  tes  deux  escaliers  extérieurs  H.  En  P,  se  présentaient  obliquement,- 


;    PORTE    I  —   350  - 

xt. 


&  l'extérieur,  deux  grands  mâchicoulis  qui  baltaienl  le  pout-levis  et 


—   357    —  [    POHTE  ] 

à  travers  lesquels  passaient  les  chaînes  servant  à  enlever  le  tablier.  Le 
tracé  M  donne  le  plan  de  la  partie  supérieure  de  la  porte.  On  voit  les 
deux  échauguettes  flanquantes  crénelées  qui  commandent  le  pont  et  les 
dehors  ;  en  N,  les  deux  mâchicoulis  obliques  à  travers  lesquels  passent 
les  chaînes  0  du  pont-levis  ;  en  S,  le  treuil  servant  à  manœuvrer  les 
chaînes;  en  T,  la  défense  supérieure  dominant  tout  l'ouvrage. 

La  figure  32  présente  l'élévation  extérieure  de  la  porte  de  Villeneuve- 
sur-Yonne.  Cette  élévation  fait  saisir  la  double  fonction  de  mâchicoulis 
obliques.  Toute  cette  construction  est  élevée  en  cailloux  de  meulière 
avec  chaînes  de  pierre  aux  angles.  Elle  est  bien  traitée,  et  les  mortiers  en 
sont  excellents.  C'est  peut-être  à  la  bonté  de  cette  construction  et  au  peu 
de  valeur  des  matériaux  que  nous  devons  sa  conservation. 

Une  coupe  longitudinale  faite  sur  la  partie  antérieure  de  la  porte 
(fig.  33)  fait  voir  la  manœuvre  du  pont-levis  et  son  mécanisme.  Des 
contre-poids,  suspendus  en  arrière  des  deux  longrines  du  tablier,  facili- 
taient son  relèvement,  lorsqu'on  appuyait  sur  le  treuil  T.  La  première 
herse  abaissée,  le  mâchicoulis  qui  la  protège  était  ouvert  aux  défenseurs. 
Daifs  cet  exemple,  comme  dans  tous  ceux  précédemment  donnés,  la 
défense  n'agit  que  du  sommet  de  la  porte,  et  par  la  disposition  des 
échauguettes  et  des  grands  mâchicoulis  obliques,  le  fossé  ainsi  que  les 
abords  du  pont  pouvaient  être  couverts  de  projectiles. 

On  comprend  qu'un  pareil  ouvrage,  si  peu  étendu  qu'il  soit,  devait 
être  très-fort.  D'ailleurs  les  courtines  avaient  un  grand  relief,  et  étaient 
renforcées  sur  le  front  opposé  à  la  rivière  par  un  gros  donjon  cylindrique 
qui  existe  encore.  Toute  l'enceinte  de  cette  petite  ville,  si  gracieusement 
plantée  sur  les  bords  de  l'Yonne,  n'était  percée  que  de  quatre  portes 
semblables,  deux  sur  les  fronts  d'amont  et  d'aval,  et  deux  autres,  Tune 
près  du  donjon,  l'autre  en  face  du  pont  jeté  sur  l'Yonne.  Six  tours  cylin- 
driques plantées  aux  angles  formés  par  les  courtines  complétaient  les 
défenses.  Quant  au  donjon,  il  est  séparé  de  la  courtine,  qui  s'infléchit  en 
demi-cercle  pour  lui  faire  place,  par  un  fossé.  Il  ne  se  reliait  au  chemin 
de  ronde  que  par  un  pont  volant,  et  était  percé,  vers  les  dehors,  d'une 
poterne  au  niveau  de  la  contrescarpe  du  fossé. 

En  137/i,  le  roi  Charles  V  flt  refaire  l'enceinte  de  Paris  sur  la  rive  gau- 
che, en  reculant  les  murs  fort  au  delà  des  limites  établies  sous  Philippe- 
Auguste.  Cette  nouvelle  enceinte  suivait  h  peu  près  la  ligne  actuelle  des 
boulevards  intérieurs  et  était  percée  de  six  portes,  qui  étaient,  en  par- 
tant d'amont,  les  portes  Saint-Antoine,  du  Temple,  Saint-Martin,  Saint- 
Denis,  Montmartre,  Saint-Honoré.  La  plupart  de  ces  portes  étaient  éta- 
blies sur  plan  carré  ou  barlong  avec  tourelles  flanquantes.  L'une  des  plus 
importantes,  et  dont  il  nous  reste  des  gravures,  était  la  porte  Saint- 
Denis  ^  a  Nos  roys,  dit  Dubreul*-^,  faisans  leurs  premières  entrées  dans 

1  Voyez  la  tapisserie  de  T  Hôtel  de  ville,  le  grand  plan  à  vol  d'oiseau  de  Mérian,  les 
gravures  d'Israël  Sylvestre. 

2  Livre  III,  p.  1062,  édition  de  1612. 


(  rOHTE  ]  —  'ISo  — 

«  Paris,  eolrenl  par  cette  porle,  qui  est  ornée  d'un  riche  avanl-porlail, 

1  où  se  voyenl  par  adoiiralion  diverses  stfttues  et  ligures  qui  sont  faictes 


Il  el  dressées  exprès,  avec  plusieurs  vers  et  sentences  pour  explications 
a  d'icelles C'est  aussi  par  ceUe  porte  que  les  corps  des  défuncts 


—    359  —  [  PORTE    ] 

«  rois  sorteot  pour  être  portez  en  pompes  funèbres  à  Saint-Denys  en 

a  France »  La  porte  Saint-Denis  de  Paris  était  bâtie  fort  en  saillie  sur 

les  courtines  et  formait  un  véritable  châtelet,  dans  lequel  on  pouvait  faire 
loger  un  corps  de  troupes.  En  1^13,  le  duc  de  Bourgogne  se  présenta 
devant  Pairis  vers  Saint-Denis,  dans  l'intention,  disait-il,  dé  parler  au  roi  ; 
mais,  dit  le  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  le  règne  de  Charles  VI  *,  a  on 
a  lui  ferma  les  portes,  et  furent  murées,  comme  autreffois  avoit  esté,  avec- 
a  ques  ce  très  grant  foison  de  gens  d'armes  les  gardoient  jour  et  nuyt...» 

Et  en  effet,  la  plupart  de  ces  portes  furent  murées  plusieurs  fois  pen- 
dant les  guerres  des  Armagnacs  et  Bourguignons.  Ainsi,  à  cette  époque 
encore,  au  commencement  du  xv'  siècle,  on  ne  se  fiait  pas  tellement  aux 
fermetures  ordinaires  des  portes  de  villes,  qu'on  ne  se  crût  obligé  de  les 
murer  en  cas  de  siège.  Il  faut  dire  que  ce  moyen  était  particulièrement 
adopté  lorsqu'on  craignait  quelque  trahison  de  la  part  des  habitants. 
Alors  les  portes  devenaient  des  bastilles,  des  forts,  permettant  de  réunir 
des  postes  nombreux  sur  l'étendue  des  remparts. 

Les  portes  bâties  à  Paris  sous  Charles  V  se  prêtaient  parfaitement  à  ce 
service,  ainsi  qu'on  peut  le  reconnaître  en  examinant  la  vue  cavalière 
que  nous  donnons  de  la  porte  Saint-Denis  (fig.  3i!»).  La  grande  saillie 
que  présentait  cet  ouvrage  sur  les  courtines  donnait  un  bon  flanque- 
ment  pour  l'époque,  et  avait  permis  l'établissement  d'une  fausse  braie, 
avec  petit  fossé  intérieur  entre  ces  courtines  et  le  large  fossé  qui  était 
alimenté  par  des  cours  d'eau,  aujourd'hui  en  partie  perdus  sous  les 
constructions  modernes  de  la  ville  '^, 

Celte  porte  fut  restaurée  ou  plutôt  modifiée  au  xvr  siècle.  Les  créne- 
lages  supérieurs  furent  remplacés  par  des  parapets  destinés  à  recevoir  de 
l'artillerie.  Elle  fut  démolie  sous  Louis  XIV,  pour  être  remplacée  par 
l'arc  triomphal  qui  existe  encore  aujourd'hui  et  qui  se  reliait  à  un  sys- 
tème de  courtines  et  de  bastions  non  revêtus. 

Notre  vue  cavalière  fait  voir  la  petite  cour  intérieure,  qui  était  néces- 
sairement entourée  de  meurtrières  au  premier  étage,  de  façon  à  couvrir 
de  projectiles  les  assaillants  qui  auraient  pu  forcer  le  pont-levis.  Le  pre- 
mier étage  contenait  ainsi  des  salles  sur  les  quatre  côtés  de  la  cour,  pou- 
vant renfermer  une  assez  nombreuse  garnison.  Deux  escaliers  pratiqués 
dans  les  tourelles  en  arrière-corps  desservaient  ces  salles  et  l'étage  supé- 
rieur crénelé,  couvert  en  terrasse.  Probablement  les  arcades  latérales 
étaient  percées  de  larges  mâchicoulis,  et  dans  leurs  murs  de  fond  don- 
nant sur  la  cour  s'ouvraient  des  meurtrières  enfilant  l'intervalle  entre 
la  fausse  braie  et  la  courtine. 

En  dehors,  des  barrières  et  palissades  défendaient  les  approches  du 
ponceau',  protégé  lui-même  par  un  crénelage  et  deux  échaugueltes. 

*  Gollecl.  Michaud,  l.  If,  p.  641.  , 

*^  La  gravure  d'Israël  Sylvestre  fait  voir  la  place  de  la  fausse  braie  avec  son  fossé  ou 
arrière. 
'  Voyez  Barrière. 


[  PonTB  ]  —  360  — 

Comme  tous  les  ouvrages  élevés  à  Paris  pendant  le  moyen  âge,  ces 
portes  étaienl  bien  exécutées  en  maç4>nnene  revêtue  de  pierre  de  taille, 
et  possédaient  ce  caractère  grandiose,  monumental,  qui  indiquait  la 
grande  ville. 

Cette  enceinte,  percée  de  belles  portes,  s'appuyait  à  l'est  sur  la  Bastille, 
construite  en  même  temps,  mais  achevée  seulement  au  comiDencemeal 
du  règne  de  Charles  VI'. 


Vers  le  commencement  du  xV  siècle,  l'art  de  la  fortification  des 
places  tendait  à  se  modifier.  Du  ûuesclin  avait  pris  de  vive  force  un  si 
grand  nombre  de  places  sans  recourir  à  la  méthode  régulière  des  siège*, 
qu'on  devait  chercher  dorénavant  à  éloigner  les  assaillants  par  des 


—   361    —  .         [   PORTE   ] 

ouvrages  avancés  étendus,  particulièrement  en  dehors  des  portes;  ou- 
vrages qui  formaient  de  larges  boulevards  quelquefois  reliés  entre  eux 
par  des  caponniëres  en  terre  ou  de  sjnnples  palissades.  Un  recoanaissail, 
au  moment  où  l'artillerie  à  feu  commençait  à  Jouer  un  rôje  dans  les 
sièges,  qu'il  était  important  de  couvrir  les  approches  des  portes  par  des 
terrassements  ou  des  murs  épais,  peu  élevés,  commandés  par  les  cour- 
tines et  les  tours. 

3J 


Il  existe  encore  à  Nevers  une  belle  porte  de  la  fin  du  xiv*  siècle  ou  des 
premières  années  du  xv*,  qui  possède  les  restes  très-apparents  du  grand 
ouvrage  avancé  qui  la  protégeait.  La  porte  du  Croux  (c'est  ainsi  qu'on 
la  nomme)  se  compose  (fig.  35)  d'un  boulevard  A,  avec  épaisse  mu- 
raille basse  B  sur  les  chemins  de  ronde,  de  laquelle  on  montait  par  un 


[    PORTE  ]  —   362   — 

escalier  C,  pris  dans  l'épaisseur  d'un  mur  de  contre-garde  D,  qui  flanque 
la  porte  extérieure  E,  protégée  par  un  fossé  F  et  fermée  par  un  pont- 
levis.  Cette  première  entrée  était  enfilée  par  la  courtine  D'.  Un  corps  de 
troupes  pouvait  être  massé  dans  l'espace  A,  qui  avait  à  peu  près  la  forme 
d'un  bastion  et  qui  n'était  mis  en  communication  directe  avec  le  che- 
min G  que  par  la  poterne  H.  Si  l'assaillant  parvenait  à  forcer  la  première 
porte  E,  il  se  trouvait  pris  en  flanc  par  les  défenseurs  logés  en  A.  Peut- 
ôtre  existait-il  autrefois  un  pont  volant  mettant  le  boulevard  A  en  com- 
munication avec  les  remparts  de  la  ville.  L'espace  I  n'était  qu'une  berge, 
et  en  K  était  creusé  le  fossé  entourant  les  murs  de  la  place.  La  porte  L, 
peu  étendue,  flanquait  les  épaisses  courtines  M.  Elle  était  fermée  par 
des  ponts-levis  et  des  vantaux  en  P.  Outre  l'issue  destinée  aux  chariots, 
cette  défense  possède  une  poterne  latérale,  avec  petit  pont-levis  particu- 
lier, suivant  un  usage  généralement  admis  depuis  le  xiv*  siècle.  Le  cou- 
loir de  cette  poterne,  détourné,  bien  que  permettant  le  jeu  du  bras  du 
petit  pont-levis,  était  mis  en  communication  avec  la  ville  par  la  porte  R, 
et  avec  le  grand  passage  charretier  par  la  porte  S.  Des  barres  étaient 
encore  placées  en  T,  de  sorte  que  si  l'on  voulait  faire  entrer  des  piétons 
ou  une  ronde  dans  la  ville,  on  abaissait  seulement  le  pont-levis  de  la 
poterne,  et  ces  gens  devaient  se  faire  reconnaître  par  la  garde  postée  enL 
avant  de  pouvoir  pénétrer  dans  la  cité.  Le  couloir  de  la  poterne,  par  sa 
configuration  irrégulière,  rendait  le  passage  des  piétons  plus  difficile,  et 
faisait  que,  toutes  les  petites  portes  étant  ouvertes,  un  homme  placé  sur 
le  pont-levis  ne  pouvait  voir  ce  qui  se  passait  au  delà  de  la  défense,  dans 
l'intérieur  de  la  ville.  On  arrivait  au  premier  étage  de  la  porte  par  l'esca- 
lier 0,  et  de  ce  premier  étage  aux  crénelages  et  mâchicoulis  supérieurs 
par  un  escalier  intérieur  de  bois. 

La  figure  36  donne  l'élévation  extérieure  de  l'ouvrage  principaL  On 
voit,  dans  cette  élévation,  les  deux  rainures  du  grand  pont-levis  et  celle 
unique  du  pont-levis  de  la  poterne.  Les  faces  de  la  tour  sont  défendues, 
sur  les  trois  côtés  extérieurs,  par  des  mâchicoulis  crénelés,  et  les  angles 
par  deux  échauguettes  dont  le  sol  est  un  peu  relevé  au-dessus  de  celui 
des  mâchicoulis.  Ceux-ci  ne  se  composent  que  de  consoles  de  pierre  avec 
mur  mince  crénelé  posé  sur  leur  extrémité.  Des  planches  placées  sur  les 
consoles  permettaient  aux  défenseurs  de  se  servir  de  créneaux  et  meur- 
trières, et  de  jeter  des  pierres,  entre  ces  consoles,  sur  les  assaillants. 

Nous  allons  indiquer  quels  étaient  la  disposition  et  le  mécanisme  de  ces 
ponts-levis  des  xiv"  et  xv*  siècles.  Soit  (fig.  37)  une  porte  d'une  largeur 
et  d'une  hauteur  suffisantes  pour  permettre  le  passage  des  cavaliers  et 
des  chariots,  c'est-à-dire  ayant  environ,  suivant  l'usage  admis  au  xiv* 
siècle,  3",50  de  hauteur  sur  3=,50  de  largeur.  Cette  porte  est  présentée 
en  A  vue  extérieurement,  et  en  B  vue  intérieurement,  suivant  une  coupe 
transversale  faite  sur  le  passage.  En  C,  est  l'une  des  rainures  du  pont- 
levis  telle  qu'elle  se  montre  sur  le  dehors,  et  en  C,  masquée  par  le  pare- 
ment intérieur  de  la  salle  du  premier  étage.  Le  plan  D  fait  au  niveau  qù 


explique  la  position  de  ces  rainures.  Sur  les  élévations  A,  B,  le  pont-levis 


est  supposé  abaissé.  La  coupe  longitudinale  G  explique  le  jeu  du  ponl- 


—  365   —  [   PORTE    ] 

'  levis.  Celui-ci  est  relevé  en  appuyant  sur  les  chaînes  E  ;  alore  la  partie 
postérieure  F  des  bras  I,  entraînée  par  des  poids,  tombe  en  F',  après 
avoir  décrit  un  arc  de  cercle,  et  les  bras  I  viennent  se  loger  en  1'.  Le 
tablier  K,  en  décrivant  un  arc  de  cercle  sur  ses  tourillons,  s*élève  en  K'  et 
bouche  l'entrée;  les  bras  étant  en  retraite,  les  chaînes  se  tendent  suivant 
un  angle,  et  obligent  ainsi  le  tablier  à  s'appuyer  sur  les  montants  do  Tare 
de  la  porte.  Il  faut,  bien  entendu,  que  la  longueur  des  chaînes  soit  cal- 
culée pour  obtenir  ce  résultat  et  pour  laisser  aux  bras  une  inclinaison 
qui  facilite  le  premier  effort  de  relèvement.  Le  tablier  est  composé  d'un 
châssis  de  fortes  solives  avec  croix  de  Saint-André,  sur  lesquelles  sont 
cloués  les  madriers.  Une  autre  croix  de  Saint-André  et  des  traverses  ren- 
dent solidaires  les  deux  bras  à  l'intérieur. 

En  L,  nous  montrons  l'un  des  tourillons  des  bras,  et  en  M  l'entaille 
ferrée  dans  la  pierre,  destinée  à  recevoir  ces  tourillons. 

On  a  de  nos  jours  rendu  la  manœuvre  des  ponts-levis  plus  facile  et  plus 
sûre,  au  moyen  de  treuils,  de  poulies  avec  chaînes  à  la  Vaucanson,  mais 
le  principe  est  resté  le  même. 

Les  ponts-levis  des  poternes  se  relevaient  au  moyen  d'un  seul  bras,  à 
l'extrémité  extérieure  duquel  était  suspendue  une  fourche  de  fer  rece- 
vant les  deux  chaînes.  Mais  nous  aurons  l'occasion  de  parler  de  ces 
ponts-levis  en  nous  occupant  spécialement  des  poternes  *. 

L'emploi  de  l'artillerie  à  feu  contre  les  places  fortes  obligea  de  modi- 
fier quelques-unes  des  dispositions  défensives  des  portes  dès  le  xv"  siècle; 
mais  alors  l'artillerie  de  siège  était  difficilement  transportable  ^,  et  le  plus 
souvent  les  armées  assiégeantes  n'avaient  que  des  pièces  de  petit  cali- 
bre; ou  bien  si  elles  parvenaient  à  mettre  en  batterie  des  bombardes  d'un 
calibre  très-fort ,  ces  sortes  de  pièces  n'envoyaient  que  des  boulets  de 
pierre  en  bombe,  comme  les  engins  à  contre-poids.  Si  ces  gros  projec- 
tiles, en  passant  par-dessus  les  murailles  d'une  place  assiégée,  pouvaient 
causer  des  dommages,  ils  ne  faisaient  pas  brèche  et  rebondissaient  sur 
les  parements  des  tours  et  courtines,  pour  peu  que  les  maçonneries  fus- 
sent épaisses  et  bien  faites.  Les  ingénieurs  militaires  ne  se  préoccupaient 
donc  que  médiocrement  de  modifier  l'ancien  système  défensif,  quant  aux 
dispositions  d'ensemble,  et  n'avaient  guère  apporté  de  changements  que 
dans  les  crénelages,  afin  de  pouvoir  y  poster  des  arquebusiers.  Nous 
avons  un  exemple  de  ces  changements  dans  une  des  portes  antérieures 
de  la  petite  ville  de  Flavigny  (Côte-d'Or).  Cette  porte  (fig.  38)  est  encore 
flanquée  de  deux  tours  cylindriques  percées  de  meurtrières  à  la  base, 
à  mi-hauteur  et  au  sommet.  Ces  meurtrières,  faites  pour  de  très-petites 
bouchesà  feu,  sont  circulaires.  La  porte  elle-même,  ainsi  que  sa  poterne, 
est  surmontée  d'un  mâchicoulis  avec  parapet  percé  également  de  meur* 
trières  circulaires.  Cet  ouvrage  précède  une  porte  du  xiv*  siècle,  en 

1  Voyes  aussi^  à  l'article  Post,  divers  systèmes  de  ponts  a  bascule. 
'  Voyez  Arcritbcturb  militaire,  E^vcm. . 


[  POBTE  ]  —  366  — 

partie  démolie  aujourd'hui  et  qui  était  fermée  par  une  herse  et  des 
vantaux. 


La  flgure  39  donne  en  A  la  face  intérieure  de  la  porte  présentée  en 
perspective  extérieurement  dans  la  figure  38,  On  remarquera  que  chaque 
console  de  mâchicoulis  porte  une  séparation  en  pierre  qui  donne  de  la 
force  au  parapet .  Cette  disposition  est  d'ailleurs  expliquée  par  la  coupe  B. 
Il  faut  ajouter  que  cette  porte  s'ouvre  au  sommet  d'un  escarpement,  et 
que  le  chemin  qui  y  conduit  a  une  très-forte  pente.  Il  n'était  besoin,  dans 
une  telle  situation,  ni  de  fossés,  ni  de  pont-levis  par  conséquent  ;  l'assail- 
lant qui  se  présentait  devant  celte  entrée  ayant  à  dos  un  précipice.  Toute 
simple  qu'elle  est,  cette  porte  est  un  joli  exemple  des  constructions  mili- 
taires de  l'époque  de  transition,  au  moment  où  les  architectes  se  préoc- 
cupent de  l'emploi  des  bouches  à  feu. 


—   367    —  [  JOBTE  ] 

Olivier  de  Clisson,  le  frère  d'armes  de  du  GuescHn,  qui  lit  aux  Anglais 
unegueiresi  désastreuse,  élait  un  général  d'un  rare  mérite,  etquiforlilla 
un  assez  grand  nombre  de  châteaux  en  Poitou,  sur  les  frontières  de  la 
Bretagne  et  de  la  Guienoe.  Il  adopta,  pour  les  défenses  des  purtes,  un 
système  qui  parait  lui  appartenir.  1!  élevait  une  tour  ronde  sur  un  pont, 


•^ 


et  la  perçait  d'un  passage  fermé  par  des  licrses  et  des  vantaux.  Sur  le 
pont  de  Saintes,  il  existait  une  porte  de  ce  genre  ',  et  l'on  en  voit  encore 
quelques-unes  dans  les  provinces  de  l'Ouest.  Une  des  portes  de  l'enceinte 
du  chftteau  de  Montargis  présentait  celte  disposition,  et  le  vide  central 
de  cett*  tour,  îl  ciel  ouvert,  permettait  d'écraser,  du  sommet  de  l'ou- 
vrage, les  assaillants  qui  se  seraient  introduits  entre  les  deux  portes 
percées  dans  les  parois  opposées  du  cylindre  *■  Les  tours  rondes  servant 
de  partes,  qui  paraissent  appartenir  à  l'initiative  du  connétable  Olivier  de 
Clisson,  sont  habituellement  très-hautes,  c'est-à-dire  donnant  un  com- 
mandement considérable  sur  les  alentours.  Elles  sont  isolées  et  ne  se  re- 
lient pas  aux  courtines  des  enceintes.  Ce  sont  de  petites  bastilles  à  cheval 
»ur  un  pont,  de  sorte  que  les  assiégés  enfermés  dans  ces  postes,  n'ayant 
que  des  moyens  de  retraite  très-peu  sûrs,  étaient  pins  disposés  à  se  dé- 
fendre k  outrance.  II  arrivait  assez  fréquemment,  en  elfct,  que  les  portes 
se  reliant  aux  courtines,  si  bien  munies  qu'elles  fussent,  devenant  l'objet 
d'une  attaque  très-vive  et  tenace,  étaient  abandonnées  peu  à  peu  par  les 

I  Viiye»  PoM,  lig.  4. 

ï  VojKï  ADiIruucl  du  Orcciiu,  Des  plus  excellent  hualimeitj  r/e  FriiHce. 


[    PORTE  ]  —   3§8  — 

défenseurs,  qui  trouvaient,  par  les  chemins  des  courtines  voisines,  un 
moyen  de  quitter  facilement  la  partie,  sous  le  prétexte  d^étendre  le 
champ  de  la  défense.  Enfermée  dans  une  tour  isolée  servant  de  porte, 
la  garnison  n'avait  d'autre  ressource  que  de  lutter  jusqu'à  la  dernière 
extrémité.  La  disposition  qui  semble  avoir  été  systématiquement  adoptée 
par  le  connétable  Olivier  de  Clisson  est  d'ailleurs  conforme  au  caractère 
énergique  jusqu'à  la  férocité  de  cet  homme  de  guerre*.  C'est  ainsi  que 
beaucoup  des  ouvrages  militaires  du  moyen  âge  prennent  une  physio- 
nomie individuelle,  et  qu'il  est  bien  difficile,  par  quelques  exemples,  de 
donner  un  aperçu  de  toutes  les  ressources  trouvées  par  les  constructeurs. 
Aussi  ne  prétendons-nous  ici  que  présenter  quelques-unes  des  disposi- 
tions les  plus  généralement  admises  ou  les  plus  remarquables.  11  n'est 
pas  douteux,  d'ailleurs,  que  dans  les  constructions  militaires  du  moyen 
âge,  les  idées  personnelles  des  seigneurs  qui  les  faisaient  élever  n'eussent 
une  influence  particulière  considérable  sur  les  dispositions  adoptées,  et 
que  ces  seigneurs,  en  bien  des  circonstances,  fournissent  eux-mêmes 
les  plans  mis  à  exécution,  tant  est  grande  la  variété  de  ces  plans.  Il  est 
bon  d'observer  encore  que  si,  pendant  le  moyen  âge,  les  constructions 
des  églises  et  des  monastères  sont  souvent  négligées;  que  s'il  est  évident, 
dans  ces  constructions,  que  la  surveillance  a  fait  défaut,  on  ne  saurait 
faire  le  môme  reproche  aux  travaux  militaires.  Ceux-ci,  bien  que  très- 
simples,  ou  élevés  à  l'aide  de  moyens  bornés  parfois,  sont  toujours  faits 
avec  un  soin  extrême,  indiquant  la  surveillance  la  plus  assidue,  la  direc- 
tion du  maître.  C'est  grâce  à  cette  bonne  exécution  que  nous  avons  con- 
servé en  France  un  aussi  grand  nombre  de  ces  ouvrages,  malgré  les  des- 
tructions entreprises  d'abord  par  la  monarchie,  à  dater  du  xvi"  siècle, 
pendant  la  révolution  du  dernier  siècle,  et  enfin  par  les  communes,  de- 
puis cette  époque. 

Avant  de  passer  à  l'examen  des  poternes,  nous  devons  dire  quelques 
mots  des  portes  de  barbacanes,  c'est-à-dire  appartenant  à  de  grands  ou- 
vrages avancés,  portes  qui  présentent  des  dispositions  particulières. 

Ce  ne  fut  guère  qu'au  xiii"  siècle  qu'on  se  mit  à  élever  des  barba- 
canes en  maçonnerie.  Jusqu'alors  ces  ouvrages  avancés,  destinés  à  faci- 
liter les  sorties  de  troupes  nombreuses,  ou  à  pratiquer  des  retraites, 
étaient  généralement  élevés  en  bois,  et  ne  consistaient  gu'en  des  terras- 
sements avec  fossés  et  palissades.  Mais  les  assiégeants,  mettant  le  feu 
à  ces  ouvrages,  rendaient  leur  défense  impossible;  on  prit  le  parti,  eu 
dehors  des  places  importantes,  de  construire  des  barbacanes  en  maçon- 
nerie, et  de  les  appuyer  par  des  tours,  au  besoin.  Toutefois  on  cherch»iil 
toujours  h  ouvrir  ces  défenses  du  côté  opposé  aux  remparts  formant  le 
corps  de  la  place,  afin  d'empêcher  les  assiégeants  qui  s'y  seraient  logés 
de  pouvoir  s'y  maintenir.  Les  portes  des  barbacanes  sont  conçues  suivant 
ces  principes,  et  les  défenses  qui  les  composent  sont  ouvertes  à  la  gorge. 

1  Olivier  de  CHi^aou  élJÎl  suriioininé  par  les  cont^mporoiusy  le  Boucher, 


—   3ft9    —  [    PORTE    ] 

Versia  lin  deson  règne,  !c  roi  Louis  IX  Ht  relever  l'enceinte  extérieure 
et  ['é)i.irer  le  château  de  la  cité  île  Carcassonnc.  Du  côté  de  ta  ville,  il  lit 
construire  une  barbacanc  sur  plan  semi -circulaire,  qui  défendait  l'appro- 
che delà  porte  du  château,  porte  que  nous  avons  donnée  figures  3,î,5, 
et 6'.  Labarbacane  du  château  de  Carcassonne,  en  forme  de  de:iii-lune, 
s'ouvre,  sur  les  rues  de  la  cité,  par  une  porte  d'une  construction  aussi 
simple  que  bien  entendue  ;  et  cette  porte,  ne  débordant  pas  le  nu  du 


mur  circulaire  composant  la  barbacane,  est  ouverte  entièrement  du  côté 
de  l'inlérieur,  de  sorte  que  les  défenseurs  de  l'entrée  du  chdleau  pou- 
vaient voir  complètement  ceux  de  la  porte  delà  barbacane  et  même  leur 
donner  des  ordres.  Si  les  assiégeants  s'emparaient  de  cotte  première  en- 
trée,  il  était  facile  de  les  couvrir  de  projectiles. 

Voici,  ligure  fiU,  en  A,  le  plan  do  cette  porle  au  niveau  du  sol,  l'exté- 
rieur de  la  barbacane  étant  en  B.  Un  mâchicoulis  C  défend  les  vantaux 

'  1   Voyci,  pour  le  pUo  de  celte  barbacaoe,  la  figure  II,  en  E(A*CunEC'niBEHitiTAIIE}. 

VII.  —  Ù7 


I  roHTË  1  —  370  — 

se  fermant  eu  D.  En  E,  est  l'entrée  de  l'escalier  à  ciel  ouvert  qui  monte 
à  l'étage  supérieur;  en  F,  une  armoire  destinée  à  renfermer  les  falots 
et  autres  ustensiles  nécessaires  au  service.  Le  plan  G  est  pris  à  l'étage 
supérieur  crénelé,  auquel  ou  arrive  par  l'escalier  I  et  le  degré  J.  Les 
chemins  de  ronde  K  de  la  courtine  circulaire  sont  placés  à.  un  mèlre  en 
contre-bas  du  sol  L.  On  voit  en  M  l'ouverture  du  mdcliicoulis  qui  protège 
les  vantaux.  Des  créneaux  latéraux  enlilent  tes  chemins  de  ronde,  qui 
sont  isolés  de  l'étage  défensif  de  l'ouvrage  par  deux  portes  0.  Cet  étage 
supérieur,  comme  l'entrée  à  rez-de-chaussée,  est  commandé  par  les  dé- 
fenses de  la  porte  du  château. 


La  figure  'il  présente  l'élévation  extérieure  de  cette  porte,  et  la  ligure fi2 
sa  coupe  faite  sur  son  axe.  L'aspect  de  l'ouvrage,  pris  de  l'intérieur  de  la 
barbacane,  est  reproduit  dans  la  vue  perspective  (lig.  43).  II  est  aisé  de 
reconnatlre,  en  examinant  celte  dernière  ligure,  que  les  défenses  supé- 
rieures, comme  l'entrée,  .sont  ouvertes  du  cûté  du  château,  et  qu'il  élai' 
dé^  lors  dimcile  ù  un  assiégeant  de  s'y  maintenir  en  face  de  la  grande 
défense  qui  protège  la  portique  nous  avons  donnée  ligures  3,  ù  et  5. 


—  371    —  [    PORTE    J 

Assez  généraleraenl,  cependant,  les  portes  des  barbacanes  s'ouvraient 
latéralement  dans  des  rentrants,  alin  d'être  bien  couvertes  par  les  sail- 
lants, et  alors  elles  n'étaient  que  des  issues  ne  se  défendant  pas  par  elles- 
mêmes  '.  Ces  barbacanes,  vers  le  commencement  du  xiv'  siècle,  prirent 
une  importance  plus  considérable  au  point  de  vue  de  la  défense  ;  elles  se 
munirent  de  tours,  ainsi  que  nous  l'avons  montré  plus  haut  en  nous 


occupant  de  la  porte  Saint-Lazare  d'Avignon;  elles  prirent  le  nom 
de  chaielcts,  de  bastilles,  de  boulevards,  et  leurs  portes,  tout  en  étant 
commandées  par  les  ouvrages  intérieurs,  furent  souvent  flanquées  de 
tourelles  ou  d'échau guettes.  Telles  étaient  défendues  la  porte  des  Deux 
m<n//((M,âla  Rochelle,  située  derrière  la  tour  du  phare  *;  celles  de  Saint- 
Jean-d'Angely,  de  Saint-Jacques,  à  Paris;  d'Orléans,  etc. 

Parmi  ces  portes  précédées  de  bastilles,  une  des  plus  remarquables 

■  Vojet  Bauacaki,  flg.  3  et  3. 

*  Vojei  Topographie  de  la  Goule,  Mérian. 


I  POflTE  ]  —  372  — 

éliiil  celle  (lu  châleau  tic  Marcoussis,  qui  daUit  de  la  fin  du  liv'  siècle, 

el  dont  Ja  desIrucUon  esL  si  regrettable.  Là  le  système  défensif  élail 


complet.  L'avant-porte  s'ouvrait  sur  le  cûlé  d'un  châtelet  carré,  défendu 
par  deux  t(iurs.  Du  chillclet  on  communiquait  ii  l'entrée  de  la  forteresse 


\ 
\ 

—    373   —  [   PORTE  ] 

par  un  pont  fixe,  de  bois,  jeté  sur  un  large  fossé  plein  d'eau,  et  un  pont- 
levis.  Cette  entrée  était  flanquée  de  deux  grosses  tours,  puis  s'élevait 
au  delà  la  tour  du  coin,  surmontée  d'une  guette  très-élevée  qui  permet- 
tait de  voir  tout  ce  qui  se  passait  dans  le  châtelet  et  au  dehors.  La  porte 
du  château  et  ses  ouvrages  de  défense  commandaient  absolument  le  châ- 
telet à  très-petile  portée  * 

Portes  de  donjons.  Poternes.  —  Les  donjons  possédaient  des  portes 
défendues  d'une  façon  toute  spéciale.  Ces  portes  étaient  souvent  relevées 
au-dessus  du  niveau  du  sol  extérieur,  afin  de  les  mettre  à  l'abri  d'une 
attaque  directe  ;  des  échelles  de  bois  étaient  alors  disposées  par  la  gar- 
nison pour  pouvoir  entrer  dans  ces  réduits  ou  en  sortir.  Mais  on  com- 
prend que  cette  disposition  présentait  de  graves  inconvénients.  Si  les 
défenseurs  du  château  ou  de  la  ville  étaient  obligés  de  se  réfugier  préci- 
pitamment dans  le  donjon,  ce  moyen  d'accès  était  insuffisant,  et  il  adve- 
nait (comme  cela^s'est  présenté  pendant  la  dernière  phase  du  siège  du 
château  Gaillard  par  Philippe-Auguste  '^  )  que  les  défenseurs,  pris  de 
court,  n'avaient  pas  le  temps  de  rentrer  dans  le  réduit.  Aussi  chercha- 
t-on  à  rendre  les  portes  de  donjons  aussi  difficiles  à  forcer  que  possible, 
en  laissant  aux  assiégés  les  moyens  de  se  réfugier  en  masse  serrée  dans 
la  défense  extrême,  s'ils  étaient  pressés  de  trop  près.  Beaucoup  de  don- 
jons possédaient  deux  poternes,  l'une  apparente,  l'autre  souterraine, 
qui  communiquait  avec  les  dehors,  de  telle  sorte  que  si  une  garnison 
pensait  ne  pouvoir  plus  tenir  dans  la  place^  soit  par  suite  de  la  vigueur 
de  l'attaque,  soit  par  défaut  de  vivres,  elle  pouvait  se  dérober  et  ne 
laisser  aux  assaillants  qu'une  forteresse  vide.  Les  gros  donjons  normands 
sur  plan  carré  étaient  habituellement  ainsi  disposés^.  Mais  cependant, 
une  fois  les  garnisons  enfermées  dans  leurs  murs,  il  leur  devenait 
bien  difficile  de  les  franchir  devant  un  ennemi  avisé,  soit  pour  s'é- 
chapper, soit  pour  tenter  des  sorties  off'ensives,  car  les  poternes  sou- 
terraines n'étaient  pas  tellement  secrètes,  que  l'assiégeant  ne  pût  en  avoir 
connaissance,  et  les  portes  relevées  au-dessus  du  sol  extérieur  étaient 
difficiles  à  franchir  en  présence  de  l'assiégeant.  Ces  problèmes  parais- 
sent avoir  préoccupé  le  constructeur  de  l'admirable  donjon  de  Coucy. 
Ce  donjon  possède  une  porte  percée  au  niveau  de  la  contrescarpe  du 
fossé  creusé  entre  la  tour  et  sa  chemise,  et  une  petite  poterne  relevée 
au  niveau  du  chemin  de  ronde  de  cette  chemise,  chemin  de  ronde  qui 
est  mis  en  communication,  par  un  escalier,  avec  une  poterne  aboutis- 
sant aux  dehors  de  la  place  *.  La  porte  du  donjon  de  Coucy,  percée 
à  rez-de-chaussée,  est  combinée  avec  un  soin  minutieux  ;  elle  permet  à 
la  garnison,  soit  de  franchir  rapidement  ce  fossé,  soit  de  descendre  sur 

>  Voyez  Topographie  de  la  Gaule ^  Mériaii. 

2  Vovez  Château. 

3  V'oycE  Donjon. 
*  Voyez  CHATFAr. 


[    PORTE   ]  —   374   — 

le  sol  dallé  qui  en  forme  le  fond,  et  de  joindre  la  poterne  extérieure, soil 
de  protéger  un  corps  de  troupes  pressé  de  très-près  par  des  assaillants; 
de  plus,  cette  porte  est,  contrairement  aux  habitudes  du  temps,  trcs- 
richement  décorée  de  sculptures  d'un  beau  style. 

La  figure  liU  donne  en  A  le  plan  de  cette  porte,  et  en  B  sa  coupe  lon- 
gitudinale. Elle  se  fermait  (voy.  la  coupe)  au  moyen  d'un  pont  à  bas- 
cule, d'une  herse,  d'un  vantail  avec  barres  rentrant  dans  l'épaisseur 
de  la  maçonneries  et  d'un  second  vantail  également  barré.  Le  pont 
à  bascule  était  relevé  au  moyen  du  treuil  C  posé  dans  une  chambre 
réservée  au-dessus  du  couloir,  chambreà  laquelle  on  arrive  par  l'unique 
escalier  du  donjon'-.  Ce  treuil  était  disposé  de  manière  qu'on  pût  en 
même  temps  abaisser  le  pont  et  relever  la  herse,  les  deux  chaînes  du 
pont  et  celles  de  la  herse  s'enroulant  en  sens  inverse  .sur  son  tambour. 
Mais  c'est  dans  la  disposition  du  tablier  du  pont  que  l'on  constate  le 
soin  apporté  par  les  constructeurs  sur  ce  point  de  la  défense.  Le  tablier 
du  pont  roulait  sur  un  axe,  sa  partie  supérieure  décrivant  l'arc  de  cercle 
ab.  Lorsqu'il  était  arrivé  au  plan  horizontal,  il  était  maintenu  fixe  par 
unejambe  mobile  c\  qui  tombait  dans  une  entaille  pratiquée  dans  l'assise 
en  saillie  e]  alors  son  plancher  se  raccordait  à  niveau  avec  un  tablier  fixe 
de  bois  G  qui  traversait  le  fossé,  tablier  dont  les  deux  longrines  latérales 
H  s'appuyaient  sur  deux  corbeaux  L  Ce  tablier  fixe  pouvait  être  lui-môme 
facilement  démonté,  si  les  assiégés  voulaient  se  renfermer  absolument 
dans  le  donjon.  En  effet,  un  chevalet  K  incliné,  dont  les  pieds  entraient 
dans  trois  entailles  L,  était  arrêté  à  sa  tête  par  des  chantignoles  M  main- 
tenues par  des  clefs  m.  En  faisant  tomber  ces  clefs  par  un  déchevillage 
facile  à  opérer  de  dessus  le  pont,  le  chevalet  s'abattait  ;  on  enlevait  dès 
lors  facilement  les  longrines,  et  toute  communication  avec  le  dehors 
était  interrompue  en  apparence.  Cependant,  si  nous  examinons  le  tablier 
du  pont  à  bascule  indiqué  séparément  en  N,  on  remarquera  qu'une  par- 
tie 0  de  ce  tablier  est  disposée  en  façon  d'échelle.  Cette  partie  était  mo- 
bile et  roulait  sur  l'axe  D.  En  enlevant  une  cheville  de  fer,  marquée  sur 
notre  figure,  la  partie  mobile  0  tombait  et  venait  s'abattre  en  n  (voy.  la 
coupe).  A  cette  partie  mobile  du  tablier  était  suspendu  un  bout  d'échelle 
P,  qui,  le  tablier  abattu,  pendait  en  P';  dès  lors  les  assiégés  pouvaient 
descendre  dans  le  fossé  par  cette  échelle,  et  là  ils  étaient  garantis  par  le 
petit  ouvrage  R  de  maçonnerie  percé  d'archères.  De  ce  réduit  ils  des- 
cendaient par  quelques  marches  sur  le  sol  dallé  formant  le  fond  du  fossé, 
et  pouvaient  se  diriger  vers  la  poterne  de  la  chemise  qui  communique 
avec  les  dehors  de  la  place.  Le  tablier  mobile  du  pout  étant  relevé,  la  par- 
tie 0  servant  d'échelle  pouvait  être  abattue,  et  la  garnison  trouvait  ainsi 
un  moyen  de  sortie  sans  avoir  besoin  d'abaisser  le  pont  ;  il  suffisait  alors 
d'ouvrir  les  vantaux  intérieurs  et  de  lever  la  herse,  ce  qu'on  pouvait  faire 

*  Voyez  Barre. 

2  Voyez  Donjon,  fig.  35. 


[  rORTE   1 


sausabulii-u  Icponl,  i-iiilécrochaiilles  (^huinci^  du  lambour  du  Ireuil.  La 


[    PORTE    ]  —    376   — 

partie  mobileU  du  pont  étiiil  relev^^o  au  moytMi  de  la  chaîne  S.  Le  plan  A 
indique  la  charpente  du  pont  à  bascule  et  celle  du  itiblier  fixe,  ses  lon- 
grines  étant  tracées  en  d.  On  voit  que,  d'un  côté,  en  /",  il  reste,  entre  la 
longrine  et  le  tablier  du  pont  à  bascule,  un  espace  vide  assez  large.  Cet 
espace  se  trouve  réservé  du  côté  oi!i  l'assiégeant  pouvait  plus  facilement 
se  présenter  au  fond  du  fossé.  C'était  un  mâchicoulis,  car  de  ces  longrines 
aux  barres  d'appui  y,  indiquées  sur  la  coupe,  on  devait  établir,  en  cas 
d'attaque,  des  mantelets  percés  d'archères,  pour  battre  le  fossé.  De  ce 
côté,  il  existe  également  au-dessous  des  corbeaux  h  (voy.  le  plan)  un 
épaulement  en  pierre  qui  masquait  le  dessous  du  pont  et  les  défenseurs 
descendant  par  les  échelles.  EnT,  nous  avons  tracé  la  coupe  transversale 
du  passage  fait  sur  la  chambre  de  levage  et  regardant  vers  l'entrée. 

La  ligure  h^  complète  cette  description  ;  elle  donne  l'élévation  de  la 
porte  du  donjon  de  Coucy,  avec  toutes  les  traces  existantes  du  méca- 
nisme du  pont  à  bascule.  On  voit  en  a  les  trois  entailles  recevant  les 
pieds  du  chevalet  ;  en  6,  le  petit  terre-plein  défendu  descendant  au  fond 
du  fossé  ;  enc,  l'entaille  recevant  la  jambette  du  pont  à  bascule,  pour  le 
maintenir  horizontal  ;  en  rf,  l'épaulement  formant  garde  ;  en  e,  les  cor- 
beaux recevant  les  longrines  du  pont  lixe;  en  /)  les  entailles  des  barres 
d'appui  ;  en  g,  les  poulies  de  renvoi  des  chaînes  du  pont  à  bascule.  Le 
niveau  dallé  du  fond  du  fossé  est  en  A.  En  /,  est  tracée  la  coupe  du  pont 
à  bascule,  avec  sa  partie  mobile  servant  d'échelle,  en  i. 

Le  tympan  de  la  porte  est  décoré  d'un  bas -relief  représentant  le  sire  de 
Coucy  combattant  un  lion,  conformément  à  la  légende.  Des  personnages 
en  costumes  civils  ornent  la  première  voussure,  des  crochets  feuillus  la 
seconde.  On  observera  que  des  deux  barres  d'appui  fy  la  barre  /*'  seule 
est  placée  à  l'aplomb  de  la  longrine  isolée  du  tablier  et  laissait  un  mâ- 
chicoulis ouvert  :  c'est  que  cette  barre  d'appui,  étant  placée  du  côté  atta- 
quable, se  trouvait  réunie,  comme  nous  l'avons  dit,  à  la  longrine  par 
un  mantelet  de  bois  percé  d'archères.  Par  la  même  raison,  de  ce  côté, 
l'épaulement  d  était  destiné  à  empêcher  les  traits  qui  auraient  pu  être 
lancés  parles  assiégeants  obliquement,  de  frapper,  en  ricochant,  les  dé- 
fenseurs descendant  par  l'échelle  au  fond  du  fossé. 

Tout  est  donc  prévu  avec  une  subtilité  rare  dans  cet  ouvrage;  mais  il 
faut  reconnaître  que  le  donjon  de  Coucy  est  une  œuvre  incomparable, 
conçue  et  exécutée  par  des  hommes  qui  semblent  appartenir  à  une  race 
supérieure.  Dans  cette  forteresse,  l'art  le  plus  délicat,  la  plus  belle  sculp- 
ture, se  trouvent  unis  à  la  puissance  prévoyante  de  l'homme  de  guerre, 
comme  pour  nous  démontrer  que  l'expression  de  l'utile  ne  perd  rien  à 
tenir  compte  de  la  beauté  de  la  forme,  et  qu'un  ouvrage  militaire  n'en  est 
pas  moins  fort  parce  que  l'ingénieur  qui  l'élève  est  un  artiste  et  un  homme 
dégoût.  A  côté  de  cette  œuvre  vraiment  magistrale,  la  plupart  des  portes 
de  donjons  ne  sont  que  des  issues  peu  importantes.  Leurs  fermetures 
consistent  en  des  herses  ou  des  ponts  à  bascule,  ou  de  simples  vantaux 
protégés  par  un  mâchicoulis.  Nous  devons  mentionner  cependant  les 


[  FORTE   ] 


4r 


__L. 


portes  étroites  muaies  d'un  pont-levis  à  un  seul  bras,  et  qui  se  voient 
dans  le»  ouvrages  militaires  des xiV  et  xV  siècles. 


Voici  (11g.  46)  quelle  est  la  dispo^ilion  la  plus  générale  de  ces  portes. 


—  379  —  [  PORTE   ] 

Elles  se  composent  d'une  baie  d'un  mètre  de  largeur  au  plus  et  de 
2  mètres  à  2",  50  de  hauteur,  surmontée  d'une  rainure  destinée  à  loger 
le  bras  unique  supportant  une  passerelle  mobile.  En  A,  est  représentée  la 
face  de  la  porte  extérieurement;  en  B,  sa  coupe;  en  C,  son  plan.  L'uni- 
que bras  C,  suspendant  la  passerelle,  pivote  sur  les  tourillons  a,  et  vient, 
étant  relevé,  se  loger  dans  la  rainure  E.  Alors  le  tablier  G  entre  dans  la 
feuillure  g  et  ferme  hermétiquement  l'entrée.  Ce  tablier  est  suspendu  au 
moyen  d'une  chaîne  à  laquelle  est  attaché  un  arc  de  fer  K,  qui  reçoit 
deux  autres  chaînes  L,  lesquelles  portent  le  bout  de  la  passerelle  M.  Le 
bras  relevé,  l'arc  de  fer  vient  se  loger  en  /,  et  les  chaînes,  étant  inclinées 
en  retraite,  forcent  le  tablier  à  entrer  en  feuillure;  presque  toujours  une 
herse  ferme  l'extrémité  postérieure  du  passage  de  la  porte,  comme  l'in- 
dique notre  figure.  Nous  avons  donné  quelques  exemples  de  portes  de 
villes  qui  possèdent,  à  côté  de  la  porte  charretière,  une  de  ces  poternes 
à  pont-levis  mue  par  un  seul  bras  (voy.  fig.  3/i  et  35).  Lorsqu'il  s'agis- 
sait de  faire  sortir  ou  rentrer  une  ronde  ou  une  seule  personne  la  nuit, 
on  abaissait  la  passerelle  de  la  poterne  ;  on  évitait  ainsi  de  manœuvrer  le 
grand  pont-levis,  et  l'on  n'avait  pas  à  craindre  les  surprises.  Quelquefois, 
pour  les  entrées  des  donjons,  la  passerelle  consistait  en  une  échelle  qui 
s'abatt;iit  jusqu'au  sol,  alors  la  chaîne  était  mue  par  un  treuil  et  un  bras. 

Mais  il  est  une  série  de  poternes  de  places  fortes  qui  présentent  une 
disposition  toute  spéciale.  Il  fallait,  lorsque  ces  places  contenaient  une 
garnison  nombreuse,  pouvoir  les  approvisionner  rapidement,  non-seule- 
raent  de  projectiles,  d'armes  et  d'engins,  mais  aussi  de  vivres.  Or,  si  Ton 
considère  que  la  plupart  de  ces  places  sont  situées  sur  des  escarpements  ; 
que  leur  accès  était  difficile  pour  des  chariots  ;  que  les  entrées  en  étaient 
étroites  et  rares  ;  qu'en  temps  de  guerre,  l'affluence  des  charrois  et  des 
personnes  du  dehors  devenait  un  danger;  que  les  gardes  des  portes  de- 
vaient alors  surveiller  avec  attention  les  arrivants;  que  parfois  on  s'était 
emparé  de  villes  et  de  châteaux  en  cachant  dans  des  charrettes  des 
hommes  armés  et  en  obstruant  les  passages  des  portes,  on  compren- 
dra pourquoi  les  approvisionnements  se  faisaient  du  dehors  sans  que  la 
garnison  fût  obligée  d'abaisser  les  ponts  et  de  relever  les  herses.  Alors 
ces  approvisionnements  étaient  amenés  à  la  base  d'une  courtine,  en  face 
d'une  poterne  très-relevée  au-dessus  du  sol  extérieur,  dans  un  endroit 
spécial,  bien  masqué  et  flanqué  ;  ils  étaient  hissés  dans  la  forteresse  au 
moyen  d'un  plan  incliné,  disposé  en  face  de  cette  poterne.  Il  y  avait  au 
Mont- Saint-Michel  en  mer  une  longue  trémie  ainsi  pratiquée  sur  l'un 
des  flancs  de  la  forteresse  supérieure,  en  face  de  la  porte  de  mer. 
Cette  trémie,  de  maçonnerie,  aboutissait  à  une  poterne  munie  d'un  treuil, 
et  ainsi  les  vivres  et  tous  les  fardeaux  étaient  introduits  dans  la  place 
sans  qu'il  fût  nécessaire  d'ouvrir  la  porte  principale.  Cette  trémie  fonc- 
tionne encore,  et  les  approvisionnements  de  la  forteresse  ne  se  font  que 
par  cette  voie.  Le  château  de  Pierrefonds  possédait  aussi  sa  poterne  de 
ravitaillement.  Nous  avons  indiqué  sa  position  dans  le  plan  de  ce  château 


[   PORTE  ]  —  380   — 

(voy.  Château,  fig.  2/j,  et  Donjon,  fig.  ^1  et  UU),  Le  château  de  Pierre- 
fonds  pouvait  facilement  contenir  une  garnison  de  1200  hommes;  il 
fallait  donc  trouver  les  moyens  de  la  munir  d'une  quantité  considérable 
de  vivres  et  d'objets  de  toutes  sortes,  d'armes  et  de  projectiles,  en  un 
court  espace  de  temps,  si,  comme  il  arrivait  souvent  pendant  le  moyen 
âge,  on  se  trouvait  tout  à  coup  dans  la  nécessité  de  se  mettre  en  défense. 
Eût-il  fallu  introduire  les  chariots,  les  bêtes  de  somme  et  les  gens  du 
dehors  dans  la  cour  du  château,  pour  compléter  le  ravitaillement,  que 
l'encombrement  eût  été  extrême,  que  la  place  eût  été  ouverte  à  tout  ce 
monde,  et  qu'il  eût  été  impossible  à  l'intérieur,  pendant  ce  temps,  de 
préparer  la  défense  et  d'adopter  les  mesures  d'ordre  nécessaires  en  pareil 
cas.  La  cour,  embarrassée  par  tous  ces  chariots,  ces  ballots,  ces  bêtes  ei 
ces  gens,  n'eût  présenté  que  confusion;  impossible  alors  de  faire  entrer 
et  sortir  des  gens  d'armes,  de  disposer  des  postes,  et  surtout  de  cacher 
ses  moyens  de  défense.  On  conçoit  alors  pourquoi  l'architecte  du  châ- 
teau avait  combiné  une  poterne  permettant  l'introduction  de  ces  appro- 
visionnements, sans  que  les  gens  du  dedans  fussent  gênés  ni  ralentis 
dans  leurs  dispositions,    et  sans  qu'il   fût  nécessaire   de  faire  entrer 
ni  un  chariot,  ni  un  homme  étranger  à  la  garnison  dans  la  place.  Non- 
seulement  la  poterne  de  ravitaillement  du  château  de  Pierrefonds  est  éle- 
vée de  10  mètres  au-dessus  du  chemin  extérieur  qui  pourtourne  la  for- 
teresse ;  mais  elle  donne  dans  une  cour  spéciale,  séparée  elle-même  de 
la  cour  principale  du  château  par  une  porte  fermée  par  une  herse,  par 
des  vantaux,  et  protégée  par  les  mâchicoulis  (voy.  Château,  lîg.  24  et 
Donjon,  fig.  21).  Cette  poterne  de  ravitaillement  est  percée  à  travers  une 
haute  courtine  ayant  3  mètres  d'épaisseur.  Son  seuil,  comme  nous  venons 
de  le  dire,  est  placé  â  10  mètres  au-dessus  du  niveau  du  sol  extérieur. 
Un  plan  incliné,  de  maçonnerie  et  charpente,  s'élevait  du  chemin  jus- 
qu'à un  niveau  en  contre-bas  de  2  mètres  du  seuil  et  à  4  mètres  de  dis- 
tance delà  courtine.  Il  restait  ainsi,  entre  le  sommet  du  plan  incliné  et 
la-  poterne,  une  coupure  qui  était  franchie  par  le  pont-levis  lorsqu'on 
l'abattait.   La  figure  kl  nous  aidera  à  expliquer  cet  ouvrage.  En  A,  est 
tracé  le  plan  de  la  poterne  ;  deux  contre-forts  «,  destinés  h  masquer  le 
tablier  du  pont  lorsqu'il  est  relevé  s'élèvent  â  l'aplomb,  de  la  partie  infé- 
rieure du  talus  de  la  courtine  ;  en  B,  est  tracée  la  coupe  longitudinale 
de  la  poterne.  Cette  coupe  fait  voir  en  b  le  tablier  du  pont  abaissé  sur 
le  plan  incliné  C.  Les  bras  mobiles  de  ce  tablier  sont  marqués  en  d.  Sur 
le  sol  du  chemin  de  ronde  supérieur  D  est  établi  un  treuil  ;  une  che- 
minée /■,  qui  s'ouvre  sous  le  berceau  en  tiers-point  ^,  permet  de  passer 
deux  câbles  qui,  du  treuil,  viennent  frotter  sur  le  rouleau  e  de  renvoi, 
et  de  là  vont  saisir  les  fardeaux  qui  doivent  être  enlevés  sur  le  plan  in- 
cliné. Les  extrémités  de  ces  deux  câbles  s'attach'fent  à  deux  crochets  / 
scellés  sur  les  parois  des  pieds-droits  de  la  poterne.  Lorsque  l'opération 
d'approvisionnement  est  terminée,  les  câbles  sont  rentrés,  les  vantaux  / 
de  la  poterne  fermés  et  le  pont-levis  relevé  ;  le  tablier  entre  alors  dans  le 


[  PORTE  ] 


tableau  m  réservé  dans  la  maçonoerie,  et  les  deux  bras  se  logent  dans 


[  PORTE   ]  —  382   — 

les  rainures  d\  indiquées  par  la  ligne  ponctuée  :  la  face  extérieure  de 
celte  poterne  est  tracée  en  E  et  sa  face  intérieure  en  F.  Dans  ce  dernier 
tracé,  la  cheminée  des  câbles  est  indiquée  par  des  lignes  ponctuées.  Des 
crochels  i,  les  câbles  viennent  passer  sur  deux  poulies  placées  à  l'extré- 
mité des  chantiers  de  roulement,  en  p  (voy.  le  plan),  car  on  observera 
que  ces  crochets  i  sont  scellés  sur  la  ligne  de  prolongement  des  plans 
inclinés.  Le  plan  incliné  fixe  et  le  tablier  mobile  sont  garnis  de  deux  lon- 
grines  qui  servent  au  roulement  des  fardeaux  et  masquent  les  câbles;  la- 
téralement des  taquets  formant  échelons  permettaient  à  des  manœuvres 
de  monter  en  môme  temps  que  les  fardeaux  pour  les  empêcher  de  dé- 
vier. Ces  taquets  facilitaient  au  besoin  la  descente  ou  l'ascension  d'une 
troupe  d'hommes  d'armes  ;  car  celte  poterne  pouvait  aussi  servir  de  porte 
de  secours.  Le  plan  incliné  était  d'ailleurs  masqué  par  un  ouvrage  avancé 
qui  était  élevé  en  dehors  de  laroutepourtournantle  château  (voy.  Don- 
jon, (ig.  ^^).  Lctracé  G  montre  une  portion  du  tablier  du  pont,  avec  ses 
longrineset  ses  taquets-échelons.  La  poterne  était  surmontée  d'une  niche 
décorée  d'une  statue  de  l'archange  saint  Michel,  que  nous  avons  retrou- 
vée presque  entière  dans  les  fouilles  pratiquées  en  0  ;  car  il  ne  reste  de- 
bout, de  cette  poterne,  qu'une  moitié,  celle  de  gauche.  En  R,  est  donnée 
la  coupe  d'ensemble  de  l'ouvrage,  avec  son  plan  incliné,  à  l'échelle  de 
0",  002  pour  mètre.  Cet  ensemble  fait  voir  comment  on  pouvait  déchar- 
ger les  charrettes  et  hisser  les  fardeaux  jusqu'au  seuil  de  la  poterne. 

La  poterne  de  ravitaillement  du  château  de  Pierrefonds  est  peut-être 
une  des  plus  complètes  et  des  plus  intéressantes  parmi  ces  ouvrages  de 
défense.  La  simplicité  de  la  manœuvre,  la  rapidité  des  moyens  de  ferme- 
ture, la  beauté  de  la  construction,  ne  laissent  rien  à  désirer.  Le  même 
château  possède  une  poterne  basse,  du  côté  du  nord,  qui  était  destinée 
à  la  sortie  et  à  la  rentrée  des  rondes.  Cette  poterne,  qui  s'ouvre  dans  un 
souterrain,  et  n'était  fermée  que  par  des  vantaux,  possède  un  porte-voix 
pris  dans  la  maçonnerie,  à  côté  du  jambage  de  gauche  et  qui  correspon- 
dait à  deux  corps  de  garde,  l'un  situé  à  rez-de-chaussée,  l'autre  au  pre- 
mier étage  (voy.  la  description  du  château  de  Pierrefonds).  On  voit  aussi 
parfois  des  poternes  qui  s'ouvrent  sur  un  passage  détourné,  et  dont  l'issue 
est  commandée  par  des  meurtrières  (voy.  le  plan  du  château  de  Bonaguil, 
à  l'article  Château,  fig.  28). 

Mais  nous  ne  pouvons  donner  dans  cet  article  tous  les  exemples  si  va- 
riés de  poternes.  lien  était  de  ce  détail  de  la  fortification  comme  de  toutes 
les  autres  parties  des  places  fortes  ;  chaque  seigneur  prétendait  posséder 
des  moyens  de  défense  particuliers,  afin  d'opposer  à  l'assaillant  des  chi- 
canes imprévues,  et  il  est  à  croire  que,  dans  les  longues  heures  de  loisir 
de  la  vie  des  châtelains,  ceux-ci  songeaient  souvent  à  doter  leur  rési- 
dence de  dispositions  neuves,  subtilement  combinées,  qui  n'avaient  point 
encore  été  adoptées. 

Portes  d'abbayes,  de  monastères.  —  Il  est  rare  que  les  portes  d'éta- 
blissements religieux,  pendant  le  moyen  âge,  aient  l'importance,  au  point 


—   383  —  [   PORTE    ] 

de  vue  de  la  défense,  des  portes  de  châteaux.  li  parait  que  es  moines, 
sans  négliger  entièremenl  les  précautions  adoptées  dans  les  résidences 
féodales  (car  ils  étaient  seigneurs  féodaux],  voulaient  conserver  à  leurs 


élnblissements  le  caractère  pacifique  quiconvenaitàrinstitution.  Excepté 
dans  quelques  abbayes  qui,  comme  celle  du  Monl-Sainl-Micliel  en  nier, 
étaient  des  forteresses  du  premier  ordre,  les  entrées,  tout  en  présentant 
quelques  signes  de  défense,  n'accumulent  pas  les  obstacles  formidables 


[  roRTE  I  —  dna  — 

qui  fonl,  dy  la  plupart  des  portes  de  châteaux,  des  ouvrages  compliqués 
et  étendus.  Ces  portes  de  monastères  ne  sont  pas  précédées  d'ouvrages 
avancés,  de  barbacanes,  de  boulevards;  elles  s'ouvrent  directement  sur 
la  campagne,  quelquefois  môme  sans  fossés  ni  pont-levis,  et  leurs  dé- 
fenses sont  plutôt  un  signe  féodal  qu'un  obstacle  sérieux.  La  porte  de 
l'abbaye  de  Saint-Lcu  d'Esserent,  qui  date  du  xiv*  siècle,  est  construite 
d'après  ces  données  mixtes  :  c'est  autant  une  porte  de  ferme  qu'une 
porte  fortifiée.  Nous  en  présentons (fig.  Ù8)  la  face  du  dehors.  Cet  ouvrage 
consiste  en  deux  contre-forts  extérieurs,  poêlant  chacun  uneéchauguette 


cylindrique.  Entre  les  contre-forts  qui  masquent  la  courtine,  s'ouvrent 
une  porte  charretière  et  une  poterne.  Trois  mâchicoulis  sont  percés  au- 
dessus  de  la  grande  issue  et  deux  au-dessus  de  la  poterne  (voy.  le  plan 
en  a)  ;  un  crénclage  couronnait  le  tout.  En  B,  est  tracé  le  prolll  des  en- 
corbellements des  échaugueltes,  avec  leur  larmier.  La  Bgure  ii9  donne 
la  coupe  de  cette  porte  fuite  sur  a6.  Un  rcconnait  aisément  qu'une 
entrée  pareille  ne  pouvait  présenter  un  obstacle  bien  sérieux  à  des 
assaillants  déterminés  ;  quoi  qu'il  en  soit,  cette  composition  ne  laisse  pas 
d'être  habilement  conçue  et  d'une  très-heureuse  proportion.  On  élevait 
même  pendant  les  xiii°  et  .\iv*  siècles  des  portes  de  monastères  qui  n'a- 
vaientnuUemcnt  le caractèredcfensif;  alors  ces  portes  étaientplutAt  hos- 
pitaliàres,  c'est-à-dire  qu'elles  étaient  précédées  d'un  porche,  comme 


l'entrée  d'une  église  :  telle  était  la  jolie  porte  de  l'abbaye  de  Troarn  (Cal- 

VII.  —  ù9 


[   PORTK  ]  —   386  — 

vados),  aujourd'hui  transportée  dans  la  propriété  de  M.  le  marquis  de 
Banneville  *.  11  existe  encore  une  très-jolie  porte  fortiflée  de  monastère  à 
Saint-Jean-au-Bois  (forêt  de  Compiègne).  Cette  entrée,  d'une  dimension 
réduite,  était  munie  de  ponts-levis  et  défendue  par  deux  petites  tours.  Sa 
construction  date  de  la  seconde  moitié  du  xv"  siècle;  car  elle  est  percée 
de  meurtrières  disposées  pour  des  arquebusiers.  Nous  en  donnons 
(fi g.  50)  le  plan  à  rez-de-chaussée  en  A,  Télévation  extérieure  en  B,  et  la 
coupe  longitudinale  enC.  La  poterne  n'a  pas  plus  de  0",50  de  largeur,  et 
était  munie  d'un  pont-levis  à  un  seul  bras.  Les  tabliers  des  deux  ponts- 
levis  entraient  en  feuillure  et  étaient  défendus  par  des  mâchicoulis.  Les 
tours  seules  étaient  couvertes,  le  dessus  de  la  porte  ne  présentant  qu'un 
chemin  de  ronde,  comme  celui  des  courtines;  la  construction  est  faite 
en  pierre  et  en  maçonnerie  de  moellons.  Le  ponceau  qui  précède  la  porte, 
et  qui  passe  sur  un  fossé  de  12  mètres  de  largeur,  date  de  la  même  épo- 
que.  11  se  compose  de  deux  arches,  la  plus  étroite  du  côté  du  pont-levis, 
pour  diminuer  la  poussée  sur  la  dernière  pile. 

Nous  craindrions  de  fatiguer  nos  lecteurs  en  ajoutant  d'autres  exem- 
ples à  ceux  déjà  fort  nombreux  que  nous  avons  donnés  touchant  les  portes 
fortifiées  ;  mais  ce  détail  de  l'architecture  militaire  du  moyen  âge  est 
d'une  si  grande  importance,  que  nous  devions  réunir  au  moins  les  types 
les  plus  remarquables.  Nous  sommes  loin  d'avoir  épuisé  ce  sujet,  et  il  y 
aurait  à  faire  sur  les  portes  fortifiées  du  xi*  au  xv'  siècle  un  ouvrage  tout 
entier.  Nous  n'avons  pas  parlé  des  portes  détruites  aujourd'hui  entière- 
ment, mais  sur  les  dispositions  desquelles  il  reste  des  documents  pré- 
cieux. Telles  sont,  par  exemple,  les  portes  deTroyes,  de  Sens,  de  Paris. 
Parmi  les  portes  de  villes  encore  debout  et  qui  méritent  d'être  étudiées, 
nous  citerons  celles  de  Provins,  de  Moret,  de  Chartres,  de  Gallardon,  de 
Dinan,  de  Vézelay,  qui,  bien  que  d'une  médiocre  importance,  ne  sont 
pas  moins  des  ouvrages  remarquables.  Les  ruines  de  nos  châteaux  féo- 
daux présentent  aussi  de  beaux  spécimens  de  portes*,  et  jusque  vers  la 
lin  du  xvi^  siècle,  les  dispositions  adoptées  pendant  le  moyen  âge  sont 
conservées  dans  ces  sortes  d'ouvrages. 

Portes  extérieures  d'églises.  —  Il  faut  distinguer  les  portes  principales 
des  églises  des  portes  secondaires.  Les  portes  principales,  placées  géné- 
ralement sur  Taxe  de  la  nef  centrale,  sont  larges,  décorées  relativement 
avec  recherche,  et  présentent  souvent,  par  la  sculpture  qui  couvre  leui-s 
tympans,  leurs  voussures  et  leurs  pieds-droits,  une  réunion  de  scènes 
religieuses  qui  sont  comme  idi  pré  face  du  monument.  Nous  ne  possédons 
pas  de  portes  d'églises  ayant  quelque  importance,  au  point  de  vue  de  la 
sculpture,  avant  le  commencement  du  xn"  siècle.  Celles  qui  existent 
encore,  et  qui  datent  d'une  époque  plus  reculée,  sont  d'une  forme  très- 

1  Voyez  la  description  de  cette  porte  dans  le  Bulletin  monumentaly  t.  IX,  p.  300. 
^  Dans  son  exccltcnl  ouvrage  sur  V Architecture  militaire  de  la  Guyenne^  M.  L«o 
Drouyn  a  présente  un  assez  grand  nombre  de  ces  exemples  de  portes. 


—    387    —  [   PORTE    ] 

simple  et  ne  paraissent  avoir  été  décorées  que  par  des  moulures,  des 
t^'mpans  imbriqués  ou  couverts  de  peintures.  Nous  aurons  l'occasion  de 
parler  de  ces  portes  du  xi*  siècle,  remarquables  plutôt  par  leur  structure 
que  par  leur  ornementation.  Quand  il  s'agit  d'architecture  religieuse,  il 
faut  toujours  recourir  à  l'ordre  de  Gluny,  si  l'on  veut  trouver  les  éléments 
d'un  art  complet,  formé,  affranchi  des  tâtonnements,  étranger  aux  imi- 
tations grossières  de  l'architecture  antique  romaine. 

La  porte  principale  de  la  grande  église  abbatiale  de  Cluny,  dont  il  ne 
reste  que  des  gravures,  ne  datait  guère  que  du  milieu  du  xii®  siècle,  tandis 
que  celle  de  l'église  abbatiale  de  Vézelay  fut  élevée  dès  les  premières  an- 
nées de  ce  siècle.  Comme  composition,  c'est  certaineiïient  une  des  œuvres 
les  pius  remarquables  et  des  plus  étranges  du  moyen  âge,  au  moment  où 
les  artistes  abandonnent  les  traditions  antiques  gallo-romaines,  mêlées 
d'influences  byzantines,  pour  chercher  de  nouveaux  éléments.  Nous 
croyons  donc  devoir  présenter  cette  œuvre  en  première  ligne,  car  elle  a 
servi  de  type  évidemment  à  un  assez  grand  nombre  de  compositions  du 
XII*  siècle,  en  Bourgogne,  dans  la  haute  Champagne  et  une  partie  du 
Lyonnais.  La  figure  51  donne  l'ensemble  de  cette  porte  aujourd'hui  placée 
au  fond  d'un  porche  profond  et  fermé  *,  mais  originairement  ouvert  sous 
un  portique  étroit  et  à  claire-voie.  Elle  se  compose,  ainsi  que  l'indique  le 
plan  A,  de  deux  baies  jumelles  séparées  par  un  trumeau  et  fermées  par 
deux  vantaux  roulant  sur  des  gonds  scellés  dans  les  feuillures  B.  Les 
deux  baies,  larges  dans  leur  partie  inférieure,  afin  de  laisser  le  plus  d'ou- 
verture possible  à  la  foule,  se  rétrécissent  par  une  ordonnance  d'encor- 
bellement portant  sur  les  deux  pieds-droits  et  sur  le  trumeau  central.  Ces 
encorbellements  sont  décorés  de  six  figures  d'apôtres,  demi-bas-relîef,  de 
1",50  de  hauteur  environ.  Sur  le  pilastre  saillant  du  trumeau  est  placée 
une  statue  de  saint  Jean  Précurseur,  tenant  entre  ses  mains  un  large  nimbe 
au  milieu  duquel  était  sculpté  un  agneau'.  Deux  linteaux  portent  sur  les 
pieds-droits  et  sur  le  trumeau,  et  les  figures  qui  décorent  ces  deux  blocs 
de  pierre  ont  exercé,  depuis  plusieurs  années,  la  sagacité  des  archéolo- 
gues. En  efl'et,  les  sujets  qu'elles  représentent  sont  difficiles  à  expliquer. 
Sur  le  linteau  de  gauche,  on  voit  une  longue  suite  de  figures  marchant 
toutes  vers  le  trumeau  ;  les  unes  montrent  des  archers  (chasseurs),  des 
personnages  parmi  lesquels  l'un  porte  un  poisson,  un  autre  un  seau  de 
bois  rempli  de  fruits,  plusieurs  conduisent  un  bœuf.  Adossé  au  trumeau 
et  semblant  recevoir  la  série  des  arrivants,  est  un  homme  tenant  une 
sorte  de  hallebarde.  Sur  le  linteau  de  droite,  tout  contre  le  trumeau, 
sont  deux  figures  plus  grandes  que  celles  décorant  ce  linteau  :  l'une  tient 
les  clefs,  et  est  évidemment  saint  Pierre  ;  l'autre  est  une  femme.  Ces 
deux  personnages  se  tiennent  étroitement  unis.  A  la  suite  de  ces  deux 
personnages  viennent  des  guerriers  complètement  armés,  et  qui  paraissent 

*  Voyej!  PoHCHB,  fig.  à, 

^  Cet  n^neati  a  été  gratte  à  la  fin  du  dernier  siècle. 


[    PORTE    J  —   388    — 

combullre;  puis  un  caviiliev  porlanl  un  bouclier;  puis  une  trës-petile 

SI 


Dgure  d'homme   velu  <l'iin  manteau  IloUant,  qui  monte  à  cheval  au 


—   389  —  [  PORTE   ] 

moyen  d'une  échelle  ;  puis,  à  la  suite  d'un  homme,  d'une  femme  et  d'un 
enfant  qui  paraissent  se  quereller,  une  famille  composée  également  d'un 
homme,  d'une  femme  et  d'un  enfant  dont  les  têtes  sont  munies  d'oreilles 
colossales.  La  tête  de  l'enfant  sort  de  ses  deux  oreilles  comme  de  deux 
coquilles  qui  l'enveloppent  presque  entièrement. 

Que  signifient  ces  bas-reliefs?  Il  faut  d'abord  observer  qu'ils  tiennent 
la  place  occupée  dans  des  tympans  de  la  môme  époque,  ou  peu  s'en  faut 
(comme  celui  de  la  cathédrale  d'Autun,  par  exemple),  par  les  scènes  du 
jugement  dernier,  de  la  séparation  des  élus  des  damnés.  Alors  les  élus 
occupent  le  linteau  de  gauche  (celui  qui  est  à  la  droite  du  Christ),  et  les 
diimnés  le  linteau  de  droite.  Si  l'on  se  reporte  au  temps  où  fut  sculptée 
la  porte  principale  de  l'église  de  la  Madeleine,  on  observera  que  les 
moines  de  Vézelay  avaient  atteint  un  degré  de  puissance  et  d'influence 
tel,  qu'il  fallut  près  d'un  siècle  de  luttes  sanglantes  entre  ces  religieux, 
les  comtes  de  Nevers  et  les  habitants  de  la  commune  de  Vézelay,  pour 
amoindrir  ce  pouvoir  exorbitant.  Pour  les  abbés  de  Vézelay,  l'action  la 
plus  louable,  celle  qui  devait  faire  gagner  le  ciel,  était  certainement  le 
payement  régulier  des  redevances  dues  à  l'abbaye,  l'apport  de  dons  ; 
et,  jusqu'au  milieu  du  dernier  siècle,  bien  que  l'abbaye  de  Vézelay  fût 
sécularisée  depuis  le  xvi%  il  y  avait  encore,  à  Vézelay,  une  fôte  dite  de 
{'Apport^  et  qui  consistait  à  remettre  à  l'abbé  des  produits  du  sol,  des 
l;>estiaux  et  des  volailles. 

Pour  nous,  le  linteau  de  gauche  représente  les  élus,  c'est-à-dire  ceux 
qui  apportent  à  l'abbaye  les  produits  de  leur  chasse,  de  leur  pêche,  de 
leurs  champs.  Le  linteau  de  droite  représente  les  damnés,  ou  plut(>t  les 
damnables.  On  remarquera  d'abord,  de  ce  côté,  la  figure  de  saint  Pierre 
qui  garde  les  portes  du  paradis,  et  probablement  celle  de  sainte  Made- 
leine, qui  intercède  pour  les  pécheurs*.  Les  personnages  qui  remplissent 
ce  linteau  représenteraient  donc  les  vices  ou  les  péchés.  Les  guerriers 
combattants  personnifieraient  laDiscorde,  la  Guerre;  le  petit  homme  mon- 
tant à  cheval  à  l'aide  d'une  échelle,  l'Orgueil*;  la  famille  qui  semble  se 
quereller,  la  Colère; et  enfin,  la  famille  aux  grandes  oreilles,  peut-être  la 
Calomnie.  Nous  ne  prétendons  donner  cette  explication  autrement  que 
comme  une  hypothèse,  déduite  d'ailleurs  de  beaucoup  d'autres  exemples 
tirés  de  l'église  de  Vézelay  elle-même.  Plusieurs  chapiteaux  représentent 
également  des  vices  personnifiés.  Et,  d'ailleurs  nul  archéologue  n'ignore 
que,  sur  les  portails  de  nos  cathédrales,  sont  figurés  fréquemment  les 
Vices  et  les  Vertus  en  regard.  Nous  y  reviendrons.  Au-dessus  de  ces  deux 
linteaux,  si  étrangement  composés,  se  développe  la  grande  scène  du  Christ 
dans  sa  gloire,  entouré  de  douze  apôtres,  tous  nimbés,   tous  tenant 

'  Les  têtes  de  ces  figures  ont  été  cUssées,  mais  elles  paraissent  avoir  été  tournées  du 
côté  des  personnages  qui  garnissent  le  linteau. 

*  On  voudra  bien  se  rappeler  que  dans  beaucoup  de  sculptures  et  de  peintures  des 
xii«  ot  XIII*  siècles,  l'Orgueil  est  personnifié  par  un  homme  tombant  de  chcvaK 


1   PORTE  ]  —  390  — 

des  livres  ouverts  ou  fermés,  hormis  saint  Pierre,  qui  porte  deux  clefs. 
Des  mains  du  Christ  s*échappent  douze  rayons  qui  aboutissent  aux  têtes 
des  apôtres. 

Mais  la  difflculté  de  Tinterprétalion  se  présente  encore  pour  les  sujets 
de  la  première  voussure.  En  partant  du  compartiment  de  gauche,  parle 
bas,  on  voit  deux  personnages  assis,  tenant  chacun  un  scriptional  sur 
leurs  genoux  K  Dans  le  compartiment  suivant,  au-dessus,  est  un  homme 
richement  vôtu,  et  une  femme  coiffée  d'un  bonnet  conique.  Dans  le  troi- 
sième compartiment,  des  hommes  qui  paraissent  discuter,  Tun  d'eux  est 
échevelé  ;  et  dans  le  dernier  compartiment  on  remarque  deux  hommes  à 
tête  de  chien.  De  Tautre  côté  du  Christ,  le  compartiment  supérieur  con- 
tient des  personnages  dont  les  nez  sont  faits  en  façon  de  groin  de  porc. 
Les  trois  autres  cases  sont  remplies  de  figures  parmi  lesquelles  on  dis- 
tingue un  groupe  de  guerriers. 

S'il  faut  donner  une  explication  à  ces  sujets,  nous  serions  porté  à 
croire  qu'ils  représentent  les  divers  peuples  delà  terre.  On  sait  la  créance 
qu'on  donnait,  pendant  le  moyen  âge,  aux  fables  recueillies  par  Pline, 
et  corrompues  encore  après  lui,  touchant  les  peuplades  de  l'Afrique  et 
des  contrées  hyperboréennes. 

Ainsi,  sur  le  tympan  de  Vézelay,  le  Christ  serait  placé  au  milieu  du 
monde,  entouré  des  peuples  de  la  terre*.  Les  médaillons  qui  remplissent 
la  deuxième  voussure,  et  qui  sont  au  nombre  de  vingt-neuf,  représentent^ 
le  zodiaque  et  diverses  occupations  ou  travaux  de  l'année.  Un  ornement 
court  sur  la  dernière  voussure. 

La  sculpture  de  la  porte  principale  de  l'église  de  Vézelay  est  traitée 
de  manière  à  fixer  l'attention.  Très-découpée,  ayant  un  haut  relief,  les 
détails  sont  exécutés  avec  une  grande  finesse.  On  ne  peut  méconnaître 
le  style  grandiose  de  ces  figures,  l'énergie  du  geste,  et  souvent  même 
la  belle  entente  des  draperies.  Mais,  à  l'article  Statuaire,  nous  aurons 
l'occasion  de  faire  ressortir  les  qualités  singulières  de  cette  école  du- 
nisienne.  Les  profils  sont  beaux,  et  la  sculpture  d'ornement  d'une  har- 
diesse et  d'une  largeur  de  composition  qui  produisent  un  effet  saisis- 
sant^. Il  faut  reconnaître  que  toutes  les  portes  romanes  pâlissent  à  côté 
de  cette  page,  conçue  d'une  façon  tout  à  fait  magistrale. 

Toutes  les  figures  et  les  ornements  de  la  porte  principale  de  la  Made- 
leine de  Vézelay  étaient  rehaussés  de  traits  noirs  sur  un  ton  monochrome 
blanchâtre.  Nous  n'avons  pu  découvrir,  sur  ces  sculptures,  d'autres  traces 
de  coloration. 
A  Autun,  la  porte  principale  de  la  cathédrale  présente  une  disposition 

*  Les  tètes  de  ces  deux  figures  sont  brisées. 

'  Voyez^  dans  les  Archives  des  monuments  historiques  publiées  sous  les  auspices  de 
Son  Exe.  le  Ministre  de  la  maison  de  l'Empereur,  la  description  des  sculptures  de  Véselay 
donnée  par   M.  Mérimée. 

'  Voyez,  à  Tarticle  Architbctukb  ibugibusb»  ftg.  21,  Taspect  intérieur  de  cette  porte. 


—   391    —  [    PORTE   ] 

analogue  à  celle  de  Vézelay,  mais  sa  sculpture,  bien  que  d'une  époque 
un  peu  plus  récente^  n*a  pas  un  caractère  aussi  puissant.  La  composition 
manque  d'ampleur  et  d'originalité.  A  Aulun,  cette  double  ordonnance 
des  pieds-droits  et  du  trumeau  n'existe  plus;  les  colonnettes  s'élèvent 
jusqu'au  niveau  du  linteau.  Les  profils  sont  maigres^  la  statuaire  plate  et 
sans  effet.  Cependant  la  porte  de  la  cathédrale  d'Autun  est  encore  une 
œuvre  remarquable.  On  peut  en  saisir  l'ensemble  sur  la  figure  13  de 
l'article  Porche. 

Parmi  les  portes  d'églises  du  xii*  siècle  les  plus  remarquables,  il  faut 
citer  aussi  celle  de  Moissac.  Cette  porte  s'ouvre  latéralement  sur  le  grand 
porche  dont  nous  avons  donné  le  plan  figure  2il(,  à  l'article  Porche.  Elle 
est  élevée  sous  un  large  berceau  qui  forme  lui-mélme  avant-porche  et 
qui  est  richement  décoré  de  sculptures  en  marbre  gris.  Son  trumeau  est 
couvert  de  lions  entrelacés  qui  forment  une  ornementation  des  plus  ori- 
ginales et  d'un  grand  effeL  Les  pieds-droits  se  découpent  en  larges  den- 
telures sur  le  vide  des  baies,  et  le  linteau  présente  une  suite  de  rosaces 
circulaires  d'un  excellent  style*.  Dans  le  tympan,  est  assise  une  grande 
figure  du  Christ  bénissant,  couronné  ;  autour  de  lui  sont  les  quatre  signes 
des  évangélistes,  deux  anges  colossals,  et  les  vingt-quatre  vieillards  de 
l'Apocalypse.  Les  voussures  ne  sont  remplies  que  par  des  ornements. 
Mais,  sur  les  jambages  du  berceau  formant  porche,  sont  sculptés,  à  la 
droite  du  Christ,  les  Vices  punis;  à  la  gauche,  l'Annonciation,  la  Visita- 
tion, l'Adoration  des  mages  et  la  Fuite  en  Egypte. 

Il  nous  serait  difficile  de  présenter  les  exemples  les  plus  remarquables 
des  portes  d'églises  du  moyen  âge.  Une  pareille  collection  nous  entraî- 
nerait bien  au  delà  des  limites  de  cet  ouvrage.  Nous  devons  chercher  au 
contraire  à  circonscrire  notre  sujet,  à  donner  quelques  types  principaux, 
et  surtout  à  étudier  les  progrès  successifs  des  écoles  diverses  qui  ont 
abouti  aux  œuvres  magistrales  du  xiii*  siècle.  Il  n'est  pas  besoin  d'ôtre 
fort  versé  dans  l'étude  de  nos  anciens  monuments,  pour  reconnaître  que 
les  portes  principales  des  églises  en  France  présentent  une  variété  extra- 
ordinaire dans  leur  disposition  et  leur  ornementation,  tout  en  se  confor- 
mant, parleur  structure,  à  un  principe  invariable.  Ainsi,  les  portes  prin- 
cipales, c'est-à-dire  qui  possèdent  de  larges  baies,  se  composent  toujours 
d'un  arc  de  décharge  sous  lequel  est  posé  le  linteau,  et  d'un  remplissage, 
qui  est  le  tympan.  Si  ces  portes  doivent  donner  accès  à  la  foule,  dès  le 
XII*  siècle  elles  se  divisent  en  deux  ouvertures  séparées  par  un  tru- 
meau. Ce  trumeau  reçoit  le  battement  des  deux  vantaux  et  soulage  le 
linteau  au  milieu  de  sa  portée.  C'est  là  une  disposition  qui  appartient  à 
notre  architecture  du  moyen  âge,  et  qui  ne  trouve  pas  d'analogues  dans 
l'antiquité.  La  porte  principale  de  l'église  abbatiale  de  Vézelay,  que  nous 

•  Cette  ornementation  a  été  estampée  et  est  bien  connue  des  artistes.  C'est  un  des 
plus  beaux  exemples  de  la  sculpture  du  moyen  Age,  et  qui  peut  rivaliser  avec  les  œuvres 
de  l'antiquité  grecque. 


[  PORTi:  ]  —  392  — 

avons  donnée  (lig.  51),  est  certainement  une  des  premières  constructions 
de  ce  genre  et  Tune  des  plus  remarquables  par  l'ordonnance  double  des 
pieds-droits  et  du  trumeau,  qui  a  permis  de  diminuer  la  portée  des  linteaux 
en  laissant  le  plus  large  passage  possible  à  la  foule.  En  allant  chercher 
les  exemples  d'architecture  byzantine  qui  ont  si  puissamment  influé  au 
XII*'  siècle  sur  notre  art  national,  nous  ne  trouvons  pas  un  exemple  de 
portes  avec  trumeaux  et  rangées  d*arcs  de  décharge.  L'influence  de  l'art 
byzantin  se  fait  seulement  sentir  dans  le  système  d'un  arc  soulageant  un 
linteau,  dans  les  profils  et  quelques  ornements.  On  ne  saurait  donc  mé- 
connaître que  les  portes  de  Vézelay,  d'Autun,  de  Moiss:ic,  appartiennent 
à  l'art  français,  sinon  par  tous  les  détails,  au  moins  par  la  disposition  gé- 
nérale. Une  fois  admise,  cette  disposition  dut  paraître  bonne,  car  elle 
ne  cessa  d'être  adoptée  jusqu'à  la  fin  du  xv'  siècle.  Pendant  la  seconde 
période  du  moyen  âge,  on  ne  trouve  que  bien  peu  de  portes  principales 
qui  n'aient  leur  trumeau  central  servant  de  battement  aux  vantaux,  et 
ofl*rant  ainsi  à  la  foule,  comme  les  portes  de  villes  de  l'antiquité,  deux 
issues,  l'une  pour  les  arrivants,  l'autre  pour  les  sortants.  Ces  trumeaux 
furent  souvent  enlevés,  il  est  vrai,  pendant  le  dernier  siècle,  pour  donner 
passage  à  ces  dais  de  menuiserie  recouverts  d'étofl'e,  qui  servent  lors  des 
processions  ;  mais  ces  actes  de  vandalisme  furent  heureusement  assez 
rarement  commis. 

Le  principe  admis,  les  architectes  en  surent  tirer  promptement  tout  le 
parti  possible.  Les  arcs  de  décharge  nécessaires  pour  soulager  le  linteau 
furent  décorés  de  moulures,  d'ornements,  et  bientôt  de  figures  qui  parti- 
cipaient à  la  scène  représentée  sur  le  tympan.  Gomme  il  s'agissait  de 
percer  ces  portes  sous  des  pignons  très-élevés  et  lourds,  on  augmenta  le 
nombre  des  arcs  à  mesure  que  les  monuments  devenaient  plus  grands. 
De  là  ces  voussures  à  quatre,  cinq,  six  et  huit  rangs  de  claveaux  qu'on 
voit  se  courber  au-dessus  des  tympans  de  nos  cathédrales.  Les  portes 
formaient  alors  de  profonds  ébrasements  très-favorables  à  l'écoulement 
de  la  foule,  car  on  remarquera  que  ces  arcs  de  décharge,  ces  voussures, 
se  superposent  en  encorbellement,  et  que  les  pieds-droits  qui  les  por- 
tent s'élargissent  d'autant  de  l'intérieur  à  l'extérieur.  Il  y  a  encore,  dans 
cette  disposition,  une  innovation  sur  l'architecture  antique  de  la  Grèce 
et  de  Rome. 

G'est  aussi  à  Vézelay  où  nous  voyons  adopter  la  statuaire  dans  les 
voussures.  Sur  la  porte  principale  de  cette  église,  la  tentative  est  encore 
timide.  Le  premier  rang  de  claveaux  décoré  de  sujets  fait  corps,  pour 
ainsi  dire,  avec  le  tympan.  Mais  déjà  à  Avallon,  l'église  Saint-Lazare,  qui 
date  du  milieu  du  xii*  siècle,  présente  des  voussures  dont  chaque  claveau 
est  décoré  d'une  figure  sculptée.  Dès  cette  époque,  ce  système  d'orne- 
mentation est  admis,  comme  on  peut  .le  reconnaître  en  examinant  les 
portes  de  l'église  abbatiale  de  Saint-Denis,  celles  occidentales  de  la  ca- 
thédrale de  Ghartres,  et  enfin  la  porte  Saint-Marcel  de  la  cathédrale  de 
Paris,  dont  les  fragments  furent  soigneusement  remployés  au  coraraen- 


—  393  —  [  POUTt:  ] 

cément  du  xiii*  siècle,  lors  de  la  construction  delà  façade  actuelle.  A  ce 
propos,  il  est  bon  de  signaler  ce  fait  assez  fréquent  du  remploi  des 
fragments  de  portes  du  xii*  siècle  pendant  le  xIIl^  C'est  qu'en  effet,  le 
XII*  siècle,  dont  l'art  est  si  élevé,  si  puissant, avait  su  composer  des  portes 
d'une  grande  beaulc,  soit  comme  entente  des  proportions,  soit  comme 
détails  de  sculpture.  Les  architectes  du  xiii*  siècle,  si  hardis  novateurs 
qu'ils  fussent,  si  peu  soucieux  habituellement  des  œuvres  de  leurs  devan- 
ciers, paraissent  avoir  été  saisis  de  scrupules  lorsqu'il  s'agissait  de  faire 
disparaître  certaines  portes  élevées  pendant  le  siècle  précédent.  Ainsi, 
non-seulement  sur  la  façade  occidentale  de  la  cathédrale  de  Paris,  l'ar- 
chitecte replaça  habilement  le  tympan,  un  linleau,  la  plus  grande  partie 
des  voussures  et  les  statues  des  pieds-droits  d'une  porte  appartenant  très- 
probablement  à  l'église  refaite  par  Élienne  de  Garlande,  au  xii*  siècle; 
mais,  à  la  cathédrale  de  Chartres,  nous  voyons  qu'on  replace,  sous  la  fa- 
çade du  XIII"  siècle,  les  trois  portes  qui  autrefois  s'ouvraient  en  arrière 
des  deux  clochers,  sous  un  porche  ;  qu'à  Bourges,  l'ai'chilecte  remploie 
des  fragments  importants,  sous  les  porches  nord  et  sud,  des  deux  portes 
du  transsept  de  l'église  du  xii*  siècle;qu'à  la  cathédrale  de  Rouen, on  con- 
serve, sur  la  façade  occidentale,  auxvi'  siècle,  deux  portes  du  xii*. 

Ces  œuvres  d'art  avaient  donc  acquis  une  célébrité  assez  bien 
établie  pour  qu'on  n'osât  pas  les  détruire  dans  des  temps  où  cependant 
on  ne  se  faisait  aucun  scrupule  de  jeter  bas  des  constructions  antérieu- 
res, surtout  lorsqu'il  s'agissait  de  cathédrales.  Plus  tard  on  peut  signaler 
le  môme  esprit  de  conservation,  le  même  respect,  lorsqu'il  s'agit  de  por- 
tes du  xiii*  siècle.  Quelques-unes  de  ces  œuvres  paraissaient  assez  belles 
pour  qu'on  les  laissât-subsistcr  au  milieu  de  constructions  plus  récente?. 
Sous  le  porche  de  Saint-Germain  TAuxerrois,  à  Paris,  on  voit  que  les  ar- 
chitectes ont  conservé  une  porte  du  xin*  siècle,  bien  qu'ils  aient  entière- 
ment rebâti  la  façade  auxv'.  A  Saint-Thibaut  (Côte-d'Or),  une  porte  fort 
belle,  du  xiii'  siècle,  reste  enclavée  au  milieu  de  constructions  du  x^■^ 
A  la  cathédrale  de  Sens,  les  constructeurs  qui  relèvent  la  façade  au  com- 
mencementdu  xiv"  siècle,  conservent  la  porte  principaledatant  delà  fin 
du  xii*.  A  l'abbaye  de  Saint-J)enis,  la  porte  nord  du  transsept  de  Sugcr 
est  laissée  au  milieu  des  reconstructions  du  xiii*.  A  Auxerre,  des  portes 
datant  du  milieu  du  xm''  siècle  restent  engagées  dans  les  constructions 
refaites  sur  la  façade  au  xv°.  El  en  effet,  jamais  les  architectes  des  xiv*  et 
XV*  siècles,  malgré  leur  savoir,  malgré  la  profusion  de  leurorneujentation, 
leur  recherche  des  effets,  ne  purent  atteindre  à  celte  largeur  de  compo- 
sition, à  cette  belUî  entente  de  la  statuaire  môlée  à  l'architecture,  qui 
étaient  les  qualités  dominantes  des  artistes  des  xii''etxin*  siècles.  Ils  se 
rendaient  justice  en  conservant  ces  débris  qui,  très-probablement,  pas- 
saient avec  raison  pour  des  chefs-d'œuvre. 

En  nous  occupant,  avant  toute  autre,  de  la  porte  de  l'église  abbatiale 
de  Vézelay,  nous  avons  voulu  donner  un  de  ces  exemples  qui  servent  de 
point  de  départ,  qui  sont  une  innovation  et  prennent  une  influence  con- 

vii.   —  50 


[    PORTE   1  —   39'l    — 

sidcrable;  mais  les  principales  écolesdela  France,  dès  le  commencement 
du  MI*'  siècle,  avaient  adopté,  pour  les  portes  des  églises  comme  pour 
les  autres  parties  de  l*architeclure,  des  types  assez  différents  les  uns 
des  autres,  bien  que  soumis  au  principe  commun  d'arcs  et  de  linteaux 
indiqués  plus  haut.  L'Auvergne,  le  Nivernais  et  une  partie  du  Berry; 
rile-dc-France,  la  Champagne,  la  Picardie,  la  Normandie,  le  Poitou  el 
la  Saintonge,  le  Languedoc,  la  Bourgogne,  présentaient  alors  huit  types 
distincts  qui  se  confondirent  au  xiii''  siècle  dans  Tunité  gothique.  Nous 
ne  prétendons  pas  établir  que  ces  provinces  élevassent  chacune  de  leur 
coté  df  s  portes  d'églises  suivant  un  modèle  admis,  invariable  ;  nous  con- 
statons seulement  qu'on  trouve,  dans  chacune  de  ces  écoles,  des  simi- 
litudes, soit  dans  les  proportions,  soit  dans  les  décorations,  soit  dans  la 
construction;  qu'il  est  impossible,  par  exemple,  de  confondre  une  porte 
romane  de  la  Champagne  avec  une  porte  de  la  même  époque  appartenant 
à  un  monument  religieux  de  l'Auvergne  ou  du  Poitou.  C'est  en  Auver- 
gne et  dans  le  Nivernais,  dans  cette  école  romane  si  avancée  dès  lecom- 
mencement  duxii*  siècle,  que  nous  trouvons  les  exemples  de  portes  les 
plus  remarquables  par  la  façon  dont  elles  sont  composées  et  appa- 
reillées. 

La  porte  principale  de  l'église  Saint-Étienne  de  Nevers  est  un  des 
exemples  les  plus  francs  de  l'école  des  provinces  du  Centre,  et  des  plus 
anciens.  Cette  porte  date  des  dernières  années  du  xi**  siècle.  Elle  était 
entièrement  peinte.  Les  chapiteaux  de  ses  colonnes  n'étaient  ornés  que 
par  de  la  peinture.  Les  claveaux,  appareillés  d'une  façon  remarquable, 
élaient  également  couverts  de  peintures  représentant  des  oiseaux  affron- 
tés el  des  ornements  sur  fond  noir.  Nous  donnons  (fig.  52)  le  plan  et 
l'élévation  de  cette  porte.  Le  linteau  et  le  tympan  ont  disparu;  ils 
étaient  très-probablement  décorés  seulement  par  des  peintures.  On  doit 
signaler,  comme  appartenant  à  cette  école,  la  proportion  relativement 
élancée  de  la  baie  ;  la  grosseur  inusitée  des  deux  premières  colonnes 
qui  rappellent  les  exemples  gallo-romains,  et  enfin  cet  appareil  de  cla- 
veaux qui  est  motivé  par  la  nécessité  d'employer  de  très-petits  maté- 
riaux. 

Cependant  les  colonnes  sont  monolithes  et  ont  été  taillées  au  tour, 
conformément  à  un  usage  admis  dans  les  provinces  du  Centre,  pendant 
les  XI'  et  XII'' siècles  ;  les  chapiteaux  sont  également  tournés,  sauf  les 
tailloirs,  qui  sont  rectangulaires  et  sont  pris  dans  une  autre  assise  de 
pierre.  En  A,  est  tracé  le  profil  des  archivoltes.  Cet  art  roman  de  l'Au- 
vergne et  du  Nivernais,  déjà  délicat  vers  la  fin  du  xi*  §iècle,  bien  étudié 
quant  aux  proportions  et  aux  profils,  devait  promptement  produire  des 
résultats  remarquables  ;  et  en  efiet,  dès  le  milieu  du  xii''  siècle,  dans  la 
môme  ville,  à  Nevers,  on  élevait  la  porte  de  l'église  de  Saint-Genest,  qui 
peut  être  considérée  comme  un  chef-d'œuvre  par  ses  bonnes  proportions, 
la  beauté  et  la  sobriété  de  sa  sculpture.  Cette  porte  (fig.  53),  qui  n'a  que 
2  mètres  d'ouverture,  ne  possède,  pas  plus  que  la  précédente,  de  tru- 


—   3»»5   —  L  WHTB   ] 

meau  central.  Les  deux  vanlaux  battaient  l'un  sur  l'autre  '.  Sur  le  lin- 


teau sont  sculptés  les  douze  apôtres  debout  %  et  dans  le  tjmpan,  le  Chrisf 

>  Culte  porte,  enclavée  aujourd'hui  dans  udg  prnpriétê  parlicuUèrc,  a  perdu  son  tym- 
pan, dont  il  eiislait,  en  18A5,  den  Fra^enU  dam  nu  jardin  voisin. 

>  ^nul  une  seule,  cvt  etaluettrs  ont  été  mulilées. 


—  39'i  — 

j3         i 1, 


I.m.Im.M 1 

entouré  des  quatre  signet  des  évaiigé]istes.  Les  boudins  des  arrhivolles 


—  397   —  [   PORTE    ] 

sont  ornés  de  délicates  sculptures  qui  ne  détruisent  pas  la  masse  du 
profil,  et  les  quatre  chapiteaux  sont  finement  travaillés.  Letracé  de  cette 
porte  a  été  obtenu  au  moyen  de  deux  triangles  équilatéraux,'  ainsi  que 
l'indique  le  géométral  A.  Le  triangle  équilatéral  inférieur  est  inscrit  entre 
les  trois  points  a,b,c\  le  triangle  équilatéral  supérieur,  entre  le  départ 
intérieur  des  boudins  de  la  seconde  archivolte  et  son  sommet. 

L'ogive  est  tracée,  les  centres  étant  très-relevés  et  posés  sur  les  points 
divisant  le  diamètre  de  la  première  archivolte  en  trois  parties  égales.  Cette 
disposition  a  donné  une  proportion  très-heureuse  et  des  courbes  com- 
plètement satisfaisanles.il  y  a  évidemment  là  des  combinaisons  étudiées, 
cherchées.  On  observera  encore  que  comme  construction,  cette  porte  est 
sagement  conçue;  le  linteau  et  les  ty/npans  étant  laissés  indépendants 
des  archivoltes  et  soutenus  seulement  par  les  saillies  des  deux  corbeaux 
des  pieds-droits.  L'un  de  ces  corbeaux,  celui  de  droite,  est  décoré  d'un 
ornement  feuillu,  celui  de  gauche  est  simplement  mouluré. 

II  est  bon  de  faire  ressortir  par  plusieurs  exemples  le  caractère  propre 
à  quelques-unes  de  ces  écoles  dont  nous  parlions  tout  à  Theure.  Les 
portes  étant,  dans  les  édifices  religieux  et  civils  du  moyen  âge,  la  partie 
traitée  avec  une  attention  toute  spéciale,  sont  particulièrement  emprein- 
tes du  style  admis  par  chacune  de  ces  écoles.  Si  nous  nous  transportons 
en  Picardie,  province  dans  laquelle  les  monuments  de  l'époque  romane 
sont  devenus  rares  à  cause  de  la  qualité  inférieur  des  matériaux,  nous 
trouverons  encore  cependant  quelques  portes  du  commencement  du 
XII*  siècle  qui  sont  élevées  sur  un  modèle'très-diiférent  de  ceux  de  l'Ile- 
de-France,  de  la  Normandie  et  des  provinces  du  Centre  ou  de  l'Ouest. 

Voici  (fig.  54)  l'ensemble  et  les  détails  d'une  porte  s'ouvrant  latérale- 
ment sur  la  nef  de  l'église  de  Namps-au-Val,  dans  les  environs  d'Amiens. 
Elle  se  rapproche  du  style  romano-grec  des  monuments  des  environs 
d'Antioche,  et  il  est  bien  étrange  que  l'architecte  qui  a  bâti  cette  porte 
n'eût  pas  vu,  ou  tout  au  moins  reçu  des  tracés  de  ces  édifices  du  v"  siècle. 
Les  profils,  les  ornements  du  tympan,  les  terminaisons  en  volute  de 
l'archivolte  extérieure,  sont  des  réminiscences  de  l'architecture  romano- 
grecque  de  Syrie  que  les  premiers  croisés  avaient  trouvée  sur  leur  pas- 
sage. Cette  baie  est  richement  entourée  de  profils  à  l'intérieur.  Les  profils 
de  l'archivolte  et  du  linteau,  que  nous  donnons  en  A,  à  l'échelle  de  0",10 
pour  mètre,  sont  très-beaux,  et  n'ont  plus  rien  de  la  grossièreté  des 
moulures  romanes  copiées  sur  les  édifices  gallo-romains.  Mais  cette  porte 
ne  ressemble  en  aucune  façon,  ni  par  ses  proportions,  ni  par  son  style, 
à  celle  de  l'église  Saint-Étienne  de  Nevers,  qui  date  à  peu  près  de  la 
même  époque  *. 

I  M.  Massenot,  architecte  à  Amiens,  a  relevé  pour  nous  cette  porte  avec  le  plus  grand 
soin.  Les  fenêtres  romanes  de  cette  église  sont  empreintes  du  même  caractère  plein 
cintre,  et  ornées  de  cette  volute  terminale  à  la  base  des  archivoltes  si  fréquente  dans  l<*s 
monuments  romano-grecs  recueillis  par  M.  le  comte  de  Vogué  et  par  M.  Duthoil,  en 
Svric. 


I    PORTE    1  —   398  — 

Si  nous  pHKSons  dans  le  Beauvoisîs,  nous  voyons  quelques  portes  d'égli- 
ses du  commencement  du  .\ri*  siècle  prenant  un  tout  autre  caractère. 


Choisissons,  entre  toutes,  celle  de  l'église  de  Villers-Saint-Paul  (tlg.  55). 
Ici  ce  ne  sont  plus  les  proportions  élancées  admises  dans  les  ewinpi» 


—   399    —  [    PORTE   I 

précédcnU.  Les  ébrasemenls  sont  profonds,  supportent  des  archivoltes 
épaisses,  décorées  de  bàtiim  rompus,  de  méandres.  Un  pignon  trapu  couvre 
le  portail.  La  sculpture  d'oincmcnl  est  d'un  asscî  beau  caractère,  quoi- 
que sauvage.  La  sculpture  de  ligures  est  d'une  grossièreté  toute  primi- 
live  et  rappelle  les  monnaies  gauloises.  Ces  figures  ne  sont  guère  indi- 
quées d'ailleurs  que  dans  un  petit  bas-relief  carré  posé  sous  la  pointe  du 
pignon,  et  qui  représente  Samson  terrassant  le  lion.  Un  remarquera  l'np- 


H 


pareil  singulier  du  lintenu,  qui  s'explique  parla  diriiculté  de  monter  sur 
les  pieds-droits  un  trcs-gros  bloc  de  pierre,  toute  la  construction  étant 
élevée  en  matériaux  de  petit  échantillon.  En  A,  nous  donnons  l'un  des 
pieds-droits  en  plan,  el  en  B,  la  section  sur  l'arcliivolte. 

Le  style  de  celle  porte  se  rapproche  davantage  du  style  adopte  en 
Normandie  et  eu  Poitou  que  de  tout  autre,  mais  il  est  cependant  plus 


[    PORTE    I  —   U{)0   — 

lourde  plus  massif.  Les  profils  sont  moins  étudiés,  la  taille  plus  gros- 
sière. Il  est  évident  que  les  architectes  auteurs  de  ces  œuvres  appartenant 
à  des  édifices  si  voisins  de  Paris  avaient  été  soustraits  aux  influences  qui 
avaient  agi  si  puissamment  sur  les  artistes  de  la  Picardie,  de  l'Auvergne, 
du  Berry,  de  la  Bourgogne  et  du  Midi.  Les  influences  directes  orientales 
n'avaient  pas  pénétré  dans  TIle-de-France,  le  Beauvoisis  et  la  Normandie. 
Les  artistes  de  ces  contrées  restaient  sous  l'empiré  des  traditions  gallo- 
romaines  et  des  objets  envoyés  de  Constantinople  ou  de  Venise,  tels  que 
certains  meubles  et  bijoux,  des  ustensiles  et  des  étoffes.  C'est  cependant 
au  milieu  de  cette  école  de  l'Ile-de-France  et  des  bords  de  l'Oise,  que  l'ar- 
chitecture appelée  gothique  prend  naissance  dès  le  milieu  du  xir  siècle 
et  se  développe  avec  une  rapidité  prodigieuse.  Ce  qui*  tendrait  à  prou- 
ver une  fois  de  plus  que  les  croisades  n'ont  été  pour  rien  dans  cet  essor 
de  l'art  propre  à  l'école  laïque  française,  vers  le  milieu  du  xii'  siècle,  et 
qu'au  contraire,  si  les  croisades  ont  eu  une  influence  sur  l'art  de  l'archi- 
tecture chez  nous,  ce  n'a  été  que  sur  certaines  écoles  romanes,  et  parti- 
culièrement sur  celles  de  la  Bourgogne,  du  Berry,  du  Lyonnais,  des 
provinces  méridionales  et  occidentales. 

L'exemple  que  nous  avons  donné  figure  52,  pris  sur  la  porte  principale 
de  l'église  Saint- Etienne  de  Nevers,  bien  qu'il  appartienne  aux  pro- 
vinces du  Centre  et  nullement  à  la  Bourgogne,  diflère  cependant  de  la 
plupart  des  types  adoptés  à  la  même  époque  en  Auvergne.  Une  porte 
latérale  de  l'église  Notre-Dame  du  Port,  à  Clermont  (Puy-de-Dôme), 
nous  fournit  un  spécimen  bien  caractérisé  de  ces  baies  d'églises  auver- 
gnates. La  figure  56  donne  l'élévation  extérieure  de  cette  porte.  La  baie 
est  rectangulaire,  à  vives  arêtes,  sans  ébrasements.  Un  linteau  d'uneseule 
pièce,  renforcé  dans  son  milieu,  supporte  un  tympan  et  est  déchargé  par 
un  arc  plein  cintre.  Il  y  a,  dans  cet  exemple,  la  trace  d'une  tradition 
antique  évidente.  Deux  figures,  les  bras  levés  comme  pour  supporter  une 
imposte  saillante,  reçoivent  les  extrémités  du  linteau,  très-franchement 
accusé.  Ce  linteau  est  décoré  d'un  bas-relief  représentant  l'Adoration  des 
mages  et  le  Baptême  de  Jésus.  Le  tympan  représente  le  Christ  dans  sa 
gloire,  bénissant,  avec  deux  séraphins.  Des  deux  côtés  de  rarchivoUe, 
deux  groupes  représentent  TAnnoncialion,  et  probablement  la  Naissance 
du  Christ  (ce  dernier  bas-relief  étant  très-alléré). 

Sur  l'un  des  flancs  de  la  cathédrale  du  PuyenVelay,  il  existe  une 
porte  semblable  à  celle-ci  comme  siructure,  mais  dont  l'arc  de  décharge  . 
est  déjà  brisé.  Ces  portes  datent  des  premières  années  du  xn*  siècle, 
peut-être  de  la  fin  du  ji®. 

Pendant  la  première  moitié  du  xii'  siècle,  on  élevait  dans  la  Saintonge 
et  l'Angoumois  un  nombre  prodigieux  d'églises  remarquables  par  leur 
style  et  la  beauté  de  leur  structure.  Les  portes  principales  de  ces  églises 
sont  toutes  conçues,  à  peu  près  d'après  un  type  uniforme.  Elles  sont 
basses,  habituellement  dépourvues  de  linteau  et  de  tympan,  et  leurs 
archivoltes  plein  cintre  sont  très-richement  décorées  d'ornements  em- 


—    ÙOl    —  [   PORTE   ] 

pmntés,  la  pluparl,  au  slyle  oriental  de  la  Syrie.  Voici  l'une  de  ces 
portes  s'ouvrant  sur  la  nef  de  l'église  de  Château-Neuf  (Charente) 
(lig.  57).  Sur  la  première  archivolte  sont  sculptés  en  plat  relief,  très- 
découpés,  suivant  la  méthode  de  l'école  de  Saintooge,  à  la  clef,  un 
agneau  dans  un  nimbe,  des  anges,  et  les  quatre  signes  des  évangélistes  ; 
sur  la  seconde  archivolte,  des  .inimaux  fantastiques  au  milieu  d'entrelacs 
Ircs-coinpliqués  et  délirais;  sur  la  troisième,  des  feuilles  en  forme  de 


palniettes,  enveloppant  un  tore  sous  leur  tige.  Le  cordon  extrême  est 
décoré  de  feuillages  cnlrelacés  et  retournés.  Les  entrelacs  avec  animaux 
couvrent  l'imposte  et  les  chapiteaux  ',  Les  vantaux  de  la  porte  battent 
intérieurement  sur  l'archivolte,  et  s'ouvrent  par  conséquent  jusqu'au 
sommet  du  cintre.  Un  "peu  plus  tard  les  ornements  de  ces  archivoltes 
consistent  en  des  billcLlcs,  des  Lésants,  des  dents  de  scie  courant  sur  des 
moulures  trës-tlnement  prolllées.  Telles  sont  ornées  les  portes  des  églises 
de  Surgères,  de  Jonzac,  etc. 

I   Ci'ttf  rglifc  .1  été  liahilcTnent  restaurée  drpui»  peu  par  M.  Abiilif. 


Les  portes  des  églises  Sainlc-Croix  à  Bordeaux,  de  lu  (i;t'aiide  église 
(les  Dames  à  Sainles,  ont,  avec  celle  donnée  ci-dessous  (lig.  57),  la  plus 
parfaite  analogie.  L'influence  de  ce  slyle  se  répand  jusque  dans  le  Poiloii, 
ainsi  qu'on  peut  le  reconnaître  en  examinant  les  portes  de  Notre-Dame 
la  Grande,  à  Poitiers,  Mais  dans  cette  province,  comme  dans  la  Hanle- 
Marne,  apparaissent  parfois,  dès  le  commencement  du  xu'  siècle,  les 


arcliivoltes  à  claveaux  présentant  chacun  im  bossage  arrondi  pareil  à 
celles  qui  se  voient  sur  le  portail  méridional  de  l'église  du  Saint-Sépul- 
cre, à  Jérusalem.  Ceci  serait  encore  une  preuve  de  la  reconstruction 
d'une  grande  partie  de  l'église  du  Saint-Sépulcre  par  les  croisés,  si  M.  le 
comte  de  Vogué  n'avait  suffisamment  indiqué  les  dates  de  celle  recon- 
struction ', 

Bien  que  très-ornées  de  sculptures,  les  portes  de  la  Saintonge,  de 
l'Angoumoiset  du  Poitou  sont  d'une  proportion  lourde,  et  n'ont  pas 
l'élégance  des  portes  des  provinces  du  Centre.  Leur  ornementiUinn  cA 
confuse  et  ne  présentejamais  celte  large  entente  de  l'effet,  si  liien  exprimée 
dans  la  composition  des  portes  de  la  Bourgogne,  de  la  liante  Champagne 
et  du  Lyonnais.  Cependant,  vers  le  milieu  du  xri°  siècle,  on  voit,  dans 
une  partie  des  pi-ovinces  de  l'Ouest,  une  étude  délicate  des  proportions 
et  de  l'eiïel  se  développer,  lorsqu'il  s'agit  de  la  composition  des  façades, 

I  Vosfi  tes  iylUes  île  lu  Terre-Saitik,  par  U.  le  cuiiilo  Je  Voyiié,  1860. 


—  IxOZ   —  [  PORTE  1 

el  notamment  des  portes.  L'église  de  Saint-Pierre  de  Melle  (Deux-Sèvres) 
nous  fournit  un  excellent  exemple  du  progrès  obtenu  par  les  derniers 
architectes  romans. 

Cette  porte  (fig.  58)  se  recommande  plutôt  par  la  manière  dont  elle  est 
composée  que  par  ses  dimensions,  puisque  la  baie  n'a  pas  plus  de  1",70 
de  largeur.  Il  semble  que  Tarchilecte  ait  voulu  rompre  avec  les  traditions 
admises.  D'abord  les  archivoltes  sont  en  tiers-point  et  dépourvues  de  tout 
ornement.  Afin  de  faciliter  le  dégagement,  les  pieds-droits  sont  en  retraite 
sur  les  arcs,  et  portent  ceux-ci  au  moyen  d'encorbellements  ornés  de 
sculpture.  Un  cordon  sculpté  sertit  la  dernière  archivolte.  Il  n'y  a  pas  ici 
de  tympan  sculpté  ni  de  linteau,  conformément  à  l'usage  des  provinces 
occidentales,  mais  au-dessus  d'un  couronnement  très-riche  est  posée  une 
niche  contenant  la  statue  du  Christ  dans  sa  gloire,  et  celles  de  la  sainte 
Vierge  et  de  saint  Jean.  Entre  les  corbeaux  qui  soutiennent  la  corniche 
intermédiaire,  dans  des  sortes  de  métopes,  sont  sculptés  quelques  signes 
du  zodiaque  et  un  porc,  qui,  suivant  un  usage  assez  fréquent  au  xii*  siècle, 
représente  un  mois  de  l'année,  celui  pendant  lequel  on  tue  cet  animal 
domestique.  Il  n'est  pas  nécessaire  de  faire  ressortir  la  belle  entente  de 
cette  composition,  que  notre  gravure  permet  d'apprécier.  La  façon  dont 
la  sculpture  est  disposée,  les  divisions  des  parties  principales,  le  contraste 
heureusement  trouvé  entre  les  surfaces  lisses  et  les  surfaces  décorées, 
font  assez  connaître  que  l'architecte  de  cette  œuvre  entendait  son  art.  La 
sculpture  est  d'ailleurs  très-délicate  et  exécutée  avec  un  soin  minutieux. 
C'était  la  dernière  expression  de  l'art  roman  des  provinces  de  l'Ouest,  qui 
devait  s'éteindre,  quelques  années  plus  tard,  sous  l'influence  de  l'art  de 
l'école  laïque  de  l'Ile-de-France. 

Nous  avons  vu  déjà,  par  l'exemple  tiré  de  l'église  Notre-Dame  du  Port 
à  Clermont,  que  les  portes  étaient  décorées,  dans  certaines  provinces, 
aa  moyen  de  bas-reliefs  accessoires  qui  étaient  comme  plaqués  à  côté 
ou  au-dessus  des  archivoltes.  Peut-être  cet  usage  n'était-il  qu'une  tradi- 
tion fort  ancienne.  Lorsque,  pendant  la  période  carlovingienne  primitive, 
l'art  de  la  statuaire  était  complètement  perdu,  on  recueillait  parfois  des 
bas-reliefs  provenant  de  monuments  antiques  gallo-romains,  et  on  les 
incrustait  dans  les  nouvelles  constructions,  notamment  au-dessus  des 
portes,  comme  étant  la  partie  de  l'édifice  qu'on  tenait  à  décorer.  Plus 
tard  les  artistes  romans  conservèrent  cette  disposition  en  incrustant  des 
bas-reliefs  neufs,  comme  on  l'avait  fait  pour  les  fragments  antiques. 
C'est,  en  effet,  dans  les  provinces  où  les  restes  gallo-romains  étaient 
abondants,  qu'on  voit  ce  système  d'ornementation  persister  jusque 
pendant  le  xii"  siècle.  La  grande  porte  méridionale  de  l'église  Saint- 
Sernin,  à  Toulouse,  nous  fournit  un  exemple  très-remarquable  de  ce 
genre  de  décoration  (fig.  59).  Cette  porte,  parfiiitement  conservée  jus- 
qu'à la  corniche  *,  se  compose  de  trois  rangs  d'archivoltes  entourant 

1  \jo  couronnement  tracé  sur  notre  figure  est  en  restauration. 


un  linteau  et  un  tympan  de  mai-bre  gris.  Co  tympan  représente  l'ascen- 


sion  du  Christ,   suivant  In  donnée  byzantine.  Deux  anges  soulèvent  le 


[    PORTE    J  —   /l06   — 

Sauveur,  dont  les  bras  sont  tournés  vers  le  ciel.  Quatre  figures  d'anges 
président,  deux  à  droite,  deux  à  gauche,  à  cette  scène.  Les  douze  apùtres 
sont  sculptés  sur  le  linteau  et  tournent  la  tôte  vers  le  Christ.  Deux  anges 
terminent,  à  droite  et  à  gauche,  cette  série.  A  la  droite  du  cintre  est 
incrustée  la  statue  de  saint  Pierre  foulant  sous  ses  pieds  Simon  le 
Magicien,  accompagné  de  deux  démons.  A  la  gauche,  la  statue  de 
siint  Paul  prêchant.  Deux  petites  figures  au-dessus  de  sa  tôte  semblent 
écouter.  Sous  ses  pieds  sont  placés  deux  dragons,  puis  deux  autres  figu- 
res assises  sur  des  lions.  Des  quatre  colonnes  logées  dans  les  ébrase- 
ments,  deux  sont  de  marbre  ;  ce  sont  celles  qui  sont  voisines  des  pieds- 
droits.  Les  chapiteaux,  les  cordons,  les  corbeaux  portant  le  linteau  et  la 
corniche,  sont  très-finement  sculptés  et  d'un  style  remarquable.  Mais 
nous  parlerons  ailleurs  de  cette  école  des  sculpteurs  toulousains  ^  si 
brillante  au  xii*  siècle,  et  qui  s'éteignit  brusquement  pendant  les  croi- 
sades contre  les  Albigeois,  pour  ne  plus  reparaître  avec  quelque  éclat 
que  vers  la  fin  du  xv"  siècle. 

Les  exemples  que  nous  venons  de  donner  des  portes  d'églises  apparte- 
nant à  quelques-unes  des  principales  écoles  romanes  de  France,  qu'elles 
soient  ou  non  pourvues  de  linteaux,  partent  tous  d'un  même  principe  de 
structure,  simple,  rationnel  et  qui  demande  à  être  expliqué. 

Une  épaisseur  de  mur  étant  donnée,  lorsque  les  architectes  du 
xii*  siècle  voulaient  y  percer  une  porte  principale,  l'ébrasement  intérieur 
et  répaisseur  du  tableau  étant  réservés,  il  restait  une  certaine  épaisseur 
de  mur  dont  on  profitait  pour  placer  une,  deux,  trois,  quatre  colonnes 
et  archivoltes,  et  môme  plus;  ces  colonnes  variant  de  0",33  (un  pied) 
de  diamètre  à  0",16  (six  pouces),  on  procédait  de  cette  façon  (fig.  60). 
A  étant  le  tableau,  on  lui  laissait  un  champ  de  face  a,  puis,  prenant  la 
largeur  BG  pour  la  base  en  partie  engagée,  on  traçait  la  colonne  D.  On 
faisait  CB'  égal  à  CB.  On  recommençait  l'opération  de  B'  en  E,  et  de 
E  en  F,  comme  ci-dessus,  et  ainsi  autant  de  fois  que  l'épaisseur  du  mur 
l'exigeait.  Alors  les  carrés  CBB'^,  B'EFe  donnaient  la  projection  horizon- 
tale des  tailloirs  des  chapiteaux  sous  leur  saillie. 

Cette  succession  de  carrés  donnait  la  trace  des  sommiers  des  archi- 
voltes, tracés  en  P;  ces  archivoltes  se  rccouvrarjt  pour  former  un  arc 
plus  ou  moins  profond  en  décharge.  Les  colonnettes  étaient  posées  en 
délit  et  monolithes,  indépendantes  de  la  bâtisse.  Ainsi  les  nus  des  tail- 
loirs des  chapiteaux  et  les  plinthes  des  bases  suivaient  exactement  les 
nus  de  la  maçonnerie  pleine,  et  chaque  rangée  de  claveaux  venait  reposer 
sur  les  colonnettes.  Les  charges  étant  reportées  sur  les  parties  maçonnées 
BGB'EF,  etc.,  il  n'y  avait  alors  aucune  rupture  à  craindre.  Pins  tard,  vers 
la  fin  du  XII'  siècle,  lorsque  les  archivoltes  furent  allégies  et  décorées 
de  figures,  on  procéda  d'après  le  môme  principe.  Seulement,  les  colon- 
nettes s'amaigrirent,  les  tailloirs  s'obliquèrent  souvent,  suivant  l'ébrase- 

*  Voyez  l'article  Statuaire. 


—  UQl  —  [  roRTE  ] 

ment,  el  les  inlervallcs  de  ces  colonnetles  furent  évidés,  ainsi  que  l'in- 
dique le  tracé  T.  A  ces  colonnettes  s'adossèrent  parfois  des  statues 
surmontées  de  dais  dans  la  hauteur  de  l'assise  des  chapiteaux  ou  dans 
l'assise  au-dessus,  dais  figurés  en  g  sur  le  tracé  T,  et  alors  les  claveaux  , 
des  archivoltes  furent  appareillés  et  moulurés,  comme  le  fait  voir  le 


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tracé  M,  les  épannelages  h  étant  réservés  pour  les  figures  el  les  petits 
dais  qui  les  séparent.  Le  principe  roman  était  conservé,  mais  avec  un 
perfectionnement  et  un  allégissement  ;  les  colonnes  restaient  habituel- 
lement indépendantes,  c'est-à-dire  monolithes.  Cette  règle  présente  plu- 
tôt des  variétés  dans  l'application  du  principe  que  des  exceptions, 
comme  nous  le  verrons. 

Pour  peu  qu'on  ait  étudié  les  divers  styles  d'architeclure  antérieurs 
h  cette  période  et  étrangers  k  ceux  de  la  France,  on  reconnaîtra  qu'il  y 
avait,  dans  ce  principe  de  composition  et  de  structure  des  portes,  un 
élément  nouveau,  sans  précédents,  et  qui  se  prèle  singulièrement  à  la 
décoration.  En  effet,  lorsqu'il  s'agissait  d'ouvrir  dans  des  grands  murs 
de  façade,  épais,  des  baies  assez  larges  pour  faciliter  l'entrée  et  la  sortie 
de  la  foule,  il  fallait  combiner  ces  baies  de  telle  sorte,  qu'elles  pussent 
sans  danger  crever  ces  constructions  massives  et  hautes,  et  en  môme 
temps  s'ouvrir  largement  par  des  ébrasemenls.  Le  système  d'archivoltes 
superposées,  et  formant  comme  une  succession  de  cerceaux  concen- 


[    PORTE   ]  —   /|08   — 

triques  allant  toujours  eu  s'évasaut  du  dedaus  au  dehors,  était  Irès-bien 
trouvé  au  point  de  vue  de  la  solidité  et  de  relTel.  Ces  archivoltes  ébra- 
sées  formaient  comme  un  large  cadre  autour  du  tympan,  et  il  était 
naturel,  celui-ci  étant  orné  de  bas-reliefs,  de  couvrir  ces  archivoltes  de 
figures  formant  comme  le  complément  de  la  scène  principale,  une 
assemblée  de  personnages  participant  à  cette  scène.  Nous  avons  vu  qu'à 
Vézelay  déjà,  ce  parti  est  adopté.  Nous  le  voyons  développé  aux  porte;? 
occidentales  de  Téglise  Saint-Lazare  d'Avallon,  au  portail  royal  de 
la  cathédrale  de  Chartres,  et  dans  beaucoup  d'autres  églises  élevée? 
de  1150  à  1180.  Maintenant  nous  allons  examiner  comme  ce  principe 
roman  du  xu"  siècle  se  modifie  pour  tomber  dans  la  donnée  gothique 
par  plusieurs  voies. 

Évidemment,  vers  la  seconde  moitié  du  xir  siècle,  les  architectes 
cherchaient  dans  la  composition  des  portes,  considérées  comme  une  par- 
tie très-importante  des  édifices  religieux,  sinon  de  nouveaux  principes, 
tout  au  moins  des  applications  variées.  La  monotonie  de  composition 
des  portes  romanes  dans  chaque  école  fatiguait;  on  voulait  tenter  du 
neuf,  sans  cependant  abandonner  la  donnée  première,  qui  paraissait 
excellente  et  qui  Test  en  effet.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  sur  la  façade 
de  réglise  de  la  Souterraine  (Creuse),  surmontée  d'un  gros  clocher,  on 
perçait  une  porte  d'un  aspect  très-original,  bien  que  son  plan  soit  tracé 
conformément  au  mode  d'ébrasement  admis  définitivement.  Celte  porte 
(fig.  61),  comme  la  plupart  de  celles  du  Poitou  et  de  la  Saintonge,  ne 
possède  pas  de  linteau  ni  de  tympan.  La  première  archivolte,  posée  sur 
les  pieds-droits,  est  découpée  par  une  suite  de  redents  très-prononcés,  se 
détachant  sur  le  vide  de  la  baie;  les  vantaux  s'ouvrent  par  conséquent 
intérieurement  jusqu'au  sommet  de  cette  archivolte  dentelée.  Les  autres 
arcs  présentent  une  suite  de  boudins  alternativement  unis  et  redentés. 
Ces  redents  descendent  môme  jusqu'au  niveau  des  bases.  La  seule 
sculpture  qu'on  remarque  sur  cotte  porte  est  celle  des  chapiteaux,  et 
cependant  l'aspect  général  est  très-riche  et  d'une  très-heureuse  propor- 
tion K  On  remarquera  comment  l'appareil  des  claveaux  se  combine  avec 
le  système  des  redents.  Ce  système  d'appareil  était  d'ailleurs  conforme 
à  celui  qui  était  adopté  pour  toutes  les  baies  avec  archivoltes.  Ici  les  arcs 
sont  déjà  en  tiers-point,  le  plein  cintre  a  disparu. 

11  est  intéressant  d'observer  comme  au  sein  d'une  autre  province  se 
faisait  la  transition  entre  le  style  roman  et  le  style  gothique.  Dans  l'Ile- 
de-France,  la  petite  église  de  Neslcs,  près  de  l'Isle-Adam  (Seine-et-Oise), 
possède  une  porte  principale  qui  date  des  dernières  années  du  xii' siècle, 
contemporaine  par  conséquent  de  l'exemple  précédent ,  et  qui  se  recom- 
mande par  la  pureté  de  son  style,  la  sobriété  de  son  ornementation, 
sans  que  dans  cet  ouvrage,  d'une  physionomie  neuve  pour  cette  époque, 

1  L'église  de  Id  Boutcrraiuej  d'un  très-^beau  style  de  id  fin  du  xu^  siècle,  a  été  res- 
taurée depuis  peu  pHr  M*  Abadie. 


[   POBTE   ] 


\ 


on  .signale  aucnnc  de  ces  étmngelés  ({ii'admcltent  volontiers  les  aiiistes 
en  quête  d'idées  originales.  Entre  celte  porte  (Hg.  62)  et  celle  que  nous 

VII.  —  52 


I  rORTE  1  -Mo- 

uvons donnée  (fig.  55),  provenant  de  réglise  de  Villers-SaiDt-l»aul,  il  n  y 
a  fe'uère  qu'un  espace  de  soisante  années.  Or,  on  recoiinail  aisénoenl  que 


dans  celte  province  l'art  s'est  dégagé  phis  rapiilcment  qu'ailleurs  de  la 
tradition  romane.  La  porte  de  Villers-Saint-Paul  est  d'un  style  romau 


—  /lH    —  [  PORTE  ] 

lourd,  barbare  même,  si  on  le  compare  à  celui  des  provinces  du  Centre, 
de  rOuesi  et  du  Midi  ;  et  tandis  que  dans  ces  dernières  contrées,  la  tran- 
sition du  roman  au  gothique  se  fait  péniblement,  ou  ne  se  fait  pas  du 
tout,  nous  voyons  s*épanouir  tout  à  coup,  dans  TIle-de-France,  en  quel- 
ques années,  un  style  délicat,  sobre ,  rompant  avec  les  traditions  des 
âges  précédents,  tenant  compte  des  proportions,  en  évitant  les  bizarre- 
ries si  fréquentes  au  moment  de  la  formation  d'un  art. 

A  Nesles,  les  colonnettes  sont  monostyles,  indépendantes  de  la  bâtisse; 
le  tracé  du  plan  est,  sauf  plus  de  légèreté,  tout  roman  ;  mais  les  archi- 
voltes se  profilent  de  la  façon  la  plus  heureuse  et  la  plus  logique  (voy. 
en  A).  La  sculpture,  rare,  tandis  qu'elle  est  prodiguée  dans  les  portes 
romanes  de  la  même  contrée,  est  répartie  par  uh  artiste  de  goût  sur  les 
cordons,  sur  les  pieds-droits,  entre  les  colonnettes,  comme  pour  faire  res- 
sortir celles-ci.  Il  y  a  évidemment  ici  réaction  contre  le  style  roman.  Ce 
n'est  pas  une  modification,  c'est  une  rupture  complète,  qui  devait  ame- 
ner rapidement  les  plus  beaux  résultats,  puisque  les  portes  occidentales 
de  la  cathédrale  de  Paris  sont  à  peu  près  contemporaines  de  celle-ci,  et 
que  les  portes  des  cathédrales  d'Amiens  et  de  Reims  s'élèvent  trente  ou 
quarante  ans  plus  tard  K 

Avant  de  nous  occuper  des  portes  si  remarquables  de  quelques-unes 
de  nos  cathédrales  françaises,  nous  croyons  nécessaire  de  faire  connaître 
encore  certaines  tentatives  faites  dans  les  provinces  au  moment  où  l'art 
s'affranchit  des  traditions  romanes. 

Pendant  qu'on  élevait  les  portes  que  nous  avons  figurées  dans  ces 
deux  derniers  exemples,  c'est-à-dire  de  1190  à  1200,  on  bâtissait  en 
Bourgogne,  près  d'Avallon,  un  très-remarquable  monument  religieux, 
dont  nous  avons  souvent  l'occasion  de  parler,  la  petite  église  de  Mont- 
réal (Yonne).  Sa  façade  occidentale,  entièrement  lisse,  n'est  décorée 
que  par  une  porte  basse,  large ,  et  par  une  rose.  La  porte  se  distingue 
par  la  singularité  de  sa  composition  et  par  sa  sculpture,  qui  est  du  plus 
beau  style.  Afin  de  pouvoir  mieux  faire  apprécier  cet  ouvrage  à  nos 
lecteurs,  nous  adoptons  une  échelle  qui  permettra  de  prendre  une  idée 
plus  exacte  de  son  caractère,  et  nous  ne  donnons  ainsi  que  la  moitié  de 
l'ensemble  (fig.  63). 

Bien  que  les  murs  de  Téglise  de  Montréal  soient  élevés  en  moellon 
smillé,  les  piles  intérieures,  les  contre-forts  et  la  façade  sont  construits 
en  bel  appareil  de  pierre  de  Goutarnoux  (Champ-Rotard);  les  joints  et  lits 
étant  fins  et  parfaitement  dressés.  Quant  aux  ravalements,  ils  sont  faits 
avecunsoinet  uneprécision  de  taille  tout  à  fait  remarquables,  et  lecharme 
de  ce  petit  édifice  consiste  principalement  dans  la  manière  dont  sont 


1  Le  linteau  et  le  trumeau  de  la  porte  de  l'église  de  Nesles  ont  été  enlevés  et  ne  sont 
restitués  ici  que  sur  des  fragments.  Nous  ne  savons  si  le  tympan  contenait  un  bas-relief; 
nous  en  doutons,  considérant  Textrême  sobriété  de  la  sculpture  de  ce  petit  monument, 
é!e>'é  à  t*aide  de  ressources  tr^s•mlDimcs. 


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traités  les  profils  et  les  tailles.  Tous  les  parements  droits  ou  udÎs  sont 


—  613   —  [   PORTE   ] 

layés  à  la  laye  ou  au  taillant  droit,  tandis  que  les  moulures  fines,  comme 
les  bases,  les  tailloirs,  sont  polies.  Le  contraste  entre  ces  tailles  donne 
quelque  chose  de  précieux  aux  profils  et  arrête  le  regard. 

Notre  figure  indique  l'appareil,  et  permet  de  reconnaître  qu'il  est 
entièrement  d'accord  avec  les  formes  adoptées.  Les  lits  coïncident  avec 
es  membres  de  moulures,  la  hauteur  des  chapiteaux,  des  bandeaux,  la 
division  des  redents  décorant  les  pieds-droits  et  la  disposition  des  membres 
(les  archivoltes.  Les  détails  de  l'architecture  sont,  de  plus,  traités  avec  un 
soin  rare  et  par  un  artiste  consommé  ;  les  colonnettes  des  ébrasements 
sont  monolithes,  et  entre  elles  les  angles  des  pieds-droits  retraites  sont 
ornés  de  fleurettes,  deux  dans  chaque  assise.  A  l'article  Congé  (fîg.  3), 
nous  avons  donné  la  partie  inférieure  du  trumeau,  dont  la  composition 
est  des  plus  originales.  Mais,  suivant  l'habitude  des  architectes  de  la 
Bourgogne,  vers  la  fin  du  xii"  siècle  (car  cette  porte  date  de  1200  au  plus 
lard),  les  moulures  d'archivoltes,  au-dessus  du  lit  inférieur  des  som- 
miers, naissent  au  milieu  d'ornements  ou  de  demi-cylindres  pris  aux  dé- 
pens de  Téquarrissement  du  profil,  ainsi  que  nous  l'avons  indiqué  en  A. 
Les  moulures  d'archivoltes  ne  reposent  donc  pas  brusquement  sur  les 
tailloirs  des  chapiteaux  et  conservent  de  la  force  à  leur  souche.  En  B,  est 
tracé  le  profil  des  archivoltes  à  l'échelle  de  0",04  pour  mètre.  Chaque 
claveau  étant  profilé  dans  un  épannelage  rectangulaire  tracé  en  o,  c'est 
aux  dépens  des  évidements  b  que  sont  taillées  les  souches  feuillues  ou 
composées  de  demi-cylindres  horizontaux.  Les  vantaux  de  la  porte  de 
l'église  de  Montréal  ont  conservé  leurs  pentures  de  fer  forgé,  qui  sont 
d'un  dessin  très-délicat. 

La  figure  6/i  donne  en  A  le  plan  de  cette  porte.  On  observera  que  la 
première  colonnette  a  est  retraitée  de  la  saillie  du  profil  du  socle  de  la 
base  et  du  tailloir  du  chapiteau  (qui  donnent  la  môme  projection  horizon- 
tale), afin  que  celte  saillie  ne  dépasse  pas  le  nu  b  du  mur  de  la  façade. 
Dès  lors  le  membre  d'archivolte  externe  repose  sur  le  nu  ô,  et  non  sur  le 
tailloir.  Tout  cela  indique  du  soin,  de  l'étude,  et  ne  permet  pas  de  suppo- 
ser, ainsi  que  plusieurs  le  prétendent,  que  cette  architecture  procède  au 
hasard,  qu'elle  ne  sait  pas  tout  prévoir.  A  l'intérieur,  une  tribune  de  pierre 
s'élève  au-dessus  de  cette  porte;  elle  est  soutenue  par  de  grands  encorbel- 
lements et  par  la  colonnette  B(voy.  Tribune),  posée  sur  l'emmarchemenl 
qui  descend  dans  la  nef  ;  car  le  sol  extérieur  est  plus  élevé  que  le  sol 
intérieur  du  côté  de  la  façade  occidentale.  Deux  arcs  de  décharge  en 
tiers-point  surbaissé  doublent  le  linteau  à  l'intérieur,  et  portent  sur  les 
colonnettes  engagées  éf  et  sur  le  trumeau.  En  C,  nous  donnons  un  dessin 
perspectif  des  chapiteaux,  avec  leurs  tailloirs,  au-dessus  desquels  on  re- 
marquera les  naissaiices  des  archivoltes  plongeant  dans  les  demi-cylin- 
dres dont  nous  venons  de  parler  ;  car,  d'un  côté  de  la  porte,  sont  des 
ornements,  de  l'autre  ces  demi-cylindres.  Notre  croquis,  si  insuffisant 
qu'il  soit,  montre  assez  cependant  que  la  sculpture  est  d'un  bon  style, 
grande  d'échelle,  bien  composée;  que  ces  chapiteaux  portent  franchement 


[  roiiTi;  J  —  ùlù  — 

Ips  quatre  membres  de  l'iircliivolle  et  se  combineol  adroilemenl  avec  les 

fleurettes  qui  garnissent  les  angles  des  pieds-droils. 


M!- 


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L'architecture  de  Bourgogne,  pendant  lesxTi'  el  xiii*  siècles,  se  recom- 
mande par  l'ampleur  cl  la  hardiesse.  Les  profils,  la  sculpture,  soni 
traités  largement;  de  plus,  les  compositions  présentent  un  caractère 


—  Ûl5   —  [   POilTE   ] 

d'originalité  qu'on  ne  trouve  pas  développé  au  même  degré  dans  les 
autres  provinces  françaises.  La  porte  principale  de  l'église  de  la  Made- 
leine de  Vézelay,  celle  de  l'église  de  Montréal,  donnent  la  mesure  de  ces 
qualités  particulières,  et  qui  appartiennent